Depuis leur parution en 2020 aux éditions C&F, les Mikrodystopies ont été le prétexte à plus d’une dizaine d’ateliers d’écriture. Menés dans des environnements variés, tantôt supports de prospective, tantôt simples exercices poétiques, ces ateliers sont riches d’enseignements et permettent d’imaginer de nouveaux exercices d’écriture mettant en scène l’humain et son environnement technologique.
Un petit retour d’expérience s’impose donc.
C’est quoi, une mikrodystopie ?
Mais avant tout, un petit rappel : que sont les Mikrodystopies ? Nées sur Twitter en 2018, les Mikrodystopies sont des micro-nouvelles mettant en scène l’humain et la technologie qui l’entoure. Rédigées en 280 caractères seulement – espaces compris – elles constituent des capsules de nos quotidiens actuels ou futurs, peuplées d’intelligences artificielles, de robots, de voitures autonomes ou d’implants cérébraux. Leur objectif, avant de faire réfléchir, est surtout de distraire, et de mettre en collision la froide logique des algorithmes et notre irrationalité humaine.
Par leur format court, les Mikrodystopies se prêtent facilement aux ateliers d’écriture. Une première et très simple méthode pour mener ceux-ci a d’ailleurs été partagée dès 2021 sur le site Web de C&F Éditions.
Cette méthode suit trois règles extrêmement simples :
- Les Mikrodystopies ne sont pas des histoires, ce sont des situations issues du quotidien. Sortie avec les copains, cours de math, repas de famille… la vie de tous les jours se prête facilement à la dystopie car elle est susceptible d’être chamboulée à tout moment par la technologie. Alors, n’imaginez pas trop loin ! Démarrez avec votre quotidien, c’est le meilleur moyen de créer un décalage drôle et intéressant.
- Les Mikrodystopies se jouent des innovations technologiques, elles se nourrissent des prévisions qui nous entourent. Sur le Web, de nombreux sites d’information se font l’écho des innovations. Ils vous serviront d’inspiration. Imaginez simplement comment la technologie qu’ils présentent va changer notre façon de vivre en famille, de partir en vacances, d’aborder notre quotidien… C’est alors que surgit la dystopie !
- Les Mikrodystopies, c’est 280 caractères, pas un de plus ! Et cela inclut les signes de ponctuation et les espaces. Il faut donc rester simple, percutant… Ne cherchez pas à raconter une histoire, exposez simplement une situation drôle ou dérangeante. Et n’hésitez pas à user de dialogues ou de synonymes, cela aide souvent à raccourcir les phrases.
Plusieurs organisations ont tenté l’expérience, parmi lesquelles on citera le Réseau Canopé autour de la thématique de l’éducation, le Laboratoire d’Innovation Numérique de la CNIL imaginant la protection des données dans le monde d’après ou encore la Fondation Internet Nouvelle Génération dont l’expérience a été relatée dans les pages de l’Atelier des Futurs.
Arthur n’avait pas lu de programme, mais l’analyse par l’isoloir de ses comptes sur les réseaux sociaux avait conclu à une compatibilité de 87% avec la liste municipale en place. Il valida simplement la case pré-cochée.
atelier mené au sein de la CNIL
Atelier d’écriture ou atelier de prospective
Parmi ces différents ateliers, deux méritent particulièrement d’être détaillés, et donnent de précieuses indications sur la façon dont les Mikrodystopies peuvent être utilisées en écriture ou en prospective.
- Le premier a été mené par Timothy Duquesne en avril 2022 à la médiathèque de Colombelles dans le Calvados (France), face à un public diversifié et assez peu adepte de l’écriture. Ici, c’est la créativité de chacun qui a été favorisée : la capacité à imaginer des situations – crédibles ou non, souhaitables ou non – et à raconter, structurer des anecdotes. Démontrer en quelques sorte qu’à l’aide d’un format aussi court et simple, chacun peut s’imaginer conteur.
Cet atelier peut être mis en parallèle avec les différentes expériences d’écriture menées sur les mêmes bases dans les collèges et les lycées. L’académie de Strasbourg en a également fait un retour d’expérience. Cet atelier a également donné lieu à un spin-off centré lui sur la réalisation audiovisuelle, toujours à la médiathèque de Colombelles. - Le second atelier qui mérite qu’être cité, c’est celui mené par l’association futurs proches sous la houlette de Nicolas Gluzman, Delphine Bondran et Axelle Kiers. Organisé en juin 2023, celui-ci a pris des allures d’atelier de prospective et s’est fixé comme objectif de dessiner des futurs souhaitables – des utopies – autour des technologies sobres de demain. Ici, l’imagination est cadrée pour fournir des idées et la contrainte de format est reléguée au second plan. Reste des anecdotes du quotidien, bien dans l’esprit des Mikrodystopies.
Avec les Plans Locaux du Partage de l’Espace entre Vivants (PLPEV), le sol appartient désormais légalement aux animaux. J’ai pu mettre ma tiny house en lisière de forêt. Je vois revenir les animaux sauvages, plus nombreux qu’avant le développement de ces habitats légers.
atelier piloté par l’association futurs proches
Faire évoluer la méthode
De ce second atelier, on retient quelques enseignements pour transformer les Mikrodystopies en réel support de prospective.
Il y a d’abord la question de l’immersion : si l’on veut que l’écriture serve à mettre en scène une vision ou une technologie, il est important de s’assurer que l’ensemble des participants possèdent a minima un terreau commun de connaissances autour de celle-ci. Cela peut se faire très simplement, via un board graphique montrant les dernières technologies ou les imaginaires (films, séries, romans…) gravitant autour de la thématique abordée. Cette phase d’immersion est importante, car elle permet à chacun de se raccrocher à un élément connu, et de « déclencher » ses liens, ses associations d’idées, ses imaginaires qui seront employés lors de l’écriture.
Cette immersion peut également se faire via des exemples concrets illustrant l’impact inattendu de la technologie. C’est l’histoire de ces smartphones suspendus aux arbres à proximité des entrepôts Amazon. Ou encore, ce sont ces alertes lancées par les médecins quant aux morts que provoqueront les voitures autonomes. De quoi inviter à penser autrement notre rapport à la technologie.
Il y a ensuite la question des contraintes : écrire une utopie est une contrainte forte. La dystopie vient plus naturellement à l’esprit, peut-être parce que ses exemples sont plus nombreux et que l’esprit humain se concentre naturellement sur ce qui ne va pas. Mais d’autres contraintes d’écritures moins radicales peuvent être imaginées :
- On peut par exemple imposer l’usage d’une technologie ou au contraire l’interdire complètement : que devient votre quotidien si les agents vocaux intelligents sont omniprésents ? Ou si, par suite de l’abandon des technologies spatiales, le système GPS était totalement abandonné ? Scénario plus déroutant encore, et parfois abordé en atelier : que feriez-vous dans les 15 minutes qui viennent si l’on vous annonçait la coupure définitive d’Internet ?
- On peut également imaginer un changement drastique de contexte : que deviennent nos usages actuels si des quotas – de données, d’énergie, d’émission de CO₂ – sont mis en en place ? Comment imagineriez-vous alors votre quotidien ?
Ces contraintes permettent de transformer un atelier d’écriture en exercice d’idéation au service de la prospective, le tout très simplement.
En conclusion, gardez l’humain à l’esprit
Mais quelles que soient les contraintes et le cadre technologique que vous souhaitez appliquer à un atelier mikrodystopique, gardez bien en tête leur principe créatif de base : une micro-fiction dystopique ou utopique fonctionne quand elle met en scène la collision de l’humain et de la technologie. Elle est le résultat de cette rencontre et de la poésie, de la gêne ou du rire que provoque celle-ci.
Laissez donc les participants s’inspirer librement de leur quotidien et de leurs petits travers, c’est sans doute la meilleure façon de récolter des histoires.
Lucas décida de se rendre en voiture chez son ami après le travail avec sa voiture. Mais où l’avait-il mise ? Depuis qu’on avait trouvé le moyen pour miniaturiser les véhicules et résolu tous les problèmes de parking, c’était déjà la 5ème qu’il perdait.
création des élèves de Nicolas Bannier, Lycée Marc Bloch de Bischheim