Laurent Testot est journaliste scientifique, conférencier et essayiste. En France, il est l’un des rares spécialistes de l’approche historique globale, et plus spécialement de l’interaction de l’homme avec la planète sur le temps long.
En 2017, il a publié un essai, “Cataclysmes”, dans lequel il propose une histoire environnementale de l’humanité. D’histoire et d’environnement, il en sera justement question dans cet entretien.
Transcript de l’entretien
(Réalisé automatiquement par Ausha, adapté et amélioré avec amour par un humain)
Thomas Gauthier
Bonjour Laurent.
Laurent Testot
Bonjour Thomas.
Thomas Gauthier
Alors ça y est, tu es face à l’oracle, et tu sais qu’aux questions sur l’avenir que tu vas lui poser, elle va te répondre, et elle va te répondre juste à chaque coup. Alors, par quelle question est-ce que tu souhaites commencer ton entretien avec l’oracle ?
Laurent Testot
La responsabilité est telle qu’avant de formuler ma question, j’ai pour un peu la nécessité de commencer par une sorte d’arrêt sur image, c’est-à-dire de rappeler où l’humanité en est arrivée. D’abord, je souhaiterais souligner que les ressources que nous offre la Terre s’amoindrissent et simultanément que nous vivons dans une société qui s’est complètement aveuglée.
Et plus que d’autres trois points posent problème. Le climat se réchauffe sous l’action humaine.
Ils menacent littéralement d’apocalypse une partie de l’humanité. Il suffit de regarder ce que subissent l’Inde et le Pakistan aujourd’hui pour en avoir un avant-goût.
Je vois aussi la biodiversité qui s’effondre, ce qui fait peser des menaces à très court terme sur notre capacité à nous nourrir et à moyen terme sur notre capacité à respirer et même à boire. Et enfin, je vois que les pollutions continuent à s’accroître dans des proportions absolument dantesques.
J’en mentionne deux parmi les plus préoccupantes, mais il y en a d’autres, ce sont les gaz à effet de serre qui résultent de la combustion d’énergie fossile et des pratiques d’agriculture industrielle, et le plastique, par exemple, qui affecte le vivant à l’échelle planétaire. Et pour ne rien arranger, ces différents problèmes sont systémiques.
Ils sont souvent politiquement liés parce qu’ils sont extrêmement inconfortables de penser, et ils se renforcent les uns les autres. Et donc, ça en fait un sac de nœuds qui rend toute action politique extrêmement difficile, voire impossible à piloter.
Alors on aurait peut-être pu agir il y a 30 ans avec un peu de clairvoyance, c’est ce qu’a écrit par exemple le journaliste Nathaniel Rich dans « Perdre la Terre » . Et aujourd’hui, s’il n’est pas trop tard, et il n’est jamais trop tard, il est néanmoins certain que nous allons essuyer des pertes colossales et qu’il faut s’y préparer.
Et donc ma première question à l’oracle, ce serait comment redonner sens à l’action politique ? Parce que je pense que c’est là le nœud du problème.
Alors tu me dis que l’oracle va répondre juste. Donc j’ai hâte de l’entendre parce que je me sens totalement impuissant à penser la complexité des interrelations humaines sur une planète qui est aussi densément peuplée et connectée que celle dans laquelle nous vivons aujourd’hui.
Thomas Gauthier
Quand tu parles de sens de l’action politique, tu as déjà éclairé un tout petit peu cette notion par le rappel historique que tu nous as proposé. Est-ce que tu détectes déjà des formes d’action politique qui semblent capables de renouer avec cette notion de sens ?
Est-ce qu’il y a des signes d’espérance que l’on peut déjà récolter autour de nous et qui nous laissent penser que cette action politique va pouvoir effectivement se redoter de sens ? Et surtout, tu l’as dit, et je pense que c’est une notion sur laquelle il faut revenir, cette action politique se hisserait à la hauteur des enjeux systémiques.
Laurent Testot
Dans l’immédiat, la réponse est peut-être qu’effectivement, les actions de résistance locale, le fait de tisser, je vais reprendre un vocabulaire qu’on entend dans certains milieux, des archipels de résistance, de lutter contre des grands projets industriels, contre la bétonisation des terres, de refaire des petits réseaux sociaux où on se parle, où on s’entraide. c’est probablement la bonne action à mener. Malheureusement, l’échelle de la grande action, de l’action méta, elle est encore dictée. par le politique à très grande échelle, par les financements.
Et donc, elle surplombe tout ça et elle vide progressivement ces initiatives de tous sens au fur et à mesure que ce terreau de résistance se développe, les trajectoires de l’ASAD, de Notre-Dame-des-Landes, ou la façon dont certaines pratiques agricoles, comme ce qui a commencé par être un bio-responsable, avec un label qui entendait, comment dirais-je, récompenser autant. autant des pratiques sans pesticides, sans intrants, que des pratiques socialement responsables avec une juste rémunération des producteurs, ça a été complètement vidé de tout sens par un bio-industriel, par exemple. Donc, il faut être conscient aussi que nous sommes dans un monde complexe et que la résistance peut être récupérée à tout moment.
Donc, c’est aussi pour ça qu’on n’a pas forcément de capacité à penser simultanément les différentes échelles de… du politique, surtout dans un monde où le pouvoir s’exerce dans nous. Ça c’est vraiment une réflexion en cours et j’ai presque envie de passer directement à la deuxième question que j’aimerais poser à l’oracle, parce que c’est probablement la question la plus angoissante que je me pose, c’est face à cette situation, quelles solutions seront mises en œuvre ? Et à vrai dire, j’ai extrêmement peur de la réponse, parce que je pense que les solutions qui seront mises en œuvre, ce sera très probablement ce que le capitalisme financier sait faire, de gros investissements extrêmement risqués.
Le nucléaire pour l’énergie, la géoingénierie pour le problème climatique, le forçage génétique pour parer à l’effondrement du vivant, et puis la multiplication des process permettant de capter le carbone pour pouvoir continuer à brûler des hydrocarbures. Et la multiplication d’autres process visant à recycler ou à dégrader spontanément le plastique, on entend parler depuis 40 ans du développement d’enzymes ou de micro-organismes capables de dégrader le plastique. Ça existe depuis très longtemps dans la nature, sur les grands fonds marins, là où le pétrole spontanément affleure à la surface.
Mais c’est une écologie spécifique qui a mis des millions d’années à se mettre en place. vouloir l’émuler en laboratoire et penser que ces créations de laboratoire resteront dans la nature et dégraderont les problèmes de pollution que nous déversons. C’est une sorte de pensée magique.
Et beaucoup d’autres des solutions que j’ai évoquées tiennent de la pensée magique. Mais malheureusement, elles entrent parfaitement dans le jeu de la spéculation qui est qu’on prend un risque et si ça marche, on décroche beaucoup d’argent.
Et je pense que c’est justement ça le problème, c’est qu’on « solutionne » . nos problèmes de plus en plus avec ce type d’idées et que progressivement, à chaque fois, on fait un saut vers le pire à chaque fois qu’on accrédite ce genre de théorie. Donc voilà, je ne sais pas si l’oracle abondera dans mon sens, j’espère que non, j’espère que je ne suis pas assez lucide pour deviner l’avenir, mais j’ai un peu peur qu’il ressemble à ça.
Thomas Gauthier
Je vais m’imaginer un instant à tes côtés face à l’oracle pour compléter peut-être le questionnement. Ce que tu viens de dire m’invite à partager quelques réflexions.
Il me semble que ce que tu nous dis des voies d’avenir vraisemblables, compatibles avec le capitalisme financier qui domine aujourd’hui la planète, ce sont des voies d’avenir qui visent à complexifier toujours plus. les différents services sociétaux que les élites de toutes sortes viendraient proposer aux populations. Et il me semble aussi que la légitimité des élites, toujours publiques comme privées, dans un système capitaliste financier, s’appuie sur la capacité à produire des services sociétaux toujours plus sophistiques.
Et personne, aujourd’hui, n’a la clé d’un contrat social qui reposerait sur… une offre de services sociétaux plus sobre, plus simple, moins spéculatif, moins relevant du wishful thinking ou de la folle espérance en le progrès de la science ou de la technique. Ce qui me perturbe dans ce que tu dis, c’est que je ne vois pas non plus de trajectoire selon laquelle les élites conserveraient leur légitimité et donc leur capacité à être dans des positions de pouvoir. si elle cessait de rendre des services sociétaux de plus en plus sophistiqués.
Parce qu’alors, le contrat social qui… assurent leur légitimité pourraient être mis en péril, mis en difficulté. Et là, on rejoint, j’ai l’impression, les thèses, je crois, de l’archéologue américain Joseph Tainter, selon lesquelles les sociétés ne peuvent, in fine, que tendre vers plus de sophistication, ne peuvent que tendre vers plus de complexité.
Et on sait aussi que ce surcroît de complexité vient toujours avec un surcroît d’un tranc de toutes sortes, énergie, matières premières. décomplexifie la société de manière apaisée et accompagnée d’une reconfiguration du contrat social finalement. Je sais que tu n’es pas l’oracle Laurent, mais j’aimerais avoir tes éclairages sur ces réflexions.
Laurent Testot
J’ai tendance à penser que les élites sont peut-être moins le problème aujourd’hui qu’elles l’étaient hier. À une époque, on pouvait, dans des sociétés moins complexes, concentrer tout le pouvoir entre les mains d’un roi et de sa cour et de son armée. J’ai l’impression que les élites elles-mêmes sont agies par des superstructures littéralement, c’est-à-dire que même quand on est Jeff Bezos, n’importe quel autre magnat des grandes entreprises, on n’est pas forcément libre.
On est prisonnier de son image, on est prisonnier également de ses actionnaires, on est agi par les flux financiers que l’on incarne et que l’on répartit. Même Elon Musk, qui s’est donné dans sa légende dorée une image de quelqu’un de fantasque et capable d’influencer le monde par ses décisions d’investissement, voire ses simples tweets de défiance vis-à-vis de telle ou telle technologie. il est le produit d’un système et il pourrait être aisément remplacé.
Il est presque une image. Je pense qu’il y a plusieurs formes de pouvoir.
On distingue souvent par exemple le pouvoir économique du pouvoir politique. On sait que les deux sont imbriqués, que l’on passe volontiers de l’un à l’autre.
Il y a également le pouvoir religieux. Ce sont trois grandes catégories que l’on distingue depuis peut-être 2500 ans de pouvoir des élites.
Mais je ne suis pas sûr que les élites elles-mêmes soient en mesure d’influencer là-dessus. Et je ne suis pas sûr non plus que le prix à payer soit forcément celui de la complexité.
Je vais prendre l’exemple, par exemple, de l’économie circulaire. Il y en a qui en font une baguette magique en disant qu’on peut mettre en place des économies 100% circulaires.
Ce qui fait se gausser les physiciens qui disent que c’est contraire aux lois de l’énergie, etc. Je ne rentrerai pas dans ce débat.
Mais simplement, je pense qu’effectivement, on ne peut pas faire une économie 100% circulaire. parce qu’il y a forcément de l’entropie quelque part, mais on peut utiliser l’économie circulaire en l’orientant par le législatif par exemple. Je veux dire par là que si on force les firmes à construire des produits qui se réparent, à arrêter la course aux innovations qui ne servent qu’à faire consommer davantage, à travailler davantage la durabilité des produits que leur design, etc.
Donc ça c’est une décision politique qui peut aider à réduire notre empreinte sur le monde, très concrètement. Et je ne suis pas sûr que cela remette en cause fondamentalement le pouvoir des élites.
Je pense que les élites sont gênées aux entournures parce que les élites présentes sont obligées justement de changer un peu leur modèle économique, de prendre un risque avec ça. Mais on sait que c’est possible, on l’a vu par exemple avec le traité de Montréal sur les gaz qui détruisaient la couche d’ozone.
Les États ont pu imposer, dans un contexte où les opinions publiques étaient favorables à ça et où, il faut bien le dire, les industries n’avaient pas un coût énorme à le faire, on peut imposer au nom de la sauvegarde de la couche stratosphérique d’ozone Merci. une réorientation complète de toute la chaîne de production du froid et un changement des gaz utilisés. Ça pose beaucoup d’autres problèmes et ça n’a pas forcément résolu le problème de la couche d’ozone. Mais ce que je veux dire par là, c’est qu’il y a eu une politique volontariste qui a altéré littéralement les pratiques industrielles.
Tout le monde a été plus ou moins gagnant dans ce deal-là. Après, il y aurait beaucoup d’autres choses à en dire, mais on peut rééditer ce genre de pratiques et des entités comme l’Europe ou les instances internationales peuvent poser des normes qui poussent dans ce sens-là.
C’est une façon d’utiliser l’économie circulaire, soit comme une baguette magique, en gros. faire une start-up et vendre son produit en disant « je vais résoudre tous vos problèmes » , ce qui est absurde. Mais on peut aussi avoir un usage raisonné de l’économie circulaire et mettre en place des mesures effectivement propres à atténuer certains des problèmes que nous rencontrons.
On peut décliner ça à beaucoup d’autres secteurs, l’agriculture également. Bref, je vais y aller.
Thomas Gauthier
Donc, on peut trouver des trajectoires ? selon lesquelles les différentes élites, les différents acteurs qui ont des intérêts dans la situation présente, trajectoires qui vont permettre à ces acteurs de ne pas perdre et de se réorganiser avec peut-être collectivement un respect plus marqué vis-à-vis du vivant, vis-à-vis de tout ce qu’il s’agit désormais de préserver. Je voudrais ouvrir une toute petite question que je n’avais pas prévue.
Si on considère, et je pense qu’il faut être probablement un peu fou pour ne pas le faire, que le péril climatique, le péril lié à l’érosion de la biodiversité et j’en passe, sont des périls existentiels, et si l’on considère toujours que l’accroissement des armements nucléaires pendant la guerre froide était un… péril existentiel d’un autre genre qui a pu être contenu. Est-ce que l’on a des leçons à retenir de la façon dont les États, en particulier les super-États, ont fonctionné pendant cette période de guerre froide pour éclairer la manière dont les instances étatiques et internationales pourraient se réorganiser aujourd’hui et se hisser à la hauteur de ce péril existentiel d’un genre nouveau, en tout cas tel qu’il apparaît dans les médias, pas forcément nouveau tel qu’il a été décrit par des pionniers comme l’équipe des Meadows, du MIT et d’autres dès les années 70.
Laurent Testot
Ta question est réellement angoissante parce que la course aux armements nucléaires n’est pas terminée, on le voit bien avec la Russie qui propose maintenant de monter en gamme. de ces capacités nucléaires avec des nouveaux porteurs plus rapides. Et puis surtout, il n’est pas du tout certain que s’il n’y a pas eu de guerre nucléaire pendant la guerre froide, ce ne soit pas une question de chance.
On a peut-être eu beaucoup de chance, et ça personne n’en sait rien, mais il y a plusieurs cas documentés d’accidents ou d’erreurs humaines qui auraient pu aboutir à un désastre. un désastre nucléaire, une guerre nucléaire entre les deux superpuissances. Donc, on regarde le passé et on se dit, tiens, ça a marché parce que la théorie de la guerre froide fonctionnait, la dissuasion nucléaire a empêché qu’on utilise ça.
Moi, je ne suis pas du tout certain que ça aurait fonctionné avec un FADAC ou un Poutine. Je ne suis pas du tout certain. qu’on ne soit pas passé par pur hasard à deux doigts du massacre, du grand massacre.
Et donc, je ne suis pas du tout certain qu’on puisse s’amuser à refaire ça avec le climat ou avec la biodiversité aujourd’hui. C’est bien ce qui m’angoisse.
C’est-à-dire que c’est une forme aussi de pensée magique. On ne devrait pas prendre ce genre de risque existentiel politiquement.
Par ailleurs, la guerre froide s’est terminée en me disant qu’on va démanteler les arsenaux nucléaires. Ils sont toujours là pour l’essentiel.
On a gardé la partie la plus performante et on a réformé ce qui n’était pas totalement efficace. Et je pense qu’avec la montée en puissance de la Chine, le péril nucléaire n’est pas éloigné pour autant.
Loin de là, il se rapproche. On n’a pas du tout résolu ce problème-là.
Et ça fait aussi partie du package d’inquiétude pour le futur. Mais du coup, on est déjà en train de discuter finalement aussi de la troisième question que j’avais envie de poser à l’oracle, qui était quelle solution serait appropriée à ce type de problème.
Alors, on a déjà évoqué plus ou moins. Les solutions possibles, pour moi, c’est vraiment une implication du politique et d’un politique responsable dans ces dimensions-là, ce qui passe également par une meilleure information des opinions publiques afin qu’elles fassent pression sur les politiques et par des solutions qui soient implémentées au niveau planétaire.
Un des principaux moyens d’action que nous avons sur ça, qui sont les grandes firmes. Et tu disais que ce qui était intéressant avec le problème de la couche de zone, par exemple, c’est qu’on avait résolu cela tant que les firmes essuient des pertes.
Mais moi, ce que je dis, c’est que le politique doit s’apprêter à faire essuyer des pertes aux firmes, notamment aux firmes spéculatives. il est hors de question de continuer avec des… Des taux de profit pareils qui s’exercent sur le dos des gens licenciés, des productions délocalisées, de la destruction du tissu industriel et de la capacité des gens à vivre.
Tout le monde va essuyer des pertes et il faut les répartir. Et il y a des industries prédatrices qu’il faudra démanteler à toute force.
Il faudra réduire l’ampleur de la finance mondiale par une politique volontariste. Ça me semble évident. et seuls les États sont à même de le faire. Donc c’est vraiment une question politique.
Je ne sais pas si l’oracle serait d’accord et si elle voit ça comme une seule possibilité de l’État, tant aujourd’hui la plupart des États, je ne parle pas de la Chine ou des États dictatoriaux, mais je parle bien des États démocratiques, sont engrainés par une idéologie qui leur fait croire que le politique n’a aucune capacité à réguler quoi que ce soit, ce qui a été formellement démenti par exemple Covid puisqu’on a pu réguler la façon dont les gens se comportaient, s’ils devaient ou pas se faire vacciner, s’ils devaient ou pas se confiner, etc. Et si les entreprises devaient ou pas fonctionner ou s’arrêter de fonctionner, de quelle manière elles devaient fonctionner.
Tout ça a été régi finalement dans l’urgence par le politique et donc on peut très bien le faire pour d’autres problèmes que le Covid, ce genre de politique.
Thomas Gauthier
Là, tu évoques le Covid ? C’est donc un événement et un processus.
Alors, est-ce qu’il est historique ? Je ne sais pas.
Il est peut-être même d’ailleurs très certainement toujours en cours. Mais là, tu regardes un petit peu le rétroviseur.
Tu nous montres par A plus B que le politique, effectivement, n’a probablement pas perdu toute sa superbe ni sa capacité d’intervenir. Ce serait trop facile de dire que les élus sont là simplement pour commémorer des dates qui renvoient désormais à l’histoire lointaine.
On reste, s’il te plaît, sur ce regard braqué vers l’histoire. Tu es toi-même l’un des éminents représentants en France de l’histoire globale.
Qu’est-ce que tu vas chercher aujourd’hui dans notre histoire comme repère, comme événement, comme rupture, comme surprise qui peut servir à éclairer le présent incertain dans lequel nous sommes et l’avenir peut-être encore plus. plus incertain dans lequel nous serons. Qu’est-ce que l’histoire peut nous raconter aujourd’hui ?
Laurent Testot
Oula, plein de choses. On pourrait parler du projet Manhattan et de la naissance de la science contemporaine en silo, parce que c’est vraiment ça qui a été le projet Manhattan.
On rassemble les meilleurs esprits, budget illimité, et on les fait travailler chacun dans son domaine, sans qu’ils sachent vraiment où ça mène. Au final, on domestique l’atome, on descend dans l’infiniment petit et on en fait une arme de destruction massive.
C’est extrêmement intéressant sur la façon dont la science fonctionne et dont l’innovation va ensuite être utilisée dans beaucoup de secteurs de la vie de tous les jours. On pourrait parler d’une trajectoire qui est très intéressante, celle de Fritz Haber, qui a inventé un processus pour transformer littéralement l’air en azote, pour fixer l’azote de l’air. qui a été donc simultanément, d’issue de la Première Guerre mondiale, récompensé par le prix Nobel de chimie pour cette découverte qu’il devait donner à manger aux gens puisqu’on maîtrisait l’azote, mais également qu’il était poursuivi à la même époque comme criminel de guerre puisqu’il a beaucoup travaillé dans l’industrie chimique, notamment celle des gaz de combat utilisés pendant la Première Guerre mondiale.
C’est une trajectoire extrêmement intéressante qui résume presque à elle seule ce qu’est devenu l’agriculture industrielle aujourd’hui, de la révolution verte qui allait s’en suivre dans la post-seconde guerre mondiale. Révolution verte qui s’inscrit également dans la guerre froide, qui est une sorte de guerre menée aux vivants afin de rendre plus productifs les champs.
Mais à la limite, j’ai presque envie de revenir sur deux dates qui sont peut-être moins connues ou moins évoquées pour ces dimensions-là. La première date, c’est le 2 septembre 1974.
C’est une date qui ne dit probablement rien à personne, mais qui a été cruciale dans ce que nous vivons aujourd’hui. Ça me permet de revenir sur la spéculation. Gerald Ford, alors président des États-Unis, promulgue le 2 septembre 1974 la loi ERISA, pour Employee Retirement Income Security Act, c’est-à-dire la loi de retraite, qui permet la naissance des fonds de pension américains, plutôt l’affirmation des fonds de pension américains.
C’est un texte totalement technique, mais les fonds de pension peuvent alors drainer d’immenses capitaux en vue de payer sur le futur les retraites. des cotisants états-uniens. C’est vraiment un aléa de l’histoire, mais c’est un aléa qui a été déterminant parce qu’avec l’émergence simultanée de pétrodollars suite à la première crise du pétrole, on a vu d’énormes masses d’argent se déplacer sur la planète et commencer à investir et commencer à drainer les bénéfices ailleurs.
Une partie de notre industrie aujourd’hui a été rachetée par des fonds de pension américains et sert à payer les retraites des Nord-Américains. C’est encore pire en Afrique ou en Asie.
Et donc, c’était d’une certaine façon le début du triomphe de l’idéologie ultralibérale. Ce n’est pas forcément venu directement, une décennie plus tard, avec la volonté politique de Thatcher et Reagan, parce que Ce qu’on appelle la théorie des Chicago Boys, c’est-à-dire ces gens qui se sont fait l’apôtre de ces théories, qui les ont mises en œuvre dans le Chili d’Allende, etc. À l’époque, ils étaient totalement ridiculisés par les économistes classiques qui disaient que c’était trop simpliste comme théorie.
Aujourd’hui, elle fait office littéralement de fonds communs, inquestionnables presque. à part par les économistes hétérodoxes, elle fait office vraiment d’évidence pour la plupart de nos contemporains, alors que l’idée que l’humain est juste obsédé par la seule optimisation de ses intérêts économiques, c’est vraiment une idée stupide et démontée de toutes parts par de nombreuses sciences sociales et même par l’économie classique elle-même. et donc le problème Le problème de cela, c’est que quand vous faites un fonds de pension, vous le confiez à quelqu’un qui est un technocrate. Il n’est plus propriétaire des biens qu’il possède.
Ce n’est plus un patron d’usine qui a peur de risquer son patrimoine. C’est quelqu’un qui doit gagner du profit à partir de ce qu’il a.
Donc il engage les avoirs des épargnants et en plus des avoirs futurs qu’il devra reverser plus tard, et non ses avoirs propres. Donc, c’est un monde qui a été poussé à la financiarisation par la simple adoption de cette loi.
Et donc, ça a poussé à toujours plus de technologies complexes de gestion des flux financiers. Et c’est pour ça, c’est dans ce monde-là qui s’est mis en place à partir de 1974, que Thatcher et Reagan ont pu imposer leur idéologie, parce que c’était celle qui était le mieux à même d’exprimer la loi. le nouveau monde qui avait émergé en une décennie, qui était celle du capitalisme spéculatif et où finalement les guerres pouvaient aussi se gagner à travers ce capitalisme.
Pour donner un exemple, simplement la guerre des Malouines qui est emblématique de ça, l’Argentine n’a pas forcément perdu militairement, elle l’aurait probablement perdu militairement, mais elle a surtout perdu financièrement. C’est la crise économique parce que les États-Unis ont bloqué les financements ont bloqué l’accès des Argentins au système de change internationale, qui a fait perdre l’Argentine.
Et c’est aussi pour ça qu’on combat Poutine exactement de la même façon. C’est très confortable.
On coupe les vivres. On essaye plus exactement puisqu’on ne peut pas se passer de son pétrole.
Donc, on est un peu embêté de son pétrole et de son gaz. Mais on essaye de le couper financièrement et on attend que ça s’effondre. Ça prendra un an, deux ans, c’est le temps qu’il faudra.
Mais la Russie va être littéralement ravagée. par des sanctions internationales. Mais c’est une question de temps, ça ne vient pas tout de suite.
Et donc, ça, c’est un nouveau monde. C’est-à-dire que jamais, ce n’est rendu possible que par l’interconnexion des flux financiers.
Jamais dans le passé, ce n’aurait été possible. Donc, c’est un événement qui a complètement bouleversé le monde.
Puis, il y en aurait peut-être un autre, mais là, je crois qu’on va excéder le temps. J’y reviens souvent d’ailleurs, c’est l’arrivée de Christophe Colomb dans Le Nouveau Monde.
Je ne dis bien pas la découverte par Christophe Colomb du Nouveau Monde, parce qu’il y avait des gens là-bas depuis au moins 25 000 ans. Donc, c’est plutôt… et lui était complètement perdu, ce n’était pas où il était alors. qu’eux savaient où ils étaient, chez eux à l’occurrence.
Mais qu’importe, l’arrivée de Christophe Colomb a changé les équilibres planétaires de la planète et a eu un effet tellurique littéralement, c’est-à-dire que beaucoup d’organismes ont traversé l’Atlantique du Nouveau Monde vers l’Ancien et réciproquement, c’est ce qu’on appelle l’échange colombien, l’Ancien Monde, c’est-à-dire le bloc formé par l’Afrique, l’Europe et l’Asie. Il a gagné beaucoup de plantes alimentaires extrêmement performantes, comme le maïs, le manioc, etc., la pomme de terre.
Et le Nouveau Monde, lui, a été complètement changé par cet échange, notamment par l’arrivée de microbes qui s’étaient développés suite à un certain nombre de hasards biologiques dans l’histoire, microbes et virus qui s’étaient développés dans l’Ancien Monde par la domestication du bétail, des interactions entre humains et grands animaux, et ces maladies. Les maladies qui en ont résulté, auxquelles les gens de l’ancien monde étaient résistants, plus ou moins immunisés, pas toujours, ces maladies-là, notamment la variole, ont emporté les populations amérindiennes.
Au XVIe siècle, la population amérindienne s’est effondrée de 90 %. Elle s’est réduite de probablement 60 millions de personnes, plus ou moins de 10 millions, aux alentours de 5 millions sur l’ensemble du continent, y compris des endroits où les Blancs n’avaient pas encore mis les pieds.
Et donc ce désastre épidémiologique a vraiment forgé notre monde, il a renforcé le petit âge glaciaire qui était encore à ce moment-là, la captation carbone qui en a résulté puisque les Amérindiens ne brûlaient plus leur milieu, ne l’entretenaient plus, etc. De nouvelles plantes sont arrivées et ont envahi les Amériques et l’équilibre biologique du monde a vraiment complètement changé à cette occasion-là.
Et pour certains auteurs… comme je pense à Marc Maslin et à Simone Lewis, c’est vraiment le début de l’anthropocène, c’est-à-dire la première fois où l’humain, bien involontairement évidemment, modifie les grands équilibres planétaires et commence à altérer le tissu même du vivant. Donc c’est un événement aussi primordial, et pas seulement pour la mondialisation, mais aussi pour l’expédition que ce programme. sans compter que ça amène également, Christophe Colomb va tenter, sur la suggestion de ses investisseurs, d’amener des plantes sucres dans les Caraïbes, ça marche très bien.
Comme il n’y a plus de population locale, les Tainos et les Caraïbes, qui habitent les Caraïbes, vont complètement disparaître. Il ne se visitent aujourd’hui que des populations métisses, de ces premiers habitants des Caraïbes.
Donc, il faudra importer. entre guillemets, des esclaves d’Afrique. Donc, il y a également un échange biologique, on fait venir massivement des gens d’Afrique et ça change complètement la trajectoire également planétaire possible de grands ensembles continentaux, de populations entières.
Et ça crée également une mainmise de l’Europe, puis des États-Unis sur l’économie mondiale, puisqu’on peut utiliser des terres quasiment vierges à notre bénéfice exclusif en Europe, donc mettre en place littéralement les conditions d’un échange inégal, d’un colonialisme qui a été crucial pour faire basculer la planète sur une nouvelle trajectoire et dont il faut penser aujourd’hui la responsabilité dans l’ordre du monde. Donc, j’attire vraiment l’attention des gens qui nous écoutent sur l’importance d’étudier globalement cette histoire-là sur cinq siècles pour comprendre les différentes briques qui ont permis… ces enchaînements-là.
Et j’insiste sur une chose, c’est-à-dire que l’histoire ne donne pas de leçon dans la mesure où, au moment où on vit l’histoire, l’avenir est totalement imprévisible. Il faut éviter la tentation de l’histoire tunnel de se retourner, de se dire, tiens, c’est comme ça, mais ça s’explique comme ci, comme ça.
Oui, il y a des causalités. Et non, ces causalités ne sont pas déterminées, ne sont pas mécaniques.
Il faut vraiment comprendre l’avenir comme un ensemble de possibles. Mais c’est un ensemble de possibles qui est quand même dicté par les lois physiques.
C’est-à-dire, si on rase une forêt, elle ne sera pas là demain. Il faut accepter qu’il y ait autre chose à la place, qui est biologiquement appauvrie, qui s’appelle un champ, qui s’appelle une plantation éventuellement, si on a remis des arbres. mais les équilibres biologiques qui présidaient avant dans cette forêt-là, pour que l’équivalent se remette en place, il faudra plusieurs décennies si on est sous les tropiques, plusieurs siècles si on est dans un milieu tempéré, pour que ça revienne.
Donc, ça ne veut pas dire que l’avenir n’est pas inquiétant, le fait qu’on ne puisse pas le connaître. C’est peut-être aussi ce que devrait dire l’oracle, finalement. c’est que Cet avenir inquiétant par les cadres que nous lui fixons aujourd’hui, qui est celui de la surexploitation des ressources.
Thomas Gauthier
J’aimerais réagir à ces derniers propos et te poser une question que je me pose parmi d’autres concernant la discipline de la prospective et d’autres manières de réfléchir au futur possible et peut-être aussi au futur désirable. Alors, tu nous racontes que…
Il est futile de chercher à s’extraire des déterminants physiques. Il est futile d’imaginer ce qui ne peut pas l’être.
C’est-à-dire, tu l’as dit avec l’exemple d’une forêt qui aurait été décimée. Imaginer que cette forêt va réapparaître le lendemain, ça relève de la pure folie.
Comment est-ce que l’on trouve, selon toi, un équilibre pertinent entre les imaginaires dont on a besoin pour penser des modes d’organisation ? collective inédit, peut-être plus apaisée, et comment est-ce que l’on tient compte, comment est-ce que l’on intègre dans ces processus d’imagination collective les limites physiques, les déterminants physiques, dont nous parlent régulièrement évidemment les scientifiques du GIEC sur les questions du climat, comment est-ce que l’on arbitre entre imagination et analyse fine, appuyée sur les méthodes scientifiques ? du substrat biophysique dont on ne peut pas s’extraire, sauf à penser, comme Elon Musk, que la parenthèse de l’espèce humaine sur Terre doit se refermer et qu’il est temps d’aller terraformer d’autres astres. Comment on fait ?
Laurent Testot
D’abord, ce n’est pas futile de penser qu’on peut s’opposer à ces processus. C’est-à-dire, par exemple, on va prendre le cas, effectivement, plénicaturel d’une forêt qui est sur le point d’être rasée.
Il peut y avoir des actions juridiques de la part des riverains de cette forêt pour empêcher que ça arrive. Bien sûr, il faut le créer.
Ce cadre juridique n’existe souvent pas. C’est-à-dire que les intérêts industriels prédominent largement sur le reste.
Mais au-delà, il y a la résistance. Je pense au mouvement aujourd’hui qui s’oppose aux mégabassines dans l’Ouest.
Il y a des actions de résistance qui sont toujours possibles. permet de rebondir sur la question des récits. On parle souvent de créer des récits mobilisateurs.
Alors, moi, j’ai deux objections. Un récit n’est rien s’il n’est pas vécu.
Donc, effectivement, un récit, c’est bien s’il aboutit à quelque chose comme le mouvement des méga-bassines ou un mouvement pour défendre la forêt. Ensuite, un récit ne vient pas ex nihilo, c’est-à-dire qu’on peut en écrire des récits.
Nous sommes des machines à fabriquer des récits, nous autres, les humains, parce que ça nous fait vivre ensemble. mais si on n’évite pas pas ces récits-là, si on n’y contribue pas collectivement, ils n’existent pas. Et personne ne peut savoir à quoi ressemblera un grand récit.
Par exemple, il y a quelqu’un qui a créé un récit, qui a initié un récit, qui a changé le monde, ce quelqu’un s’appelait Jésus, il a lancé un récit, et probablement ne reconnaîtraient-ils pas ces petits aujourd’hui dans le récit que font un certain nombre de chrétiens. Voilà, Jésus était juif, il prêchait pour les juifs, c’est très probablement…
Paul et quelques autres individus passerelles qui ont acclimaté ce récit pour d’autres qui n’étaient pas juifs. Ça se voit très clairement dans les débats du début du christianisme. Et puis, progressivement, il y a eu des enjeux de pouvoir qui se sont rajoutés, des tas de choses.
Et franchement, Jésus ne reconnaîtrait pas l’Église. Il faut être clair.
Aucune des Églises sur Terre ne lui serait familière et ne correspondrait à son projet initial, très probablement. Voilà. donc Les risques ont vocation à évoluer, à s’adapter aux contextes sociétaux et à être faits collectivement et vécus collectivement.
De quoi ils n’existent pas. Et j’insiste sur le vécu, c’est-à-dire que, comme nous, on est souvent dans la production de… de produits intellectuels, on nous demande des récits prêts à l’emploi.
Alors c’est super bien parce que c’est monnayable auprès des entreprises qui aiment bien s’entendre raconter, qu’il y a un collectif, une âme dans l’entreprise, un collectif qui se mobilise pour, alors qu’en fait une entreprise c’est un monstre froid, c’est quelque chose qui ne se préoccupe absolument pas, c’est une structure qui ne se préoccupe absolument pas du bien-être de ses employés, ce sont les humains à l’intérieur. Ça peut dépendre d’un patron, ça peut dépendre du service des relations humaines, ça peut dépendre d’un certain nombre de consignes venues de l’extérieur, notamment des actionnaires, le climat social dans une entreprise. Ça ne dépend pas d’une entreprise et il n’y a pas d’ADN dans une entreprise. Alors que c’est un vocabulaire qui en a énormément circulé et qui est pernicieux par rapport à l’idée même de récit.
J’insiste vraiment sur quelque chose, c’est-à-dire que le récit se vit. Il ne s’écrit pas, il ne se raconte pas, il se vit avant tout.
Bien sûr. Pour commencer à être mis en œuvre, il faut qu’il existe, qu’il soit conçu.
Mais un récit efficace, c’est un récit qui fonctionne dans le physique, qui est mis en œuvre.
Thomas Gauthier
De vie et de vécu, ça m’amène très naturellement à la conclusion de notre échange et la troisième et dernière question que je souhaitais te poser. Sincèrement, tout ce que tu nous as raconté jusque-là, c’est étourdissant.
Tu es allé loin dans l’avenir, tu es revenu loin dans l’histoire. tu es allé loin dans l’espace aussi, on a parlé tour à tour d’Europe, d’Ukraine, on a parlé d’Amérique du Nord, on a parlé probablement aussi d’autres destinations, notamment les Caraïbes. Tu produis différentes formes intellectuelles dont tu vas peut-être pouvoir nous parler maintenant.
Comment est-ce que tu fais atterrir tes réflexions, tes questionnements, tes angoisses, peut-être aussi concernant les futurs, dans tes pratiques ? quotidienne. Est-ce que tu peux nous faire vivre un tout petit peu le Laurent Testo du quotidien ? Ça se passe comment ?
Laurent Testot
C’est une question extrêmement difficile parce qu’en gros, elle demande ce que l’on se pose comme modèle de vertu. Je me rappelle à la radio, souvent, quand il y a un candidat écologiste qui se pointe, on lui demande est-ce que vous êtes venu en vélo, en métro, en jet privé ?
Bon. Le problème, c’est que dans notre société, dans toute société d’ailleurs, mais particulièrement dans la nôtre, il est très difficile d’être un modèle de vertu, puisque nous avons la chance de vivre dans un pays développé, d’être éduqué.
Et pour autant, nous ne sommes pas libres de notre destin. C’est-à-dire que derrière le confort que nous vivons, il y a un État qui investit.
Qui investit beaucoup de béton annuellement, pour qu’on puisse vivre dans des abris confortables. qui investit beaucoup en énergie, qui investit beaucoup… en infrastructures, en fibres par exemple aujourd’hui, etc. Et donc réduire une empreinte environnementale dans ces conditions-là sans l’aide du législatif, sans que le législatif s’implique fortement.
Bien sûr, il y a toujours moyen avec des actions individuelles de faire diminuer son empreinte environnementale. Le plus efficace, c’est probablement de manger beaucoup moins de viande, ce qui est d’ailleurs bien meilleur pour la santé, de s’abstenir de consommer du poisson qui résulte… d’une surexploitation des océans.
Et là, ça interdit beaucoup des poissons qui sont dans les étals. Mais, voilà.
Au-delà de ça, c’est très compliqué. On pourrait citer Palmel, regarder moins de vidéos sur Internet ou ne pas en regarder du tout.
Personnellement, je ne regarde quasiment pas, mais ce n’est pas pour une raison écologique. C’est davantage parce que je n’ai pas le temps et que je n’aime pas… tellement ce moyen d’information.
Mais à vrai dire, on peut se demander, est-ce que ça sert à quelque chose quand nous votons pour des gouvernements qui subventionnent toujours plus l’agriculture industrielle, toujours plus la pêche destructive, y compris dans des zones qu’ils disent protégées ? En fait, c’est une question totalement morale qui n’a absolument pas de réponse.
C’est-à-dire que je pense qu’il faut vivre conformément à ces idéaux en s’efforçant de nuire le moins possible. C’est ça la clé. du truc, tout en gérant les dissonances cognitives qui en résultent, et puis forcément l’angoisse que l’on ressent devant l’accélération des bouleversements du monde.
Et donc, si on a le courage de s’impliquer dans la politique. Alors pour ma part, moi je mène une activité.
Une activité qui me permet de vivre tout bêtement, de façon simple. Je fais des articles pour des journaux, je dirige des ouvrages collectifs, également pour des journaux ou des éditions.
J’écris des livres, je fais des conférences ou des formations, avec l’idée d’essayer de diffuser ce que j’apprends, ce que j’ai la chance de pouvoir apprendre dans cette activité-là, en histoire notamment, en prospective aussi de plus en plus. puisque effectivement la méthode que j’essaye de diffuser en France, l’histoire globale, peut aider à soutenir une prospective efficace, notamment parce qu’elle a une approche de la longue durée qu’on retrouve très difficilement ailleurs et une approche transdisciplinaire également qui est peu commune dans un monde où le savoir est construit en silos. Donc les outils de l’histoire globale peuvent être parfaitement appliqués. à la prospective et c’est ça qui en fait son intérêt.
Après, je pourrais parler très longtemps de l’histoire globale, de son épistémologie, de la façon dont on la pratique, des différentes écoles en histoire globale, mais franchement c’est un champ extrêmement riche. Il a été conçu en histoire pour passer un des handicaps de l’histoire qui est sa capacité à travailler sur le micro, c’est-à-dire c’est-à-dire que l’histoire est légitime.
Quand l’historien travaille sur l’archive, or un seul être humain ne peut pas assimiler les archives relatives à un très grand objet, essentiellement la mondialisation, le colonialisme. Vous ne pouvez pas pratiquer toutes les langues et avoir la vision de toutes les archives sur plusieurs siècles de ces phénomènes de grande ampleur.
Il y en a même des réactions des sociétés face au climat, etc. Vous êtes obligé de pratiquer une histoire.
Alors, avec des méthodes méta, ce n’est pas une méta-histoire qui qualifie autre chose, c’est une histoire avec des méthodes qui vous permettent d’appréhender la longue durée, les grandes distances, la multiplication des points de vue grâce à la transdisciplinarité et la capacité à mettre ça en récit grâce à des jeux d’échelle en passant de trajectoires biographiques comme celle de Christophe Colomb, qui est représentatif de quelque chose de son époque mais qui n’est pas finalement l’acteur principal. de cette histoire, à des processus beaucoup plus méta comme le transfert d’organismes entre les continents qui se font à travers les voyages de colonnes, qui vont modifier littéralement le climat terrestre et la capacité des sociétés à s’adapter à ces changements-là. Donc, c’est un plaidoyer pour l’histoire globale et pour une prospective qui intègre l’histoire globale et ses apports.
Thomas Gauthier
Il me semble qu’à travers tes démarches intellectuelles, on ressort aussi avec un supplément d’humilité. J’ai retenu aussi dans ce que tu as dit, alors je reformule peut-être l’idée d’un principe de moindre nuisance pour guider pourquoi pas ces actes au quotidien, ces actes en collectivité.
Ce que je trouve intéressant d’ailleurs, c’est, j’ouvre une petite parenthèse, cette envie que peuvent avoir un certain nombre de… dirigeant politique a laissé une marque, laissé une empreinte dans l’histoire et je trouverais intéressant peut-être qu’à l’avenir des dirigeants politiques s’efforcent de ne pas laisser de traces justement, ou en tout cas d’en laisser qui laissent la porte ouverte aux générations à venir de cultiver l’espace fertile que ces dirigeants politiques auraient laissé derrière eux plutôt qu’un espace déjà complètement conçu, verrouillé et censé survivre pendant des générations. Est-ce qu’un jour, nous aurons de tels dirigeants ?
Peut-être, mais je ne sais pas ce que tu penses de cette réflexion.
Laurent Testot
J’ai tendance à dire que c’est dangereux parce qu’on élit quand même un politique pour essayer de changer les choses. Et on a eu un politique qui a fait ça littéralement, ce que tu préconises.
Il s’appelait François Hollande. Voilà, toute attaque personnelle mise de côté. laisser faire les choses quand on est politique, je pense que c’est le pire de tout.
Pour moi, c’est une idée compliquée. C’est simplement qu’aujourd’hui, les politiques que l’on élit sont conditionnées par un système qui fait qu’ils sont là pour pousser plus à la destruction, pour faciliter la destruction afin de dégager du profit. spéculatif.
C’est peut-être une vision ultra simplifiée du monde, mais je pense que c’est une des clés du problème et qu’il faut arriver à désamorcer cet élan spéculatif avant toute chose. Il faut réguler la finance mondiale avant qu’elle ne dévore la planète et simultanément s’attaquer à tous les problèmes concomitants à ça.
Pour cela, je ne serai jamais politique parce que je me sens incapable de gérer une telle complexité.
Thomas Gauthier
Je te propose qu’on conclue notre échange sur ces nouvelles paroles à nouveau empreintes d’humilité. C’est un trait de caractère que je retrouve dans tous les invités jusque-là au micro de Remarquable.
Merci infiniment Laurent pour le temps que tu as consacré à ce podcast et je te souhaite une excellente suite.
Laurent Testot
Toi de même, j’espère que ton podcast va vraiment diffuser.
On n’est pas à 20 000 ans près ….
Dans ce livre il est question de 14 000 pour les premières traces de cultures de céréales dont le blé.
Pas 30 000 ! De l’invention de l’agriculture à la domestication du blé
https://www.mnhn.fr/fr/de-l-invention-de-l-agriculture-a-la-domestication-du-ble