BOB nous fait perdre le nord

4 octobre 2024
9 mins de lecture

Rédaction :
Anne-Caroline Paucot (Propulseurs)
Images :
Midjourney

(1) Premiers pas

En 1968, le Pentagone imagine un système de localisation géographique composé d’une constellation de satellites en orbite autour de la Terre qui pourrait leur fournir la position d’un point sur la planète en temps réel et 24 h sur 24. Le système est développé dès 1973 par le département de la Défense des États-Unis pour un usage strictement militaire. Le premier satellite est lancé en 1978. Le système a été déclaré opérationnel en 1995.

(2) COSMOS

Centre Orbital de Surveillance et Maintenance des Objets Spatiaux. Un organisme qui pourrait exister demain !

(3) Sous surveillance

Le GPS suit à la trace les enfants, les chiens, les ruches d’abeille… Il rassure, mais cette surveillance a ses revers. Elle crée de la dépendance. Des individus malintentionnés l’utilisent pour commettre des crimes. Utilisée par les gouvernements, elle peut porter atteinte aux libertés individuelles.

La rumeur, janvier 2038

BOB a mis à l’arrêt tous les systèmes GPS. Cette catastrophe technologique révèle notre dépendance aux systèmes de géolocalisation et permet aussi de s’en libérer un peu. Deux experts du Cosmos racontent comment on est passé de la sidération provoquée par la panne à l’adaptation avec des solutions créatives.

Souvenez-vous! Il y a un an, le GPS était notre meilleur pote. On avait l’impression qu’il a toujours été là pour nous (1). Ce petit génie de l’espace nous guidait du frigo à la lune sans jamais se plaindre. On le croyait infaillible et patatras! En quelques heures, notre copain stellaire nous a fait un caprice cosmique. Finis les «dans 100 mètres, tournez à droite» susurré par une voix envoutante. On est passé à un grand « Débrouillez-vous, les terriens!» Le plus étrange est que, après avoir encaissé ce ciel qui nous est tombé sur la tête, nous nous sommes débrouillés et plutôt pas mal.

Pour comprendre comment on est passé de la navigation assistée par la technologie au principe légendaire du «Bon pied, bon œil», j’ai enfilé ma combinaison de spationaute et je me suis téléportée (enfin, j’ai pris une voiture autonome) au COSMOS (2), là où les pros du ciel jouent aux billes avec les satellites.

Je suis accueillie par Lisa Fantana et John Li Hue, deux experts en gestion de crise qui ont l’air à l’aise au milieu de tous ces écrans. Tentant de cacher mon impression d’être un poisson rouge dans un aquarium spatial, je leur lance avec un sourire crispé : «Ce qui est bien, c’est que, chez vous, ceux qui sont dans la Lune ne sont pas dépaysés.» En guise de réponse, ils m’invitent à m’installer dans un fauteuil qui ressemble étrangement à un siège éjectable. Je leur demande de me narrer les prémices de la plus grande panne de GPS de l’histoire.

John se lance : «On a compris que ça sentait le roussi quand nos collègues se sont mis à bondir de leurs sièges comme des popcorns. Ils étaient plus blancs que la Voie lactée! L’un criait après son chat, l’autre après son gosse. Tous avaient disparu des écrans.» Lisa précise qu’elle a du mal à supporter que le GPS soit devenu une laisse électronique (3) utilisé pour mettre sous surveillance tant ses proches que ses ennemis.

Quand le sixième collègue s’est levé d’un bond, John et Lisa ont ouvert leurs fils d’actualité. Ils parlaient d’embouteillage de voitures autonomes et de véhicules qui avaient décidé de faire trempette dans le lac.

(4) La poubelle de là-haut

Depuis les débuts de la conquête spatiale, en 1957, plus de 5 000 lancements ont eu lieu. L’océan d’en haut, comme l’appelait Victor Hugo, est en passe de devenir aussi pollué que notre bonne vieille planète. 5 000 objets mesurant plus d’un mètre,
20  000 de 10  cm et plus, 150 millions de fragments de quelques millimètres s’y trouvent. Cette myriade de déchets dérive à plus de 40 000  km/h à proximité des satellites et autres engins spatiaux. La poubelle de l’espace pèse 6 500  tonnes.

Ils se sont ensuite branchés sur les réseaux des urgences. Les ambulanciers jouaient à Où est Charlie? dans une version sirène hurlante. Ils tournaient en rond pour trouver leurs patients.

Les experts ont d’abord cru à un tour de passe-passe électronique : «Avec le GPS, c’est le grand jeu du brouillage. Un pays, ou une organisation, brouille le signal GPS. On débrouille, et hop, on est rebrouillé.»

L’IA de maintenance leur a annoncé que la cause de la panne était un Bob : « Un Bob ou Briseur d’Objets Baladeurs est un écrou, un boulon, un débris qui percute un satellite », explique Lisa. Rien d’étonnant pour les experts. L’espace est devenu une vraie poubelle (4). Des millions de débris y traînent. Ils peuvent entrer en collision avec les satellites à des vitesses très élevées.

(5) Comment fonctionne la géolocalisation ?

Des satellites en orbite autour de la Terre émettent constamment des signaux. Les satellites sont placés de telle manière qu’on puisse recevoir un signal émanant de trois satellites.

En mesurant le temps que mettent ces trois signaux pour arriver, on calcule la distance et on en déduit la position précise sur Terre. 

Un 4ème satellite est cependant nécessaire pour permettre de synchroniser l’appareil récepteur GPS avec les horloges atomiques des satellites. 

Le Bob a modifié la trajectoire du satellite et a lancé un grand billard spatial. Un satellite a percuté un autre qui a envoyé valser un autre. Comme les différents systèmes de satellites de géolocalisation sont en orbite moyenne, un vulgaire boulon a provoqué un domino galactique qui a rendu inopérants tous les systèmes de géolocalisation. (5)

Lisa présente la crise que Bob a produit comme une valse en trois temps : «Comme pour toutes crises, le premier mouvement a été la sidération. Alors qu’on découvre l’importance du GPS dans notre vie quotidienne, les Cassandre répètent : C’était prévisible. Je l’avais dit, mais on ne m’a pas écouté. Ensuite, c’est l’enlisement. On comprend qu’on ne peut pas réparer des satellites avec du scotch et de bonnes intentions. On passe enfin à l’adaptation. On redécouvre alors que l’être humain peut être incroyablement créatif quand il s’agit de se débrouiller dans un monde qui part en vrille!»

Le COSMOS ayant créé un numéro d’assistance, le premier jour ça n’arrêta pas de sonner : « Il y avait une femme qui ne trouvant pas la route de l’hôpital, accouche dans sa voiture. Des coureurs qui se sont perdus et ont créé un incident diplomatique en traversant une frontière. Comme les transactions boursières nécessitent une synchronisation entre serveurs extrêmement précise, les traders étaient en panique. Ceux qui devaient retrouver des copains, mais qui ne savaient comment faire son application », explique John qui leur a suggéré d’essayer une technique ancestrale qui consiste à crier leur nom dans la rue. « En découvrant leurs paniques, je me suis demandé si la technologie ne transforme pas les humains en légumes high-tech », s’amuse Lisa.

(6) Le GPS pilier du cloud et de la bourse

Le GPS fournit une horloge précise et synchronisée. Les centres de données et les transactions financières nécessitent une synchronisation temporelle très précise pour assurer la fiabilité des données.

Le cloud repose sur un réseau global de serveurs. Le GPS permet de localiser ces serveurs.

Dans le domaine de la finance, les transactions à haute fréquence (HFT) dépendent de la précision temporelle. Le GPS permet de chronométrer ces transactions avec une précision de l’ordre de la nanoseconde.

Le GPS permet aussi de vérifier que les transactions proviennent de lieux autorisés.

C’était aussi le moment où les autorités ont tenté de résoudre un problème en créant un autre problème. Ils ont eu des idées brillantes comme d’appeler la population à rentrer chez elle et faire des commandes par drones. «C’est la solution préconisée pour les crises sanitaires. Le souci est que sans géolocalisation, les drones déposent leur colis n’importe où », explique John. Une grand-mère a vu son appartement envahi par les pizzas. Un homme a commandé un livre et s’est retrouvé avec une collection complète d’encyclopédies tombée dans sa piscine. Il n’a pas tout perdu, vu que maintenant, il a la piscine la plus  instruite du quartier!

La phase d’enlisement a vraiment montré à quel point nous sommes accros au GPS. John dresse la liste des catastrophes : «Comme les grues fonctionnent avec le GPS, impossible de décharger les bateaux. Comme les récoltes sont faites par des machines guidées par GPS, les champs se sont vite mis à ressembler à des buffets abandonnés, avec des légumes et des fruits qui pourrissent. Comme les systèmes de livraison sont gérés par GPS, ils étaient totalement hors service.»

Lisa ajoute une couche : «Le plus marquant fut sans doute fut que le cloud est devenu aussi inaccessible que tous les autres nuages (6). Comme on n’avait plus accès à nos données, aucune IA ne fonctionnait.»

John renchérit : «Les villes intelligentes ont perdu leurs neurones : les feux de circulation clignotaient comme lors d’une fête disco. Quant aux publicités virtuelles personnalisées, elles m’ont proposé des herbes pour soulager ma ménopause.»

(7) Aspironaute

Éboueur de l’espace

L’aspironaute…

Trouve des solutions pour débarrasser l’orbite terrestre des déchets.

Met en place des expérimentations favorisant ces éliminations.

Vérifie que la solution retenue soit en conformité avec le droit international.

Participe à la conception de lanceurs et satellites qui se désagrègent à la fin de leur mission.

Contribue à l’envoi d’engins dans l’espace qui réparent les satellites en panne.

Dico des métiers de demain

 

Et puis il y a eu la phase d’adaptation. L’ingéniosité humaine a explosé. En quelques jours, il y avait des cartes murales aux quatre coins des rues. Des GPH (Guides pédestres humains) ont fait leur entrée : «C’était nettement mieux que le GPS. Quand ils nous accompagnaient, ils nous racontaient l’histoire de leur quartier et leur ville. Ils créaient du lien», explique Lisa.

On croyait les pigeons voyageurs rangés aux rayons des antiquités. Ils font un retour triomphal. Dans tous les jardins publics, il y avait des stages de formation à l’envoi de messages par pigeon. « Avec une nouvelle utilité, nos amis à plumes ont soudainement gagné en popularité », s’amuse John.

Les villes ont pris des couleurs. Elles se sont illuminées de mille teintes pour créer des parcours pour piétons. « C’était comme si l’on vivait dans un tableau vivant », précise Lisa.

John ajoute : «Sans GPS pour jouer les chefs d’orchestre, les horloges se sont mises à jouer chacune leur propre symphonie. Comme le concept de l’heure précise et du ici et maintenant est devenu flou, une nouvelle philosophie du temps s’est installée.»

« On a fini par découvrir qu’on ne vivait ni moins bien ni mieux sans GPS, juste différemment. Résultat, quand le système GPS a été réparé, on avait beaucoup moins envie de l’utiliser. C’était comme s’il avait subi une cure de désintoxication technologique », précise Lisa.

Vu le stress que la crise a provoqué et le coût d’une telle panne, John et Lisa pensent néanmoins qu’il faut anticiper la prochaine crise : « La priorité est d’engager des aspironautes (7) pour faire un bon nettoyage dans l’espace. C’est la seule solution pour limiter la fréquence de ses pannes », dit John.

Lisa ajoute : « Il faut aussi réfléchir aussi à la manière de mieux vivre les trois étapes. On doit réduire le chaos pendant la phase de sidération avec des discours qui tiennent la route et un plan d’attaque bien ficelé. Pour l’enlisement, il faut à ce que le manque ne soit pas insupportable. Pourquoi ne pas inventer des dispositifs de secours pour les transports, le stockage en ligne ou même la gestion financière? La phase d’adaptation se prépare aussi. On peut avoir des kits de survie d’autonomie qui permettent d’inventer de nouvelles solutions ».

En quittant le COSMOS, je me demande si Bob n’a pas provoqué une crise pour retrouver notre propre boussole intérieure. Comme dit Lisa : « Dans un monde où tout est hyperconnecté, perdre le nord peut parfois nous aider à retrouver le bon chemin! »

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