Les cas de non-linéarité dans le déroulement des événements exogènes se succèdent à un rythme de plus en plus soutenu, faisant de l’imprévu la nouvelle normalité. Et pourtant, dans l’ensemble au cours de ces dernières années, les organisations font plutôt preuve de souplesse et de bonne réactivité face à des perturbations extrêmes. Certains secteurs sont plus affectés que d’autres, mais à quelques exceptions près le panorama 2023 se rapproche de celui de 2018, année de référence pré-covid.
Alors que faire de ce fameux « If you can’t measure it you can’t improve it ». En bon français, ce qui n’est pas mesuré ne peut être amélioré, citation attribuée à Peter Drucker, unanimement reconnu comme le pape du management. Si d’aucuns prétendent que la formule est plus ancienne (1), elle est de toute façon universellement acceptée, enseignée et pratiquée par tous les managers.
Les bons vieux KPI
Les indicateurs clés de performance (Key Performance Indicators, KPI) servent à mesurer la performance des processus, permettant de mieux les comprendre en vue de les améliorer.
Ce sont des outils d’aide au management. En fonction de l’intention et des types d’indicateurs clés de performance choisis, ils peuvent autant évaluer quantitativement les processus que qualitativement leur exécution, en plus d’être d’excellents vecteurs de communication dans l’organisation. Une littérature abondante propose différentes mesures pour apprécier les performances, la qualité, l’état des finances et de la trajectoire de l’organisation.
Naturellement, comme toute bonne pratique, celle-ci a ses revers lorsqu’il en est fait un usage mal à propos, voire abusif.
L’important pour un indicateur est qu’il soit bien corrélé avec l’interprétation de performance qu’il représente. Au niveau le plus trivial, le taux de conversion obtenu en divisant le total des ventes par le nombre total de visites sur site est parfaitement adapté à un site de vente en ligne.
Il est fréquent de constater que les indicateurs de performance agglomérés au plus haut niveau de l’entreprise se transforment en performances financières, avec le capital financier comme ressource la plus précieuse. Il est légitime de s’interroger si c’est toujours le cas, si l’amélioration de la performance des activités existantes est toujours prépondérante par rapport à la création de nouvelles performances.
Le Chief Anticipatory Officer
Supposons qu’un Chief Anticipatory Officer (CAO) soit nommé pour étudier la prospective, que son rôle soit d’étudier et de créer les scénarios d’anticipation afin de créer des futurs désirables, basés sur les moteurs du changement à venir.
Quelle serait la nature de l’évaluation de ses performances, alors que sa seule raison d’être est de conserver et développer la pertinence de l’organisation au fil des incertitudes. Quel est l’indicateur qui évalue l’antifragilité de l’organisation alors qu’elle opère dans un monde linéaire? La stratégie du CAO a conduit au repositionnement du business model de notre organisation à la lumière des signaux faibles, précurseurs de tel événement qui aurait porté un coup fatal à notre façon d’adresser le marché.
Bon, très bien, le CAO a bien travaillé. Lorsque le cygne noir est survenu, la structure Anticipative, Agile et Adaptative, AAA (3), de l’entreprise a démontré son antifragilité. Il a identifié les signaux faibles anticipateurs de la venue du cygne noir. L’organisation a su adapter sa stratégie pour convertir le risque en opportunité, à la façon dont Pierre Wack a anticipé le choque pétrolier de 1973, permettant à Shell de se hisser aux tous premiers rangs des acteurs du secteur.
A postériori la gouvernance est unie pour se féliciter du bien fondé de l’investissement dans ce poste de CAO. Mais entre temps, de nombreuses voies s’étaient élevées pour réduire, voire supprimer ce poste dispendieux qui ne faisait que consommer de la ressource sans produire de valeur.
Alors, quel est le KPI pour déterminer l’antifragilité de l’organisation ? La question reste ouverte alors que l’essentiel des activités des organisations, et ses indicateurs, se consacre à l’optimisation de son capital financier.
La prospective fait partie de ces postes inutiles tant que le cours des événements reste dans la continuité du prévisible.
Nous ne connaissons pas de modèle d’indicateur permettant d’évaluer la performance continue d’une activité de prospective. En revanche, le manque d’anticipation fait courir un risque critique de se retrouver au pied d’un mur infranchissable.
On ne pourra jamais reprocher à quiconque de s’être trompé sur le futur. Mais ignorer l’anticipation fait courir un risque inutile pour son organisation.
Cependant, une bonne compréhension des retours sur investissements à attendre d’un dispositif de prospective, jointe aux différentes façon de mesurer ceux-ci ne peut être que salutaire pour la création ou la survie de celui-ci !
😏 à suivre…
La plupart du temps, les prévisions sont plutôt bonnes et c’est ce qui les rend si dangereuses…
Les prévisions ne parviennent pas à anticiper les changements majeurs ou les virages importants, des changements qui rendent toute la stratégie obsolète.
Pierre Wack (Royal Dutch Shell)
- On trouve une formulation approchante dans « De l’origine et des limites de la correspondance entre l’algèbre et la géométrie » (1847) – Antoine-Augustin Cournot.
- L’énigme des nouveaux marchés, Rory Mcdonald, Kathleen Eisenhart, Harvard Business Review;
- AAA, Thriving on disruption, Roger Spitz
Mise en bouche très intéressante de Olivier Desjeux quant à la difficile question des indicateurs de performance d’une démarche de #prospective !
Cela m’évoque bien évidemment des parallèles avec les questions de performance et de ROI d’une dynamique de #veille ou d’#intelligenceEconomique, mais également des risques de non-investissement (RONI)
Au delà de premiers indicateurs quantitatifs simples et non représentatifs de la valeur crée (nombre de variables étudiées, nombre de livrables, nombre de personnes et métiers différents impliqués, nombre de sources surveillées, …) les indicateurs de réelles performances restent par nature difficile à mesurer voire même à conceptualiser.
Comment mesurer la capacité d’une organisation à écouter, entendre et considérer des scénarios disruptifs ?
Comment mesurer un niveau de préparation d’une organisation à un scénario prospectif ?
Comment y mesurer l’apport de la démarche de prospective ?
Les organisations sont par nature des systèmes interdépendants, à la fois en interne, mais également au sein de leur écosystème. S’il n’est pas difficile de mesurer une performance globale financière, isoler et attribuer une performance à un service, une démarche est un exercice périlleux et rarement juste.
Prenons par exemple la question des indicateurs de performance d’une équipe commerciale d’une plateforme numérique B2B. On s’intéressera à des indicateurs de type nombre de leads, nombre de devis, CA transformé, CA reconduit, augmentation du panier moyen… imaginons que ces indicateurs augmentent.. c’est une belle nouvelle ! mais quelle est la part des équipes techniques qui ont amélioré la performance du produit, des équipes innovations qui ont conçus de nouvelles fonctionnalités, les équipes communication qui ont mis en œuvre de nouvelles campagnes bien plus engageantes ?
Hâte de lire la suite Olivier Desjeux !