Il y a parfois des sujets qui vous tournent dans la tête sans vraiment savoir pourquoi, et celui des signaux faibles ne fait pas exception à la règle. On s’y prend à y penser dans le train, en faisant du sport, et comme pour mieux vous provoquer, celui-ci arrive également comme question de manière répétée lors de différentes réunions : “Comment détectez-vous et utilisez-vous les signaux faibles ?”.
Sous son apparence simpliste, cette question est en fait passablement complexe, et l’importance que l’on veut donner à ce que l’on appelle un “signal faible” m’a toujours fait sourire.
D’une manière légèrement humoristique, je vais essayer donc de vous présenter mon opinion qui ouvrira je l’espère la porte à des feedbacks de votre part.
Pour ce faire, voici mes considérations de manière logiques tout en sachant qu’elles seront réfutables en fonction du travail d’anticipation à effectuer.
Sur le signal faible
Cela est tout de même fantastique que les deux mots “signal” et “faible” conjugués ont fait leur entrée dans Wikipedia et vous en trouvez la définition ici. Comme quoi on arrive tout de même à théoriser beaucoup de choses…. À quand “thé glacé” ? Ups… Il y est aussi 🙂
Bref, sur la notion de signal faible se posent tout de même deux questions assez logiques:
- Un signal est faible par rapport à quoi ? Tout semble ici très relatif et parfois une tendance définie semble définie à partir d’un fuseau de signaux faibles, mais cette notion de “faible” reste indéfinie avec tout ce que cela comporte.
- Un signal est faible pour qui ? Ce qui est émergeant pour une personne ou dans un secteur ne l’est pas nécessairement pour une autre personne ou dans ue autre industrie. Le récepteur du signal et son usage sont donc primordiaux.
Si on accepte la pertinence de ces questions, cela implique nécessairement que le signal faible dans l’absolu n’existe pas, et que celui-ci l’est toujours par rapport à quelque-chose d’autre et dans un contexte donné.
Il y a bien des choses qui émergent, sont nouvelles et peuvent être citées, mais à nouveaux hors de tout contexte cela reste une liste d’éléments dont il faudra encore comprendre leur utilité et dont la connaissance de leur existence aura un impact limité sur le travail prospectif. A moins que le travail prospectif ne réside justement dans la compréhension de ce à quoi ces éléments pourraient servir. Mais là c’est leur nombre qui, hors de tout contexte à nouveau, montrerait l’absurdité de la tâche.
Dans un cycle d’analyse, tout signal faible devrait également pouvoir se différencier du bruit créé par des occurrences sans avenir, le but étant toujours de se focaliser sur un nombre restreints de signaux faibles “prometteurs”. Là aussi, avec un sourire aux coins des lèvres, je me demande si un signal faible “qualifié” peut-il être toujours qualifié de “faible” ?
Je m’égare sans doute un petit peu, mais vous avouerez que sans contexte la question “Qu’observez-vous comme signaux faibles” perd petit à petit de son panache.
Comment détecter un signal faible ?
Plus l’environnement sera bruyant, plus le signal faible sera difficile à identifier. Vous ne pourrez l’identifier que si vous captez de celui-ci une quantité de signal suffisant pour le traiter de manière à fournir une information intelligible.
Cela signifie que soit vous avez du temps à disposition et vous accumulez le signal nécessaire sur la durée, soit vous avez une idée précise de ce que vous souhaitez mesurer et vous allez placer votre sonde à un endroit précis afin de mesurer l’intensité du signal.
Cette dernière façon de procéder peut consister à considérer la valeur d’indicateurs, alors que la première prône plus l’observation du réel et de ses changements.
C’est à mes yeux ici que les objectifs de la veille et de la prospective divergent et se complètent, même si les frontières restent floues.
Il y a naturellement une multitude de méthodes et d’outils plus ou moins informatisés qui vous permettront d’obtenir une liste d’éléments que vous pourrez appeller “signaux faibles” telle que le document de la commission européenne ici présent. Un tel document m’a toujours impressionné de part la quantité de termes et de notions qui me sont inconnus; s’il m’apprend de nouveaux noms liés à quelques données statistiques, la partie la plus intéressante est pour moi l’annexe – de la page 106 à la page 145 – cela fait tout de même un nombre certains de signaux qu’il faudra ensuite prioriser et suivre dans le temps.
C’est en fait la première réponse à la question du “Comment”. De manière très pragmatique, n’hésitez pas à utiliser le travail et les signaux des autres ! Pour celles et ceux qui sont familiers avec le contenu du site, cette attitude ne sera pas nouvelle et elle permet de se focaliser à moindre coûts sur la création d’une valeur ajoutée par rapport à votre contexte.
Ce qui est également intéressant est de considérer des changements d’habitudes ou de façon de faire provenant d’autres lieux géographiques.
Prenez par exemple le fait que certains commerces n’acceptent plus l’argent en espèces.
Le phénomène est naturellement différent en fonction de la ville ou du pays dans lequel vous vous trouvez, mais quel est ici le signal faible?
Il peut être multiple en fonction de qui vous êtes :
- le client pour qui cela peut créer une changement d’habitude;
- le commerce qui pourrait y voir un avantage du point de vue de la sécurité mais un inconvénvient car son bénéfice se verra amputé d’une commission (qui éventuellement se répercutera sur le client?);
- les banques qui voient des pratiques changer (espèces vs cartes), ou toujours les banques, mais en voyant des acteurs comme Apple et Samsung pouvant se présenter comme de futurs concurrents ?

Ces changements d’habitudes, ces signaux, peuvent également venir d’autres industries et vous aurez à coeur de traduire ce que cela signifie pour vous.
En revenant à notre exemple, le fait que les commerces offrent de plus en plus de facilités pour écouler l’argent digital signifie une porte de passage du monde physique au monde digital (jeux vidéos, réseaux sociaux, etc) et pourquoi pas également entre des mondes – au pluriel. Que ceux-ci soient réels ou non n’importe plus, moyennant une communauté suffisamment grande, une nouvelle version d’échange ou de “troc” peut voir le jour avec toutes les dérives potentielles que cela implique (rappelez-vous l’histoire de la Tulipomanie !)… Mais je crois que je m’égare à nouveau…
Cependant, si vous êtes l’un ou l’autre de ces acteurs, ce changement d’habitude sera pour vous un signal faible que vous aurez capté grâce à un voyage, un reportage, une personne vous racontant l’anecdote, etc.
Où je veux arriver est que la détection de ces signaux demande simplement qu’on leur prête de l’attention, qu’on les observe, qu’on se donne le temps d’en faire sens, d’imaginer de possibles usages, de laisser errer votre esprit.
Rien de bien révolutionnaire j’en conviens, mais vous m’accorderez que la posture ainsi que le contenu sont différents de ceux nécessaires à la génération du document cité en amont.
J’ai bien dit “différente” et certainement complémentaires dans de nombreux cas, mais pour la détection d’un signal faible, chercher dans un océan de données ne remplacera jamais ce que vous retirerez par l’observation ainsi qu’en pratiquant l’otium.
Comme souvent ce ne devrait pas être l’un ou l’autre, mais l’un et l’autre. Fort est cependant de constater une croyance démesurée dans le pouvoir de la donnée (data) et de son analyse en des quantités toujours plus vertigineuses.
Si vous êtes arrivés jusqu’ici dans la lecture, je ne peux que vous recommander les deux ouvrages suivants :
Signal faible ou signal fiable ?
Le contexte étant toujours celui de l’usage de signaux pour des travaux prospectifs, je dois vous avouer tout de même une préférence pour les signaux forts appelés aussi “tendances” ou “trends” en anglais et donc des signaux qui ont subit l’évolution de voir deux lettres s’inverser pour passer de faibles à fiables !
Est-ce que Darwin faisait déjà de la prospective? Je laisse volontiers la question ouverte 🙂
Si nous reprenons la notion de signal faible, celui-ci, de part sa définition peut devenir fort, mais il peut également devenir encore plus faible et disparaître. Cela signifie que non seulement la quantité de signaux faibles et gigantesque, mais que potentiellement vous allez construire vos livrables sur du vent, en tous cas pour un certain pourcentage.
Croyez-moi si je vous dit que je suis dans le dernier pourcentage qui pense que cela pourrait causer un problème, en arrivant même à vous justifier pourquoi, mais tout va dépendre des décisions qui seront basées sur votre livrable.
Un signal faible peut devenir fort, mais il peut également devenir encore plus faible et disparaître !
Si vous travaillez dans la sensibilisation, cela peut aller, mais si votre travail sera à la base de la stratégie d’entreprise pour les prochaines années, la mutation du signal en tendance ou sa mort clinique n’auront pas les mêmes impacts ni les mêmes conséquences.
Sortir d’une pensée linéaire et convaincre des décideurs est déjà difficile en présentant des livrables basés sur des tendances dont tout le monde parle (l’impact de l’IA sur telle ou telle industrie par exemple), répliquer la chose avec des éléments incertains dont peu de personnes connaissent l’existence, sans garantie sur la durée de leur existence, représente un défi supplémentaire.
Si cela est fait en toute connaissance de cause, c’est bien entendu une autre histoire, mais c’est là que selon moi nous serions de retour vers la veille d’un thème plus bien précis.

Conclusion
Vous l’aurez compris, la perception d’un signal comme faible est très subjective et contextuelle.
L’isoler le prive à mes yeux de son sens tout comme de la compréhension de son impact.
Il s’agit naturellement de choix d’ingrédients que vous voulez mettre au menu dans votre dispositif de prospective, mais si ceux-ci se résument à des mots plus ou moins étranges dont vous êtes le seul à comprendre la signification, questionnez-vous sur l’impact que vous souhaitez avoir et comment vos parties prenantes sont sensées se les approprier.
A partir d’un signal faible, vous pouvez par contre imaginer pour lui et avec lui des futurs possibles. Mais soyons honnêtes, vous n’aurez aucun indicateur pour savoir quand et si celui-ci se matérialisera. La posture est différente en travaillant avec un signal fiable – ou une tendance – car celui-ci existe déjà belle et bien. Par contre ce que vous projetterez à partir de celui-ci pourrait porter les mêmes incertitudes.
La décision du matériel à partir duquel travailler vous incombera donc finalement, c’est pourquoi d’ailleurs le sous-titre du billet commence par le mot “Considérations” !
Et vous, qu’en pensez-vous ?
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