#7 Stephan Davidshofer | Recréer les conditions du dialogue

20 mai 2022
25 mins de lecture

Auteur/autrice

Stephan Davidshofer est enseignant, chercheur et directeur de programme au Geneva Centre for Security Policy.

Expert en matière de sécurité internationale, il s’intéresse de près aux effets bénéfiques de la convivialité, y compris dans le contexte des relations internationales et du maintien de la paix. Touche-à-tout, il est également chroniqueur à la RTS, la Radio Télévision Suisse, dans l’émission dominicale, Les beaux parleurs.

Entretien enregistré le 2 mai 2022

Entretien enregistré le 2 mai 2022

Transcript de l’entretien

(Réalisé automatiquement par Ausha, adapté et amélioré avec amour par un humain)

Thomas Gauthier

Bonjour Stephan.

Stephan Davidshofer

Bonjour.

Thomas Gauthier

Alors ça y est, tu es face à l’oracle. Tu vas pouvoir lui poser des questions au sujet de l’avenir et tu sais qu’elle te répondra juste à tous les coups.

Par quelles questions est-ce que tu souhaites commencer ?

Stephan Davidshofer

Alors, moi je vais commencer par une question très générale qui est un peu, je pense, une des grandes questions du moment. C’est assez simplement, c’est quoi le prochain truc qui va nous tomber dessus ?

Parce que s’il y a quelque chose qu’on peut observer ces dernières années, c’est un peu l’accélération des crises majeures et surtout le fait qu’elles puissent arriver en même temps. Parce que si on revient un peu sur ces dernières décennies, ou même ces derniers siècles, on se rend compte qu’on a vécu longtemps dans la grande question de la guerre froide.

Après, on a eu deux décennies de la question de la lutte contre le terrorisme et que tous les enjeux s’organisaient un peu autour de ça. et là, en deux ans, on a eu… pandémie globale suivie d’une guerre qui remettait en question tout notre ordre international. Donc la question c’est, est-ce que c’est exceptionnel ou est-ce qu’il y a un nouveau truc qui va nous tomber dessus ?

Un grand accident environnemental par exemple, je ne sais pas, mais de savoir qu’est-ce qui nous attend dans l’immédiat et surtout est-ce qu’il y a un gros truc qui va nous tomber dessus ?

Thomas Gauthier

Comment on l’explique selon toi cette accélération des… Les événements extrêmes, tu as parlé d’un événement sanitaire pour commencer qui nous occupe encore même s’il a assez largement disparu des médias.

Tu nous as parlé ensuite d’un événement géopolitique majeur avec la guerre en Ukraine, l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Comment on s’explique que ces crises semblent désormais se produire à intervalles de temps extrêmement raccourcis par rapport à cette histoire un peu plus stable où il y avait une guerre froide par exemple pendant plusieurs décennies qui occupait les grands blocs ?

Qu’est-ce qui se passe ?

Stephan Davidshofer

C’est bien pour ça que je suis devant l’oracle. C’est assez difficile à dire, surtout qu’on pouvait aussi rajouter à ces dernières décennies, on a eu une grande crise économique en 2008.

Souvent, la guerre froide, avec du recul, elle paraît aussi plus homogène parce qu’il y a eu des lectures autorisées qui nous ont permis de la comprendre, de lui donner un sens et surtout de donner un sens à tous les événements qu’on a vécu. que ce soit par exemple des conflits locaux, à travers les lentilles de la guerre froide. Ce qu’il y a maintenant peut-être de nouveau, mais toujours je parle sous le contrôle de l’oracle, qui est la seule à pouvoir voir le futur ici, puisque je pense que ce n’est pas possible en tant que tel, c’est peut-être le fait qu’en vivant dans ce monde de plus en plus globalisé, c’est-à-dire de plus en plus… interdépendants, certains événements nous touchent tous et ça c’est nouveau les pandémies globales il y en a déjà eu mais une qui puisse avoir une telle ampleur aussi rapidement c’est aussi le fait qu’on n’a jamais été connecté le fait qu’une guerre qui peut-être aurait eu un raisonnement plus régional à une certaine époque montre à quel point on est on n’a jamais été aussi aussi interdépendants.

Donc il y a peut-être maintenant le fait qu’on vive dans un monde où des événements qui n’auraient pas eu un tel écho se retrouvent à avoir une amplification majeure extrêmement rapidement et le fait aussi qu’il soit possible de leur donner une dimension, comme on dit en anglais, de weaponization, c’est-à-dire que des questions peuvent devenir des enjeux de sécurité beaucoup plus. rapidement, on parle même que la question de l’interdépendance économique puisse être utilisée par certains sous forme de sanctions. Donc voilà, on est peut-être dans ce monde plus globalisé, plus interconnecté, plus compliqué, qui fait qu’on doit gérer plus de problèmes en même temps.

Thomas Gauthier

Et on est de plus en plus interconnectés, tu l’as dit, c’est peut-être l’un des facteurs qui aggrave les crises qu’on subit, qui les accélère. Et en même temps, je sais que tes travaux t’amènent à penser qu’on manque d’espace de dialogue multilatéraux, on manque d’une capacité partagée à vouloir faire société ensemble.

Qu’est-ce que tu peux nous dire sur ce défaut finalement de construction de la société globale ?

Stephan Davidshofer

C’est peut-être la grande question maintenant qui revient sur le tapis, qui n’a jamais disparu et que toutes les crises qu’on a ne font que réinterroger, ne font que répéter cette question. Le fait que pour ce qui est de la globalisation, on s’est arrêté au milieu du guet, où on a eu très tôt des économies qui étaient très interconnectées, en tout cas au niveau des flux financiers. des populations qui bougeaient beaucoup au niveau culturel aussi, des certaines logiques d’homogénéisation, et que le grand manque à ce processus, c’est vraiment sa dimension, on va dire, dans le sens large, sociale, que ce soit au niveau d’avoir des projets communs, mais aussi autour de l’idée de développer une justice globale. et surtout qu’on se retrouve face à ce grand paradoxe où on n’a jamais été aussi globalisé et proche sur pas mal d’aspects, et j’insiste, surtout économiques, alors qu’au niveau politique, on reste dans un monde extrêmement fragmenté, qui fonctionne avant tout sur une logique d’état-nation, qui reste quand même des acteurs extrêmement centraux. pas seulement dans le pouvoir qu’ils exercent, mais aussi dans les imaginaires politiques qu’on peut avoir.

C’est quelque chose qu’on voit même au sein de l’Union européenne et au niveau mondial, notamment cette montée en force des populismes qui sont avant tout sur ce référent national. Donc, c’est vrai qu’un des grands échecs de ces dernières décennies, c’était l’impossibilité de faire société au niveau global, c’est-à-dire de ne pas tous devenir copains.

L’idée, ce n’est pas non plus de dire ça, mais en tout cas d’avoir un référent commun sur pas mal de questions, indispensable à traiter, comme surtout maintenant, on ne voit pas seulement la question de la paix, bien sûr, et de la guerre, mais la question de l’environnement ou les questions environnementales. On voit à quel point il y a une urgence de les traiter, d’arriver à des accords extrêmement concrets, avec des objectifs extrêmement concrets pour lutter contre le réchauffement climatique. et on voit qu’on est même dans cette difficulté à pouvoir se mettre d’accord sur une base commune pour agir.

Donc l’absence d’une société, on va dire, globale ici est importante. Et on voit à quel point cette fragmentation, elle se retrouve même maintenant au sein des anciennes sociétés, on va dire, qui sont construites autour de l’État-nation.

On se rend compte qu’elles sont extrêmement fragmentées aussi. On voit ça déjà sur les réseaux sociaux, comme chacun vit dans sa petite bulle.

Donc c’est un peu comme si on avait… casser quelque chose pour en construire un autre et qu’on s’était arrêté à mi-chemin.

Thomas Gauthier

Là tu nous parles des enjeux écologiques, on aura l’occasion d’y revenir tout au long de notre échange. J’ai envie de te poser une question que je me pose depuis longtemps et j’attends pas de réponse ferme et définitive de ta part.

Alors le système onusien tel que je le comprends, il a été mis en place au lendemain de la seconde guerre mondiale pour assurer une forme de paix à l’échelle européenne déjà, à l’échelle internationale. Il est toujours en place aujourd’hui, même si on parle de crise du multilatéralisme.

J’aimerais bien d’ailleurs que tu nous éclaires sur ce que ça veut dire exactement, tu l’as déjà un petit peu fait. Et puis maintenant, on parle de péril écologique, on parle de transition énergétique, on emploie tout un tas de termes pour raconter finalement la nécessité de basculer dans un paradigme sociétal ou peut-être même civilisationnel nouveau, puisqu’on atteint des limites.

On parle de limites planétaires, on parle de ressources qui se tarissent. Est-ce que, selon toi, la nature profonde… de ce péril climatique est différente de la nature des enjeux passés, des défis passés auxquels l’humanité a dû faire face ?

Je pense évidemment à la première et au deuxième conflit mondial. Est-ce qu’on est face à une difficulté ?

Est-ce qu’on est face à un challenge qui n’a pas de pareil dans l’histoire finalement, qui est d’une nature fondamentalement nouvelle ?

Stephan Davidshofer

Sur la question environnementale, évidemment que le péril est là et que ceux qui le nient ont de plus en plus de mal à pouvoir le faire, puisqu’on est quand même dans un consensus scientifique plus que largement présent. après de parler de la nouveauté du danger dans ce qui représente comme péril par rapport à la survie même de la planète évidemment important de mettre l’accent dessus, mais en même temps, on peut aussi dire que on a déjà été dans des situations similaires, c’est-à-dire la question de la survie de la planète, pendant la guerre froide, notamment, il n’y a pas si longtemps, et je ne dis pas ça, et attention, je ne dis pas du tout ça dans un sens pour minimiser le péril environnemental, mais bien au contraire, pour dire que on a déjà vécu une période où la question de la survie de la planète s’est posée, et qu’on avait des très bonnes raisons d’avoir peur Alors… pour la suite, vu qu’on pouvait très sérieusement envisager la disparition, disons, de l’espèce humaine sur la planète, c’est-à-dire avec cette peur d’un armageddon nucléaire du moment où il y en avait un des acteurs qui possédait l’arme nucléaire, décidait de l’utiliser et qu’on tombait dans ce qu’on appelait à l’époque, ce qu’on appelle toujours la destruction mutuelle assurée. Et donc, j’insiste là-dessus pour dire qu’on a déjà fait face à ce genre de… de défis, qui, à un moment donné, il y a eu seulement la fin de la guerre froide, la guerre froide a eu une fin, c’est important de s’en rappeler, principalement aujourd’hui, et que la suite, on l’a espéré un peu plus heureuse, un peu plus optimiste, ce n’est pas arrivé, puisqu’on est retombé après dans pas mal de travers et pas mal de problèmes, et aujourd’hui, on se retrouve face… de nouveau à un problème, à une menace qu’on peut qualifier d’existentielle.

Donc ce qu’il y a de nouveau ici, c’est peut-être la séquence où on sort, disons, dans tout l’imaginaire de ce qui est censé nous faire peur et de ce qui est du monde du danger, c’est qu’en fin de compte, on sort de quelques décennies qui ont été consacrées en grande partie, disons, occupées en tout cas en Occident et dans pas mal d’autres pays, notre imaginaire, disons, de ce qui faisait peur et de la menace, qui était la question du lutte contre le terrorisme, où là, on voit qu’on n’était pas face à des menaces stratégiques, des menaces existentielles, malgré le fait que certains, principalement les partis populistes, disaient que, voilà, et faisaient en plus très rapidement le lien avec l’immigration. On voit ici ressortir tout cet imaginaire d’extrême droite à la base, où on parlait de choses dangereuses qui mettaient en péril la survie de la nation, la société, comme le font ces discours d’extrême droite.

Mais on voit qu’en fin de compte… on n’allait pas disparaître, que c’était vraiment une menace qui était clairement exagérée. Alors qu’aujourd’hui, la menace environnementale, clairement, pose comme pendant la guerre froide, une question de l’impératif de travailler ensemble, régler ces problèmes, pour ne pas tout simplement disparaître.

Pendant la guerre froide, ça posait la question de garder un lien, on va peut-être revenir là-dessus, c’était important, quelle que soit la façon dont on perçoit son ennemi. Quelle que soit ma raison, on pense que l’ennemi fait quelque chose de totalement inacceptable.

Pendant la guerre froide, il y a cette histoire du téléphone rouge, entre Moscou et Washington, et cette idée qu’au cas où on pense vraiment qu’il y a un risque nucléaire, on va s’appeler, parce que le plus important, c’est de garder à l’esprit que l’enjeu ici, c’est la survie même de notre espèce. Et les questions environnementales reposent un peu ce même type de questions, même si on n’est pas d’accord sur tout, il faut absolument aller de l’avant.

Et pour aller de l’avant, tu as évoqué le terme de multilatéralisme, ça reste une condition fondamentale d’avoir les outils, les canaux de communication, mais aussi les institutions qui permettent de pouvoir… aller de l’avant pour résoudre ces problèmes. Et c’est vrai qu’on se retrouve face à cette question, face à des questions environnementales, maintenant à une question face à un conflit majeur, avec des outils multilatéraux, ou en tout cas un multilatéralisme qui est en extrêmement mauvais état, à un moment où on aurait vraiment besoin d’une machine multilatérale qui fonctionne bien.

Thomas Gauthier

Pour revenir sur l’histoire de cette machine du multilatéralisme, je te propose qu’on regarde un petit peu dans le rétroviseur, tu l’as déjà fait en nous parlant de la guerre froide et en l’évoquant comme une période extrêmement importante puisqu’elle a coïncidé avec une menace existentielle qui a réellement pesé sur la Terre entière. Si on regarde l’histoire ensemble, on regarde le rétroviseur, est-ce que tu peux partager avec les auditeurs un événement, deux événements à toi de voir ? qui peuvent nous servir de leçons, de points de repères, de points d’apprentissage pour éclairer le présent qu’on a du mal à lire, dans lequel on a un petit peu du mal à se dépatouiller, et puis aussi nous tracer des voies d’avenir aussi radieux que possible.

Qu’est-ce que l’on peut voir dans le rétroviseur aujourd’hui ?

Stephan Davidshofer

Disons que pour revenir sur des événements, je pense que c’est toujours plus intéressant de revenir sur des événements qu’on a… qu’on a vécu pour voir un peu la tension qu’ils avaient en eux, cette capacité qu’ils avaient à pouvoir changer les choses ou alors à ne pas avoir pu le faire. Moi, j’ai grandi dans les années 80, donc j’ai vécu la fin de la guerre froide.

Je suis rentré à l’université justement au milieu des années. des années 90. Et donc, j’ai vécu ce moment optimiste où on pensait qu’on pouvait sortir d’une ère, on va dire, qui s’ancrait avant tout dans la peur, dans un sentiment extrêmement négatif, dans une confrontation permanente, et qu’on se disait qu’on pouvait ouvrir vers quelque chose.

Et je pense que là… c’est important de parler de la signification des événements qu’on vit et la nature même de ces événements sur la façon dont on peut se projeter dans le futur. Parce que moi, je compare quand j’ai rentré à l’université, après j’ai commencé à enseigner, j’ai vu que par exemple, moi, l’événement marquant de mon entrée dans la vie adulte, ça avait été la chute du mur de Berlin, qui était un événement extrêmement positif. qui permettait de se projeter vers un futur qui était potentiellement optimiste et où on allait régler, disons, énormément de problèmes.

Alors que quand je vois, quand je commence à enseigner quelques années plus tard, face à des étudiants pour qui l’entrée un peu dans la vie adolescente et adulte avait été le 11 septembre, On voit qu’ils sont projetés dans un monde extrêmement négatif, où on pensait qu’on avait été naïf, où en fin de compte, on revenait sur des problématiques beaucoup plus… beaucoup plus sombre. Et j’insiste sur la nature des événements qui vont nous permettre de nous projeter dans le futur, parce que la chute du mur de Berlin a donné lieu à toute une série d’événements et d’avancer vers un ordre multilatéral, libéral, plus positif et surtout plus, peut-être, inclusif et plus juste.

Et peut-être l’événement sur lequel… pour revenir sur un événement. J’aimerais y revenir de manière quasi un peu uchronique, c’est-à-dire comment ça aurait pu se passer autrement.

Et à la fin des années 90, il y a eu la signature des statuts de Rome, qui est l’acte fondateur de la Cour pénale internationale. J’étais étudiant à ce moment-là, j’ai les profs de droit, il y avait une espèce de relation internationale, j’ai les profs de droit international. une espèce d’excitation permanente.

Enfin, on était arrivé à quelque chose. Enfin, on avait une base sérieuse pour une justice globale qui serait cet aspect qu’on a complètement zappé, qu’on a complètement oublié de la construction d’un ordre multilatéral, d’un monde plus juste.

Et qu’à partir de là, c’est un peu comme si la fin des années 90, c’est le moment où on a commencé à diverger. C’est le moment où il y a eu derrière la guerre au Kosovo, où on a utilisé tous les outils qu’on avait mis en place, mais en perdant en cours de route déjà la Russie, ce chemin qu’on a fait entre l’Irak au début des années 90 et le Kosovo.

Tous ces outils qu’on avait mis en place, c’est cette construction d’un certain consensus, de certains outils. qui gentiment ont commencé à se déliter à partir de là. Donc moi, je placerais un peu la fin des années 90, et notamment le…

La Cour pénale internationale, qui est la constitution de la Cour pénale internationale, qui aurait dû être vraiment enfin cette première pierre pour la construction de quelque chose de plus positif, et qu’à partir de là, on est parti dans l’autre sens. Il y a eu le 11 septembre, deux ou trois ans plus tard, et puis tout ce qu’on connaît après de négatif.

Donc s’il faut revenir en arrière, c’est peut-être sur cette décennie, puis surtout l’aboutissement de cette décennie des années 90, qui a… était aussi le point de bascule vers quelque chose de beaucoup plus pessimiste.

Thomas Gauthier

Bon, là, on vient de passer quelques minutes ensemble à reparcourir l’histoire et se remémorer des événements parfois heureux, parfois un petit peu moins heureux. Je t’ai déjà entendu dire que, selon toi, j’espère te citer correctement, pour être optimiste, il faut avoir un fond de naïveté.

Et cette phrase me laisse un petit peu perplexe. J’aimerais que tu la commentes et que tu l’expliques puisqu’elle est de toi.

Stephan Davidshofer

Oui, c’est la discussion qu’on a pu avoir. C’est quelque chose qui ressort pas mal dans ma façon de percevoir toutes ces questions.

Parce qu’ici, aujourd’hui, on parle de la façon de se projeter dans le futur. On a même commencé par interroger une oracle. et je t’avoue que L’idée de prévoir le futur est quelque chose que je pense qui est extrêmement difficile et quasiment impossible à faire.

Par contre, évidemment, après, on peut toujours voir certains signaux. Mais pour moi, avant tout, le futur, c’est quelque chose d’extrêmement politique.

C’est l’idée qu’on a, à un moment donné, différents futurs qui s’affrontent avec des gens. en général de bonne foi, qui pensent que le futur devrait être d’une manière ou d’une autre. Et plus que prévoir le futur, je pense que ce qui est important, c’est de pouvoir se donner les outils d’imposer le futur qu’on pense être le plus juste.

Et bien sûr, je ne te cache pas que moi, je projette dans des futurs qui sont plutôt optimistes, où il y a une certaine forme de justice globale, de multilatéralisme, d’inclusivité. Et que pour ça, c’est vrai que la question de la naïveté devient importante, parce qu’on a commencé par parler de ce problème, qu’on avait une absence complète d’une société globale, de référents communs peut-être, un minima qui permettait de pouvoir avoir une conversation, qui permettait de régler des problèmes qui concernent tout le monde. et que moi, quelque chose qui ne m’a jamais… quitter, c’est cette naïveté qui voudrait que, dans le fond, peut-être, il y a toujours une façon de pouvoir trouver cette base commune.

Et là, c’est lié à mon travail que je fais notamment à Genève au GCSP, où on donne des cours à des diplomates, des militaires du monde entier, des fois à des gens qui viennent de pays qui sont en… en conflit récemment, on avait encore des Russes et des Ukrainiens dans la même salle, enfin dans le même cours. Et si la question de la naïveté revient ici, c’est que pour qu’on ait un début de solution, pour que ça marche, dans le fond, il faut qu’on trouve quelque chose qui soit entre, on va dire, juste la diplomatie polie et la paix durable à l’autre bout.

Et ce chaînon manquant peut-être du multilatéralisme ou d’une société globale, c’est la convivialité pour moi. Et c’est là où je suis peut-être naïf, c’est que je pense que si on passe du temps ensemble, on peut développer un minimum de convivialité, que la sociabilité, elle passe par l’idée qu’on a été assis dans la même salle, on a discuté, on a fait des pauses ensemble, on a pris des cafés.

Et c’est là où je suis peut-être naïf, c’est cette idée que si on passe un peu de temps ensemble, on va arriver à développer ce minimum de convivialité qui est, à mon avis, ce chez-nous manquant, ce qui sera toujours indispensable à pouvoir arriver à n’importe quoi pour ce qui est des questions globales et des problèmes qu’on a aujourd’hui. et que et ça peut paraître naïf mais je tiens à insister sur sur le fait que c’est naïveté qui est qui est assumé puisque On peut en trouver plein d’exemples. Un des très connus, c’était la fameuse trêve de Noël pendant la Première Guerre mondiale, ou à Noël en 1914.

Et tout au long de la guerre, il y a eu des moments où les soldats des deux côtés des tranchées se sont arrêtés à Noël et puis sont sortis de leurs tranchées. Et puis pendant un jour, même des fois une semaine, on arrêtait les combats et on discutait, on jouait au foot.

C’était quelque chose qui a existé. Après, certains diront, oui, ça, c’est la naïveté, on va juste prendre quelques exemples comme ça.

Mais en fait, où c’est important d’assumer cette naïveté, c’est que si on prend l’histoire, disons, dans son ensemble, tous ces petits événements, en fait, ils forment une chaîne extrêmement cohérente. Et là, il y a une nouvelle tendance en histoire qui est un peu cette histoire sur le long terme.

Une des versions les plus connues maintenant, c’est le livre d’Harari Homo Sapiens, mais il y a aussi David Graeber, son dernier livre, qui est un livre d’histoire sur le long terme, où on a tendance à, quand on regarde vraiment toutes les traces qu’on a sur plusieurs milliers d’années de l’histoire des sociétés humaines, on voit que les humains ont plutôt tendance, par défaut, à coopérer qu’à être en guerre. Si on prend vraiment l’histoire sur le très long terme, les moments de guerre sont vraiment réduits par rapport… au moment de coopération.

Donc cette naïveté, elle est assumée ici dans le sens où je pense qu’elle va vraiment dans le sens de l’histoire et qu’elle est plus proche de la vérité sur la sociabilité de l’homme.

Thomas Gauthier

Bon, là, tu viens de nous parler d’histoire longue. Tu viens de nous parler d’histoire globale en citant quelques ouvrages de référence.

Et d’ailleurs, au micro de ce podcast, je vais recevoir bientôt l’un des experts français en histoire globale pour justement interroger le temps long dans la poursuite de ce que tu viens de partager avec nous. Tu as assumé tout le crédit que tu confères à la naïveté pour trouver des voies d’espérance en commun pour les nations, pour les peuples, éviter que des conflits mortifères continuent de se propager. est-ce que tu peux du coup en conclusion de cet échange nous raconter simplement comment est-ce que toi tu mets tes paroles en acte, comment est-ce que tu penses ta vie, vis ta pensée, à quoi ça ressemble finalement les activités multiples de Stéphane qui cherche à assumer cette naïveté peut-être sous différentes formes, parfois pédagogue, parfois intervenant à la radio.

Raconte-nous un petit peu comment ça se passe pour toi.

Stephan Davidshofer

Disons que d’en faire jusqu’à une éthique définie, ça me paraît un peu beaucoup. mais dans mes activités, c’est vrai que c’est… idée, cette croyance me guide parce que comme tu l’as évoqué, je l’ai dit aussi dans le cadre des cours que je peux donner auprès de cette population que sont les diplomates, les militaires et des policiers, vraiment des gens qui sont au cœur des appareils de sécurité de nos États aujourd’hui. Ça implique déjà tout simplement d’entretenir, en plus de la passation de savoir, d’entretenir un climat, l’idée de construire un groupe, et pas simplement dans une logique de constitution de réseaux ou de contacts pour leur carrière. c’est aussi l’idée sur des choses extrêmement basique. Le fait que pour, quand c’est des gens qui passent plusieurs mois ensemble à Genève, ils auront un groupe WhatsApp qui va continuer d’exister après ce cours et que si un jour, peut-être, il y a un problème qui pourrait être évité parce que l’un et l’autre sont une poignée de main de la personne en charge de déclencher une crise majeure, ça aura permis et de l’éviter.

Je me plais à croire que peut-être un jour, ce travail aura permis ça. Ça aura permis d’éviter une crise majeure parce qu’on avait à la base deux personnes qui s’appréciaient bien parce qu’ils avaient passé du temps ensemble et que ça aura vraiment permis de faire une différence. Après, j’ai une autre activité à la radio-télévision suisse où je fais un…

Je participe à un talk show du dimanche, qui est un peu l’émission que les gens écoutent en préparant à manger à midi. Et puis l’idée de cette émission c’est…

On a des personnes qui représentent un peu toutes les sensibilités de la société romande, suisse francophone, de tous les âges, plutôt urbain, plutôt rural, plutôt de gauche, de droite, un peu de tous les points de vue. Puisqu’on fait par exemple là, c’est une idée qu’on n’est absolument pas d’accord, mais des fois ça peut aller assez… dans des disputes, mais que dans le fond, c’est quelque chose qui revient de la part des auditeurs et auditrices, ils disent quelque chose de positif sur l’émission, ils disent que dans le fond, on a l’impression qu’en fait, ils sont copains et qu’ils peuvent aller boire un verre après.

Et ça, je pense, ça représente bien un peu ce rapport à la convivialité, l’idée que même si on n’est pas d’accord, on peut trouver une base commune, pas parce qu’on est poli, mais parce que dans le fond, c’est vrai, on pourrait aller… prendre un verre ensemble. Et là, on retombe sur la question de la naïveté.

C’est peut-être une forme de naïveté, mais en tout cas, ça me semble être assez efficace, et surtout à l’épreuve de l’empirie, puisque on peut s’appuyer sur l’histoire longue pour dire que ça apporte des résultats. Donc voilà, c’est un peu quelque chose qui revient, je pense.

Et je te remercie pour ce genre d’émission, parce que c’est une façon de réfléchir aussi un peu sur les raisons. des choses qu’on fait. Et c’est vrai que ça pourrait être un fil conducteur un peu dans tout le travail que j’ai fait.

C’était cette croyance que ce genre de convivialité était possible entre les gens et surtout permettait d’arriver à des résultats assez intéressants.

Thomas Gauthier

Dans tout ce que tu nous dis, et tu y es revenu à un instant, on comprend bien que selon toi, et j’ai envie de… partager ce point de vue, le futur ne peut pas se prédire pour tout un tas de bonnes raisons. Et dès lors, tu concentres ton activité, ton action sous les différentes formes qu’elles prennent à créer finalement des espaces de dialogue féconds, des espaces où les controverses peuvent être construites par les participants et les participantes à ces controverses sans qu’on en vienne aux mains, dans l’optique que finalement ces points de contact pourraient à l’avenir, de manière tout à fait émergente, non prévisibles, servir à relier les individus entre eux.

Tu crées des ponts, quelque part, sans savoir exactement à quoi ces ponts pourront servir, si ce n’est qu’ils permettront de maintenir un dialogue, de maintenir une écoute aussi, pour qu’à l’avenir, on trouve des solutions pacifistes, pacifiques peut-être, à la résolution de problèmes qui pourraient autrement déclencher des conflits bien plus graves. Tu as l’air en tout cas d’accorder du crédit cette capacité créatrice finalement du réel qui est chère à Bergson je crois et qui est mais qui finalement nous rend humble aussi finalement face au potentiel de nouveautés que contient la réalité on ne peut être que humble et on ne peut que travailler finalement sa posture son éthique son rapport aux autres et non pas chercher à coloniser demain avec l’image que l’on en a.

Stephan Davidshofer

Oui tout à fait je suis tout à fait d’accordEt ce que tu dis, n’importe quel spécialiste de la médiation serait d’accord avec ça, sur l’importance de créer des ponts. Et la seule chose que je pourrais rajouter à ça, c’est qu’aujourd’hui, et notamment, je pense que c’est important de revenir sur les questions, le danger environnemental auquel on fait face aujourd’hui, c’est que l’extranité est devenue impossible. c’est-à-dire l’idée de pouvoir se placer. en dehors du monde dans lequel on vit, n’est plus possible.

Pendant longtemps, on pensait que ça l’était, et même on pensait qu’on pouvait découper des morceaux même de gens qu’on ne voulait pas voir. Et donc aujourd’hui, un des gros enjeux, et l’invasion de l’Ukraine en est un en ce moment, c’est qu’on est face à un pouvoir en Russie qui a fait quelque chose qui allait à l’encontre de tout ce qu’on peut imaginer en termes de droit international, qui pose des questions… extrêmement graves en termes même d’éthique, en termes de crimes de guerre, et que malgré ça, il y a cette question de comment on va pouvoir régler ça, puisque tout le monde sera…

Enfin, ils seront toujours là après, c’est une façon de le dire, mais ça, c’est à la base de toute logique de médiation. Donc, ces ponts sont indispensables.

Et aussi la question… qui se pose pour aller au-delà, c’est aussi ce rapport peut-être à construire des espaces qui permettent d’intégrer, c’est aussi de comment faire pour qu’à terme… ceux qui pensent qu’ils ne sont pas tenus par les règles, arrêtent de le faire. Et pour arrêter de le faire, c’est aussi l’idée d’être socialisé à quelque chose où on se rend compte qu’il faut tout simplement arrêter de faire ça.

Donc là, je ne suis pas en train de parler d’une naïveté où simplement, il faut parler avec tout le monde, c’est génial, dans le fond, personne n’a complètement tort. Ce n’est absolument pas ça.

C’est l’idée de pouvoir aussi créer des espaces et des ponts pour pouvoir aussi convaincre ceux qui… commettent des actes qui vont vraiment à l’encontre de certaines valeurs qu’on peut avoir, qu’ils arrêtent tout simplement de le faire, puisque là on a commencé à parler un peu à une oracle et de futur, que cette idée du futur ici pour moi elle est importante, c’est aussi comment pouvoir former, imposer, réussir à convaincre du meilleur futur qu’on peut avoir, surtout dans un monde et une situation là maintenant on a en Ukraine. face à un pouvoir qui est plutôt pas intéressé par un futur, mais plutôt par un retour vers le passé. Donc c’est d’autant plus important de pouvoir garder ces espaces aussi, comme des lucarnes aussi, sur tout simplement la réalité dans ce cas-là.

Thomas Gauthier

Eh bien, je pense qu’avec ce que tu viens de nous dire Stephan, c’est-à-dire notamment co-construire ensemble des repères dans le futur qui peuvent servir de point d’ancrage pour apaiser des relations, pour faire société, dans une naïveté constructrice passer au-delà finalement des défis qui sont les nôtres, je te propose qu’on laisse peut-être les auditeurs avec cette proposition que tu nous fais, aller chercher à les construire des repères dans le futur et ne pas juste braquer son regard vers le passé en essayant de le reproduire ça me semble être matière à méditer pour toutes et tous, merci beaucoup pour le temps que tu as consacré à ce podcast.

Stephan Davidshofer

Merci à toi

Thomas Gauthier

A bientôt, au revoir Stephan

Stephan Davidshofer

Au revoir

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