Il n’y aurait a priori pas de raison fondamentale de les confondre, mais dans bien des situations, les frontières deviennent soudain floues et il n’est plus très clair si les attentes des parties prenantes concernent des éléments de prospective ou d’innovation.
En écrivant ces lignes, je me rends compte du manque évident de bases théoriques permettant de séparer l’un de l’autre et m’en excuse par avance auprès du lecteur de ce billet.
Alors que dans l’idéal, une approche prospectiviste devrait se refléter à tous les niveaux hiérarchiques d’une organisation apprenante, ce qui peut se passer très concrètement dans certaines organisations est que tout simplement différentes personnes sont en charge de ces différents domaines.
Il peut donc y avoir intérêt à délimiter les rôles afin d’en fixer les objectifs. Artificiel me direz-vous, peut-être car réfléchir au futur ne devrait pas être le travail exclusif de certaines personnes, mais finalement pas si mal que cela car en retournant le problème, on se rend compte que les questions auxquelles chaque domaine tente de répondre, ne sont pas forcément les mêmes.
Prenons l’exemple de l’industrie de la télécommunication:
Du prospectiviste, on attendra un ou plusieurs scénarios sur comment les gens pourraient communiquer entre eux dans le futur, concept pouvant aller même jusqu’à la signification du mot “communiquer” dans un futur plus ou moins éloigné. Parle-t-on encore de l’échange d’informations, ou désormais on communique via des sentiments, des ressentis, des émotions uniquement ? Il n’y a pas de juste ou fausse réponse, on donne simplement vie à des possibles.
Une autre question tout aussi pertinente est celle relative au futur de la 5G (voir déjà de la 6G!). Le domaine se fait plus concret, l’horizon temporel plus défini et le lien avec le marché actuel plus pertinent. La réponse devrait devenir du responsable de la gestion de la technologie bien souvent matérialisé en chef de produit ou collaborateur Recherche et Développement.
Et où se cache l’innovation alors? L’a-t-on perdue en cours de route ? Naturellement pas, elle réside dans les types de réponses que l’on cherchera à apporter aux deux questionnements différents mais complémentaires. Le scenario du prospectiviste devrait ouvrir les yeux sur de possibles innovations a priori plus disruptives ou exponentielles pour utiliser un terme à la mode, alors que l’on sent intuitivement quelque-chose de plus linéaire dans la réponse de notre chef de produit.
L’offre de valeur de la prospective est de défier, du moins intellectuellement, le linéaire afin de voir si celui-ci a toujours un futur. Nokia (leader incontesté du téléphone portable avant l’arrivée de l’iPhone) et Kodak (leader de la photographie argentique avant l’arrivée du digital) en savent quelque-chose, chacun dans leurs domaines respectifs.
Il est toujours facile d’analyser le passé et de penser que “si l’on avait été à leur place” on aurait fait mieux. Dans le cas de Kodak, nous pouvons aisément imaginer le CEO de l’époque tenant un discours prospectif à une armée de chimiste leur disant d’oublier la chimie pour se recycler dans l’électronique avec de se préparer à l’ère du numérique. Ne l’auriez-vous pas vous aussi pris pour un excentrique? Visionnaire, génie, fou, excentrique… la différence ne tient parfois qu’à un concours de circonstances auquel l’innovateur y sera sans cesse confronté. Tout cela est très bien présenté par Clayton Christensen dans son livre Le dilemme de l’innovateur.
La prospective offre donc le terrain de jeu dans lequel se matérialiseront les innovations afin de peupler et d’habiter celui-ci.
Faire de la prospective et se projeter vers le futur pour mieux en anticiper les produits et services serait donc tout simplement la recette magique d’une innovation au succès infaillible?
Que nenni, et toute la littérature couvrant le sujet est bien là pour le prouver. La recette est complexe, les ingrédients innombrables mais il y en a un cependant fondamental, souvent passé sous silence car finalement peu valorisant: la chance ! Chère à Napoléon «Fort bien, mais a-t-il de la chance ? », celle-ci ne substitue pas la valeur ni de la méthode, ni de la connaissance, mais se révèle malgré tout indispensable.
Prenez un moment pour vous laisser inspirer par la méthode TRIZ, par l’article « Pour changer le monde, visez petit » ainsi que par les chroniques de : Prof. Philippe Silberzahn et Prof. Dominique Vian.
Présentée comme une dichotomie, on pourrait avancer que la prospective s’occupe finalement principalement du présent. En partant des futurs possibles, elle clarifie et permet de préparer aujourd’hui les actions permettant d’aboutir au futur désiré.
L’innovation, elle, part du présent pour coloniser le futur et y imprimer sa marque. Elle va imposer au présent un nouveau produit pour le transformer en futur.
L’’innovation peut, dans certaines situations, être également un retour en arrière et ce parfois même sur le plan technologique (Interview du Colonel Michel Goyat).
Dans un monde digital prône à toute cyber vulnérabilité, un retour au monde analogique, voir physique, peut être considéré comme innovant dans le contexte considéré.
Prospective et innovation existent bien donc bien indépendamment l’une de l’autre, mais ensemble elles sont certainement plus fortes, l’une nourrissant et inspirant l’autre dans un cercle vertueux où le moteur créatif s’appelle tout simplement synergies.
Un podcast et site très intéressant sur l’innovation:
https://innovecteur.com/2021/04/09/innovation-de-rupture-le-choix-de-la-responsabilite-par-gaelle-rey/
il y a le lien entre la prospective et la technologie associée à l’innovation effectivement. Les échelles de temps peuvent parfois être différentes…Ce n’est peut-être pas une question de poule et d’oeuf mais plutot de 2 ingrédients à bien coordonner/combiner pour en faire une recette à succès…et ceci impose l’écoute des signaux faibles qui sont très/trop souvent directement classés dans l’ « ice box ». Comment faire de cette combinaison un art et une stratégie pour les futurs succès de l’entreprise? Sujet très intéressant et complexe. Merci Quentin Ladetto et Thomas Gauthier