#4 Élisabeth Ayrault | Penser l’avenir des fleuves

20 avril 2022
35 mins de lecture

Élisabeth Ayrault a été pendant plus de 8 ans à la tête de la Compagnie Nationale du Rhône, premier producteur français d’énergie exclusivement renouvelable et concessionnaire du Rhône pour la production d’hydroélectricité, le transport fluvial et les usages agricoles.

L’an dernier, elle a publié les leçons du Rhône, ouvrage dans lequel elle nous rappelle que « les fleuves sont les grands oubliés de nos réflexions politiques ». Pourtant, « ils structurent nos pays et nos paysages, ils nous abreuvent et nous nourrissent, ils nous transportent – mais ils peuvent aussi ne plus avoir assez d’eau pour nous nourrir, ou en avoir trop et nous noyer ».

Entretien enregistré le 29 mars 2022

Entretien enregistré le 29 mars 2022

Transcript de l’entretien

(Réalisé automatiquement par Ausha, adapté et amélioré avec amour par un humain)

Thomas Gauthier

Bonjour Elisabeth.

Elisabeth Ayrault

Bonjour.

Thomas Gauthier

Bienvenue dans ce nouvel épisode de Remarquables. On va rentrer tout de suite dans le vif du sujet.

Alors ça y est, vous y voilà. Face à vous, il y a l’oracle.

Et comme vous le savez, aux questions sur l’avenir que vous lui poserez, elle va répondre et elle vous répondra juste à tous les coups. Est-ce que vous pouvez lui poser trois questions et surtout par où souhaitez-vous commencer ?

Elisabeth Ayrault

C’est assez difficile parce que j’ai beaucoup, beaucoup de questions à lui poser à cet oracle. Et faire des choix est terriblement difficile.

Mais j’ai quand même trois questions que j’aimerais lui poser. La première question, qui est une question importante pour moi, c’est…

Les démocraties peuvent-elles continuer à exister et peuvent-elles s’étendre ou sont-elles condamnées à régresser ? C’est ma première question.

Ma deuxième question, elle a trait à l’eau. Les hommes vont-ils manquer d’eau à court terme ?

J’insiste sur le « à court terme » . Et ma troisième question… Elle est liée à tout ce qui nous entoure.

Les hommes vont-ils finir par comprendre que tout est lié sur cette planète ? J’espère que l’oracle pourra me répondre.

Thomas Gauthier

On va le découvrir dans un instant. Je reformule peut-être très brièvement vos trois sujets.

Vous partez d’abord sur l’organisation de la vie de la cité. Vous parlez des démocraties en vous demandant si elles ont atteint peut-être un point de vulnérabilité. suffisamment critiques pour ne plus pouvoir se déployer dans les années qui viennent.

Vous nous parlez ensuite d’un autre système de vie qui pourrait venir t’a manqué, c’est l’eau. Et puis, vous créez du lien non seulement entre démocratie et eau, mais aussi tout un tas d’autres sujets, puisque vous vous demandez si tout est lié sur la planète.

Alors, s’agissant des démocraties, qu’est-ce qu’il y a dans l’actualité ou qu’est-ce qu’il y a dans votre réflexion sur le sujet qui vous… poussent à penser qu’elles sont en danger, qu’elles sont menacées, et que lorsqu’on les imaginait immuables, on était peut-être dans une forme de naïveté coupable.

Elisabeth Ayrault

Ce qui m’amène à me poser des questions, ce sont d’abord les faiblesses des démocraties qui font que lorsqu’on regarde toutes les études qui sont menées, un petit peu moins de la moitié de la planète vit en démocratie, mais dans ces 50%, Il y a très peu de gens qui vivent dans des vraies démocraties, on a tendance à avoir des dégradations de ces démocraties. Et ce qui m’amène à m’interroger, c’est que dans ces pays où la démocratie permet effectivement d’assurer des contre-pouvoirs, je me rends compte que même dans ces pays, il y a une montée en puissance d’une partie de la population qui souhaite des systèmes beaucoup plus autocrates.

Et c’est vrai que je m’inquiète, car on pensait que les démocraties étaient la solution. je dirais, au bien-être de l’humanité. Et aujourd’hui, le fait qu’elle régresse et que même dans les démocraties, des gens veuillent d’autres systèmes m’interpelle.

Thomas Gauthier

Alors, je me permets de réagir sur ces autres formes de régimes politiques, notamment ces régimes autoritaires. Et puis, on a parfois coutume de dire que les démocraties ont comme faiblesse qu’elles sont peut-être…

Un peu myope, je crois que l’on doit l’expression à Pierre-Rosan Vallon, qui pointe du doigt ce faisant le fait qu’il y a une forme de prime au présent, dans les démocraties, on cherche à créer des circonstances de vie qui soient agréables pour celles et ceux qui vivent ici et maintenant. Qu’est-ce que l’on peut dire de la capacité des démocraties à prendre en compte le temps long ?

Elisabeth Ayrault

Le temps long, c’est une vraie question, puisque le problème des démocraties, c’est qu’elles s’inscrivent dans des temps extrêmement courts du fait des systèmes politiques, et que quelqu’un qui est élu, peu importe, ce n’est pas toujours 5 ans, ça peut être 7 ans, on le sait quand on est patron d’entreprise, on ne voit pas les effets de ce que l’on fait à court terme, au contraire, c’est bien souvent à long terme. Et donc la vraie question, c’est est-ce que le long terme est compatible avec la démocratie ?

Et finalement, je pense que les démocraties sont faibles, d’une part parce qu’elles privilégient le court terme, d’autre part parce qu’on se rend compte dans les démocraties que le système collectif disparaît très rapidement au profit du système individuel. Vous disiez à juste titre que dans une démocratie à court terme, ceux qui gouvernent essayent d’apporter… je dirais, une vie agréable ou le confort à ceux qui y dirigent.

Et ce confort est toujours insuffisant. J’ai beaucoup voyagé, alors c’est pour ça que je suis très sensible à cette question.

Parce que je suis toujours frappée de voir que dans des systèmes où les gens devraient être très heureux, ils expriment bien souvent beaucoup d’insatisfaction, alors que j’ai été dans des systèmes autocratiques, autoritaires ou autres où ils n’ont pas le droit à la parole. et finalement ils n’expriment pas grand-chose. Voilà, donc on voit que dans les démocraties, le droit à la parole, le droit à des pensées différentes, je dirais de ce qui est la pensée unique, sont possibles, mais que ça amène des travers qui font que les démocraties sont très faibles.

Aujourd’hui, on le voit partout. Et donc la vraie question effectivement que je me pose, c’est est-ce que notre monde va basculer vers beaucoup plus de systèmes autoritaires ? que de systèmes je dirais où le contre-pouvoir de la population et de l’individu peut s’exprimer – pour aller dans le sens des – c’est une question très grave

Thomas Gauthier

Alors pour aller dans le sens de cette gravité je pense unequestion que je me pose et du coup je profite de notre échange pour vous la poser à mon tour je crois comprendre que de tout temps les sociétés, les civilisations ont toujours tendu vers plus de complexité Merci. C’est-à-dire qu’au fur et à mesure que les attentes sociétales des populations augmentent, les dirigeants et les dirigeantes proposent en réponse des services sociétaux qui sont de plus en plus complexes et qui nécessitent ce faisant de plus en plus d’énergie, qui sont de plus en plus gourmands en ressources diverses et variées, en eau notamment.

Donc la course à la complexité semble être quasi immuable pour maintenir les conditions d’un apaisement social. Et en même temps, en lien avec votre question sur l’eau, et donc plus généralement la question des ressources, on voit bien que la course à la complexité est épuisante au sens propre comme au sens figuré.

Comment peut-on imaginer un avenir dans lequel un contrat social est réinventé, dans lequel il n’y a plus attente de services sociétaux de plus en plus complexes, et en même temps, les régimes démocratiques faisant ce choix… et rendant possible ce choix de moindre poussée de complexité, se défendrait face peut-être à des puissances autoritaires, autocratiques, l’actualité évidemment nous alerte sur ce point, qui elles continueraient à aller vers plus de complexité, notamment pour acquérir des armes de destruction massives qui sont éminemment complexes. Comment résoudre ce paradoxe, ou comment y réfléchir peut-être pour commencer ?

Elisabeth Ayrault

Plutôt y réfléchir parce que je ne crois pas qu’on puisse le résoudre comme ça. Ce n’est pas forcément l’actualité récente du dernier mois qui m’amène à poser cette question à l’oracle.

C’est une question que je me pose de façon plus… Je dirais plus… Il y a longtemps que je me pose cette question. Et on va dire simplement que ce qui se passe récemment pourrait m’amener à dire que je vois… dans le fait que des pays qui sont sous un régime de démocratie, même s’il n’est pas parfait, sont capables aujourd’hui de s’allier ou tout au moins de partager la même vision de ce qui se passe.

Et ça, c’est plutôt un point un peu positif que je mets dans la balance. Mais l’événement récent n’est pas le déclencheur de ma réflexion ou de ma question à l’oracle.

Thomas Gauthier

Alors, je pense que pour revenir à vos questions à l’oracle, j’imagine que votre deuxième question, va-t-on ou pas manquer d’eau à court terme, elle aussi n’a pas de, je dirais, existence liée à l’actualité ou peut-être que l’actualité vient renforcer des questions liées aux ressources. Est-ce que vous pouvez, sur cette question-là, nous raconter un futur qui, selon vous, serait positif ?

Elisabeth Ayrault

Un futur positif serait un futur…Déjà, pour être très clair, pour que tout le monde comprenne, le système de l’eau, parce qu’on dit qu’on va manquer d’eau, mais en fait c’est une erreur de dire ça. On ne va pas manquer d’eau puisque l’eau ne disparaît pas.

Simplement, on va avoir une eau qui se répartira de plus en plus mal sur la planète. Là où aujourd’hui on a déjà beaucoup trop d’eau, nous allons nous retrouver avec encore plus d’eau au risque de rendre… totalement inutilisables les secteurs où il y aura beaucoup trop d’eau.

Et les zones qui sont aujourd’hui déjà confrontées à la sécheresse et à une pénurie d’eau, ces zones risquent d’avoir tellement moins d’eau qu’elles aussi vont devenir invivables pour l’homme. Et ce qui va amener l’ensemble de ces hommes, soit parce qu’il y a trop d’eau, soit parce qu’il n’y en a pas assez, à migrer pour aller vers des zones plus tempérées dans lesquelles ils pourraient espérer mieux vivre.

C’est important de préciser cela parce que c’est un petit peu comme le changement climatique. Quand on parle de ces deux degrés qui m’affolent, parce qu’en fait ils ne veulent rien dire, ils veulent dire quelque chose scientifiquement.

Ils ne veulent rien dire lorsqu’on descend au niveau du terrain. Il y a des zones qui sont absolument, je le dis souvent avec humour, en France, chez mes amis à Lille, pour être tout à fait honnête, c’est vraiment vrai puisque j’étais chez eux l’autre jour, quand je leur dis ça, ça les fait rire.

Je dis, si on vous donne deux degrés de plus, vous allez être certainement très contents. Et il me confirme qu’ils seront très contents, il me dit même quatre de plus sans hésiter.

Vous voyez ce que je veux dire ? Et tout le problème, c’est ce problème d’une communication sur des moyennes.

Donc, même moi, quand je dis, les hommes vont-ils manquer d’eau à court terme ? En fait, c’est, est-ce que cette eau qui va être de plus en plus mal répartie va amener les hommes à se battre pour vivre dans des endroits vivables où il y aura suffisamment d’eau ?

Pas trop, mais suffisamment. Donc voilà, c’est ça qu’il faut comprendre.

Ce n’est pas deux degrés de moyenne, ce n’est pas l’eau disparaît, non. C’est une répartition différente sur la planète.

C’est pareil pour la température. Il y a des secteurs qui vont effectivement avoir des températures beaucoup trop élevées et d’autres beaucoup trop faibles.

Je ne sais pas si vous avez vu récemment que même nos deux pôles sont confrontés à des élevations de températures dramatiques. Donc voilà, c’est cette mauvaise répartition liée au changement climatique qui m’amène à poser cette question sur l’eau.

Pourquoi ? Particulièrement sur l’eau.

Parce que sans eau, on ne peut pas vivre. Et que si nous n’avons plus d’eau, nous n’aurons plus non seulement d’eau pour nous abreuver, mais plus d’eau pour cultiver.

Nous n’aurons plus d’eau pour produire de l’énergie. Je rappelle que la grande majorité des énergies aujourd’hui sont produites avec l’aide de l’eau.

Je ne parle pas de l’énergie hydraulique. l’énergie nucléaire, mais l’extraction aussi d’un certain nombre de matières premières provient, je dirais, de l’utilisation de l’eau. Donc voilà, eau, énergie, qui sont les deux composantes les plus essentielles à notre civilisation actuelle.

L’eau, elle l’a toujours été, mais l’énergie est devenue, je dirais, on ne peut pas vivre sans énergie. Il n’y a plus rien qui fonctionne, même, on ne pourrait pas se parler, on oublie bien souvent tout cela, on ne pourrait pas produire comme on l’a produit.

Est-ce que ces deux éléments essentiels, eau et énergie, vont effectivement modifier notre civilisation ?

Thomas Gauthier

Sur le sujet de l’énergie que vous abordez, l’actualité nous en parle beaucoup ces temps-ci, puisque se pose la question de savoir comment les pays de l’Union européenne pourraient regagner une forme d’autonomie vis-à-vis des produits fossiles russes. j’ai l’impression aussi que derrière votre … exposé sur les problématiques de l’eau, vous abordez en filigrane la troisième question que vous avez souhaité poser à l’oracle, à savoir quand l’humanité va-t-elle prendre conscience que tout est lié sur la planète ? Est-ce que vous pouvez nous raconter un tout petit peu des interconnexions entre l’eau et d’autres phénomènes humains ou non humains que peut-être le grand public ne connaît pas, ne comprend pas ou… n’intègre pas dans sa réflexion sur le présent et les futurs possibles.

Elisabeth Ayrault

Alors, pour donner un exemple, parce qu’il y a beaucoup d’exemples sur l’eau, je rappelle que l’eau, elle est présente, elle est très présente sur la planète. 97% de l’eau que nous avons, qui est de l’eau salée, d’accord ? Je veux dire, on ne peut pas dire que cette eau disparaît, d’accord ?

C’est pour ça qu’il faut qu’on essaye d’être pédagogue avec les gens qui nous écoutent, puisqu’on a donc 97% d’eau salée, 2% de glace, et seulement 1% d’eau douce qui est accessible tout de suite. Et donc, du coup, je descends dans cette eau douce.

Cette eau douce, vous avez 95% de cette eau qui est en souterraine. Et puis, vous avez 5% de cette eau qui est en surface, au travers des fleuves et des rivières.

Et c’est ce que nous voyons. Et c’est là-dessus que je vais démontrer que cette eau, c’est 5% des 1%.

Attention, c’est-à-dire que ce n’est pas grand-chose. Et pourtant, on voit partout des rivières, des torrents, des fleuves, cette eau finalement, c’est celle sur laquelle aujourd’hui, on peut alerter le plus parce que ça se voit.

Quand un fleuve n’arrive plus à la mer, donc je vais donner l’exemple du Colorado parce qu’il est souvent cité, mais je peux aussi vous donner l’exemple du Taj en Europe parce qu’il est aussi de plus en plus souvent cité. Quand un fleuve n’arrive plus à la mer, c’est tout un écosystème qui disparaît et les gens le voient.

Sur cet écosystème qui disparaît, on a toute l’embouchure d’un fleuve. Vous avez aujourd’hui par exemple le delta du Danube, qui est un des plus grands deltas au monde, qui petit à petit s’atrophie.

Et là, on arrive à voir concrètement ce que fait le manque d’eau. Et comment est constitué un fleuve ?

On me pose souvent cette question. Le fleuve n’est que le reflet d’un écosystème beaucoup plus large que lui.

Le fleuve, il est quelque part un livre ouvert sur ce que nous sommes autour du fleuve. Livre ouvert sur quoi ?

Sur ce qui compose déjà l’arrivée de l’eau dans le fleuve. La neige qui tombe, on le sait de plus en plus rarement à certaines époques, trop à d’autres époques, toujours cette complexité à moyenner les choses.

Donc il vient de la neige qui imbibe les sols et qui permet au fleuve d’avoir de l’eau. une partie de l’année où l’eau ne tombe plus du ciel, parce que sa deuxième source, c’est le ciel. Quand l’eau tombe du ciel, elle tombe sur des bassins qu’on appelle versants, dont le nom est suffisamment évocateur pour comprendre que ces bassins versants amènent l’eau au fleuve.

Donc, c’est cette eau qui constitue le fleuve. Et puis ensuite, c’est un subtil équilibre avec ce que je qualifie de souterrain.

D’accord ? Donc, toutes les nappes souterraines.

Et toute cette eau qui est en dessous de nous est le fleuve lui-même qui permet effectivement au fleuve d’exister. Quand on déséquilibre cet ensemble, quand on dit qu’un fleuve ne va plus avoir d’eau, quand je dis que le Rhône n’aura plus autant d’eau en 2050, ça maintenant je crois que tout le monde commence enfin à comprendre que c’est vrai.

On aura 10 à 40% d’eau en moins dans le Rhône à horizon 2050. Que ça soit 10 ou 40, Vous allez dire, mais c’est énorme comme écart.

Oui, mais déjà 10%, c’est énorme, parce que c’est une moyenne. Donc, ça veut dire que ça va là aussi être constitué de crutes de plus en plus violentes et de périodes de sécheresse de plus en plus violentes aussi.

Donc, quand on a tout un écosystème où on a un peu moins de neige qui tombe et une neige qui fond de plus en plus tôt, d’accord, et qui du coup arrive à un moment où on n’en a pas vraiment besoin parce qu’on a encore de l’eau d’avant. Vous voyez, c’est ça le déséquilibre de l’écosystème. qui provoque effectivement du fait que cette neige a fondu trop vite et qu’on n’a pas pu capter toute l’eau que la neige a restituée, ça provoque des sécheresses de plus en plus importantes, des périodes d’étiage, donc c’est quand le fleuve est très bas, qu’à ce moment-là, nous n’avons plus assez d’eau issue de la fonte de la neige pour soutenir ce qu’on appelle l’étiage.

Quand on déforeste, là pour sortir de notre pays, quand on déforeste en Afrique, et qu’on déforeste massivement, les arbres retiennent l’eau et l’expulsent et provoquent des systèmes qui permettent à l’eau de retomber. Donc quand vous n’avez plus d’arbres, vous avez un phénomène d’érosion qui s’accélère, ce qui est vrai chez nous aussi, d’ailleurs je pourrais revenir dessus, phénomène d’érosion qui s’accélère, et tout un système qui fonctionnait avant qui s’est cassé parce qu’il y a un maillon de la chaîne qui s’est cassé, le maillon de la chaîne étant l’arbre.

Donc voilà. Le résultat de l’eau…

Ce n’est pas l’eau en elle-même, ce n’est pas que l’eau qui tombe du ciel, c’est tout un écosystème qui permet à cette eau d’exister et ensuite à l’homme d’utiliser l’eau pour sa survie. Donc voilà, partout sur la planète, ces écosystèmes ont des maillons qui sont cassés.

Et partout sur la planète, on a des fleuves qui n’arrivent plus jusqu’à la mer. On a des fleuves très importantes qui n’arrivent plus jusqu’à la mer.

Soit parce que l’homme a trop tiré d’eau, c’est beaucoup le cas au Colorado. puisque 70% de l’eau du Colorado est captée par 300 fermes qui captent 70% de l’eau du Colorado. Ou alors parce qu’un écosystème a été dégradé par l’homme, pollution, déforestation, artificialisation des sols.

C’est le cas en France, artificialisation des sols dans les villes, mais aussi artificialisation des sols dans les campagnes, parce qu’aujourd’hui on ne cultive plus. où tout au moins certains y reviennent, mais la majorité des grandes exploitations ne cultivent plus le sol, cultivent uniquement l’efficacité au pied des plantes, et on se retrouve avec des sols artificialisés qui ne retiennent plus l’eau, qui ne rechargent plus les nappes, et qui ne sont pas capables de restituer cette eau correctement au bon moment. Voilà pourquoi ce système de l’eau est vraiment, quand on regarde un fleuve, il est vraiment le miroir de toute la dégradation. dont on parle actuellement sur la planète.

Et finalement, il suffit d’observer les cycles des fleuves, d’observer la disparition de la biodiversité au bord des fleuves, d’observer les fleuves qui n’arrivent plus jusqu’à la mer, même quand ils y arrivent, ils ont de plus en plus de mal à repousser le sol et à repousser la mer, pour comprendre que ce système, multiplié sur l’ensemble de la planète, c’est ce système que nous dégradons de plus en plus vite.

Thomas Gauthier

J’ai beaucoup de questions à vous poser.

Elisabeth Ayrault

Quand on est Oracle de dire comment allons-nous faire ? Tout est lié, donc c’est ma troisième question.

Tout est lié sur cette planète et c’est ça, je pense, que les gens ne comprennent pas. Parce que quand ça va mal dans un autre pays, on se dit que c’est dans un autre pays, c’est très loin de nous.

En fait, le problème, c’est que cet autre pays, il est lié à nous, qu’on le veuille ou non. D’abord parce que les populations qui y vivent pourraient ne plus y vivre. et on n’a pas encore vu complètement ce qui va se passer avec les phénomènes de migration, et que quand on déforeste pour le compte des Européens, qui parfois disent la Chine pollue, etc., oui mais en fait on sous-traite, on fabrique tout chez eux.

Les forêts qui sont, les arbres qui sont abattus en Afrique ou en Amérique du Sud, ne sont pas abattus pour les populations locales, ils sont bien abattus pour les pays développés, démocratiques. Et donc, comment peut-on comprendre que nous, par nos actions quotidiennes, nous avons un lien avec ce qui se passe ailleurs, car c’est finalement en notre nom que ça se produit ?

Thomas Gauthier

Vous avez mis énormément de sujets en lien les uns avec les autres. Je ne vais évidemment pas tenter la moindre reformulation de tout ce que vous avez évoqué.

Cela étant dit, j’ai retenu un mot qui est ressorti plusieurs fois dans vos propos, c’est celui de… de déstabilisation. Et il me semble que, finalement, la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui, la société sédentaire, la société qui a réussi à mettre en place une agriculture, qui a réussi à dégager des surplus lors des récoltes, est une société qui était en rupture avec nos ancêtres chasseurs-cueilleurs.

Et en vous écoutant, puisque la déstabilisation devient peut-être systémique, et l’exemple du fleuve que vous avez… appelé miroir de notre vie, est assez saisissant, puisque cette déstabilisation semble systémique, il me semble qu’on en vient à se demander quels vont être les fondements de nos modes de vie actuels qui vont être remis en question, quels vont être les renoncements auxquels nous allons peut-être devoir arriver, quelles formes de redirection vont devoir impacter nos activités, nos activités sociales, nos activités économiques, quels nouveaux contrats sociaux pourraient être imaginés pour rééquilibrer ou peut-être apaiser à nouveau la relation entre les sociétés humaines et les écosystèmes naturels, comment est-ce que l’on priorise ou comment est-ce que l’on navigue en complexité ? Qu’est-ce que l’on peut faire, peut-être dans le registre de l’éducation, pourquoi pas, pour éveiller des générations à cette pensée qui englobe, à cette pensée qui relie, à cette pensée qui sans cesse tisse des liens entre ce qui paraît de prime abord et pas ?

Qu’est-ce qu’on peut proposer comme projet pédagogique, pas juste pour les plus jeunes, mais peut-être tout au long de la vie, pour regagner cette empathie ? je dirais planétaire.

Elisabeth Ayrault

Vous avez prononcé le mot éducation, je pense que l’éducation est la base de beaucoup de choses, et l’éducation, peut-être que pour les personnes, je dirais des générations qui sont la mienne par exemple, l’éducation est encore possible, je dirais, sur les gestes du quotidien, etc. Mais moi je crois à une éducation qui sort du quotidien et qui va vers une éducation beaucoup plus collective. et qui englobe à la fois la puissance publique, les entreprises, parce que c’est un combat chez moi, les entreprises ont un rôle majeur à jouer dans les transformations, et puis effectivement les populations, et ce sont ces trois piliers en fait qui doivent constituer une éducation collective.

Les entreprises ont besoin d’être éduquées aussi, c’est ça que je veux dire. Et quant à notre système politique, j’ose dire qu’il a besoin d’être sérieusement éduqué aussi.

Donc… Je crois vraiment à ce schéma dans lequel on apprendrait aux gens à raisonner et on leur démontrerait que le raisonnement et la prise de conscience, qu’on ne peut pas continuer comme ça, n’est pas une régression. Parce que j’ai un vrai sujet avec l’information qui est diffusée hélas trop régulièrement. on donne l’impression que Le fait qu’il faille agir va nous amener à une forme de régression.

Alors si la surconsommation doit s’arrêter, je ne suis pas sûre qu’on puisse appeler ça une régression. Il n’y a jamais eu autant de gens malheureux sur Terre qu’aujourd’hui.

Il n’y a jamais eu autant de suicides. Il n’y a jamais eu autant de jeunes qui s’interrogent sur le sens de la vie, sur le sens de leur travail.

Donc je pense qu’on peut quand même s’interroger collectivement sur est-ce que cette surconsommation dont vous avez parlé tout à l’heure d’ailleurs, sans prononcer le mot. Est-ce que le fait que nous ayons des systèmes qui permettent l’enrichissement sans cause, l’enrichissement sans besoin réel, quand je parle d’enrichissement, ce n’est pas financier, le stockage, la surconsommation, on est dans une partie des mondes qui surconsomment de façon éhontée.

Est-ce que le fait de dénoncer… l’élevage intensif qui consomme près de 10% de l’eau de la planète, qui maltraite les animaux. Je ne suis pas végétarienne, donc je suis très à l’aise quand je parle de ça, parce que je ne crois pas que le fait d’avoir pris conscience il y a quelques années que je n’étais pas obligée de manger de la viande tous les jours m’a fait régresser, j’ai l’air plutôt d’aller très bien.

Donc c’est ça l’éducation pour moi. refuser l’agriculture intensive, refuser l’élevage intensif, ce n’est pas être bobo ou tomber dans l’exagération, c’est prendre conscience que lorsque l’on fait un geste, on impacte forcément la planète. Et donc, est-ce qu’il est aussi important de répéter trop souvent ce geste ?

C’est pour moi une question. Je ne dis pas qu’il ne faut pas manger de viande, je ne dis pas qu’il ne faut pas se déplacer, je ne dis pas qu’il ne faut pas avoir plusieurs t-shirts.

Vous voyez, j’essaie aussi de dire, on n’est peut-être pas obligé d’en avoir 50, on n’est peut-être pas obligé de manger de la viande midi et soir, qui est devenu, hélas, dans certains pays, un signe de richesse et qui contribue au déséquilibre qu’on a sur la planète parce que l’élevage intensif sert aussi à ces populations qui veulent accéder à ce confort illusoire. à cette richesse illusoire. Je crois qu’en fait, l’éducation doit permettre de reprendre le sens des choses et de redonner du sens à chaque geste que nous faisons, de redonner du sens aux entreprises aussi.

Est-ce qu’une entreprise est là pour produire de l’argent ? Est-ce qu’elle est là pour produire de l’argent et partager cet argent ?

Et je suis évidemment, j’ai passé ma vie à gagner de l’argent dans les entreprises et je ne le rejette pas, c’est indispensable. Mais est-ce que cet argent doit être au simple bénéfice d’un capital ?

Ou est-ce que cet argent doit être redistribué plus équitablement ? Vraie question.

Donc le changement, c’est toutes ces questions. Et quand on dit que tout est lié, y compris dans une entreprise, gagner de l’argent, mais pour qui ?

Pourquoi ? Pour en faire quoi ?

Est-ce que l’entreprise peut accepter de gagner moins d’argent parce qu’elle sera plus vertueuse dans son impact environnemental ? Est-ce que les actionnaires peuvent l’accepter ?

Est-ce que l’entreprise peut être un laboratoire de ce monde différent tout en continuant à produire et à gagner de l’argent ? Je ne suis pas pour la régression.

Thomas Gauthier

Alors là encore, les termes du défi sont probablement sans précédent. Je ne vais pas tenter de reformulation, mais élargir peut-être un peu votre propos avant de vous amener sur la question suivante.

J’aime même raconter parfois que le défi qu’on a face à nous, c’est de sortir de la parenthèse carbone, c’est-à-dire que penser le temps long, c’est aussi regarder dans le rétroviseur et se dire que ça fait 10 ou 11 000 ans depuis la révolution néolithique. que l’on a découvert l’agriculture, la sédentarité, la capacité à générer des surplus. On a été ensuite touchés par la grâce ou frappés par la malédiction des énergies fossiles.

On a l’impression peut-être spontanément qu’elles sont quasiment illimitées et qu’autrement, nous allons trouver des solutions techniques, peut-être même magiques, pour s’en sortir. Alors que vous l’avez dit, eau plus énergie égale matrice de nos sociétés, matrice de nos civilisations. matrice de ce que l’on peut faire et de ce que l’on ne peut pas faire, périmètre que l’on ne peut pas franchir.

Donc, en sortant d’un régime d’énergie fossile, il faut s’attendre à une forme de réorganisation de nos manières de produire, de nos manières de consommer, vous l’avez évoqué à l’échelle individuelle, manière de répartir les richesses produites, manière peut-être même aussi d’interroger l’argent en tant que ce n’est qu’une convention, cela n’existe que parce que suffisamment de personnes y croient. mais elle s’appuie bien sur des déterminants physiques, sur de l’utilisation d’énergie, de matières premières et d’eau. Donc le défi est absolument exceptionnel.

J’espère que l’on a quand même quelques repères dans l’histoire. Alors je vous demanderai s’il vous plaît Elisabeth de regarder un instant dans le rétroviseur et de nous ramener, si vous les trouvez, deux, trois repères, deux, trois événements, deux, trois phénomènes, deux, trois transitions qui peuvent nous servir de marqueur et nous aider dans cette… formidable transition qu’on est en train de vivre ?

Elisabeth Ayrault

Alors, à cette question, on peut remonter à très loin, mais je ne vais pas le faire parce que finalement, quand vous regardez à l’échelle de l’humanité, vous parlez de 11 000 ans pour l’agriculture, etc., on se rend compte à la fois que l’homme a progressé énormément et en même temps qu’il a reproduit assez régulièrement les mêmes erreurs. Les guerres ont toujours existé, la pauvreté a toujours existé, les religions se sont toujours, je dirais, octroyées le privilège d’essayer de détruire les autres religions, etc.

Et donc si je commence à regarder tout ça, je me dis, si je regarde dans le rétroviseur, qu’est-ce que je peux dire ? Donc j’ai envie de regarder dans un rétroviseur beaucoup plus proche. et qui est un rétroviseur qui m’amène à dire qu’il y a trois événements récents dans l’histoire contemporaine qui m’ont marqué et qui devraient servir de marqueur dans notre transformation.

Je vais commencer par deux événements qui, évidemment, devraient nous amener à réfléchir, qui sont Tchernobyl et Fukushima. qui sont pour moi deux événements majeurs qui, sur le coup, ont provoqué des reculs, des prises de conscience, etc., et qui finalement ont disparu comme si c’était arrivé il y a 10 000 ans et que ça ne nous concernait pas. Et on vient de vivre, il y a 15 jours, une très grave inquiétude des Européens parce que les Russes n’hésitent pas à bombarder une centrale nucléaire.

Alors, ils l’ont bombardée à côté, d’accord. Était-ce volontaire ?

Était-ce un signal disant qu’ils pouvaient le faire et faire effectivement exploser une centrale ? Je ne sais pas.

En tout cas, je dirais que ce troisième événement vient se rajouter à Tchernobyl et Fukushima. et si je ne prône pas l’anti-nucléarisme primaire, parce que de toute façon, dans nos pays, nous avons mis tellement de temps à réagir que nous n’avons pas le choix, je le dis, nous n’avons pas le choix, nous sommes obligés de poursuivre en tout cas… pendant un demi-siècle encore avec du nucléaire. Par contre, je pense qu’on devrait s’interroger sur ce que je viens de dire et sur ces deux événements majeurs et ce troisième événement qui montre la fragilité que nous avons à avoir ce type d’installation.

Ne parlons pas de nos déchets que nous ne savons toujours pas traiter. Donc ça, c’est un premier élément qui, pour moi, est un marqueur dans l’histoire de l’énergie et qui n’est pas suffisamment… pris en compte, tout au moins pas suffisamment marqueur pour changer nos comportements.

Le deuxième marqueur, ça ne va pas vous étonner, nous avons toujours eu des pandémies, toujours, il y en a eu partout, dans tous les pays, avec des morts bien plus nombreuses que ce que nous venons d’avoir, il faut relativiser toujours, et là je parle à l’échelle de la planète. En revanche, la Covid-19, on ne peut pas dire que ce n’est pas le marqueur de ce qui est en train de nous arriver. Ça fait des années que le monde scientifique, que les médecins disent que nous allons que l’humanité pourrait disparaître s’il y avait une pandémie avec un virus beaucoup plus virulent que celui que nous venons de vivre, et que l’humanité, avec les moyens de communication aujourd’hui hyper rapides, un virus qui naît à un endroit de la planète, une semaine après il peut être partout sur la planète, c’est terrifiant.

Et il va falloir qu’on apprenne à mieux vivre en harmonie avec notre environnement et qu’on comprenne qu’on ne peut pas séparer. les fragilités des animaux et les fragilités de notre environnement, des fragilités humaines. Je vais redire que tout est lié et que ce marqueur de la Covid-19 ne fait que le confirmer.

Et le troisième marqueur pour moi, mais qui est insuffisamment pris en compte, c’est le marqueur sur le changement climatique et la disparition de la biodiversité. Vous avez parlé du CO2.

Bien entendu qu’il faut réduire nos émissions de CO2. C’est une évidence, ce n’est même pas la peine.

Mais en revanche, penser que le simple fait de réduire le CO2 va régler les problèmes que nous avons est une très grave erreur qui est commise. On n’arrête pas de parler du CO2, mais on ne parle pas de la disparition de la biodiversité, on ne parle pas des pollutions plastiques notamment.

Je rappelle quand même qu’aujourd’hui, nos océans sont des soupes de plastique. Donc on ne parle pas de tout ça.

On ne raconte pas que 60% des forêts ont disparu en un siècle sur cette planète. 60% des grands mammifères ont disparu en quelques décennies et 60% des insectes ont disparu en quelques années. Et tout ça, on trouve ça normal.

Moi, j’ai souvenir que quand j’étais gamine, il y avait des insectes sur le pare-brise de la voiture de mon père. Quand on faisait des trajets, il s’arrêtait régulièrement pour nettoyer son pare-brise dans les stations-service, etc.

Aujourd’hui, franchement, vous pouvez partir de Lille et aller à Nice, vous n’aurez pas beaucoup d’insectes sur votre pare-brise. Et si vous n’avez plus d’insectes, vous allez dire, tant mieux, ça ne nous piquera plus.

Oui, mais il n’y a plus d’oiseaux, parce que les oiseaux se nourrissent des insectes. Et là aussi, on revient à tout est lié, la chaîne complète est désorganisée.

Donc, ces marqueurs sur cet aspect de la biodiversité me font peur, parce qu’on ne les utilise pas assez. Donc, que faut-il faire pour que ces marqueurs servent à un futur meilleur ?

Parce que ces marqueurs, je les ai pris volontairement dans le court terme. volontairement. Pourquoi ?

Parce que ça s’accélère. Parce que si j’avais pris des marqueurs d’il y a quelques siècles, j’aurais pu prendre des marqueurs politiques, des grandes révolutions, etc.

Mais en fait, ce sont ces marqueurs très proches qui montrent que nous sommes dans une spirale infernale qui s’est tellement accélérée que je ne sais pas si nous avons conscience du fait qu’arrêter quelque chose qui est parti comme ça, ça ne va pas être simple.

Thomas Gauthier

Il y a une expression qui me vient en tête en… En vous écoutant parler de ce péril qui pourrait menacer d’extinction l’espèce, c’est l’expression de grande simplification, c’est-à-dire qu’on a vécu plusieurs décennies de grande accélération, vous parliez de surconsommation, on a parlé peut-être d’urbanisation à grande vitesse, d’artificialisation des sols.

Maintenant que, finalement, le pendule repart dans l’autre direction, se pose la question de savoir si on va vivre. ou si on va subir une forme de grande simplification avec finalement la victoire de la violence, avec l’accroissement encore plus critique d’inégalités. Vous nous racontez à nouveau que tout est lié, que dans nos actes également du quotidien, on doit pouvoir finalement penser ce rapport qu’il faut entretenir avec une nature que l’on espère toujours diverse et toujours fertile.

Je me permets du coup, sans transition, de vous… poser une toute dernière question lors de cet entretien. Et puis, en commençant par rappeler que Gandhi nous invite à être le changement que l’on souhaite voir dans le monde.

Alors, pour préparer cet entretien, j’ai déjà eu des éléments de réponse, mais le moment est venu de les partager avec nos auditeurs. Vous-même, Elisabeth, au quotidien, vous vous efforcez d’accorder vos actes et vos paroles.

J’aime à dire aussi parfois de penser votre vie et puis de vivre votre pensée. Est-ce que vous pouvez nous faire un tout petit peu découvrir votre manière de faire, votre manière de penser, nous ouvrir un tout petit peu la porte de cette intimité agissante.

Elisabeth Ayrault

J’ai eu la… c’est une question très compliquée, parce que forcément, moi j’ai conscience chaque jour que même si j’essaye de faire des choses, je vais venir dessus, tout ceci est très imparfait et très incomplet, et donc en aucune façon ma réponse ne doit être considérée comme satisfaisante, pour moi en tout cas. J’ai deux volets à cette réponse.

J’ai un premier volet qui est un volet plus professionnel. et un volet plus personnel. Pourquoi ?

Parce que, je le redis, nous passons la grande partie de notre vie dans le monde de l’entreprise et je mets les administrations, toute la partie publique aussi, dans le monde de l’entreprise. Je veux dire le monde de la grande entreprise qui nous permet tous les jours de produire, organiser, etc.

Et c’est dans ce monde-là que je pense qu’on a un rôle important à jouer. rôle d’expression, rôle de participation à l’évolution de l’entreprise dans laquelle on est. Et en tant que patronne d’entreprise, puisque j’ai eu la chance de l’être pendant de nombreuses années, de mettre en harmonie ce qu’on pense, ce qu’on dit et les actes que l’on fait dans l’entreprise.

Et c’est vrai que dire tout ce que je dis sans avoir accentué, lorsque j’étais patronne de la CNR pendant huit ans, accentuer… Les rénovations des lones, du Rhône, la recherche sur, je dirais, des huiles différentes, parce qu’en fait, quand on a des installations sur les usines hydroélectriques, on a effectivement beaucoup d’huile qu’on utilise, et une partie de cette huile va au Rhône, par exemple. Comment faire en sorte qu’on ait moins d’huile, comment faire en sorte qu’on ait des huiles bio, biodégradables, etc.

Donc, même si ça coûte un peu plus cher. Pour moi, ça a été un combat pendant huit ans, mais avant, quand j’étais dans le déchet, ça a aussi été un combat extrêmement important d’accepter que oui, effectivement, le tri, le recyclage sont moins rentables que l’enfouissement ou l’incinération, mais il faut accompagner le mouvement et accepter effectivement, en tant que patron d’entreprise ou en tant que salarié d’une entreprise ou d’une administration, de participer. à l’évolution de ce monde économique. Ça, c’est pour moi même essentiel, car c’est une marche assez lente.

Et à titre personnel, j’ai envie de dire aussi, le fait d’avoir été patronne d’entreprise pendant quelques années, m’a permis aussi de m’exprimer régulièrement. Et ce n’est pas facile, quand vous êtes patronne d’entreprise, d’oser venir dire que vous n’avez pas honte de gagner de l’argent, pour l’entreprise bien entendu.

Ce n’est pas facile en même temps de tenir ces discours, mais je crois qu’il faut oser le dire. Et on est quelques-uns, heureusement, au pluriel, beaucoup, à de plus en plus s’exprimer et peser pour que l’entreprise puisse changer. À titre personnel, les choses sont différentes. À titre personnel, c’est quotidien.

Je l’ai dit tout à l’heure, c’est quotidien. Je suis imparfaite, mais j’essaye de m’interroger.

Voilà, moi le message que j’ai envie de faire passer, c’est je ne veux pas… pas abandonner l’idée qu’on peut vivre de façon équilibrée. Je ne veux pas me dire que je ne peux plus voyager pour aller voir ailleurs dans le monde qui s’y passe ou me déplacer pour aller voir mon père.

Je ne veux pas abandonner tout ça. En revanche, j’ai conscience que lorsque je fais ça, j’impacte mon environnement et qu’il faut absolument, non pas que je compense, je n’aime pas le mot compenser, parce que compenser, c’est quelque part se donner bonne conscience, mais en revanche, que je dois intégrer le fait que lorsque je fais quelque chose, ça impacte forcément mon environnement, et en avoir conscience.

Et quand on prend conscience, d’accord, je l’ai vécu, puisque c’est une transformation pour moi, ces 20 dernières années, réellement. quand on prend conscience, on change sa façon de faire, petit à petit, naturellement. Je donne l’exemple de la viande tout à l’heure, mais c’est vrai qu’il y a 30 ans, 40 ans, j’étais comme tout le monde, j’ai mangé de la viande tout le temps.

Et aujourd’hui, je vais très bien, j’aime toujours bien manger de la viande, mais j’en mange trois ou quatre fois moins qu’avant. Mais ce n’est pas un choix, c’est ça qui est assez intéressant.

Je n’ai pas dit un jour, je vais manger moins de viande. J’ai dit un jour que je commençais à m’interroger sur ce qui se passait autour de moi, et de fait, naturellement, on change.

C’est une lente évolution qui est d’ailleurs liée à une forme d’éducation. Et quand on comprend cela, quand on comprend que ma santé, ma propre santé, je viens d’avoir le Covid, pour information, et j’ai été malade réellement.

Parce que comme j’ai été malade l’année dernière et soignée pour un cancer, en fait j’ai vraiment eu une réaction, il paraît que mes défenses immunitaires étaient moins importantes. Mais j’ai conscience que ma santé, elle est liée à mon environnement.

Et donc, cette santé, si j’y tiens, il faut bien que je me dise que je suis liée à ce qui m’entoure. Je ne suis pas à part, je suis dedans.

Et c’est tout cela qui fait que dans ma vie plus courante, ma vie, je dirais, quotidienne, j’ai pris conscience de tout cela et petit à petit, j’ai changé beaucoup de choses. Sans devenir une ayatollah de… voilà, pas du tout.

C’est pour cela que je dis que ce n’est pas satisfaisant, je devrais faire 50 fois… Plus de choses que ce que je ne fais. Mais petit à petit, de toute façon, je ne peux pas revenir en arrière.

Je ne peux pas voir ce que je vois autour de moi et ne pas rééquilibrer mon alimentation. Je ne peux pas ignorer qu’il y a un lien entre ma santé et l’environnement qui m’entoure.

Je ne peux pas l’ignorer. Je ne peux pas ignorer qu’on se doit de respecter les animaux qui sont vivants eux aussi.

Je ne peux pas ignorer que lorsqu’on a tué quelque chose, on ne peut pas le faire revivre. Quand un fleuve est mort, Quand la mer d’Ara, elle est morte, elle est morte.

Et on peut dire ce qu’on veut, on ne reviendra pas en arrière. Donc c’est tout ça que je ne peux pas ignorer dans mon quotidien et qui fait que très naturellement, je bouge.

Je raisonne plus global. Si j’avais peut-être de résumé, au même titre que je disais qu’un fleuve est un livre ouvert sur ce que nous sommes, j’ai envie de dire qu’apprendre à raisonner, c’est apprendre à raisonner plus global.

Et à plus long terme que ce que nous sommes aujourd’hui, qui est un raisonnement qui est bien souvent basé sur des prix de marché. Là, je ne parle pas des individus, je parle d’un système.

On est plus sensible au prix de marché que au coût réel de ce que nous faisons. Prix de marché, je vous donne un exemple précis.

On sait que le transport fluvial est un transport vertueux. Je ne parle pas que du Rhône, je parle du transport fluvial partout.

On continue à compter le prix du transport du conteneur. Sur la route, sur le fleuve et sur le fer.

Le prix. Mais on n’intègre absolument pas tous les effets collatéraux.

On n’intègre pas les émissions de CO2, là je vais en parler. On n’intègre pas le bruit.

Il y a eu des études très intéressantes faites sur le bruit et le coût réel, social, du bruit. C’est quoi ? 17 milliards d’euros par an en France. Ça, ça c’est le coût.

Ce n’est pas le prix du bruit. Le bruit n’a pas de prix, mais le coût. globale du bruit dans toutes les maladies qu’il provoque, la difficulté à vivre au bord de ces grands axes etc. Ça c’est un coût et donc on n’apprend pas suffisamment à raisonner en coût global.

Et quand on utilise la route, on ne tient pas compte de par exemple de l’investissement qu’on doit faire pour pouvoir accueillir tous ces camions, on ne tient pas compte du bruit que ça fait, on ne tient pas compte du prix des accidents, on ne tient pas compte de l’émission de CO2, non. On continue à raisonner sur le petit conteneur en disant que ça coûte 2% moins cher de transporter par la route.

C’est faux. Ça coûte beaucoup, beaucoup plus cher à la société civile. Mais j’ai l’habitude de dire que c’est dans nos impôts.

Donc ça ne se voit pas. Voilà.

Thomas Gauthier

On pourrait ouvrir tout un pan de discussion sur la nécessaire reconfiguration des modèles comptables. puisque finalement l’outil comptable est celui qui nous permet d’enregistrer certains aspects de notre vie en entreprise, de notre vie en société, mais c’est ce même dispositif enregistreur qui passe sous silence tout un tas de phénomènes tels que celui que vous évoquiez en parlant du bruit. Vous nous avez dit beaucoup de choses très inspirantes en réponse à cette ultime question.

Vous nous avez finalement encouragé à rassembler ce qui était part, c’est-à-dire se penser et penser son action à la fois à cette échelle individuelle qui est très rapide. qui est faite de gestes au quotidien. Pensez notre action aussi à travers les collectifs.

Vous avez évoqué le monde organisé au sens large, le monde des entreprises, le monde des administrations qui sont peut-être rythmées par une marche un peu plus lente. Vous nous avez proposé aussi une leçon d’humilité puisque vous dites sans embâge être imparfaite, vous interrogez et quelque part, je rajouterais, faire de votre vie une enquête, finalement une recherche de nouvelles connaissances.

Et puis vous nous laissez néanmoins avec un message que je qualifierais d’optimisme lucide et cette phrase que j’ai retenue et que vous avez employée plutôt dans notre entretien, faire évoluer les consciences. n’est certainement pas synonyme de régression. Je vous propose de laisser peut-être nos auditeurs sur cette formule que je trouve tout à fait matière à méditation pour les jours, les semaines et les temps qui viennent.

Elisabeth Ayrault

Merci beaucoup de cet échange, en tout cas.

Thomas Gauthier

Merci infiniment.

Elisabeth Ayrault

Je suis optimiste, même si ça ne se voit pas, heureusement. Sinon, je serais désespérée.

Mais lucide, mais lucide.

Thomas Gauthier

Merci beaucoup, Elisabeth.

Elisabeth Ayrault

Merci.

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