photo d'un astronaute avec un ordinateur portable, assis sur un canapé sur la lune

Le show et le froid

24 janvier 2025
6 mins de lecture

L’invention d’un nettoyeur de débris spatiaux permet au Liechtenstein de devenir une grande puissance spatiale. L’euphorie transforme le pays en centre financier galactique. Des accidents provoquent l’effondrement de ce château de cartes. La renaissance qui suit est marquée par une régulation aussi stricte que sage.

Souvenez-vous. C’était en 2028. Bob, le fameux Briseur d’Objets Baladeurs, a créé la panique dans tous les chalets. Ce boulon fou a entamé une partie de billard avec tous les satellites GPS tombés en panne. On a tous perdu le nord.

Pour le retrouver, mon père s’est enfermé dans son atelier. Il est ressorti trois mois plus tard avec ce qu’il a nommé un déBobineur.

Le déBobineur est un aspirateur à déchets spatiaux. Il va les avaler, les malaxer et les utiliser pour fabriquer d’autres déBobineurs. En six mois, l’espace sera nettoyé des millions de débris qui y traînent, dit-il en faisant de grands gestes.

Ma grand-mère, venue du Liechtenstein pour quelques jours, a applaudi. Elle a toujours été le meilleur public du génie paternel.

Le saviez-vous ?

Clearspace, fondée en 2021 par Luc Piguet et Muriel Richard Noca, est une start-up innovante née de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, au sein de son Centre spatial.

Leur mission ? Développer et mettre sur le marché des robots nettoyeurs pour débarrasser l’espace des débris qui s’y accumulent.

Une belle aventure technologique au service de l’environnement spatial !

astronaute en combinaison spatiale buvant un café sur la lune avec un parapluie
Astronaute en combinaison spatiale buvant tranquillement son café.

Le big deal

Ma mère et moi, nous croyions que le déBobineur resterait dans les placards comme de nombreuses autres inventions paternelles. Ce n’est pas le cas. Un jour, un homme est venu lui rendre visite. J’apprends que c’est un haut responsable des affaires spatiales. Il a entendu parler du déBobineur lors d’un dîner avec ma grand-mère.

Il revient plusieurs fois avec d’autres personnes et un jour, il dit à mon père :

– Nous pouvons vous proposer 10 million de francs suisses pour votre invention.

Les yeux de ma mère sont sortis de leurs orbites. Mais mon père secoue la tête en disant :

– Non, non… Je ne veux pas.

– Nous pouvons aller jusqu’à 15 million, reprit l’homme.

– Non, non, répondit mon père. L’argent rend fou. Je veux juste que vous me permettiez de passer l’aspirateur dans l’espace, d’écrire sur la Lune en étant installé dans un canapé orange et de pouvoir jouer de l’accordéon.

Prenant mon père pour un extraterrestre, ils acceptent la demande. S’ils sont ravis de l’aubaine, ma mère l’est moins. Elle hurle à mon père que s’il veut passer l’aspirateur, il peut commencer par le faire dans l’appartement. 

L’invention de mon père s’avère extrêmement lucrative. Tous les pays souhaitent posséder un déBobineur pour faire le ménage autour de leurs satellites.

armasuisse installe des garages spatiaux pour les entretenir et gérer leur recyclage.

Avec cette manne qui tombe du ciel, le Liechtenstein comprend que l’on peut être petit sur Terre et grand dans l’espace. Elle achète une navette spatiale. Liechten Galactic commence à assurer des liaisons régulières avec l’espace. Les premiers complexes hôteliers lunaires affichent complets pour les trois années suivant leur ouverture, avant même la pose de la première pierre.

Les liechtensteinois perdent la tête. Ils se mettent à penser que le comble du bonheur est d’aller contempler la Terre depuis la Lune.

Seul mon père garde les pieds sur terre en chantonnant depuis l’espace :

« Ho ho, la Terre est malade

De son obsession pour la monnaie

Ha ha, quelle mascarade

Quand la vraie richesse, c’est d’être léger. »

Un astronaute jouant de l'accordéon sur la surface de la lune
Un astronaute jouant un vallenato sur la surface de la lune. Ecoutez en direct !

La ruée vers les étoiles

Les banquiers de Bank Alpinum et de Banque Havilland ne l’écoutent pas. Ils débouchent le champagne pour célébrer la création de la Stellar Liechtenstein Bank (SLB), première banque spatiale. Leurs Space Bonds connaissent un succès fulgurant. C’est la ruée vers les étoiles. En quelques jours, la nouvelle banque réunit un trillion de CHF d’actifs spatiaux.

En quelques mois, le Liechtenstein devient la capitale mondiale de la finance spatiale. Les investissements se multiplient. Le pays investit dans la construction de résidences luxueuses sous des dômes végétalisés, de cliniques pour concevoir des bébés en apesanteur, de hubs commerciaux et de plateformes de lancement vers Mars.

Il fait aussi main basse sur toutes les mines de métaux précieux. L’université du Liechtenstein ouvre une antenne lunaire pour optimiser leur exploitation.

Les journaux relayant les exploits du Liechtenstein sur la Lune, tout le monde se met à rêver d’avoir une bergerie ou une suite dans le rutilant Liechtenstein Space Report avec vue sur la Terre. Ma grand-mère envisage d’hypothéquer sa maison pour acheter un « timeshare » orbital :

  • C’est du solide. Le spatial, ça ne peut que monter ! répète-t-elle à ma mère qui, depuis le départ de mon père sur la Lune, voue une rancune tenace aux étoiles.

Comme j’émets des doutes sur son projet, elle me fait écouter le patron de la SLB :

– L’espace est assez grand pour accueillir tous les rêves, dit-il. Il achève de la convaincre en évoquant un projet d’ascenseur spatial qui doit voir le jour dans peu de temps.

Deux mois plus tard, ma grand-mère m’appelle pour me demander si je suis au courant de l’accident dans la mine spatiale. Je lui réponds par l’affirmative vu que l’événement fait la une de l’actualité mondiale. Une explosion a causé la mort d’une centaine de personnes, dont une trentaine d’étudiants de l’université du Liechtenstein.

– Est-ce que c’est inquiétant pour les Space Bonds? s’enquit-elle.

En quelques secondes, je comprends qu’elle a investi toutes ses économies dans le spatial.

J’essaye de la rassurer quand un flash d’information annonce qu’une navette de Liechtenstein Galactic a percuté le Celestial Palace. La collision aurait fait plusieurs centaines de victimes.

Les politiques et les experts défilent sur les plateaux des médias. Certains ne sont pas rassurants.

– Deux catastrophes majeures le même jour ? Les probabilités étaient infinitésimales. Comme nos modèles de risques ne l’avaient pas envisagé, nous allons devoir déposer le bilan, explique un responsable des assurances spatiales.

Les images des deux accidents déclenchent un raz de marée.

Au micro de Radio Liechtenstein, Sophie Maligne, gestionnaire de fortune, explique :

– La bourse spatiale du Liechtenstein a perdu 70% en une journée. Les téléphones explosent. Tous mes clients veulent vendre leurs obligations, actions, droits de propriété sur la Lune. Je ne peux rien faire. Les banques et les promoteurs immobiliers sont aux abonnés absents.

Les désespérés font circuler des annonces du type : ‘À vendre : suite orbitale, vue imprenable sur la dette’. » et ma grand-mère comprend son erreur :

– C’est comme les subprimes en 2007. Je vais tout perdre, gémit-elle.

Un astronaute se tient près du canapé et nettoie le canapé avec un aspirateur sur la lune.
Un astronaute faisant le ménage et aspirant les poussières cosmiques !

Les chiffres de la crise

  • 1 trillion CHF : Valeur des actifs spatiaux du Liechtenstein en 2042
  • 95 % : Chute moyenne des valeurs spatiales
  • 12 000 : Emplois perdus dans le secteur
  • Trois banques majeures en faillite
  • 1 000 : Suites orbitales saisies
  • 2 colonies lunaires abandonnées
  • 434 personnes décédées.
  • 4 700 entreprises en faillite.

L’effet domino

Elle n’a pas tort. Un effet domino spatial se met en marche. Les propriétaires de suites orbitales croulent sous des traites plus lourdes qu’une combinaison spatiale. Les Space Bonds deviennent aussi toxiques qu’un déchet radioactif. Les banques suisses découvrent que même leurs actifs sûrs ne valent plus rien. Même les très conservatrices banques cantonales se trouvent en difficulté.

– C’est comme regarder une supernova en accéléré. Chaque faillite en entraîne dix autres, dit le professeur Thomas Wagner de l’UFI (Université privée de la Principauté du Liechtenstein).

Liechtenstein Galactic ayant fait faillite, les personnes étant encore sur la Lune ne peuvent plus revenir sur Terre. Alors que mon père continue à chanter, des milliardaires pleurent dans leur combinaison spatiale et envoient des messages de détresse.

Leurs comptes en banque encore bien garnis amadouent le FMI et la Fed, qui injectent des milliards pour relancer le système.

Cinq ans plus tard, l’industrie spatiale suisse renait de ses cendres, mais différemment. La nouvelle Space Regulation Authority du Liechtenstein devient l’autorité de régulation la plus stricte au monde. Il faut maintenant des tonnes d’autorisations pour installer un banc sur la Lune.

Sophie Maligne a gardé un petit morceau de météorite sur son bureau :

– C’est pour me souvenir des dégâts causés par l’emballement spatial. J’ai compris que, même dans l’espace, la gravité finit toujours par nous rattraper.

Grâce à la générosité paradoxale de mon père, ma grand-mère conserve finalement sa maison. Souvent, elle me répète :

– Tu vois ma petite, le meilleur investissement est d’avoir les deux pieds sur terre.

Pendant ce temps, mon père est toujours dans la lune et il continue à chanter :

« Méfiez-vous des bulles qui font Boum !

Des promesses d’or qui nous consument !

Quand l’argent monte jusqu’à la Lune,

C’est que la chute sera peu commune ! »

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