/

Q205 | Quels avantages de considérer des «degrés d’ambition» plutôt que des «horizons temporels» dans l’établissement de scénarios ?

8 mins de lecture
Source image : gettyimages.fr

S’il est une chose qui suscite toujours en moi un incompris dans la lecture et parfois l’établissement de scénarios prospectifs, c’est cet attachement aux horizons temporels. Si j’en comprends l’intérêt pour une planification, ce qui me surprend c’est que année après année, les scénarios et études intégrant la notion de temps se révèlent faux, imprécis dans le meilleur des cas.

Mais alors pourquoi continue-t-on à vouloir prédire la valeur d’une variable à court terme, moyen terme, long terme, alors qu’aucun modèle statistique connu ne permet de le faire ? Mystère.

C’est la même chose pour les domaines comme la bourse et les assurances, où l’on cherche à anticiper des gains ou des risques, et où votre conseiller se trompe de manière continue mais revient sans vergogne périodiquement avec de nouvelles promesses, qui se révéleront à leur tour tout aussi fausses.

Est-ce notre façon de penser, un biais cognitif humain ou un besoin d’être rassuré qui nous pousse à agir de la sorte ? Le but n’est pas ici de comprendre le pourquoi, mais de proposer une alternative simple.

La notion de temporalité est certes importante, mais ce que l’on essaie de lui assigner est en fait le pouvoir de changer – améliorer ou dégrader – certaines propriétés ou certaines fonctionnalités. 

Or bien souvent, l’évolution ne suit pas un processus défini, quantifiable et modélisable permettant une prédiction fiable. 

De nombreux paramètres jouent un rôle dans le développement pour ne pas parler ensuite de la commercialisation, diffusion et mise à disposition de ces propriété dans un produit quel qu’il soit. Nous sommes en incertitude et ce, dans un monde ou en plus beaucoup de choses évoluent de façon exponentielle.

Représentation des valeurs - ou des états - des paramètres considérés comme évoluant dans le temps de façon linéaire et exponentiel. Sans connaissance du modèle statistique de l'évolution du paramètre, ces valeurs dans le temps ne sont que spéculations.

Des horizons temporels aux degrés d’ambition

Dans l’établissement de scénarios, il est fréquent d’utiliser des horizons temporels, généralement au nombre de 3 (court-moyen-long terme).

Nous proposons comme alternative de substituer ceux-ci avec des degrés d’ambition : réel, continu, idéal.

Ces degrés permettent de représenter les hypothèses de développement selon des capacités actuelles (présentes), des changements linéaires et finalement exponentiels.

Ces horizons ne font pas mention du temps ou de l’époque à laquelle ils seront possibles mais permettent de mesurer et d’estimer la distance, les impacts ainsi que les conséquences par rapport à l’état présent.

Les paramètres sont considérés comme constants dans le temps mais peuvent osciller entre 3 valeurs - ou états - correspondant à des variations linéaires et exponentielles. Cette prise en compte permet de mieux combiner les états et interpréter leurs interactions possible. La notion temporelle intervient dans une seconde étape, une fois les combinaisons les plus intéressantes appréhendées et priorisées.

Très subjectivement, nous y trouvons les avantages et les inconvénients suivants:

Les avantages :

  1. On part du présent, de ce que l’on connaît, ou pensons parfois connaître, mais que l’on oublie souvent de considérer – Le futur est déjà là. Simplement, il n’est pas réparti de manière uniforme.

  2. Permet une compréhension aisée de ce que chaque état d’un paramètre apporte par rapport au précédent.

  3. Permet de considérer aisément des développements se déroulant à des vitesses différentes (Pace layers).

  4. Permet une approche plus systémique (si cela est possible, alors cela devrait l’être aussi, etc. ) – usage par exemple de la futures wheel.

  5. Permet de prendre en compte différentes solutions, innovations, pour un même niveau d’ambition (quelles sont les différentes manières de rendre X possibles).

  6. Permet d’exprimer simplement les combinaisons, ce qu’elles apportent, ce qu’elles nécessitent (si X et Y sont vrais simultanément alors cela permet…).

  7. Permet une formulation et discussion de manière plus compréhensible de l’impact d’un paramètre sur les autres (si X et Y sont à un stade exponentiel, quel est l’impact sur Z ? Est-ce que Z peut se trouver à un autre stade de développement ?).

  8. La notion de verrou (technologique ou autre) est plus facilement identifiable pour passer d’une étape à une autre (Qu’est-ce qui manque pour passer de la valeur linéaire à la valeur exponentielle ?).
  9. Permet un suivi par des outils de veille des états des paramètres au fil du temps.

  10. Les scénarios n’intégrant pas directement la notion de temps, leur validité a théoriquement une durée plus longue.

Les inconvénients:

  1. N’intégrant pas nécessairement de dimension temporelle, cela peut sembler dissocié (dans un premier temps) des objectifs métiers des différentes parties prenantes ?

  2. La représentation graphique de valeurs constantes est nettement moins sexy que des courbes exponentielles.

La notion temporelle intervient dans un second temps, lorsque l’on cherche à comprendre quand l’élément d’un scénario, identifié et considéré comme important, pourrait se produire.

C’est à ce moment que la tentation est d’introduire la notion de maturité par rapport à une technologie (TRL-Technology Readiness Level) ou un produit (il existe naturellement une infinité d’indicateurs de maturité en fonction du contexte d’intérêt – maturité pour l’intégration, pour la vente, etc.).

Ce qui semble souvent oublié est qu’il est plus ou moins facile de mesurer un état à un instant donné, mais qu’il n’existe pas de formule magique permettant de prédire combien de temps il faudra pour passer d’un degré de maturité à un autre.

On peut le supposer en fonction d’expériences similaires, mais si cela se vérifie, la chance y jouera un rôle majeur.

C’est là que le lien avec une activité de veille sur chacun des paramètres prend toute sa signification.

Exemple

Trop abstrait et théorique ? Prenez des produits ou des technologies comme le Métavers, les lunettes connectées, combien de tentatives de lancements commerciaux ont déjà été réalisées, quels montants d’investissements ne seront jamais rentabilisés avant qu’ils soient adoptés par la société dans sa majorité ? Ces produits ont certes déjà trouvé preneurs dans leur forme actuelle dans des marchés de niche, mais certainement pas dans les proportions et dans les délais présentés par de nombreux rapports.

L’exemple de la navigation pédestre est pour moi un exemple d’espoirs jusqu’à maintenant toujours déçus mais qui stimulent continuellement des recherches passionnantes. Le mot “déçus” est peut-être fort, mais je vous assure que les attentes sont là et urgentes depuis plus de 30 ans! En deux mots, l’idéal en navigation pédestre serait de savoir où l’on se trouve, en tout temps, en tous lieux (à l’extérieur comme à l’intérieur de bâtiments), avec et sans signaux satellitaires. Pas simple du tout.

Les différents niveaux d’ambition pourraient ressembler à cela:

  1. (présent) Toute personne peut savoir où elle se trouve avec une degré de précision variable grâce à l’usage de signaux satellitaires (GPS, GLONASS et autres GNSS) ainsi que d’autres signaux d’opportunités via son téléphone portable.
  2. (linéaire) Il est possible à une personne de connaître sa position de manière continue à l’intérieur comme à l’extérieur des bâtiments avec une précision supérieure à 10m.
  3. (exponentiel) Il est possible de connaître la position de chaque personne, en tout temps et tout lieu avec une précision inférieure au mètre.

La différence est subtile si l’on travaille avec des horizons temporels car la formulation peut être très similaire avec juste l’ajout d’une date. Par exemple :

  1. En 2024, toute personne peut savoir où elle se trouve avec une degré de précision variable grâce à l’usage de signaux satellitaires (GPS, GLONASS et autres GNSS) ainsi que d’autres signaux d’opportunités via son téléphone portable.
  2. En 2030, une personne connaîtra sa position de manière continue à l’intérieur comme à l’extérieur des bâtiments avec une précision supérieure à 10m.
  3. En 2050, il sera possible de connaître la position de chaque personne, en tout temps et tout lieu avec une précision inférieure au mètre.

Même si le texte est quasi identique, la présence de la date ajoute me semble-t-il une étape durant laquelle on fait inconsciemment un contrôle de plausibilité de l’énoncé suivant celle-ci. Le fait aussi de devoir associer une date à un énoncé, le bon si possible, crée dès la lecture une surcharge cognitive par rapport aux niveaux d’ambitions. Est-ce bien nécessaire ?

Bien souvent également, pour augmenter la difficulté, c’est à vous de construire les différentes valeurs, même si vous n’êtes pas expert du sujet. Le paramètre en question est simplement indiqué sous forme de question : ”La navigation pédestre en 2024-2030-2050” et c’est à vous de nommer les différences!

Conclusions

Les réflexions ci-dessus ont pour but de fournir une alternative à la présentation de scénarios tout à fait crédibles dans leur fond, mais sans base fondée quant à leur avènement temporel possible. Une méthode allant dans cette direction est également présentée ici.

Si les éléments anticipés dépendent de tellement de conjonctures spécifiques pour se réaliser, pourquoi vouloir leur assigner une date à tout prix ? L’alternative relève uniquement de l’intégrité intellectuelle de dire “on ne sait pas”.

Cela ne signifie nullement que l’on ne peut pas s’y préparer, mais la posture par rapport aux actions à effectuer n’en résultera pas biaisée par un faux sentiment d’urgence ou par le sentiment d’avoir bien assez de temps à disposition.

Il résulte cependant qu’utiliser une date comme titre d’un événement ou d’un livre, n’est pas forcément une mauvaise idée pour capter l’attention, mais il s’agit là d’une autre finalité 😃 !

Et vous, comment évaluez-vous les paramètres lors de la construction de scénarios  ?

N’hésitez pas à laissez votre avis ci-dessous ou, pourquoi pas, à rédiger un billet sur votre façon de faire !

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Dernières parutions