La crise sanitaire que nous vivons en Europe et dans le monde depuis plusieurs semaines (ainsi que les mesures prises par les autorités pour en atténuer les effets et qui font parfois l’objet de vives controverses) – continue à faire des victimes et à stimuler un questionnement sur sa probable origine anthropique et sur ses liens avec la dégradation des conditions d’habitabilité de notre planète.
À cette première crise vient s’ajouter une seconde, économique celle-là. Chaque jour, chaque heure même, apporte son lot de nouvelles au sujet des difficultés auxquelles font face un grand nombre d’entreprises. Dans le même temps, les médias se font le relai des mesures que prennent les autorités pour tenter d’enrayer une situation dont on dit déjà qu’elle préfigure sans doute une dépression sans précédent depuis la crise économique des années 1930.
Et pourtant, depuis le début de la crise, force est de constater que la plupart des travaux, propositions, et autres contributions intellectuelles auxquelles nous avons accès pour tenter de nous orienter en ces temps exceptionnels s’adressent soit aux dirigeants publics nationaux et internationaux (l’échelle macro), soit aux individus (l’échelle micro). Les exemples de réflexions dédiées à l’échelle méso, intermédiaire entre le micro et le macro, celle-là même où agissent les entreprises, sont réduits à la portion congrue.
Pour tenter de combler cette lacune, un jeu de trois questions a été diffusé à partir du 25 avril. Librement inspiré de celui présenté par Bruno Latour comme un “outil pour aider au discernement”, il a été conçu de sorte à stimuler les cadres d’entreprise et entrepreneurs confirmés à prendre du recul et à interroger leurs décisions et leurs actions dans un moment inédit de désorientation individuelle et collective.
Alors, à quoi ressemblera “l’entreprise d’après” ? Sera-t-elle capable de retenir les leçons apprises durant les temps extraordinaires que nous vivons actuellement ? Sera-t-elle résiliente, voire pourquoi pas anti-fragile, c’est-à-dire conçue de telle sorte que les chocs auxquels elle pourrait être confrontée à l’avenir la renforceraient plus qu’ils ne l’atteindraient ? Et si, au contraire, “l’entreprise d’après” n’était qu’une pâle copie de celle d’avant, toujours aussi confiante dans sa capacité à conquérir et à façonner le futur selon ses désirs ?
Trois questions pour réfléchir à l’entreprise d’après
Arrêter, renoncer, refermer
Q1. Quelles sont les activités que vous avez personnellement décidé de suspendre et que vous ne souhaiteriez pas voir reprendre ?
- À quelle échelle (celle de votre équipe, de votre département, voire de l’entreprise toute entière) se déployait chacune de ces activités ?
- Quelle était la finalité de chacune d’entre elles ?
- Quelles ressources (humaines, matérielles, financières, etc.) étaient nécessaires à leur réalisation ?
- Pourquoi et comment chacune d’entre elles vous est apparue superflue, incohérente, voire nuisible ?
- En quoi leur abandon définitif serait globalement favorable à l’organisation et peut-être également à la société dans son ensemble ?
Par exemple :
- La production d’un produit dont la demande s’est effondrée ;
- Un projet d’innovation jugé désormais trop risqué ;
- Le recrutement d’une compétence dont la mission n’est plus prioritaire.
Faire évoluer, réinventer
Q2. Quelles sont les activités que vous avez personnellement décidé de suspendre et que vous souhaiteriez voir reprendre sous une forme nouvelle ?
- À quelle échelle (celle de votre équipe, de votre département, voire de l’entreprise toute entière) se déployait chacune de ces activités ?
- Quelle était la finalité de chacune d’entre elles ?
- Quelles ressources (humaines, matérielles, financières, etc.) étaient nécessaires à leur réalisation ?
- Comment imaginez-vous concrètement faire évoluer, voire carrément réinventer, chacune de ces activités ?
- En quoi les ressources nécessaires à la réalisation de chacune d’entre elles diffèreraient de la situation d’avant ?
- Quelles mesures êtes-vous personnellement prêt(e) à mettre en oeuvre pour aider les collaborateurs concernés à participer à l’évolution ou à la réinvention de ces activités ?
Par exemple :
- La production d’une usine en Chine que vous souhaiteriez relocaliser en France ;
- La production de ventilateurs que vous souhaiteriez reconvertir en production de purificateurs d’air ;
- La vente de produits en grande surface que vous souhaiteriez rediriger vers de la vente en ligne ;
- Des réunions en présentiel que vous souhaiteriez mener dorénavant à distance.
Votre entreprise dans le monde d’après
Q3. En quoi chacune des activités réinventées sera essentielle pour votre organisation dans le monde d’après ?
Par exemple :
- Redonner une place plus importante à l’activité de gestion des stocks vs. être dans une logique de flux tendus permettrait de se prémunir contre d’autres arrêts possibles de l’activité de production;
- Interroger et repenser les accords de branche ou d’entreprise permettrait d’accompagner le développement du télétravail sans exacerber une nouvelle fracture cols blancs / cols bleus (entre ceux qui pourront télétravailler et ceux qui ne pourront pas);
- Relocaliser l’outil industriel permettrait de répondre à une demande sociétale de produits locaux, exacerbée par la crise, et d’anticiper une possible “démondialisation”.