Après avoir cherché à comprendre “pourquoi” les organisations mettaient en place une activité d’anticipation, nous allons maintenant nous intéresser au “comment”, pour essayer d’identifier des pattern dans les manières d’organiser cette activité.
Il est important de rappeler ici la distinction présentée en préambule entre l’anticipation comme activité et l’anticipation comme projet. Pour cette étude et notamment pour cette réflexion concernant les phases, nous considérons l’anticipation comme une activité globale, sous l’angle de son ambition.
A travers l’expression “activité d’anticipation efficace”, nous cherchons à identifier les sous-activités qui permettent d’atteindre le niveau d’ambition le plus élevé.
Le niveau d’ambition le plus élevé étant de redéfinir et de transformer l’organisation, nous avons donc cherché à identifier l’ensemble des phases permettant à l’organisation de passer du signal à l’action, c’est-à-dire traduire des travaux prospectifs en déclinaisons opérationnelles, qui impactent le quotidien de l’organisation.
Après s’être plongés dans la littérature scientifique et en croisant avec notre étude de terrain, nous avons finalement choisi de prendre appui sur le framework ci-dessous proposé par René Rohrbeck et Menes Etingue Kum (2018) dans leur article Corporate foresight and its impact on firm performance: A longitudinal analysis, pour représenter les grandes phases de l’activité d’anticipation.
Capter (perceiving)
Au cours de cette première phase les organisations vont chercher à identifier les éléments qui peuvent entraîner des changements dans leur environnement.
L’activité d’anticipation va consister à la fois à se plonger dans le passé pour identifier des trajectoires ou des patterns pouvant donner des indices quant aux évolutions à venir, et également à scanner le présent pour identifier les tendances et les signaux faibles qui peuvent préfigurer des usages à venir.
Ces travaux peuvent être formalisés de différentes manières, par exemple au travers de livres blancs ou de radars, pouvant être mis à jour régulièrement. Mais le point déterminant de cette phase réside dans la capacité à identifier les signaux les plus pertinents sur lesquels l’organisation doit se pencher plus en détails.
Pour les acteurs privés, l’objectif sera de capter des informations avant la concurrence afin de bénéficier d’un temps d’avance et pour les acteurs publics de sentir certaines évolutions du monde, de la société et de l’environnement pour ne pas être uniquement dans la réaction.
Investiguer (prospecting)
Cette deuxième phase consiste pour les organisations à articuler tous les éléments et contenus issus de la phase précédente pour leur donner du sens et chercher à les projeter dans un temps long.
L’activité d’anticipation va se traduire par l’exploration de différents futurs possibles, parfois dans des champs thématiques différents, à les rendre les plus concrets possibles et surtout à les mettre en débat avec les parties prenantes.
Les échanges et discussions peuvent porter autour de la crédibilité et de la désirabilité des futurs, des impacts sur l’organisation et du rôle qu’elle pourrait avoir, des possibilités qui s’offriraient à elles en fonction de ces futurs, du timing autour duquel opérer des changements, des sujets à prioriser…
Après un travail de projection, l’objectif de cette phase est aussi d’opérer un retour vers le présent (travail de backcasting) pour identifier les actions à mettre en œuvre dans un futur proche pour transformer l’organisation, notamment les expérimentations qui permettraient de valider les orientations retenues.
Expérimenter (probing)
Pour cette troisième et dernière phase, l’objectif des organisations va être de traduire en projets expérimentaux les différents travaux de recherche qui auront été produits lors des deux phases précédentes.
L’activité d’anticipation va pouvoir se traduire par la production de prototypes physiques, le lancement de projet d’expérimentation, de campagnes de tests auprès des clients ou utilisateurs, de projets d’incubation ou d’intrapreneuriat.
L’objectif est de pouvoir tirer rapidement des enseignements pour pouvoir valider les orientations qui ont été prises ou ajuster la stratégie.
Cette phase est déterminante car elle a valeur de preuve pour le reste de l’organisation, en montrant qu’une activité d’anticipation peut déboucher sur des avancées opérationnelles concrètes, qui modifient le cours des événements.
Cela permet également de s’affirmer par rapport à l’externe et aux parties prenantes, en prenant un avantage concurrentiel sur son marché par exemple ou en établissant une nouvelle grille de lecture sur les politiques publiques du futur.
La complexité de l’enchaînement, où comment réussir à dérouler les trois phases sans se perdre en route
Il est important de rappeler ici que si l’on souhaite atteindre le niveau d’ambition le plus élevé, c’est-à-dire une redéfinition de l’organisation, celle-ci devra être capable d’aller d’un bout à l’autre de ces trois phases, en exécutant efficacement les activités qui les composent.
Pourtant il n’est pas rare de lire qu’une activité d’anticipation (J. Voros, 2003) se limiterait aux phases capter et investiguer (phases 1 et 2), remettant dans les mains des dirigeants ou dirigeantes de l’organisation la conduite de la suite des opérations.
Transformer les travaux de recherche en travaux d’expérimentation ne relèverait pas d’une activité d’anticipation à proprement parler.
Nous pensons qu’il s’agit là d’une confusion, à laquelle nous avons fait référence en préambule, entre le fait de considérer l’anticipation comme une activité, comme une entité ou comme un projet. Il y a deux raisons au fait de considérer que l’activité d’anticipation se limiterait aux deux premières phases :
- la première est liée au niveau d’ambition de l’organisation. Si l’organisation a un niveau d’ambition inférieur au niveau 3 (redéfinir l’organisation), il est logique qu’elle n’attende pas de l’activité d’anticipation qu’elle aille jusqu’à expérimenter (phase 3) et trouver une traduction opérationnelle aux travaux d’anticipation des phases 1 et 2.
- la seconde est liée au fait de confondre l’entité qui réalise l’activité d’anticipation, avec l’activité d’anticipation elle-même. Certaines entités n’ont pas nécessairement les compétences (nous y reviendrons plus tard) pour réaliser les 3 phases, et considèrent donc abusivement que la troisième phase ne relève pas d’une activité d’anticipation.
Dans certaines organisations, si l’ambition n’est pas suffisamment élevée ou si le périmètre de l’entité en charge de l’anticipation est trop étroit, la démarche s’arrête à la phase d’investigation. Or, il nous apparaît fondamental qu’une activité d’anticipation efficace considère également la phase d’expérimentation, juste avant un déploiement potentiel.
En synthèse
La problématique
Quelle est la meilleure manière d’organiser une activité d’anticipation aux ambitions fortes, c’est-à-dire permettant de passer du signal à l’action ? Quelles phases composent cette activité ?
Les pistes de réponse
Une activité d’anticipation qui a pour ambition de redéfinir l’organisation se décompose en trois grandes phases : capter, investiguer et expérimenter.
L’efficacité d’une activité d’anticipation se mesure à sa capacité à dérouler ces trois phases dans leur intégralité, sans oublier l’expérimentation.
Les directions d’action
Impossible pour une organisation de faire l’impasse sur les moyens si elle se préoccupe de l’efficacité de chacune des phases.
Ainsi, les dirigeants doivent questionner la cohérence entre le niveau d’ambition posé, et les moyens à disposition, pas tant d’un point de vue financier que du point de vue du périmètre, du pouvoir de décision et des compétences alloués à l’activité d’anticipation.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
N’hésitez pas à laisser votre avis ci-dessous ou, pourquoi pas, à rédiger un billet sur votre façon de faire !