English Version
Parce qu’un futur n’est jamais univoque, le principe de « polyphonie de visions » aide à mettre en lumière les tensions et contradictions qui façonnent les trajectoires possibles de demain.
L’exploration
ProtoPolicy est un projet de recherche-création mené pour le Parlement Britannique et l’Arts and Humanities Research Council, explorant comment le Design Fiction peut aider à anticiper l’impact des futures politiques publiques, notamment sur le vieillissement à domicile.
Deux scénarios sont apparus au fil d’atelier de co-design fiction avec des personnes âgées et leurs aidants :
- Soulaje, un bracelet connecté permettant une forme de suicide assisté,
- Le Thérapeute des objets intelligents, conciliateur des relations tumultueuses entre les personnes âgées et l’IA domestique.
Présentées aux parlementaires britanniques, ces design fictions ont suscité des débats sur la légalisation de l’euthanasie et l’acceptabilité des habitats connectés.
Pour plus de détails sur ProtoPolicy : https://design-friction.com/protopolicy/
L’enseignement
Les futurs, tout comme le présent, sont nécessairement complexes et pluriels, avec des perspectives dissonantes qui coexistent. Voilà pourquoi nous préférons parler des « futurs » plutôt que du « futur » au singulier.
Rien n’étant défini ni figé, c’est bien une infinité de trajectoires possibles pour demain qui s’offrent à l’exploration pour mieux contredire le récit d’un futur monolithique (« 2030, 2040, 2050, seront ainsi »).
Cet esprit de pluralité et de diversité se retrouve dans le principe de la « polyphonie de visions », une astuce qui permet de nuancer un scénario prospectif ou de design fiction. En d’autres termes, la polyphonie de visions consiste à raconter un même futur, mais de plusieurs points de vue.
Son objectif : refléter la diversité d’opinions, d’usages, de stratégies que l’on trouverait logiquement dans ce futur.
En Design Fiction, la polyphonie de visions implique de prototyper plusieurs artefacts spéculatifs — sous forme d’objets, services, espaces, prints fictionnels — qui cohabitent au sein d’un même univers. Nous en parlions dans le premier RETEX de Futurs, sans prototypage d’artefacts spéculatifs et autres objets venus du futur, point de Design Fiction !
Chaque artefact incarne alors une vision ou un point de vue différent quant à ce qui se déroule dans ce futur. On peut alors parler de « provotypes » (la contraction de « prototypes provocants ») où différents pans d’un même scénario sont racontés à travers des produits, services ou lieux qui incarnent ce futur et cherchent à faire réagir l’audience.
Chaque artefact incarne alors une vision ou un point de vue différent quant à ce qui se déroule dans ce futur.

Comment construire une série d’objets qui racontent la complexité d’un futur ?
Des archétypes et autres personae aident à structurer cette polyphonie, en racontant ce futur à travers le provotype emblématique de différents acteurs et de sa vision :
- La publicité d’une organisation promotrice d’une transformation ou innovation,
- L’outil de sabotage d’un opposant à cette transformation ou innovation,
- Les services d’un profiteur de crise tirant bénéfice de cette innovation ou transformation,
- Le post sur les réseaux sociaux d’une personne totalement indifférente,
- La campagne militante d’un public particulièrement affecté ou lésé par cette transformation ou innovation.
Chaque vision prototypée vient ainsi de mettre en exergue, par l’objet et le visuel, certains des points de friction d’un scénario.
Dans le cas de ProtoPolicy, le contrepoint de vue à une possible légalisation et banalisation de l’euthanasie (ou du suicide assisté) est incarné par un flyer des opposants au bracelet connecté Soulaje qualifiée de « montre de la mort » (death watch).
L’objet suggère que des parties de la population n’adhèrent pas à cette nouvelle donne sociétale et met en lumière leurs arguments de dénonciation et stratégies d’opposition.
Néanmoins, pour apporter la « bonne » touche de nuance, le choix des artefacts polyphoniques doit se faire de manière cohérente. Il s’agit de croiser à la fois :
- Les codes culturels des publics qui vont se plonger dans les futurs,
- Ceux des publics qui sont censés s’exprimer depuis ce futur.
Cet équilibre se fait à travers des choix d’objets et de visuels qui leur sont familiers et qui rendent les perspectives futures d’autant plus accessibles et compréhensibles.
C’est ce qu’au sein du studio nous nommons les « points de parité » : des ponts entre ce que connaît le public dans son quotidien d’aujourd’hui et ce qu’il pourrait utiliser ou vivre dans ce futur.
« points de parité » : des ponts entre ce que connaît le public dans son quotidien d’aujourd’hui et ce qu’il pourrait utiliser ou vivre dans ce futur.

La polyphonie de visions, ou comment s’extraire des limites du couple infernal Utopie & Dystopie
Raconter différents points de vue via différents artefacts est souvent essentiel pour une exploration réussie des futurs.
D’une part, cela aide à éviter de sombrer dans l’utopie et la dystopie, au profit de futurs en nuances de gris : du gris clair où « ça a coincé sur certains points à la marge, mais globalement on s’en est bien sortis » au gris très foncé où « les choses vont globalement mal, mais des lueurs d’espoirs subsistent ».
D’autre part, la polyphonie de visions aide l’audience à interagir avec les positions de différents acteurs fictionnels et, en retour, de se forger sa propre opinion en « piochant » dans ces argumentaires contradictoires.
C’est cette finesse permise par la polyphonie de vision qui contribue à rendre crédible et convaincant un scénario de design fiction, lui évitant de paraître unidimensionnel voire caricatural. Dans les futurs, comme dans le présent, les choses seront nécessairement frictionnelles !
C’est cette finesse permise par la polyphonie de vision qui contribue à rendre crédible et convaincant un scénario de design fiction
Q284 | Practising polyphony of visions to add nuance to a future scenario

The exploration
ProtoPolicy is a research-creation project conducted for the UK Parliament and the Arts and Humanities Research Council, exploring how Design Fiction can help anticipate the impact of future public policies, particularly on ageing at home.
Two scenarios emerged from co-design fiction workshops with older adults and their caregivers:
- Soulaje, a connected bracelet enabling a form of self-administered euthanasia.
- The Smart Object Therapist, a mediator for the turbulent relationships between older adults and domestic AI.
Presented to British parliamentarians, these design fictions sparked debates on the legalisation of euthanasia and the acceptability of connected living environments.
For more details on ProtoPolicy: https://design-friction.com/en/proto-policy/
The insight
Futures, like the present, are inherently complex and plural, with dissonant perspectives coexisting. This is why we prefer to speak of ‘futures’ rather than ‘the future’ in the singular. Nothing is set in stone; an infinite number of possible trajectories for tomorrow are open for exploration – challenging the monolithic narrative of a single, predetermined future (‘2030, 2040, 2050 will and must be like this’).
This spirit of plurality and diversity is embodied in the principle of ‘polyphony of visions’, a technique that allows us to add nuance to a foresight or design fiction scenario.
In other words, the polyphony of visions consists of telling the same future from multiple perspectives. Its goal: to reflect the diversity of opinions, usages, and strategies that would logically exist within that future.
In Design Fiction, the polyphony of visions involves prototyping multiple speculative artefacts – in the form of objects, services, spaces, or fictional media – that coexist within the same world. As we discussed in the first RETEX de Futurs, without speculative artefacts and other objects from the future, there is no Design Fiction!
Each artefact thus embodies a different vision or perspective on what is unfolding in this future. These can be referred to as ‘provotypes’ (a contraction of ‘provocative prototypes’), where different facets of the same scenario are narrated through products, services, or spaces that bring this future to life and seek to provoke a reaction from the audience.
Each artefact thus embodies a different vision or perspective on what is unfolding in this future.

How can we construct a series of objects that tell the complexity of a future?
Archetypes and other personas help structure this polyphony by narrating the future through the emblematic provotype of different actors and their perspectives, such as:
- The advertisement of an organisation promoting transformation or innovation,
- The sabotage tool of an opponent resisting this transformation or innovation,
- The services of a crisis profiteer benefiting from this innovation or transformation,
- The social media post of someone entirely indifferent,
- The activist campaign of a group particularly affected or disadvantaged by this transformation or innovation.
Each prototyped vision thus highlights, through objects and visuals, some of the points of friction in a scenario.
In the case of ProtoPolicy, the counterpoint to the potential legalisation and normalisation of euthanasia (or assisted suicide) is embodied by a flyer from opponents of the Soulaje connected bracelet, labelling it the ‘death watch’. The object suggests that parts of the population do not adhere to this new social reality, highlighting their arguments of opposition and strategies of resistance.
However, to bring the right level of nuance, the selection of polyphonic artefacts must be done coherently: it requires a careful balance between:
- The cultural codes of the audience engaging with these futures,
- The cultural codes of those who are supposed to be expressing themselves from within this future.
This is achieved through the choice of objects and visuals that feel familiar, making the future more accessible. Within our studio, we call these ‘points of parity’ – bridges between what the audience knows from their daily lives today and what they might use or experience in this future.
‘points of parity’ – bridges between what the audience knows from their daily lives today and what they might use or experience in this future

Polyphony of visions, or how to break free from the utopia-dystopia binary
Telling different perspectives through different artefacts is often essential for a successful futures exploration.
On one hand, this helps avoid falling into the utopia-dystopia trap, allowing for futures that exist in ‘shades of grey’: from light grey, where ‘some things went wrong at the margins, but overall, we managed’, to dark grey, where ‘things went badly overall, but glimmers of hope remain’.
On the other hand, the polyphony of visions helps the audience engage with different fictional stakeholders’ positions and, in turn, form their own opinions by ‘picking’ from these conflicting narratives.
This subtlety, made possible through the polyphony of visions, is what helps make a Design Fiction scenario credible and compelling, preventing it from feeling one-dimensional or simplistic. In futures, just as in the present, frictions are inevitable!
This subtlety, made possible through the polyphony of visions, is what helps make a Design Fiction scenario credible and compelling
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