Q270 | Nous a-t-on menti sur la 4ème révolution industrielle ?

On nous avait tout prédit. Rien ne s’est passé comme prévu.
17 avril 2025
7 mins de lecture

Le titre est un peu provocateur, mais si vous lisez ces quelques-lignes, c’est qu’il aura servi son objectif ! Il y a des publications qui parfois sont incontournables et en 2016, le recueil « The 4th industrial revolution » de M. Klaus Schwab, président du Forum économique mondial (WEF) était l’une d’elles.

Ce qui m’avait le plus intrigué était la structure pragmatique des chapitres dédiés aux changements à venir (Deep Shift) et la présence pour chacun de points de basculement à observer, ou tipping points en anglais. Je trouvais effectivement intéressant et intelligent de fournir des indicateurs permettant d’identifier le passage d’un signal faible à une tendance avérée. C’est également depuis ce moment que j’essaie de l’intégrer sous différentes formes dans les travaux du dispositif de prospective deftech.

La chose la plus surprenante cependant était la ligne qui suivait et indiquait une prédiction pour l’année 2025 relatif au thème considéré. Ces prédictions, tout comme les points de basculement eux-mêmes, sont le résultat d’un sondage auprès de plus de 800 cadres et experts du secteur des technologies de l’information et de la communication et publiées en septembre 2015 dans le document :  Deep Shift – Technology Tipping Points and Social Impact.

Mais où est-ce que je veux en venir ?

Et bien, nous sommes en 2025 et il est donc possible d’effectuer une rapide analyse de ce qui est effectivement devenu réalité! Mais mon intérêt va un peu plus loin car depuis quelques mois me revient toujours la même demande de la part de mes parties prenantes : quel sera l’environnement technologique en 2045 ? Avec humour et variations, je réponds qu’il est facile de fournir une réponse à la question, mais impossible de fournir une réponse correcte !

Pour chaque problème complexe, il existe une réponse claire, simple et fausse.
Couverture du livre "La 4ème révolution industrielle"

De part sa provenance et sa visibilité, un tel document a nécessairement influencé passablement de décisions. Il représentait dans certains milieux, LA référence à partir de laquelle travailler et anticiper. De même on pourrait  imaginer qu’avec un sondage de 800 personnes, l’intelligence collective aurait corrigé des biais éventuels et fait son devoir.

Il est important avant toute chose de se remémorer le monde tel qu’il était en 2015. D’un point de vue technologique, c’était le lancement de l’Apple watch et des montres connectées. L’IA faisait un bond significatif, notamment dans la reconnaissance d’image, de voix et le traitement du langage naturel. Google devenait Alphabet et lançait TensorFlow, sa plateforme d’IA open-source. De nombreux secteurs commençaient à utiliser l’impression additive (3D) et Tesla déployait sa première version d’Autopilot. La technologie blockchain commençait à être explorée pour des usages autres que la monnaie, comme les contrats intelligents et l’espace. Le domaine de l’espace SpaceX réussissait pour la première fois à faire atterrir verticalement le premier étage d’une fusée réutilisable après un vol orbital et Blue Origin confirmait le tournant de l’économie spatiale où les acteurs privés prennent une place croissante. 

Voilà, cela donne une petite idée de l’ambiance qui régnait.

Les points de basculement et leur probabilité en 2025

Voici donc pour les différents domaines considéré les points de basculement tels qu’évoqués. Sur la droite, le pourcentage de personne ayant répondu au questionnaire pensant que celle-ci se réaliseraient d’ici à 2025.

 

10 % des personnes portant des vêtements connectés à l’internet

91.2

90 % des personnes disposent d’un espace de stockage illimité et gratuit (avec publicité)

91.0

1 000 milliards de capteurs connectés à l’internet

89.2

Le premier médecin robotisé aux États-Unis

86.5

10 % des lunettes de lecture connectées à l’internet

85.5

80 % des personnes ayant une présence numérique sur l’internet

84.4

La première voiture imprimée en 3D en production

84.1

Le premier gouvernement à remplacer son recensement par des sources de big data

82.9

Le premier téléphone portable implantable disponible dans le commerce

81.7

5 % des produits de consommation imprimés en 3D

81.1

90 % de la population utilise des smartphones

80.7

90 % de la population ayant un accès régulier à l’internet

78.8

Les voitures sans conducteur représentent 10 % de toutes les voitures circulant sur les routes américaines

78.2

Première transplantation d’un foie imprimé en 3D

76.4

30 % des audits d’entreprises réalisés par l’IA

75.4

Pour la première fois, un gouvernement perçoit des impôts par l’intermédiaire d’une blockchain

73.1

Plus de 50 % du trafic internet vers les foyers pour les appareils et les dispositifs

69.9

Globalement, plus de trajets via le covoiturage que dans des voitures privées

67.2

La première ville de plus de 50 000 habitants sans feux de circulation

63.7

10 % du produit intérieur brut mondial stocké sur la technologie blockchain

57.9

La première machine d’IA au sein d’un conseil d’administration d’entreprise

45.2

 

Le but n’est pas ici d’analyser un élément après l’autre, mais suivant divers échanges humains et digitaux, tels que formulés, seuls 1 voir 2 de ces points de basculement ont été réalisés au moment de la rédaction de ce billet.

Cela peut surprendre tout de même un peu, mais illustre une nouvelle fois la valeur des prédictions. Ne vous méprenez pas, loin de moi l’idée de prétendre en 2015 avoir pu anticiper l’intelligence artificielle générative telle que nous la connaissons aujourd’hui, de la même façon que je reste bien hésitant sur ce à quoi 2045 ressemblera.

 

Mais si les points de basculement prévus ne se réalisent pas, est-ce que cette fameuse 4ème révolution industrielle était bien celle que l’on attendait ?

 

 

Le futur comme élément de propagande

Mon intention était maintenant de trouver une jolie conclusion sur l’impossibilité et l’inutilité de telles prédictions, lorsque je suis tombé par hasard sur cette bande dessinée au titre évocateur « Comment savoir si une étude est fiable ? » dont je vous invite à découvrir ici les pages :

Ayant à disposition les documents sources, je vous laisse tirer vos propres conclusions sur l’objectivité et l’intention du livre.

Je citerai uniquement ce passage (page 66), qui, au vue de la situation actuelle m’a paru succulent et révélateur de l’état d’esprit ainsi que la douce illusion (whishful thinking), appelée parfois biais cognitif, de voir la technologie sauver le monde de problèmes dont elle en est largement la cause.

La quatrième révolution industrielle permettra aux entreprises d’étendre le cycle d’utilisation des actifs et des ressources, d’accroître leur utilisation et de créer des cascades qui récupèrent et réutilisent les matériaux et l’énergie pour d’autres usages, en réduisant les émissions et les charges de ressources dans le processus. Dans ce nouveau système industriel révolutionnaire, le dioxyde de carbone passe du statut de polluant à effet de serre à celui d’actif, et l’économie du captage et du stockage du carbone passe du statut de coût et de puits de pollution à celui d’installations rentables de captage et d’utilisation du carbone. Plus important encore, il aidera les entreprises, les gouvernements et les citoyens à prendre conscience des stratégies de régénération active du capital naturel et à s’y engager, permettant ainsi une utilisation intelligente et régénératrice du capital naturel pour orienter la production et la consommation durables et laisser la place à la biodiversité pour qu’elle se rétablisse dans les zones menacées.

Conclusion

Vous l’avez compris – et c’est cette fois la conclusion 😉 – dans un tel contexte ma position sur les (tentatives de) prédictions est passablement tranchée.  Ce qui à mes yeux est le plus étrange est que l’humain, ayant besoin de certitudes, est prêt à s’en créer, tout en sachant pertinemment qu’elles sont fausses ou que si elles se réalisent, cela ne sera que le fruit du hasard.

Le temps est un juge sévère et l’on voit que la crédibilité de certaines publications peuvent impacter fortement celle des institutions les diffusant.

Soyons donc vigilantes et vigilants dans les sources que nous considérons, réfléchissons sur les agendas se cachant de manière plus ou moins subtile derrière certaines d’entre elles.

Promouvoir un futur plutôt qu’un autre n’est pas anodin car cela va monopoliser des ressources et des énergies qui ne pourront plus être mobilisées pour la construction d’un autre avenir. 

Si pour la planification, les horizons temporels sont importants, je pense qu’il serait plus pertinent de réfléchir aux conditions permettant à ces points de basculement de se réaliser ; de comment ceux-ci sont liés entre eux et de quels seraient leurs impacts combinés potentiels positifs et négatifs. Le travail est certes différent, mais il permet un suivi de la situation au présent de ces conditions. 

En revenant aux fondamentaux de pourquoi nous essayons d’anticiper, c’est simplement pour être prêt : prêt à faire corps avec cette nouvelle réalité quelle qu’elle soit, qui se présentera à nous et sur laquelle nous n’avons que peu d’effet. Cela se fait à partir du présent et en préparant son organisation à pouvoir s’adapter rapidement à tout avènement imprévu. Il s’agit là d’une toute autre posture, aussi bien intellectuelle qu’industrielle, beaucoup plus ancrée dans le réel et moins amatrice de sculpture sur nuages, comme le suggère une certaine couverture !

être prêt : prêt à faire corps avec cette nouvelle réalité quelle qu’elle soit, qui se présentera à nous et sur laquelle nous n’avons que peu d’effet.

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