Virginie Raisson-Victor est une géopoliticienne et une prospectiviste chevronnée.
Actrice de terrain, elle a également opéré au sein d’organisations internationales et aujourd’hui auprès de grandes entreprises et de collectivités.
Pendant plus de 25 ans, elle a co-imaginé avec Jean-Christophe Victor les supports et les récits sur lesquels s’est appuyée l’émission phare « Le Dessous des Cartes« . En 2021, elle lance « Le Grand Defi des entreprises pour la planète », une initiative dont l’objectif est de contribuer à améliorer ensemble la cohérence, l’efficacité et l’impact de l’action des entreprises en faveur du climat.
Dans l’entretien à suivre, Virginie explore le dessous des futurs possibles et des passés oubliés pour nous permettre de nous réorienter dans une époque troublée.
Entretien enregistré le 15 juin 2023
Remerciements : agence Logarythm
Entretien enregistré le 15 juin 2023
Remerciements : agence Logarythm
Transcript de l’entretien
(Réalisé automatiquement par Ausha, adapté et amélioré avec amour par un humain)
Thomas Gauthier
Bonjour Virginie.
Virginie Raisson-Victor
Bonjour.
Thomas Gauthier
Alors ça y est, vous êtes face à l’oracle. Vous allez pouvoir lui poser des questions sur l’avenir.
Par quelles questions souhaitez-vous commencer ?
Virginie Raisson-Victor
Alors déjà, la première question est assez difficile. Je ne sais pas, je n’en ai pas une, j’en aurais deux ou trois.
La première question, ce serait peut-être une question sur le climat, parce que c’est quand même quelque chose qui me préoccupe. énormément, compte tenu de la trajectoire sur laquelle nous sommes, globalement. Et donc, j’aurais envie de lui demander si…
Est-ce qu’il y aura un sursaut universel ? Est-ce qu’on peut encore espérer qu’à un moment donné, l’humanité se saisisse de la possibilité d’avoir un avenir vivable et d’un avenir…
Surtout pour mes enfants, pour les jeunes générations et les futures générations. Voilà.
Donc ça, ça serait peut-être la… La première question, parce qu’aujourd’hui, on est quand même sur une trajectoire de réchauffement qui est à plus 2,8 degrés à l’horizon de la 2100.
Si on s’en tient aux engagements pris par les États, enfin plutôt aux promesses annoncées par les États dans le cadre de l’accord de Paris, maintenant, si on regarde ce que les États mettent réellement en œuvre, on est sur une trajectoire à plus 3,2 degrés. Ce qui est considérable, ce qui représentera en France, par exemple, un réchauffement qui est au-delà de 4 degrés, qui s’approcherait de 15-5 degrés.
C’est tout à fait considérable et je ne suis pas sûre qu’on mesure ce que ça veut dire concrètement. C’est-à-dire, typiquement, la fonte des calottes glaciaires, des sécheresses absolument massives, donc une élévation du niveau de la mer qui ne se mesure plus en centimètres mais en mètres, etc.
Et donc ça, ça me… J’aurais tellement envie d’apprendre aujourd’hui. Ça me donnerait d’autres raisons de continuer cette espèce de bataille que j’essaye de mener.
En tout cas, cette contribution que je veux avoir pour l’avenir. J’aimerais tellement avoir envie d’apprendre aujourd’hui que j’ai bien raison de continuer.
Parce qu’à un moment donné, finalement, l’histoire va basculer et qu’on va vraiment s’emparer de la mesure du problème qui est celui que pose le changement climatique. Donc, ça veut dire tout simplement transformer notre civilisation, rien de moins.
Une autre question que je poserais à l’oracle, c’est pareil, est-ce qu’il y a un seuil où les inégalités qu’on voit progresser, la polarisation des richesses aujourd’hui qu’on voit, ne tient plus ? Parce que je suis quand même extrêmement frappée par l’hyper-richesse qui devient un standard finalement, et même quelque chose auquel beaucoup de jeunes aspirent, mais dans une démesure qui est complètement fou et qui permet à quelques personnes, enfin plutôt pas personne mais un un tout petit nombre de personnes dans le monde de s’approprier finalement l’essentiel des ressources, de la richesse mondiale, mais aussi de la capacité à émettre des gaz à effet de serre, à polluer, et à s’approprier même les biens communs.
On a quand même aujourd’hui une privatisation de certains biens communs, je pense à l’espace par exemple, qui est très étonnante et je pense que ça n’est pas souhaitable pour l’avenir et surtout c’est invivable pour une partie de la population. l’essentiel, la plus grande partie de la population et ça va être en plus accru par le changement climatique donc voilà, ça aussi c’est ce qu’il y a à un moment donné où on entre dans une… Un changement, une révolution ?
Ou est-ce que ça devient un chaos ? Je ne sais pas.
Je me pose vraiment des questions sur où nous mène cette croissance des inégalités. Et puis, une troisième question que je lui poserais, ce serait surtout sur le rapport entre l’homme et la technologie.
Parce que pour moi, les technologies avancent beaucoup plus vite que la pensée de l’homme n’est capable de les absorber. C’est-à-dire que le progrès…
Pour moi, il a un sens que si l’homme, en même temps, développe une pensée qui est capable d’orienter ce progrès et de l’encadrer, j’ai l’impression que là, pour le coup, on est un petit peu pris de vitesse. On découvre plus vite que la philosophie, que la sociologie, que nos quotidiens sont capables de penser aux effets rebonds, aux risques.
Et comme je ne crois plus tellement dans la raison humaine, c’est préoccupant qu’on n’arrive pas à… ajuster finalement ce recul qu’on devrait avoir sur la technologie avec le rythme de nos découvertes. Voilà un petit peu les questions que je poserais.
Il y en aurait sûrement d’autres, mais je serais rassurée s’il pouvait avoir des réponses autres que celles que j’ai en tête. Parce que derrière la question que je pose, c’est une manière de dire mes inquiétudes, en fait.
Et mes interrogations ont le sens, comment est-ce qu’on sort de là ? Comment est-ce qu’on fait pour que la prise de conscience, parce que la prise de conscience, par exemple, sur le climat, Elle est là, alors pas partout.
J’ai fait un sondage, par exemple, sur le Nigeria, où il y a trois personnes sur dix au Nigeria qui ont déjà entendu parler du changement climatique. Mais ça veut dire que sept sur dix n’ont jamais entendu parler du réchauffement, alors que c’est un des dix pays les plus vulnérables à l’échelle de la planète.
La sensibilisation n’est pas du tout universelle encore, autant qu’on le voudrait. Mais en revanche, en Europe, elle l’est.
Et pour autant, ça n’a pas provoqué de sursaut. Ça provoque des ajustements, il y a des changements, mais pas du tout du même ordre que ce qu’on a pu voir, par exemple, au moment du Covid, où on dit aux gens, on vous prive de liberté du jour au lendemain, et les gens acceptent parce qu’ils ont un… Tout d’un coup, il s’agit d’une question de vie ou de mort.
C’est comme ça que ça résonne. Et c’est comme ça que le message est délivré, d’ailleurs.
Et du coup, ça provoque un assentiment sur le fait, OK, j’accepte de modifier ma vie. et mes libertés pour préserver la vie. Et on n’a évidemment pas du tout la même chose sur les questions climatiques et les questions de biodiversité, alors même que c’est bien ça dont il s’agit aussi.
La sécheresse, c’est quand même les questions sur l’eau, on touche au cœur de ce qui nous permet, de ce qui a permis à l’humanité de se développer. Et pour autant, même avec cette conscience du phénomène qui s’amplifie, moi je ne vois pas de véritable sursaut.
Je le trouve… Ce n’est pas parce qu’on fait la fresque du climat qu’on a la mesure du problème, mais je pense qu’on est quand même aujourd’hui dans une connaissance et une perception relativement superficielle.
Je ne sais pas si c’est le fait de se sentir à l’abri, d’être préservé parce qu’on est dans un pays qui va globalement bien. C’est un vrai questionnement pour moi.
Comment est-ce qu’on fait pour que les gens vraiment s’emparent de l’enjeu qu’il y a derrière ? Quand je regarde ma dernière qui a 10 ans, je…
J’ai du mal à imaginer ce que sera sa vie quand elle aura mon âge, compte tenu des perspectives que nous laissent entrevoir les impacts du changement climatique. Et sur les inégalités, c’est aussi une interrogation, et c’est presque une interrogation, elle n’est pas forcément seulement géopolitique, c’est personnel.
Je trouve qu’on arrive à accepter aujourd’hui des choses et des situations qui étaient tout à fait impensables et inacceptables quand j’étais jeune ou enfant. Et donc, je suis frappée de voir qu’on s’habitue à tout et que finalement, l’hyper-richesse continue de faire rêver.
Alors que ça se fait au détriment d’énormément de choses. On a des services publics qui se dégradent et dans des tas de pays, c’est bien pire que chez nous.
On voit bien qu’il y a la répartition des richesses, il y a un système à un moment donné qui n’a plus fonctionné. C’est-à-dire que pendant une trentaine d’années, on va dire de 1990, une vingtaine d’années, on va dire de la fin des années 80 jusqu’au début des années 2010, on a un recul de la pauvreté dans le monde, on a une amélioration du confort, du bien-être matériel, en tout cas des classes moyennes, un accès plus large aux loisirs, à l’éducation, à la culture. a fortiori aux biens de consommation.
Et puis à un moment, il y a quelque chose qui ne fonctionne plus. Et aujourd’hui, c’est plus compliqué de trouver un médecin que d’acheter un iPhone.
Et moi, ça me posait question. Et donc, ce rapport au revenu, à ce qui est important, à la richesse, à l’essentiel, le fait qu’il y ait autant de gens sans-abri en France, je trouve ça complètement sidérant, parce que ce n’est pas un problème de richesse du pays.
Le fait qu’aujourd’hui, les banques alimentaires n’ont jamais eu autant de monde, Ce n’est pas un problème de moyens du pays. En plus, on est excédentaire, etc.
Donc là, il y a une question sur jusqu’où on peut accepter ça. Et avec ce paradoxe, c’est que le système continue de faire rêver malgré tout.
Voilà. Tout ce dont j’aurais envie de discuter avec l’oracle.
Thomas Gauthier
Derrière les trois questions que vous souhaitez lui poser, il y a, selon moi, en tout cas d’après les mots que j’ai entendus, une sorte de… de déni de définition. Vous avez employé notamment le terme de civilisation.
D’autres termes, je dirais à fort impact, sont utilisés avec précaution par les scientifiques qui sont parmi les mieux placés pour nous dire l’état actuel et les états futurs probables du système Terre. Les scientifiques, malgré leur protocole consensuel, emploient désormais des termes qui aident à définir ce réel certainement à la hauteur des enjeux qu’il porte.
Comment nous expliquons-nous que l’on continue par contre, en dehors de ces cercles, je dirais, éclairés, ces cercles qui appuient leur recherche de connaissances sur des protocoles rigoureux, comment expliquons-nous que les termes utilisés pour décrire la, je dirais, séparation incroyable entre les systèmes humains et le système Terre soient encore des termes finalement mous ? on parle de crise, comme si finalement, il n’y avait qu’un épisode qui va être… daté dans la longue histoire, qui a un début, qui a une fin, il y a un retour à une manière de fonctionner, une manière de se rapporter aux autres, une manière de se rapporter aux vivants, qui sera un renouvellement de ce que cela a pu être avant la crise. Comment nous expliquons-nous ce refus d’obstacle qui est un refus de définir, un refus de dire le réel, un refus de mettre à jour tout simplement la paire de lunettes que l’on utilise pour regarder le réel.
Comment s’expliquer Ce décalage qui s’accroît entre la façon dont on dit le monde et la façon dont se qu’est le monde.
Virginie Raisson-Victor
Je ne suis pas sûre que j’ai la réponse. D’ailleurs, s’il y a une réponse, à mon sens, il y en a peut-être plusieurs.
Moi, j’ai des pistes d’explications, mais qui ne sont pas fondées sur aucun travail que j’aurais pu mener sur cette question-là, mais elle est importante. Surtout que pour moi, ça fait partie des choses qui parfois m’énervent d’ailleurs avec les scientifiques.
C’est avec certains scientifiques. C’est qu’ils restent très accrochés à leur devoir de réserve, qui est tout à fait légitime pour rester crédible, sauf que du coup, ça limite la capacité des politiques, par exemple, de s’emparer de l’alerte, de ce que se disent vraiment les données scientifiques.
Ce que je ne veux pas dire là, c’est que le réchauffement climatique, c’est très abstrait, la crise du climat, ça laisse entendre que c’est passager. Non, ce n’est pas passager.
Je vais prendre deux exemples. L’histoire de la sobriété, quand la sobriété est mise en avant l’été dernier à la suite, elle est mise en avant, elle est proposée comme solution à quelque chose de très précis qui est le problème énergétique posé par le conflit en Ukraine.
Donc ça présuppose, ça laisse entendre en creux qu’une fois que la guerre est réglée, on reviendra à la normale. Or, ce n’est pas le cas.
Et ça, c’est… Alors peut-être que l’expérience Covid a laissé cette impression-là aussi, sans se dire que c’était un premier épisode d’une longue série.
On y a vu un début, une fin, et on s’est dit, bon, finalement, on s’en sort bien. Et le monde d’après n’a pas émergé, que précisément, on a retrouvé tous les ingrédients du monde d’avant.
Puis on a une deuxième alerte, qui est donc cette crise en Ukraine, et qui est une crise systémique. En réalité, on veut le mettre dans un…
Évidemment qu’il y a un conflit, enfin qu’il y a des raisons. très géopolitique, mais tout ce que ça a déclenché montre bien que c’est au-delà du simple problème Russie-Ukraine. Notre dépendance, enfin plutôt la dépendance de l’Europe, la France ce n’est pas le cas, mais la dépendance de l’Europe au gaz russe montre bien qu’il y a d’autres problématiques que le seul rapport entre l’Ukraine et la Russie.
En tout cas, la sobriété a été mise en avant, avec le risque de pénurie d’énergie et le risque d’inflation conséquent, il est important d’être plus sobre dans nos usages de l’énergie. Et ça a fonctionné, mais toujours avec cette idée que c’était provisoire.
Or non, ce n’est pas provisoire, puisque ne serait-ce que pour décarboner notre économie, il va falloir investir sur d’autres énergies. Tout ça à un coup, et le prix de l’énergie, dans la mesure où elle devient aussi plus rare, devient forcément plus élevé.
Et même chose pour l’eau. L’idée de la sécheresse, on a l’impression que la sécheresse qu’on connaît depuis, dans certaines régions plus que dans d’autres, depuis plus d’un an maintenant, un an et demi. 18 mois, je crois.
Là aussi, historiquement, à l’échelle d’une vie, on a le souvenir d’une sécheresse en 1976, en telle année, etc. Mais il y avait un début et une fin.
Et ce que nous dit le changement climatique, c’est qu’il y a un début, mais il n’y a pas de fin. C’est des phénomènes qui vont s’amplifier.
Et par exemple, on ne sait pas, on ne dit pas que depuis 30 ans, la ressource disponible en eau douce, elle a déjà diminué de 14%. Notre population n’a pas diminué de 14%.
L’économie, l’agriculture n’ont pas diminué de production de 14%. Donc on voit bien que la tension augmente.
Ce qui veut dire derrière qu’il va y avoir, avec les changements climatiques, de moins en moins d’eau disponible. Nos usages et notre croissance économique tirent au contraire dans l’autre sens.
Et donc il y a une tension sur l’eau qui est une tension durable et qui peut amener les prix de l’eau à être multipliés par 3, 4, 5. Or des prix de l’eau qui augmentent, ça veut dire des prix agricoles, des prix qui eux-mêmes, et on le voit bien sur le prix des fruits par exemple depuis deux ans, qui augmentent précisément sous l’effet de la sécheresse et des changements climatiques.
Donc ces tensions inflationnistes… Et ces tensions, ces conflits d’usages, c’est des choses qui seront de plus en plus fréquents et de plus en plus critiques, et qui peuvent amener à des violences sociales importantes.
Une ressource qui, quand on est obligé, on l’a déjà vu l’été dernier, quand on est obligé d’opposer, est-ce qu’on privilégie un golfe ou les éleveurs, je ne sais plus dans quelle région, c’était à l’ouest, en Vendée, si je ne me trompe pas, mais peut-être que je me trompe. C’est très fort quand on voit que les restrictions, je ne sais pas, une ville de Barcelone, on impose des restrictions d’eau aux habitants, mais pas aux touristes, alors que le touriste, il consomme quatre ou cinq fois plus d’eau, à minimum, que les habitants.
Ces tensions-là, à mon sens, elles ne sont pas dites, elles ne sont pas annoncées, on ne dit pas assez que, non, l’inflation est un phénomène qui va durer, parce que les causes de sécheresse, les causes de la raréfaction énergétique, elles s’amplifient. elles augmentent et par conséquent, on est au début de quelque chose. Et ça, peut-être que les mots ne sont pas posés, mais c’est même, j’allais dire, c’est au-delà des mots.
C’est-à-dire que c’est le diagnostic qu’on n’ose pas avouer. Après, il y a un déni de diagnostic, je pense encore, parce que c’est tellement, quand on en prend la mesure, c’est tellement dur, moi je trouve, à imaginer. Ça interroge aussi beaucoup le politique, quelle va être sa responsabilité, comment est-ce qu’il va arbitrer.
L’homme politique, désormais, ça va être de plus en plus un arbitre de tension. Et donc, le dire, l’annoncer, je ne suis pas sûre que ce soit politiquement très vendeur.
Je ne sais pas, il m’est arrivé plusieurs fois, vous savez, quand les nouvelles sont trop mauvaises, on décrédibilise celui qui les porte parce que c’est trop dur à accepter ou ça questionne trop de choses ou ça remettrait en cause trop d’acquis ou d’habitudes ou de croyances. Et par conséquent, c’est plus facile finalement de dénigrer ou de décrédibiliser, d’illégitimer finalement celui qui porte le diagnostic ou qui porte les mots, plutôt que d’accepter de les écouter.
Et moi, ça m’est arrivé un certain nombre de fois. Je me souviens de débats il y a quelques années, par exemple, sur le fait de faire un séminaire en prenant l’avion, où j’interrogeais les personnes qui étaient là en disant « est-ce que vous êtes sûres qu’on a besoin de prendre l’avion pour faire un séminaire qu’on pourrait faire ? » à proximité dans un cadre tout aussi agréable que celui en l’occurrence de la Grèce.
Et ça a été très très mal pris, ce n’était pas acceptable mon propos. Et aujourd’hui, maintenant, il n’y a pas une boîte qui ose prendre… Enfin, si, certainement, mais c’est quand même beaucoup plus rare qu’on emmène ses cadres de l’autre côté de la planète pour faire un séminaire qu’on peut faire quelque part en France.
Donc il y a quand même des choses qui ont évolué. Mais tout ça pour dire que si on dit les choses, peut-être c’est une hypothèse. de manière trop je vais dire brutale, c’est pas la façon de le dire qui est brutale, c’est les faits eux-mêmes qui sont, mais trop vrais, eh bien, ils ne sont pas acceptés.
Et donc, ça peut provoquer du déni ou du refus. Alors que je ne sais pas, je réfléchis à voix haute parce qu’en fait, je n’ai pas la réponse.
Je suis d’accord avec vous sur le fait que on ne dit pas complètement les choses.
Thomas Gauthier
Je vais tenter avec vous un pas de côté, peut-être. Donc on vient de se raconter l’ampleur du diagnostic qu’il s’agirait de pouvoir élaborer, qu’il s’agirait ensuite de pouvoir faire comprendre à une population qui est nécessairement hétérogène, hétérogène culturellement, hétérogène idéologiquement.
Je me dis peut-être naïvement que si j’étais moi-même un dirigeant public ou privé, cela m’enthousiasmerait d’avoir un tel défi. devant moi, puisque si j’ai souhaité accéder à une fonction de pouvoir, à une fonction de représentation de mes concitoyens, disons, je prendrais cette opportunité comme une aubaine. pour pouvoir travailler de façon systémique à dire ce monde de manière compréhensible, de manière intelligible et de manière stimulante, en essayant pourquoi pas de donner le goût d’un inconnu vers lequel nous irions ensemble et également le goût finalement de se reconnecter à ce qu’est la nature humaine puisque les bouleversements dont on parle appellent en creux les prémices d’une… de transformations anthropologiques hautement plus ardues que ces transformations anthropologiques ont pu être au cours peut-être des dernières décennies. Donc ce que je n’arrive pas à saisir, et du coup je vous pose la question que je n’avais jamais jusque-là formulée vraiment, et en particulier au micro de ce podcast, c’est n’y a-t-il pas néanmoins une forme d’enthousiasme à trouver dans la nature profondément systémique, paradigmatique ? des changements, qu’il s’agit d’expliquer, qu’il s’agit de naviguer.
Voilà, je m’arrêterai là.
Virginie Raisson-Victor
Oui, en théorie, je suis d’accord avec vous. Moi, on me donne une folle blanche.
J’adore inventer, innover, repenser, parce que c’est tout repenser. Donc, c’est extrêmement excitant, même, c’est enthousiasmant.
Il y a un certain nombre, aujourd’hui, de personnes qui… qui travaillent sur les récits, parce que tout ça doit être porté aussi par des récits. C’est-à-dire qu’on n’attire pas vers quelque chose qui est radicalement différent.
On ne peut pas dire aux gens qu’il va falloir complètement changer si on ne leur propose pas autre chose à la place. Il y a quand même besoin d’avoir une idée.
Chez beaucoup de gens, l’inconnu, ça ne tente pas grand monde. Il y en a chez qui c’est un goût, j’en fais partie, mais culturellement, on n’est pas surtout…
Après, quand on a des enfants, on a un ensemble de choses qu’on a passé toute une vie à bâtir, et dire que tout ça, finalement, ce n’est que peu de choses, et qu’il faut complètement repenser le tout, ça peut faire peur. Et on ne voit pas immédiatement les bénéfices qu’on peut en tirer.
On va commencer par regarder les renoncements qu’il va falloir opérer. Donc ça, c’est humain.
Et donc, surmonter ça, c’est compliqué. Ensuite, la deuxième partie, le deuxième frein, Il est double.
Il y a quand même la partie systémique, l’aspect systémique mondial. C’est-à-dire que c’est extrêmement compliqué de sortir de la pelote et d’en refabriquer une à l’extérieur.
Et surtout pour le temps de transition. À la limite, on peut imaginer le système qu’il faudrait. D’ailleurs, il y en a, il y a des scénarios, il est possible, on les connaît.
Et les politiques les connaissent. Qu’ils en aient envie ou pas envie, ça c’est souvent une tension idéologique qui va monter, parce que je pense qu’on va être de moins en moins sur des tensions droite-gauche, mais de plus en plus sur des tensions justement autour de ce qu’on accepte ou ce qu’on n’accepte pas au nom de la préservation de l’environnement dont dépendent nos économies, notre bien-être, etc.
La question c’est la transition, c’est comment on passe d’un système à l’autre, et je pense que c’est là qu’il bute. que beaucoup de politiques butent. Et je ne les blâme pas, parce que ce n’est pas très simple de passer d’une situation où tout est tellement lié, intriqué avec le reste du monde, d’ailleurs, parce qu’on n’est pas en autosuffisance, on n’est pas sur une île.
Et donc, le changement, il engage de rompre avec beaucoup, beaucoup de choses, ou en tout cas, de faire évoluer ou de transformer profondément beaucoup des liens que nous avons et sur lesquels nos systèmes reposent. de s’en extraire pour aller vers autre chose. Et sur un temps qui doit être relativement court, c’est ça aussi, il y a un problème d’échéance par rapport aux échéances que nous pose cette crise civilisationnelle, c’est plus une crise, cette problématique à la fois économique, cette remise en cause de notre rapport à la nature, rapport à l’environnement, etc., qui est quelque chose d’extrêmement profond, nous pose des questions auxquelles on doit répondre très très vite.
Et ça, c’est quand même extrêmement difficile parce que… Parce que, comme je disais, la question aurait été posée au XVIIIe siècle, je pense que ça aurait été moins complexe finalement qu’aujourd’hui, où tout repose sur tout.
La question d’organiser la transition, elle n’est pas simple. Et d’ailleurs, c’est ce qui s’appelle aujourd’hui la mise en forme de ça en France, c’est la planification.
Et il faut bien reconnaître quand même que le fait d’admettre qu’il faut imaginer une planification pour un scénario à 4 degrés, C’est déjà un énorme pas qui est franchi. Et que saluent d’ailleurs beaucoup de municipalités, de collectivités, ou même d’entreprises.
Ok, maintenant on est clair. On nous dit à quoi on doit s’adapter.
Parce que l’histoire des scénarios, c’était compliqué aussi. C’est absolument indispensable, nécessaire, il faut continuer.
Pour voir les possibles. Mais il n’empêche qu’à un moment donné, il y avait un problème de boussole pour les politiques.
Et là, tout d’un coup, ils ont choisi. de, voilà, on a une boussole. Alors, il y a beaucoup de choses à redire sur le fait que ça peut empêcher, enfin, ça peut démobiliser sur l’atténuation ou des choses comme ça.
Mais le fait d’avoir un cap et de se dire, ce cap-là, il faut absolument qu’on le surmonte, je pense que ça peut faciliter les choses, y compris pour dire, pour mettre en œuvre des transformations et pour rassembler, pour mobiliser autour du même objectif. Mais il reste compliqué.
Parce que ça engage aussi beaucoup d’arbitrages, une transition engage beaucoup d’arbitrages qui sont politiquement sensibles. Je ne sais même pas, comme je réfléchis à voix haute, si c’est très clair ce que je raconte, mais je reprends à mon compte cette idée que finalement nous avons une chance de pouvoir réinventer le monde, si je puis dire, refaire le monde.
Et c’est passionnant. Et de fait, dans l’histoire, on est quasiment la première civilisation à avoir le choix … de s’adapter ou de mourir.
Là où les civilisations passées finalement subissaient, par manque de connaissances en particulier, nous on a les connaissances, on a la prise de recul suffisante, on a les données qui nous permettent d’analyser là où nous sommes aujourd’hui, les enjeux et comment en sortir. Et donc on a le choix.
Et ça c’est complètement incroyable de penser qu’on est les premiers dans l’histoire de l’humanité. Est-ce qu’on en a suffisamment conscience de cette incroyable chance qui nous est donnée de réinventer, de reformuler ?
Je ne suis pas certaine. Parce qu’une fois de plus, je pense que le coût social, le coût politique, la perspective de renoncement et le fait justement de ne pas savoir quelle serait cette autre civilisation vers laquelle nous irions mettent beaucoup d’obstacles pour embarquer un maximum de gens dans cette aventure.
Et puis certainement aussi, là je parle plus à l’échelle universelle que française, mais encore, c’est qu’il y a eu un tel recul, par exemple, de la pauvreté depuis 30 ans. On a quand même plus d’un milliard de personnes qui sont sorties de la pauvreté.
On a encore plus, on a à peu près 2 milliards de personnes qui sont récemment entrées dans la classe moyenne et qui découvrent tout ce qui a fait notre joie depuis les années 60. Inverser cette tendance-là, alors qu’elle ne fait que s’amorcer pour une grande partie de la population mondiale, c’est quasiment impossible.
On sort de la pauvreté et on vous explique tout de suite que vous n’aurez pas le temps de rester dans cet état de cette phase où on découvre pour la plupart ce que c’est qu’accéder à la consommation et tout ce qui va avec. Et là, je pense que c’est…
De fait, c’est ce qui se passera par la force. Mais le dire et le porter pour emmener d’emblée… ces populations-là vers un autre moment, c’est compliqué.
Donc voilà, ça fait beaucoup de raisons qui s’opposent à l’enthousiasme de la réinvention du monde.
Thomas Gauthier
Alors, on a beaucoup parlé ensemble jusque-là de futur, de futur possible, de futur désirable, de futur aussi inacceptable. Je vous propose que nous regardions un instant du côté de l’histoire, le regard dans le rétroviseur.
Est-ce que vous pourriez ramener, s’il vous plaît, aux auditrices et aux auditeurs, deux ou trois événements historiques, deux ou trois dynamiques historiques dont vous vous dites qu’elles peuvent nous être utiles dans ces temps incertains et inconnus, pour reprendre vos mots, pour nous orienter, pour nous enthousiasmer peut-être, pour servir d’aide au discernement, pourquoi pas, alors qu’il va nous falloir nous projeter vers un inconnu. Qu’est-ce que l’histoire peut nous permettre de voir autrement ?
Virginie Raisson-Victor
Il y en a trois que j’utilise. Il y en a un, ce n’est pas tout à fait l’histoire, puisqu’on est quasiment aux aires, au temps géologique.
On ne va pas parler d’épisodes historiques, mais après ce seront deux épisodes historiques. Mais il y en a un qui est, pour prendre la dimension des choses, c’est la concentration des gaz à effet de serre.
Moi, je trouve ça tout à fait incroyable de penser que, quand on regarde le niveau de concentration des gaz à effet de serre aujourd’hui, que je dis qu’il y a autour de 420, 425 parties par million, ça n’évoque rien à personne, ni même quand on dit, mais pourtant, avant la révolution industrielle, c’était de 278 ppm, ça n’évoque toujours rien. En revanche, quand on prend un graphique et qu’on s’aperçoit, qu’on regarde toute l’histoire, finalement, de la concentration des gaz à effet de serre depuis un million d’années, ou avec différentes périodes interglaciaires, glaciaires et interglaciaires, pardon, on voit des grandes variations d’une ère à l’autre.
Et pourtant, la concentration de gaz à effet de serre n’a jamais, jamais et de très loin atteint ce niveau-là depuis au moins 800 000 ans. En fait, pour retrouver ce niveau-là de concentration de gaz à effet de serre, c’était il y a 3 millions d’années, c’était derrière l’ère du Pliocène.
Ce qui veut dire implicitement que l’adaptation est à cette époque-là… Eh bien, les arbres poussaient en Antarctique, la température était de 4 degrés à peu près, supérieure à celle qu’elle est aujourd’hui, le niveau de la mer était de 15 à 20 mètres au-dessus de ce qu’il est aujourd’hui.
Donc ça nous donne une idée de là où on va. Sauf que la dernière fois qu’on y est allé, c’était il y a 3 millions d’années, enfin qu’on y est allé, entre guillemets, c’est une façon de parler.
Et là, il va falloir que nous nous adaptions à une telle évolution, non pas sur quelques dizaines de milliers d’années ou centaines de milliers d’années, mais sur quelques décennies. Et ça, pour moi, c’est cette image-là, et en graphique, elle est très frappante.
C’est-à-dire qu’on va devoir opérer. On a réussi déjà à émettre des gaz à effet de serre qui avaient été séquestrés, dont la sédimentation et la séquestration avaient pris plusieurs centaines de milliers d’années.
Et nous, en quelques décennies, finalement, on est arrivé à les relâcher dans l’atmosphère, d’où ce retour à des taux de concentration de l’air du Pliocène. Sauf que l’adaptation qui a été à l’époque, il y avait… vaguement les tout premiers Australopithécus africanus, l’ancêtre de l’homo, qui lui-même est l’ancêtre de l’homme, qui s’installait, qui était en Afrique, qu’on voyait apparaître en Afrique.
C’est incroyable l’adaptation qu’on va devoir opérer. Et donc ça, je trouve que cette dimension de temps, cette échelle de temps, pour moi, elle est absolument saisissante.
Et elle devrait nous éclairer sur l’ampleur et donc nous aider à nommer les choses et à mieux nous en emparer. et à comprendre que ce n’est pas en passant du gobelet jetable à la gourde qu’on a résolu la question. Ensuite, le deuxième épisode historique, c’est celui que j’utilise souvent, c’est la chute de Rome, qui a été étudiée par des centaines, voire davantage d’historiens, les causes de l’effondrement du Rome.
Même Lamartine en avait recensé 14 facteurs. Il y a énormément d’explications qui ont été données depuis que la question a été étudiée pour comprendre comment un empire si puissant et si vaste avait pu s’effondrer, puisqu’on avait un empire qui allait du Royaume-Uni, des îles britanniques, je vais y arriver, au sud du Maroc, jusqu’en Égypte et en Mésopotamie. et qui commerçait jusqu’à la Chine quand même, c’est complètement incroyable quand on y pense, à un petit qui s’est réduit quelques siècles plus tard à un état vassal de Constantinople et finalement c’est qui s’est éteint.
Et donc le passage de l’un à l’autre, c’est ça qui a été étudié. Et ce qui est intéressant, c’est que des techniques de recherche scientifique ont permis de déterminer que d’autres facteurs qui n’avaient pas été mis en avant jusqu’à présent ont également contribué à la chute de Rome et qu’en gros ce n’est pas seulement la décadence des élites romaines. qui a permis aux fameux barbares de s’emparer de l’Empire.
En fait, ces deux facteurs, c’est le climat et les pandémies. Climat parce que l’Empire romain, en l’an 280, non, je confonds, j’ai un doute sur la date, a connu une petite période glaciaire qui a été liée à l’éruption de deux éruptions vulcaniques majeures. et qui ont envoyé de tels nuages de sang dans l’atmosphère que ça a filtré les rayons du soleil et que donc pendant un certain temps, il y a eu un refroidissement de 2,5 degrés des températures et une augmentation de la sécheresse.
Et donc tout l’Empire romain, la croissance plutôt de l’Empire romain qui avait été largement fondée sur la prospérité agricole et qui renvoyait elle-même à un climat qui était à la fois chaud, humide et très stable. et donc une productivité importante, ce qui avait permis le commerce des céréales, et donc la richesse, et donc après tout le développement de l’Empire, ce premier fondement de l’Empire disparaissait, en tout cas a été affaibli par ce refroidissement climatique. Et tout ça intervenant dans un contexte sanitaire déjà fragilisé, et fragilisé pour plusieurs raisons.
L’une d’entre elles, c’était finalement les grands travaux entrepris par les ingénieurs romains. pour construire des routes, pour développer les cités, etc. On déboisait, asséchait, détournait des rivières.
Et tout ça faisant, évidemment, on modifiait les écosystèmes et on aussi déconfinait différentes espèces qui étaient confinées dans les forêts ou dans les bois. Et en particulier, le fameux psalmodium falciparum, qui est donc le moustique responsable du paludisme.
Et donc on va avoir des épidémies de paludisme tous les 8 à 10 ans et qui vont tuer à chaque fois des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes. En même temps, vous avez d’autres…
Le fait de construire des voies romaines ou d’avoir du commerce maritime de plus en plus loin dans le monde a conduit aussi à la dissémination de virus, d’agents pathogènes qui importaient finalement. Et on a eu notamment deux très grandes pandémies.
Une présupposait la peste d’Antonine, une sorte de variole qui a énormément fragilisé les empires, qui a tué on estime à 7 millions de personnes. à peu près un quart des soldats romains. Donc évidemment, en gros, une fragilisation importante de la sécurité de l’Empire.
Et là, on voit qu’à ce moment-là, d’ailleurs, les ennemis de l’Empire progressent, descendent, notamment sur la frontière du Danube, à la faveur de cette fragilité des troupes romaines et de la société romaine qui est lourdement impactée par cette épidémie. et puis il y en a une deuxième qui achève complètement on considère que la première c’est finalement celle qui est responsable la peste antonine qui est responsable qui accélère la chute de Rome mais malgré tout celle qui achève complètement le processus c’est la peste bubonique dite justinien au 6ème 7ème siècle j’ai une mauvaise mémoire tout d’un coup et qui là aussi qui entraîne un très fort taux de mortalité et donne un point final à l’Empire romain, accélère la dislocation et la disparition de l’Empire romain. Et surtout, cette fragilité de l’Empire facilite à ce moment-là la progression de tous les ennemis de l’Empire, les anglo-saxons, les slaves, les perses, etc.
Et c’est assez intéressant parce que, quand on a regardé d’où venait… En l’occurrence, la plaise bubonique a été transmise, c’est une zoonose, c’est exactement comme le Covid-19.
Là, elle a été transmise par des fouineurs ou des rongeurs sauvages, qui l’ont transmise au rat noir, qui lui-même l’a transmise à la puce, qui elle-même l’a transmise à l’homme. C’est l’origine de cette épidémie.
Ce qui est tout à fait étonnant, c’est qu’on a découvert qu’elle était arrivée par bateau depuis la Chine. Donc évidemment, ça fait tellement écho à quelque chose que nous vivons, surtout qu’on considère finalement que quand l’Empire romain est à son apogée, à peu près au IIe siècle, on est dans une première forme de mondialisation.
Il y a tellement d’analogies avec ce que nous vivons aujourd’hui, au point même, d’ailleurs c’est assez amusant, enfin amusant, oui, si on peut dire, c’est qu’on a découvert que l’évolution des Huns vers le sud de l’Europe, qui ont poussé devant eux les Ostrogoths et les Ouizigos, et bien c’est au départ, elle est liée à une sécheresse dans les steppes asiatiques et qui elle-même était liée au fameux refroidissement que j’ai évoqué tout à l’heure. Et donc, finalement, ces barbares, ces hordes de barbares, comme on trouve dans nos livres d’histoire, n’étaient finalement que des réfugiés climatiques, les premiers réfugiés climatiques.
Tout ça pour dire que, qu’est-ce que nous raconte cette histoire ? Au-delà de l’analogie, évidemment, qui est tout à fait troublante, moi, ce qui me frappe, et ce qui devrait nous éclairer avec cet épisode historique, et on peut en trouver d’autres, parce que si on va regarder la chute de la civilisation Khmer, la fin de la civilisation Maya, de l’île de Pâques, etc., on retrouve toujours cette combinaison de surexploitation des ressources, de modification de l’environnement par l’homme, et de phénomènes épidémiques.
Et de crise sanitaire. Donc on voit bien.
Ce mécanisme-là, et ce qui me frappe moi, c’est que ça fait 2000 ans que ça dure, et 2000 ans qu’on est dans le déni total sur le fait que la nature n’est pas un objet, mais elle est un sujet qu’on ne peut pas la plier à nos modèles économiques, à nos désirs de croissance, et tout simplement parce qu’on ne négocie pas avec la nature. C’est elle qui aura le dernier mot, et on ne négocie pas avec la nature.
Et cette difficulté de l’homme à comprendre, à s’inscrire dans un rapport à l’environnement et à la nature, qui ne soit pas un rapport de domination, me trouble beaucoup. Parce qu’en réalité, notre survie dépend de notre capacité à nous adapter à la nature, et non pas l’inverse.
C’est le premier renseignement de cette histoire de la chute de Rome qui me paraît extrêmement intéressant. Le deuxième, c’est que ça confirme ce qu’on voit aujourd’hui, c’est la nature systémique.
C’est-à-dire que notre sécurité, notre santé, notre développement sont intimement liés, sont intrinsèquement liés à la qualité de l’environnement. Et donc cette nature systémique devrait aussi nous aider à réfléchir sur la façon dont aujourd’hui on doit faire évoluer notre civilisation, pour qu’elle soit compatible finalement avec la biosphère.
Et puis la troisième chose que ça nous révèle… Et c’est ce que je disais tout à l’heure, c’est que les Romains ne savaient pas, les Pasquans ne savaient pas, les Khmer ne savaient pas.
Ils n’avaient pas les connaissances que nous avons aujourd’hui sur les impacts d’un changement climatique, sur les impacts du déboisement ou de la déforestation. Ils ne connaissaient pas tout ça, donc on peut dire qu’ils ont subi ce qu’ils ont provoqué, mais en non-connaissance de cause.
Alors que nous, ce qui est tout à fait troublant, c’est qu’on le fait en connaissance de cause. Et qui nous dit bien qu’une fois de plus, on est bien dans une question civilisationnelle.
On n’est pas dans une question… Ça va au-delà des ajustements à la marge qu’on envisage aujourd’hui. Le troisième épisode, ça serait peut-être celui de la Renaissance, puisque je ne connais pas très bien.
Mais moi, ce qui me frappe dans la Renaissance, c’est deux choses. C’est que d’abord, ça s’appuie sur un petit nombre de personnes.
Et donc, ça va provoquer un changement majeur en Europe, alors qu’il est porté au départ par peu de personnes. Donc ça, ça donne l’espoir déjà.
D’une manière générale, les grands épisodes historiques, même les révolutions et choses comme ça, elles n’attendent pas un moment où une majorité de personnes sont convaincues du nouveau sens qu’il faut donner à l’histoire, mais c’est toujours emporté au départ par une minorité, mais qui arrive à trouver, à faire effet de bascule. Et ce qui est intéressant dans la Renaissance, c’est que ça procède de deux choses principales.
La première, c’est qu’ils se sont appuyés finalement sur l’imprimerie pour diffuser. C’est-à-dire que tout d’un coup, il y a un outil qui permet de diffuser une information, en l’occurrence, une nouvelle représentation du monde.
Donc, il y a un aspect, finalement, technologique, d’une certaine manière, en tout cas technique. Et cet outil-là, nous l’avons, avec les nouvelles technologies, avec Internet en particulier, avec les mobiles.
Donc, on a le même outil, on a l’équivalent de la révolution. La révolution apportée par Internet, on peut faire une analogie avec celle apportée par l’imprimerie, avec un plus grand accès à l’information, à la culture, par le plus grand nombre.
Et l’autre chose qui est intéressante dans la Renaissance, c’est qu’est-ce qu’ils diffusent ? Ils diffusent une autre représentation de l’homme.
En fait, c’est les débuts de l’humanisme et les formidables capacités qu’a l’homme d’agir, et d’agir pour le mieux. et en s’appuyant sur la connaissance, notamment. C’est magnifique.
Et donc, moi, ce que je peux espérer au mieux pour le monde, c’est qu’on soit finalement à l’aube d’une renaissance. Et ça serait la meilleure issue possible pour l’humanité aujourd’hui.
Est-ce qu’on en est capable ? Mais en tout cas, c’est un épisode historique qui rassure sur la capacité que finalement, une minorité peut arriver à faire basculer le monde à partir en diffusant une autre vision.
Et c’est exactement l’enjeu aujourd’hui. C’est qu’il faut qu’on nous arrivions à diffuser et à partager une vision de ce que pourrait être le monde dans un autre modèle qui n’est pas celui que nous connaissons, mais pour autant où l’homme a toute sa place et dans cette vision, où la nature a toute sa place aussi avec l’homme et non pas contre l’homme.
Thomas Gauthier
Alors en dressant ce dernier parallèle entre la renaissance et la renaissance contemporaine que vous appelez de vos voeux, ça m’amène naturellement vers la troisième et dernière partie de notre échange. On s’est parlé beaucoup futur, on vient avec vous de se remémorer des temps passés.
Revenons-en si vous le voulez bien au présent et plus particulièrement aux formes que prennent vos interventions dans le monde. Est-ce que vous voulez bien maintenant ? avec nos auditrices et nos auditeurs, partager quelques façons, bien à vous, individuelles, collectives, j’imagine qu’il pourra être question de vos projets en cours, d’agir dans vos communautés, à vos échelles, pour peut-être concourir à cette nouvelle renaissance dont vous venez de parler.
Virginie Raisson-Victor
Alors la première, enfin moi j’ai commencé, d’abord ça fait, j’allais dire, l’engagement et… Je n’ai jamais pensé que c’était des engagements d’ailleurs, mais quand je pars pour Médecins sans frontières pendant des années, où j’accepte de travailler pour le GIEC des Pays de la Loire, des choses comme ça, je le fais par sentiment profond que c’est ce que je dois faire.
Et parce que j’essaye d’aligner mon activité sur ma pensée. Donc ça, c’est la première chose.
Mais j’allais dire, ce n’est pas le plus difficile. Le plus difficile, c’est presque… d’aligner sa vie, son mode de vie sur ses connaissances.
Être aligné entre sa pensée et son action, d’être en cohérence, moi je ne trouve pas ça extrêmement difficile. Enfin du moins c’est difficile, mais pas pour les raisons, pas personnellement c’est difficile parce que…
On peut se retrouver face à des publics ou des situations qui résistent, évidemment, à ce qu’on propose comme solution, comme piste de réflexion, etc. Donc ça, oui, c’est difficile ponctuellement. Ça peut être difficile aussi matériellement, parce que l’engagement produit souvent beaucoup de précarité.
Le militantisme, ce n’est pas… Et je ne parle pas de militantisme idéologique, je parle vraiment d’une forme de préoccupation. humaniste qui voudrait que le monde tourne bien, tout simplement, et d’essayer de porter cette vision du monde le plus largement possible. Là où c’est donc plus difficile, c’est aligner son mode de vie sur ce qu’on sait.
Ce qu’on sait, c’est la finitude des ressources, ce qu’on sait, c’est la pollution, c’est le recul de la biodiversité, c’est le réchauffement climatique, etc. Et quand on a trois enfants…
Comme beaucoup de gens, c’est tout à fait normal d’aspirer à un certain confort, à certaines facilités aussi qui nous sont offertes. Et donc, tout d’un coup, on nous explique que ce mode de vie-là, qui a été promu par la publicité, par la représentation, par le cinéma, par des modèles d’assurance, il y a des tas de façons de jalonner une vision du monde idéal.
Dans le monde idéal, on va prendre ses vacances à Bali, on a tel type de vêtements, on change de téléphone portable tous les deux ans parce qu’il y a des progrès technologiques, etc. Sortir de cette représentation-là de manière volontaire parce qu’on sait que ça n’est pas tenable alors qu’on a les moyens d’y accéder, c’est très compliqué.
Et alors moi, il se trouve qu’il y a eu une épreuve de la vie qui m’a, entre guillemets, beaucoup aidée. c’est-à-dire la perte de mon mari, et qui fait que tout d’un coup, les revenus chutent de manière drastique, les revenus du foyer, et puis tout l’équilibre familial, et de toute façon, la vie qu’on avait ne tenait plus. Tout ce sur lequel reposait, la construction familiale sur laquelle reposait nos projets, nos envies, nos désirs, notre quotidien, tout ça disparaît.
Et on arrive à ce moment-là dans ce qu’on appelle un processus de deuil. Et le processus de deuil, on voit bien, il y a d’abord cette espèce de sidération, et je pense qu’on en est encore là, pas moi, mais à l’échelle mondiale, face à ce qui est en train de nous arriver.
C’est extrêmement difficile à percevoir, à admettre, à reconnaître. Ensuite, il y a la colère, évidemment, le déni, la colère.
Après, il y a le marchandage. Je veux dire qu’on…
On voit comment est-ce qu’on pourrait continuer, malgré tout, à préserver l’avant. Puis à un moment, on se rend à l’évidence que ça ne fonctionne pas.
Et alors moi, ça a été très rapide, parce que quand il s’agit de ressources, de toute façon, il faut s’adapter très vite. Et donc le deuil, ce deuil d’une vie d’avant, finalement, qui m’a été imposé par le décès de mon mari, m’a énormément aidée à questionner et à refaire des choix.
C’est-à-dire qu’à un moment donné, il fallait faire des choix sur… Comment on vivait, avec quoi, où, etc.
Et j’ai essayé de faire ça le plus possible avec mes enfants pour les accompagner dans le changement, parce que c’est des changements importants, mais déménagement, plus de voiture, moi j’avais changé mon régime alimentaire, les vêtements, c’est que du deuxième main, pour les cadeaux, on ne fait plus que des cadeaux immatériels, etc. Et tout ça, toute cette adaptation-là, on me l’aurait proposé comme choix avant, je ne suis pas sûre que j’y serais allée.
Là, il y a eu un tel niveau de contrainte et une telle nécessité, une urgence d’adaptation pour la survie, que ça a facilité cette réflexion et ces choix que j’ai faits. Mais ma vie d’avant était tellement bien que je ne suis pas sûre que je l’aurais fait aussi rapidement que j’ai pu le faire.
Et puis maintenant, je peux dire rétrospectivement que, mon Dieu, quel bonheur d’être passée par là, au sens où il y a des tas de choses qu’on a explorées et que je vis aujourd’hui que je n’aurais jamais pu vivre autrement. Et donc, ça ne veut pas dire que je ne suis pas nostalgique ou que je ne retournerai pas au monde d’avant pour des tas de raisons évidentes.
Mais pour autant, je peux vérifier, je peux témoigner qu’un après très différent est porteur d’autres découvertes, d’autres explorations, d’autres plaisirs, des moments difficiles, mais il y en avait aussi avant, etc. Et cette expérience-là, moi, elle m’aide beaucoup.
Elle m’aide beaucoup parce que vraiment, j’ai dû… par la force, aligner mon mode de vie à une réalité qui auparavant a été une réalité plus ou moins consciente et là qui s’est imposée à moi de manière très brutale et que j’ai prolongée à titre personnel sur le cadre de vie, le mode de vie, etc. en alliant ça avec les connaissances que j’avais sur l’impact de mon régime alimentaire sur le monde, l’impact de mes mobilités, etc. Ce n’est pas parce que mon mari est mort que j’ai arrêté d’avoir une voiture, évidemment.
Mais c’est la situation de changement dans laquelle le deuil m’a mise. ma conduite finalement, ma facilité, le travail d’alignement. Et on vit beaucoup mieux quand on est aligné. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des renoncements qui sont très compliqués.
Moi, j’en ai un qui est très dur. Ce n’est pas la viande, ce n’est pas la voiture, c’est le voyage.
Depuis toujours, la découverte du monde, l’exploration du monde, pour moi, je ne sais pas comment dire, c’est un moteur. Et m’en trouver privée, aujourd’hui, c’est très dur.
Vraiment, ça me manque. J’ai habité beaucoup à l’étranger, j’ai notamment beaucoup habité en Asie.
Le fait de ne plus aller en Asie, je pourrais d’ailleurs, mais de ne plus y aller par choix, c’est compliqué. Mais quelle satisfaction de savoir que c’est possible.
Et donc ça, souvent je me pose la question, mais comment est-ce qu’on accompagne finalement les gens, enfin on massifie le deuil, est-ce qu’il n’y a pas finalement une forme de deuil collectif qu’on devrait faire, organiser d’une certaine manière, pour faciliter, parce que de toute façon il va être fait. L’inflation qu’on va connaître dans les prochaines années, probablement, des choses comme ça, on peut faire l’analogie.
Tout d’un coup, on se retrouve privé, de facto, de tas de choses auxquelles on avait accès auparavant. Mais c’est quand même mieux de le choisir que de le subir.
Et donc, tout le défi, il est là. De faire le deuil avant que le changement s’impose à nous.
Voilà pour la première façon que j’ai eu d’agir. Après, je constate une grosse difficulté de notre démocratie à s’accommoder de cette transformation nécessaire et des arbitrages qu’elle engage.
Ce que je veux dire par là, c’est que mine de rien, les politiques d’atténuation et bientôt celles d’adaptation vont imposer, un petit peu comme ce qui s’est passé pour le confinement ou au moment de la guerre en Ukraine sur l’énergie, vont imposer des renoncements. On peut appeler ça renoncement, on peut appeler ça un choix.
Enfin, de fait, il va falloir faire avec moins. Et tout ça pour un résultat et un bénéfice que nous ne percevrons pas rapidement.
Et peut-être que nous ne percevrons pas du tout parce que, pour certains, l’inertie climatique, l’évolution, l’impact climatique, ça ne se mesure pas forcément là où on vit, puisque c’est un phénomène global. Et puis en plus, même si aujourd’hui on a arrêté toutes les émissions, on sait que le climat continuerait de se réchauffer pendant quelques années.
Et donc c’est très frustrant de se dire, moi je vais faire des efforts. pour des résultats que je ne percevrai pas de mon vivant ou que d’autres percevront, etc. C’est un peu moins le cas pour la biodiversité, parce que la biodiversité, on peut avoir un impact assez rapide à l’échelle locale, sur certains aspects en tout cas.
Et donc, politiquement, c’est très difficile à porter ça. En plus, on est sur des sujets complexes.
Il faut arriver déjà à assumer ça, et en plus, on est sur des choses systémiques, complexes, ce qui fait qu’on arrive très vite. Alors moi, je l’ai quasiment à chacune de mes interventions, mais pourquoi est-ce que moi je ferais des efforts si les Chinois n’en font pas ?
Et donc ça, pour la démocratie, c’est d’autant plus difficile qu’un élu, en gros, il a 3, 4, 5 ans pour démontrer que sa proposition est la bonne et montrer les résultats s’il veut être réélu. Sinon, s’il ne montre pas les résultats, en gros, il sacrifice sa carrière.
Parce qu’on lui dit, vous avez fait des promesses, vous avez demandé de faire tel et tel effort pour des résultats qui ne sont pas là. Et donc, c’est complètement contradictoire.
C’est-à-dire que la temporalité de nos pratiques démocratiques, elle ne coïncide pas du tout avec la temporalité écologique. et systémique. Et donc c’est là où on voit qu’il ne s’agit absolument pas de renonce à la démocratie, je suis fortement attachée et inquiète d’ailleurs de voir qu’on la grignote, mais pas pour des raisons écologiques, contrairement à ce qu’on entend beaucoup, plutôt pour des raisons sécuritaires ou plutôt la perception de ce qu’est l’insécurité.
Mais donc pour aider les élus dans le cadre de nos pratiques démocratiques, il me semble qu’il y a des choses qui peuvent être faites sur le modèle de la Convention citoyenne pour le climat. c’est-à-dire des formes de conférences de consensus où on rassemble finalement les intéressés, les parties prenantes, on leur délègue le fait de faire des propositions sur lesquelles les élus se prononceront. Et on peut espérer que les propositions soient plus facilement des propositions d’intérêt général puisqu’elles vont être formulées par des gens, une population réduite, à échelle réduite, mais d’intérêt hétérogène, etc.
Mais à partir du moment… où ils formulent quelque chose de collectif, on peut imaginer que ce sera plus facilement d’intérêt général. Et donc porter ces propositions-là aux élus pour finalement faciliter le choix des élus.
Et en plus, on peut imaginer aussi que ces propositions soient construites à partir des faits scientifiques. Il n’a pas été beaucoup le cas depuis 30 ans, moins sans faux.
Et donc, constatant cette difficulté de la démocratie pour des raisons de temporalité et cette difficulté d’appropriation aussi par les parties prenantes et la population, ce qui s’est passé pour la Convention citoyenne, c’est-à-dire que les propositions ont été détricotées au moment de la consultation préparatoire à la loi, au projet de loi. Et donc, c’est comme ça qu’est un peu venue l’idée du grand défi des entreprises pour la planète que j’ai cofondé avec Jérôme Cohen.
L’idée c’était vraiment de constater que les entreprises, évidemment, avaient un rôle central dans la transition écologique, dans la transformation de l’économie qu’il nous faut opérer pour décarboner notre économie, mais aussi l’adapter, parce qu’évidemment il faut qu’elle continue de faire vivre la population. Et donc, voyant qu’on était sur un phénomène systémique et qu’il était très important… que les premiers concernés soient co-auteurs de ces propositions pour mieux se les approprier et les mettre en œuvre, on a décidé de proposer une réplique adaptée, j’allais dire de la Convention citoyenne pour le climat, aux entreprises.
Donc ça a consisté à d’abord organiser une grande consultation des parties prenantes, c’est-à-dire aussi bien de salariés, de dirigeants, de jeunes, de syndicats, de territoires, tous les parties prenantes de l’entreprise d’une manière ou d’une autre. et de les interroger. On a fait une grande consultation sur les freins et les leviers finalement à la transformation des entreprises.
Et sur la base de ce diagnostic, on a engagé un processus très proche de celui de la Convention citoyenne qui a consisté à d’abord tirer au sort une centaine d’entreprises qui étaient représentées par un délégué, lequel délégué était soit un salarié, soit un dirigeant, soit un actionnaire, de telle manière à ce qu’on ait vraiment représenté dans les discussions toute la diversité. des positions au sein de l’entreprise, mais aussi des entreprises elles-mêmes, puisque les entreprises ont été tirées au sort sur la base de critères à la fois géographiques, sectoriels, la taille de l’entreprise et puis, il m’en manque un, le statut de l’entreprise. Et donc, sur la base de ces différents critères, on avait un groupe d’une centaine de personnes extrêmement diverses dans leurs intérêts, dans leurs motivations, dans leurs visions, et qui ont pu recevoir une formation.
Ils ont été réunis six fois deux jours, plus des travaux entre les sessions. Une formation préalable sur les enjeux, sur les faits, par des scientifiques, mais aussi par des experts en économie notamment.
Et puis à partir de là, on a mis en œuvre des ateliers en intelligence collective. D’abord pour bien comprendre les leviers, les enjeux, ensuite les freins, les leviers. avant de passer à la formulation de propositions.
Et donc, c’est ça le grand défi. Et ce qui m’a beaucoup frappée dans ce processus, qui a donc conduit à l’élaboration d’une centaine de propositions, des propositions dont certaines s’adressent directement aux entreprises, peuvent être mises en œuvre directement par les entreprises, et d’autres appellent plutôt à faire évoluer la loi, la réglementation, pour faciliter cette transition des entreprises.
Ce qui m’a beaucoup frappée dans ce processus, au-delà de la qualité même des propositions, j’avoue, et qui a été saluée de part et d’autre, après on est d’accord ou pas d’accord, mais en tout cas la qualité même, le sérieux, la mesure d’impact, la mesure de difficulté de ces propositions, c’est quand même assez bluffant parce qu’en six fois deux jours, d’arriver à de tels résultats, certes on a été appuyé par des experts, mais vraiment les 100 délégués étaient complètement souverains. et aller chercher l’expertise dont ils avaient besoin, mais c’est-à-dire qu’on ne leur donnait pas l’expertise en amont, c’est eux qui allaient la réclamer si besoin au moment de l’élaboration des propositions. Et donc ce qui m’a frappée, c’est deux choses.
C’est l’impact de la formation, c’est-à-dire qu’à partir du moment où on délivre des connaissances, des données de manière pédagogique et claire, et de manière assez approfondie malgré tout, très rapidement le collectif s’est créé. C’est-à-dire qu’on avait, comme je disais, un public qui était très hétérogène dans ses connaissances, dans son intérêt, dans sa vision. À l’issue des deux premiers jours déjà de formation, d’acculturation aux problématiques, on avait un collectif qui s’est soudé autour du diagnostic et des enjeux.Et c’est là où on est passé du fameux, je ne sais pas si c’est le déni, mais en tout cas, on était à la prise de conscience, et là, il y a eu un déclic, une espèce de sursaut, en disant, là, il y a un problème, on va le résoudre ensemble.
Oui, ça crée du collectif. La connaissance crée du collectif.
D’abord, c’est un très bel enseignement, et ça rassure un peu, et c’est extrêmement puissant. Et c’est quelque chose qui a été constaté, d’ailleurs, par la Convention des entreprises pour le climat, par la Convention citoyenne, et d’autres.
On voit bien que finalement, une formation, et je ne parle pas de la fresque du climat, je parle d’une formation vraiment, peut conduire à faire basculer finalement, à basculer de la plus ou moins grande consciensibilisation à l’action. Donc ça, c’est la première chose.
Et moi, j’étais incapable de dire au bout de deux jours qui était salarié, qui était dirigeant et qui était actionnaire. L’intérêt commun a été trouvé grâce à l’information.
La deuxième chose, c’est la puissance de l’intelligence collective. Et j’avoue que ça, pour moi, ça a été une vraie surprise, parce que je n’avais pas beaucoup pratiqué ça jusqu’à présent.
Et au début, j’étais même très préoccupée, parce que j’ai pris la métaphore du vol des tourneaux. Vous savez, un vol des tourneaux, au départ, les tourneaux, ils sont dans les arbres, ça piaille dans tous les sens, c’est désordonné.
Et à un moment donné, on ne sait pas pourquoi. Enfin, si, il y a des explications, mais moi, je ne les connais pas.
Il y en a un qui s’envole, le reste suit, et tout ça est parfaitement organisé et arrive à faire des dessins et des mouvements absolument incroyables. C’est ça, l’intelligence collective.
C’est une espèce de brouhaha, de désordre, ça part dans tous les sens, et à un moment, quelque chose se dessine, et c’est puissant, c’est vraiment très puissant. Donc, je trouve que ça, ce sont deux bonnes nouvelles pour nos démocraties et pour le changement.
C’est-à-dire qu’il y a des moyens efficaces. Alors, la difficulté qui reste, et on l’a mesurée aussi dans le Grand Défi, c’est c’est le passage à l’échelle.
Là, on a touché une centaine de personnes, la convention citoyenne, c’était 150 personnes. Et ceux qui n’y ont pas participé ne sont pas dans cette même dynamique.
On a vu, quand on a présenté les propositions du Grand Défi à nos parties prenantes, qui étaient les partenaires, donc c’était des associations de dirigeants, des collectifs, des territoires, des collectivités territoriales et d’autres, il y a eu une difficulté d’appropriation des propositions et on voyait bien qu’elles étaient très fortement liées à la connaissance systémique qu’avaient déjà acquis les délégués du Grand Défi et ceux qui n’étaient pas à ce stade-là et qui étaient parmi les partenaires. Et donc ça, pour moi, il y a une énorme difficulté aujourd’hui, c’est comment est-ce qu’on arrive à diffuser ces connaissances de manière assez approfondie pour qu’elles soient efficaces.
Il faut aller au-delà de la sensibilisation. Et puis, comment est-ce qu’on arrive à créer du collectif ?
Parce que le collectif à 100, c’est possible. Le collectif à 60 millions, c’est quand même plus compliqué.
Je pense que l’échelle des territoires est une très bonne échelle. Les collectivités et les territoires, c’est la bonne échelle de changement, finalement, pour créer des collectifs qui aient assez d’impact, parce qu’il faut avoir de l’impact pour continuer dans l’action et dans l’engagement, mais qui soient encore faisables dans un nombre raisonnable. une dimension raisonnable.
Donc voilà les enseignements que je tire du grand défi. Et maintenant, ce qui est génial, c’est que moi, j’ai pris un peu de recul parce qu’il y a d’autres activités, etc. et que les propositions ont été lancées.
Et ce qui est incroyable, c’est que les délégués, tout ce groupe-là, ils sont dans une dynamique qui est élargie, ils essaiment et ce sont eux les ambassadeurs, ce ne sont plus les cofondateurs. C’est eux qui sont les porteurs du projet.
Et l’autre chose… Moi, ce que ça me donne envie de faire, c’est que ce processus dont on a vérifié la robustesse et l’efficacité, j’ai envie de le porter sur d’autres sujets, d’autres thèmes, à d’autres échelles.
Parce qu’une fois de plus, je trouve que c’est une très bonne béquille pour les élus, pour leur faciliter le travail. Et là où certains ont perçu que c’était leur job, non, en fait, c’est pour les accompagner.
Parce que c’est un collectif qui s’est emparé des données scientifiques pour les transformer en propositions. Pour moi, c’est un terrain d’action qui a été passionnant, qui est passionnant.
Et puis l’autre, aujourd’hui, que je poursuis, c’est que je suis donc présidente du GIEC des Pays de la Loire, c’est-à-dire d’un collectif qui est sans rapport avec le GIEC international, qui est donc une initiative de la région régionale de créer un comité scientifique, à la façon un peu du GIEC international. de scientifiques, mais simplement interdisciplinaires, parce que nous, on n’a pas que des climatologues et des hydrologues, on a aussi des gens issus des sciences humaines, des sciences économiques. Ce collectif qui réfléchit de la même façon à l’impact du changement climatique sur nos territoires, sur la base des scénarios du GIEC international, et à la vulnérabilité de la région face à ces changements climatiques, pour ensuite éclairer, évidemment, la décision des acteurs du territoire. dans les processus d’atténuation et d’adaptation.
Pour moi, c’est un engagement, en plus un travail bénévole, mais c’est une façon pour moi de continuer à, d’essayer en tout cas, de contribuer à ce que je pense souhaitable pour la collectivité. Donc à travers l’éducation de mes enfants, à travers le Grand Défi, à travers… à travers le GIEC des Pays de la Loire.
Et puis, j’aimerais beaucoup… Il y a des tas de questions que j’ai un peu évoquées dans ce podcast que j’aimerais creuser aujourd’hui.
Et donc, je rêverais de pouvoir reprendre la plume, ou plutôt le clavier d’ailleurs, pour les creuser, comme je l’ai fait par le passé. Mais ça, ça demande du temps et des moyens que pour l’instant, malheureusement, je n’ai pas.
Mais sinon, c’est… Là, j’ai beaucoup travaillé sur la diffusion, sur le partage, mais j’aimerais recapitaliser en allant plus sur la réflexion. Ça me manque un peu, ça.
Thomas Gauthier
Alors à travers cet échange, on a alterné entre l’universel et l’intime, on a alterné entre le temporel et l’intemporel, on a alterné entre le local et le global, les futurs, les passés et les présents. Beaucoup d’enseignements et certainement encore plus de questions que vous avez mis en mots durant tout cet échange.
Merci infiniment Virginie pour le temps que vous avez consacré au podcast.
Virginie Raisson-Victor
Je vous en prie, merci à vous.