Arthur Keller est essayiste, conférencier, formateur et consultant.
Ses travaux portent sur les questions de transition écologique, sur les limites et les vulnérabilités des sociétés modernes, et sur les stratégies de résilience collective.
Préoccupé par les problématiques liées à la sécurité globale – en matière alimentaire, énergétique, civile, socio-économique, et sanitaire – il réfléchit aux moyens de mobiliser les récits comme leviers de transformation collective.
Dans l’échange à suivre, il développe sa pensée et combine des éléments de diagnostic sans concession avec des messages d’optimisme lucide.
Entretien enregistré le 21 juillet 2022
Entretien enregistré le 21 juillet 2022
Transcript de l’entretien
(Réalisé automatiquement par Ausha, adapté et amélioré avec amour par un humain)
Thomas Gauthier
Bonjour Arthur.
Arthur Keller
Bonjour Thomas.
Thomas Gauthier
Alors ça y est, tu es face à l’oracle, tu vas pouvoir lui poser trois questions au sujet de l’avenir. Par quelles questions souhaites-tu commencer.
Arthur Keller
Bon, alors, j’imagine que ce ne sont pas des questions du type « Que faut-il faire pour sauver la vie sur Terre ? » Ce ne sont pas ces questions-là, c’est des questions sur l’avenir du monde, c’est ça ? Sur ce qui va se passer ?
Thomas Gauthier
Exactement, et tu as toute liberté pour enquêter auprès de l’oracle et lui demander ce que tu souhaites savoir au sujet de l’avenir.
Arthur Keller
Alors, je dois t’avouer que je suis un peu enquiquiné par la question parce que je ne suis pas déterministe. Donc, je pense que l’avenir, justement, il dépend de ce qu’on fait.
Alors, là, en l’occurrence, si je comprends bien… l’oracle sait déjà ce que je vais faire. Mais si je lui pose une question sur qu’est-ce que je vais faire, du coup, elle va me répondre, ou il va me répondre d’ailleurs, c’est un homme ou une femme ?
Thomas Gauthier
C’est une femme.
Arthur Keller
Elle va me répondre, mais du coup, je peux changer ensuite, parce qu’elle m’aura répondu. C’est un peu compliqué, tu vois, c’est pour ça que c’est toujours la question du déterminisme absolu ou pas.
Disons que je considère qu’il y a des déterminismes auxquels on n’échappera pas, tiens, par exemple, sur l’avenir. Le fait qu’il y ait une grande vague qui arrive…
Je pense qu’on va se l’apprendre. Par contre, après, on a effectivement un libre-arbitre sur la manière dont on gère.
Est-ce qu’on l’affronte ? Comment ?
Est-ce qu’on apprend à surfer ? Ce qui m’intéresserait, fondamentalement, c’est de connaître l’évolution des conditions de vie sur Terre.
Donc, si je pouvais poser une question… Enfin, trois questions, tu m’as dit.
La première question, ce serait… Je ne sais pas si c’est une seule question, ça.
J’aimerais connaître l’évolution des paramètres au cours du temps sur les… sur les X milliers d’années, même à la rigueur sur le million d’années qui viennent. Est-ce que je peux avoir des courbes qui me montrent comment évolue, par exemple, la température, les précipitations, l’état des écosystèmes, avec un certain nombre d’indicateurs ?
Est-ce qu’il reste des animaux sauvages ? Lesquels ?
Combien ? L’état des pollutions aussi ?
En 2050, en 2100, en 2200, en 2300, en 3000, en l’an 10 000, en l’an 100 000, en l’an 1 million. Je peux bien savoir ça.
Je peux bien savoir si on a réussi une transition… Quand je dis on, c’est l’humanité, évidemment.
Réussir une transition écologique. J’aimerais bien savoir si on a réduit la consommation de viande.
Si un jour on a réussi à faire ça volontairement, j’entends. J’aimerais bien savoir s’il y a une grande descente énergétique et matérielle qui s’est produite et si elle a été subie ou si on a réussi à en organiser une petite partie.
Voilà. J’aimerais bien savoir combien on sera.
Je ne dis pas que les humains et non-humains inclus. Voilà, en fait… Ça, c’est ma première question.
C’est juste, est-ce que je pourrais connaître l’état d’évolution d’un certain nombre de paramètres sur les X milliers, dizaines, centaines de milliers d’années qui viennent ?
Thomas Gauthier
Tu as déjà posé plusieurs questions à l’oracle et j’aimerais que tu rebondisses peut-être sur l’une d’entre elles. C’est quoi une transition écologique réussie, selon toi ?
Arthur Keller
Oui, alors, si tant est que ce soit même possible, si tant est que… Parce que rien ne dit que ça le soit.
Rien ne dit qu’il soit possible. de continuer à vivre sur Terre en tant qu’humanité, qui a évolué comme elle a évolué, que ce soit dans la manière de vivre ou dans le nombre de gens, qui soit en même temps compatible avec des équilibres écologiques. De toute façon, ça assez limite cette histoire.
C’est-à-dire que forcément, on crée des désastres, en tout cas des déséquilibres à minima écologiques. Une transition écologique réussie, ce serait réussir à se mettre en conformité au moins avec les… les limites planétaires, ou ce qu’on appelle aujourd’hui les limites planétaires.
Certaines de ces limites sont véritablement planétaires, d’autres sont plus localisées. Mais ça ne veut pas dire ne plus détruire, mais ça veut dire détruire en deçà d’une limite qui fait que malgré tout, ça reste viable à très long terme.
Ce serait ça, une véritable transition écologique réussie.
Thomas Gauthier
Tu as évoqué une autre notion que peut-être certains auditeurs ne maîtrisent pas ou ne connaissent pas. pas dans le détail, celle de descente énergétique. Est-ce que tu veux bien s’il te plaît la définir et nous raconter un petit peu en quoi elle consiste aujourd’hui ou alors en quoi elle pourrait consister à l’avenir ?
Arthur Keller
Oui, alors ça effectivement je ne dis pas que j’ai inventé le terme, mais c’est un terme que j’utilise beaucoup et que j’ai… J’avais lu en fait, j’avais lu il y a longtemps et ne me demande pas d’où ça venait parce que très honnêtement je l’ignore.
Le terme de descente énergétique Merci. Et moi, je l’ai repris en l’augmentant un peu.
Je parle de descente énergétique et matérielle. Et la descente énergétique et matérielle, c’est simplement la baisse de la quantité que l’humanité globalement va utiliser, quantité à la fois d’énergie, toutes énergies confondues, et quantité de matières premières.
Il se trouve que pour des raisons compliquées, alors là, ce n’est vraiment pas le format qui permet de développer en détail parce que… c’est des choses qui peuvent demander une demi-heure de développement, pour bien comprendre, pour des raisons compliquées, je ne sais pas, mais complexes, multifactorielles. Nous allons vers une descente énergétique et matérielle.
La manière la plus simple que j’ai d’expliquer la chose, ça va être en faisant référence à la dynamique des systèmes, et notamment aux travaux connus, aujourd’hui connus, de Limits to Growth. Cette étude parue pour la première fois en 72, puis ensuite rééditée plusieurs fois avec des mises à jour.
Mais globalement, dans cette étude-là et d’autres études depuis, il a été démontré que lorsque l’on accroît la pression exercée sur un système, système qui a des limites, alors le système ne peut pas se comporter de X manières différentes. Il peut se comporter simplement d’un certain nombre de manières. assez réduite.
La première manière, qui est que si tu arrives à repousser, à rehausser, ad vitam aeternam, la capacité de charge du milieu, alors tu peux continuer à avoir une pression sur le milieu qui augmente, qui augmente, qui augmente. Tant que la pression reste en dessous de la capacité de charge, ma foi, ça va, ça tient.
Mais si jamais… tu t’approches de la capacité de charge, il faut surtout rester en dessous pour que le système soit stable. Et si jamais tu dépasses, c’est-à-dire si jamais tu fais endurer au système plus que ce qu’il ne peut endurer, alors il faut vite que la courbe, si tu mets ça sur des graphiques, tu peux tracer des courbes au fil du temps, il faut vite que tu fasses redescendre la courbe de la pression que tu exerces sur le système en dessous de cette courbe de capacité de charge.
Et si tu arrives à la faire descendre en dessous rapidement, alors ça oscille, le système peut osciller autour d’un point d’équilibre et ne pas s’effondrer. Et par contre, si jamais non seulement tu dépasses, c’est-à-dire que tu as cette pression qui est supérieure à ce que le milieu peut encaisser, mais qu’en plus tu fais durer ce moment-là le plus possible, pendant que tu maintiens ta pression, la pression, la capacité de charge diminue, elle commence à décliner.
Et ce qu’a démontré, et c’est là toute la clé de la chose, ce qu’a démontré de manière absolument, je dirais, physiquement et mathématiquement solide, la dynamique des systèmes, c’est que de toute façon, la courbe de l’empreinte ou de l’impact va redescendre en dessous de la courbe de la capacité de charge, quoi qu’on fasse. Et donc, si jamais tu as cette capacité de charge qui commence elle-même à baisser, à se dégrader, l’autre courbe va repasser en dessous, c’est-à-dire que ça va repasser en dessous d’une courbe qui elle-même descend.
C’est bien ça qu’il faut retenir, c’est que d’une part, on ne peut pas durablement infliger plus au milieu dans lequel nous vivons, et là je parle bien de la planète Terre, alors pas toute la planète, ce qu’on appelle des fois la zone critique, c’est-à-dire la zone où il y a de la vie sur la planète, et tous les milieux naturels, les habitats, etc., qui sont là-dessus. on leur inflige plus que ce qu’ils sont capables d’engraisser à peu près à tous les niveaux ça c’est la première chose la deuxième chose c’est que du coup la capacité de charge de la planète est en train de baisser Et la troisième chose, c’est que quoi que l’on fasse, l’empreinte écologique que l’on a va repasser en dessous. Et ça, ce n’est pas une question, comme je dis dans mes conférences, ni de volonté politique, ni de déploiement technologique ou de mobilisation citoyenne ou que sais-je.
Quoi que l’on fasse, la courbe de l’impact va repasser en dessous de la courbe de la capacité de charge qui elle-même diminue. Et c’est pour ça que je dis que… nous allons vers une descente énergétique et matérielle.
C’est-à-dire que quoi que l’on fasse, il va y avoir une baisse à la fois des flux d’énergie, à la fois des flux de matière qui sont liés aux activités humaines. Et même si on essaie aujourd’hui de produire d’autres manières, de développer ou de déployer d’autres manières de produire de l’énergie, malgré tout, on va quand même en avoir moins. Ça, les gens ont du mal à comprendre.
Ils pensent que l’humanité va… réussir à produire plus simplement d’une manière différente. Ils se trompent.
Après, je ne sais pas dire la forme que ça va prendre. Mais ça, c’est-à-dire que ça va nous surprendre de toute façon.
Il va y avoir une crise par-ci. Crise, ça peut être un conflit, ça peut être une crise géopolitique, ça peut être une crise économique.
Il va y avoir des ruptures d’approvisionnement, il va y avoir des pannes, il va y avoir des… Voilà, il va y avoir plein de choses qui vont se passer.
Et ça, c’est impossible à prédire. Mais globalement… nous allons avoir moins d’énergie et de matière.
Donc, pour clôturer, cette descente énergétique et matérielle dont je parle, elle est là, elle a commencé, elle va s’accélérer, et toute la question est, est-ce qu’on le comprend ? Pour l’instant, ce n’est pas le cas, et il y a de grandes raisons, hélas, de penser que ça ne le sera pas encore pendant longtemps.
Est-ce qu’on la comprend ? Est-ce qu’on l’accepte ?
Est-ce qu’on décide de l’organiser ? Et auquel cas, peut-être que nous pourrions, effectivement, faire cette descente énergétique et matérielle réussie ? c’est-à-dire renier dans ce qui est reniable, éliminer le plus possible de gaspillage, de gabegies, d’usage de l’énergie et de la matière qui sont totalement inutiles, voire destructeurs, et puis se recentrer sur les choses vraiment importantes, essentielles, et sur ce qui fait la qualité de la vie.
Nous pourrions décider de ça, et on pourrait tout à fait apprendre à bien vivre avec cette descente énergétique et matérielle. Ou alors, l’autre cas de figure, c’est hélas vers ça que nous sommes partis, massivement.
C’est qu’on refuse l’idée qu’on va avoir moins d’énergie et de matière, on veut toujours plus, toujours plus, et on fait ce qu’il faut pour. Et puis ça va durer encore 2-3 années, 10 années.
Et puis cette descente énergétique et matérielle, on va la subir, d’autant plus qu’on ne l’aura pas prévue.
Thomas Gauthier
Avec cette première question, Arthur, tu nous as éclairé sur cette notion de descente énergétique. Voilà, tu as maintenant la possibilité de poser une deuxième question à l’oracle.
Tu peux partir sur le sujet de ton choix. Quelle est la question que tu lui poses désormais ?
Arthur Keller
Alors… la première question que j’ai posée c’était sur des paramètres des paramètres finalement assez numériques après si je peux avoir des images si je peux avoir des ressentis c’est encore mieux mais au moins des paramètres chiffrables et maintenant j’aimerais peut-être axer plus sur le déjà sur le social ou le sociétal plutôt Et peut-être sur des choses qui sont plus subjectives, plus du ressenti. Après, je ne sais pas si l’oracle est capable de faire ça.
J’aimerais bien savoir comment évoluent les régimes politiques dans les prochaines décennies et les prochains siècles. Comment évoluent les inégalités, l’état des droits fondamentaux, par exemple.
Encore pour parler indicateurs, les gens vont penser que je suis obsédé par les indicateurs. Peut-être comment évolue l’espérance de vie en bonne santé.
J’aimerais bien savoir aussi si les dirigeants irresponsables aujourd’hui, si demain ils ont été rattrapés par l’histoire, est-ce qu’ils ont payé ? Est-ce qu’on l’a fait payer d’une manière ou d’une autre ?
Je ne sais pas qui c’est. Est-ce que l’histoire a fait payer à ceux qui ont fait perdre un temps fou en semant le doute ? en contre-carrant les évolutions qui auraient été bien au sens de l’intérêt général ou de l’intérêt écologique pour des questions d’argent.
Est-ce que ces gens-là… J’aimerais bien savoir s’il est riche aussi, tiens, si demain, ils s’en seront vraiment mieux tirés que les autres, au final.
Parce que moi, je n’en suis pas sûr du tout. Il y a aussi, ça, c’est un message que j’aimerais bien faire passer, les gens qui ont beaucoup d’argent aujourd’hui… s’imaginent qu’ils peuvent faire sécession du reste de l’humanité, ce n’est pas moi qui ai trouvé cette expression, mais c’est bien de ça qu’il s’agit, s’imaginent qu’ils peuvent vivre à part, qu’ils peuvent ne pas participer à la société. sur laquelle ils crachent souvent, pas tous, je ne mets pas tous les riches dans le même panier, mais enfin, il y en a un certain nombre qui n’ont aucun, qui n’ont que des goûts finalement pour le commun des mortels et pour la société qu’ils composent, sans se rendre compte qu’eux-mêmes en vivent directement.
Et les très très très très riches peuvent s’imaginer qu’ils peuvent vivre hors de tout système, qu’ils pourraient se créer leur propre petit monde à eux, à l’écart, et vivre entre riches pour des je ne sais pas où. pour combien de temps, sans être rattrapé par la somme des conséquences de cette grande accélération que le productivisme, l’accumulation capitaliste et de toute façon le besoin de toujours plus chez beaucoup d’humains, l’hubris, etc., ont provoqué. Moi je pense qu’effectivement, on le sait, et c’est déjà le cas de toute façon, les plus riches ne sont pas ceux qui vont souffrir le plus à court terme, ce n’est pas ceux qui souffrent le plus.
Voilà, ça on le sait, d’accord. Et donc oui, c’est sûr, ils vont échapper au pire des conséquences pendant un certain temps.
Et puis comme le système va être de plus en plus instable, il va y avoir des endroits sur Terre qui seront plus vivables ou moins invivables que d’autres. Ces endroits vont peut-être évoluer au fil du temps, et les riches sont ceux qui vont avoir la possibilité peut-être de bouger. de se relocaliser, d’aller aux endroits.
Donc pendant un certain temps, ils vont être capables d’échapper au pire et de se reconfigurer, de s’adapter au moins géographiquement. Mais je ne pense pas que ça va durer très longtemps, moi, ça.
Je pense qu’ils vont gagner sur le reste de l’humanité, allez, peut-être 10 ans, peut-être 20 ans. Et c’est déjà pas mal, tu me diras.
Mais qu’ils rêvent qu’ils vont pouvoir vivre tranquillement leur vie jusqu’au bout, et puis leurs enfants aussi. en échappant à la catastrophe qu’ils auront largement contribué à accélérer, ça moi j’y crois pas trop. Enfin bon, j’ai pas de certitude parce que je ne m’appelle pas Nostradamus, c’est pour ça que ça m’intéresserait cette question à l’oracle.
Est-ce que les riches s’en sont vraiment mieux sortis que les autres ?
Thomas Gauthier
Pour résumer à ce stade, avec ta première question, tu as interrogé finalement les grandes tendances biophysiques qui pourraient agir à la surface de la Terre et agir dans la zone critique dont tu parlais. Avec la deuxième question, ensuite, tu as interrogé l’oracle sur la matrice sociétale vers laquelle nous pourrions aller, et puis tu as pointé du doigt peut-être des formes de clivage au sein de la société qui pourraient être exacerbées et qui sont d’ores et déjà d’ailleurs mortifères.
Il te reste une dernière occasion de passer devant l’oracle. Qu’est-ce que tu souhaites lui demander avec cette troisième question ?
Arthur Keller
Merci Thomas, je vais répondre. Je voudrais rajouter quelque chose qui me… qui me semble important, que je n’ai pas eu la présence d’esprit de dire juste avant sur la deuxième question quand même.
Tu vois, il y a un enjeu majeur de cette humanité qui… Je parle des riches qui pensent qu’ils peuvent faire sécession de la société, mais avant tout, il y a même…
Il y a juste les humains qui pensent qu’ils peuvent faire sécession de la nature. C’est encore plus grave, encore plus profond, anthropologiquement parlant.
Et ça, c’est une absurdité. Est-ce que…
Est-ce que… en fait le parallèle je dirais pas qu’il est parfait tout parallèle, toute analogie à ses limites mais c’est un peu pareil quand même dans le sens où est-ce que l’humanité va sentir mieux que le reste de la vie sur Terre comme je disais avant pour les riches oui oui, elle va pouvoir jusqu’à un certain point et puis en fait elle va elle-même s’effondrer du fait que l’ensemble se casse la gueule et donc ça m’intéresserait de savoir, parce que ça c’est vraiment à la clé Merci. fondamentale de beaucoup de choses, quasiment tout. Est-ce que l’humanité, tôt ou tard, réussira à sortir de cet anthropocentrisme totalement toxique ?
L’anthropocentrisme, alors moi, je n’ai pas de problème du fait de s’intéresser au sort des hommes, mais le problème, c’est de ne s’intéresser que au sort des hommes et pas au reste. Voilà, pour compléter ma question 2, il y aurait cette dimension-là aussi qui me paraîtrait importante.
Est-ce que oui ou non, on aura réussi à le faire ? Est-ce que dans X années, décennies, siècles, il y aura des hommes qui vivront sur Terre et qui auront mis en place des façons de vivre qui seront plus biocentriques et moins anthropocentriques ?
Alors, pour la troisième question. En fait, je reviens au questionnement philosophique, presque, que j’avais au début, qui consiste à dire, finalement…
Un des trucs les plus utiles que je peux demander à l’oracle, c’est quelque chose qui me concerne moins. Ce n’est pas par égo ou par égocentrisme, mais c’est parce que…
Précisément, c’est là que je peux peut-être changer quelque chose. Si elle me dit quelque chose sur moi, peut-être que je peux changer.
Alors moi, j’aimerais bien poser cette question. Qu’est-ce que je vais regretter quand je serai à l’article de la mort ?
Ils seront où mes plus grands regrets ? Peut-être que du coup, ça me donnera une clé de choses à ne pas faire.
Peut-être que ça me donnera des clés d’action. à privilégier sur d’autres pour avoir peut-être un peu plus d’impact sur les changements, si tant est que ce soit là encore possible.
Thomas Gauthier
Avec cette question, peut-être que tu nous injectes finalement la préoccupation du micro. L’individu, c’est une échelle micro.
Tu as parlé avec la question 2 de l’échelle meso, l’échelle des sociétés. Et puis, tu avais commencé tes questions à l’oracle avec l’échelle macro, qui était une question tournée vers… vers la biophysique, vers les grands paramètres, vers les grandes tendances.
On a passé du temps ensemble, Arthur, avec l’oracle. Je te propose maintenant un autre exercice de pensée.
Regardons dans le rétroviseur, dans l’histoire. Est-ce que tu peux nous ramener de cette histoire trois événements que tu juges clés en cela qu’ils peuvent nous servir de balises, de repères pour nous orienter dans le présent et peut-être construire d’autres futurs ?
Arthur Keller
Cette question, tu m’avais dit avant les questions que tu allais me poser. Mais cette question, je vais te dire pourquoi elle me met un petit peu dans l’embarras, pour deux raisons.
La première raison, c’est que l’histoire n’est pas ma première compétence. Je suis un piètre historien.
J’ai des repères, évidemment. Je suis sûr qu’il y a des choses très intéressantes à aller chercher, mais qui m’échappent spontanément.
Je vais quand même te répondre, mais je suis sûr qu’il y aurait une réponse bien meilleure à faire que celle que je vais te faire là spontanément. Et puis la deuxième question, la deuxième chose, la deuxième dimension à ta question qui m’interpelle, c’est que tu me parles de l’histoire.
Et c’est quoi l’histoire déjà à la base ? Quelle histoire ?
J’imagine que quand tu dis l’histoire, tu parles de l’histoire humaine, l’histoire selon les hommes. L’histoire des hommes. Ça pourrait aussi être l’histoire naturelle. Ça pourrait être l’histoire de la vie, de la vie sur Terre.
Et pourquoi pas l’histoire cosmologique, même, à rigueur. Finalement, une première leçon de l’histoire, c’est qu’elle est écrite par les hommes pour les hommes.
Elle ne concerne quasiment que les hommes. L’histoire humaine est totalement anthropocentrée, justement.
C’est ce que je disais juste avant. La nature occupe assez peu de place dans l’histoire.
Les créatures non humaines, quasiment rien. Et ça, c’est quelque part symptomatique de notre grand problème.
Notre grand problème de « on ne pense qu’à nous » . Alors, si on racontait l’histoire, si tu veux, d’un point de vue biocentrique, ce serait intéressant.
D’ailleurs, il y a quelqu’un qui l’a fait un tout petit peu dans un bouquin qui s’appelle « Homo canis » , que j’aime bien, qui est Laurent Testo. Il a raconté une partie de l’histoire des hommes vus à travers les chiens.
Ce n’est pas inintéressant. Mais là, je parle de quelque chose qui serait encore plus vaste comme œuvre, quelque part, c’est de réécrire toute l’histoire humaine à travers la nature, un point de vue décentré, en fait, et pas anthropocentré.
L’épopée humaine, ce serait quoi ? Je pense que si on devait la résumer le plus possible, ce serait un écocide barbare, ce serait un bain de sang, en fait, ce serait une extermination.
Si tu veux, quand tu regardes bien avant notre ère, Quand tu regardes, il y a à peu près 15 000 ans, c’était au Pléistocène, tu as environ 70%, si je me souviens bien, de la mégafaune d’Amérique du Nord. Je crois que c’est même plus, c’est de l’ordre de 80% de celle d’Amérique du Sud.
Alors la mégafaune, c’est des animaux qui pèsent plus de 45 kg à l’âge adulte, je crois que c’est ça. Et donc, bon bref, quand tu regardes la mégafaune d’Amérique du Nord et du Sud, Les 70 et 80% respectivement se sont effondrés en même temps qu’il y a eu des vagues de colons humains.
Alors il n’y allait pas que ça, il y avait aussi des facteurs climatiques évidemment qui ont certainement joué un rôle, mais globalement, l’homme a toujours été un exterminateur. Quand il arrive quelque part, il tue tout.
Pas tout, mais il tue beaucoup de choses, il tue tous les grands prédateurs, etc. Donc l’histoire humaine, c’est ça beaucoup.
C’est aussi l’histoire des vainqueurs. Tu connais peut-être le biais des survivants.
Je ne sais pas si ça te parle, ce biais cognitif qu’on appelle biais des survivants.
Thomas Gauthier
L’histoire est racontée par les vainqueurs pour les vainqueurs.
Arthur Keller
Voilà. C’est bien ça.
Et du coup, c’est trompeur. La vision de l’histoire est forcément trompeuse.
Déjà parce qu’on occulte certaines choses, mais aussi parce que ça donne une impression que l’histoire d’humanité est faite de victoires. Elle n’est pas faite de victoires, elle est faite d’horreurs, d’échecs, beaucoup plus que de victoires.
Mais on raconte surtout les victoires. Et donc, on a l’impression qu’on s’en est toujours tiré, tout le monde ne s’en est pas toujours tiré dans l’histoire.
Il y a eu quand même des belles catas et des belles histoires, justement, des belles anecdotes, on va dire, aujourd’hui bien croustillantes, du fait que lorsqu’on ne se prépare pas, lorsqu’on est face à des grands changements, on peut y passer ou passer à deux doigts d’y passer. Donc c’est passionnant l’histoire, mais c’est très biaisé, avec des témoignages du passé qui sont orientés, douteux des fois, et puis derrière en plus des couches d’interprétations plus ou moins idéologiques, plus ou moins pertinentes.
Parmi les grands événements, parce qu’il va quand même falloir que je réponde à ta question, auxquels je peux penser, je penserais, avec tout ce qu’il a de bien, mais aussi tout ce qu’il a de mauvais, parce qu’on parle souvent du bon, mais plus rarement du mauvais, je penserais déjà au mouvement des Lumières, tu vois, au XVIIe siècle, à la fin du XVIIe siècle. C’est très intéressant, c’est très important, même ce moment-là de l’histoire.
Et donc, il y a eu une effervescence, une émulation. Ce qui a fait que l’humanité, alors d’abord, c’est venu de l’Occident, c’est venu de l’Europe, c’est venu de la France aussi beaucoup, d’ailleurs.
Mais ce sont des choses qui ont changé profondément l’évolution de la pensée humaine. Après, ce serait intéressant de savoir quel a été, avec le recul, l’impact réel.
Et aujourd’hui, ce qu’il en reste au niveau mondial de ces Lumières. Il y a eu des avancées, mais on en est où aujourd’hui ?
J’ai l’impression qu’il y a… pas mal de gens pour qui ça n’a pas encore teinté les vies, et puis j’ai l’impression qu’on régresse beaucoup. Bon voilà, le mouvement des Lumières, il était formidable, en même temps, lui aussi, restait très anthropocentré, c’était de l’humanisme et rien d’autre, il n’y avait que l’humain, mais c’était déjà pas mal, c’était déjà bien, et donc aujourd’hui, je pense qu’il nous faudrait quelque chose du même ordre, mais cette fois-ci, idéalement, au niveau mondial, non strictement réduit à l’humain.
Donc un nouveau mouvement des… Je ne sais pas comment il faudrait l’appeler, mais un nouveau mouvement des Lumières qui dépasse l’humanisme.
Il y a un autre événement. Ce n’est pas un événement dans le sens…
Ce n’est pas ponctuel, c’est plus un processus. Mais il y a eu une accélération de ce processus vers 2016, auquel je pense.
Je pense à cela parce qu’il est très riche de leçons. C’est l’effondrement du Venezuela.
L’effondrement du Venezuela parce que le Venezuela était, jusqu’au début des années 2010, le pays d’Amérique latine le plus riche, avec le mode de vie qui ressemblait de très près au niveau de vie. Évidemment, culturellement, il y a des différences, mais le niveau de vie était très proche de celui des villes européennes.
En fait, là-bas, l’effondrement, c’était impensable. Impensable, il faut bien se le dire.
C’était pas moins impensable là-bas pour eux qu’ici pour nous. Les Vénézuéliens sont le pays au monde qui a les plus grandes réserves de pétrole.
Pétrole conventionnel et non conventionnel réunis. Alors il y a beaucoup de non conventionnels.
Du coup, c’est un pétrole qui coûte un peu cher à exploiter, à raffiner, etc. Et lorsque le prix du baril s’est… s’est effondrée dans la deuxième partie des années 2010, l’industrie entière du Venezuela est devenue non rentable.
Il y a beaucoup d’analystes qui font peser toute la responsabilité de l’effondrement à Chavez et ses suivants, et évidemment qu’ils ont eu un rôle à jouer. Mais à la base, surtout, ce sont des mauvaises décisions basées sur l’idée que ça ne s’arrêterait jamais, que la richesse serait acquise. pour des siècles et des siècles quasiment, vu la manne et la rente sur laquelle ils étaient assis.
Donc le pays a massivement misé là-dessus, sur le pétrole. Je ne sais plus exactement, mais l’industrie pétrolière représentait je crois plus de la moitié du PIB du pays et avait très peu développé les autres dimensions, y compris la dimension agricole.
Le pays avait largement de quoi être un grand pays agricole, mais l’agriculture n’était pas si développée que ça au Venezuela, parce que quand on a beaucoup de pétrole, on a beaucoup d’argent, et quand on a beaucoup d’argent, et de pétrole, on peut faire venir ce qu’on veut, d’où on veut, ce n’est pas un problème. Et voilà, donc l’économie de ce pays était très efficace dans un certain modèle, un certain système, très optimisé.
Une fois que ce système a pu être possible, s’est retrouvé non rentable, non profitable, tout s’est cassé la gueule et le pays a bien démontré qu’il n’était pas si résilient que ça. Donc ça a été un véritable effondrement au Venezuela.
Aujourd’hui, le Venezuela peine à… peine à s’en sortir, et évidemment, sur le plan politique, c’est catastrophique. Ils n’y croyaient pas jusqu’à ce que ça arrive, il faut bien se le dire.
Et ça, c’est une leçon peut-être à retenir. Je ne dis pas qu’il va arriver ici la même chose que là-bas, le cas est très différent.
Mais voilà, il faut bien se mettre en tête qu’aujourd’hui, il y a des choses qui nous paraissent impensables, inimaginables, totalement folles, totalement débiles même. Certains, comme moi… ose prédire, c’est une façon de parler, je ne prédis rien du tout, je ne joue pas à ce jeu-là, mais ose nous avertir que des grandes ruptures de continuité dans nos vies seraient possibles à relativement court terme, blasphème, on verra bien.
Tu m’as demandé trois événements, tu aimes bien les éthiques.
Thomas Gauthier
Ça serait bien, et pardon, avant de te laisser peut-être nous ramener à un troisième événement, une question ouverte pour toi, à laquelle j’attends évidemment pas de réponse ferme et définitive, mais peut-être des éléments de réflexion. Comment est-ce que l’on rend pensable l’impensable, justement, pour faire écho à ce que tu nous ramènes de l’épisode vénézuélien ?
Arthur Keller
Oui, alors effectivement, il n’y a pas une réponse définitive parce que les gens sont tous différents et il y a des gens pour qui ça restera impossible. Il y a des réfractaires qui jamais ne se projeteront.
Et puis, ce n’est qu’une fois qu’ils seront face à l’évidence qui seront bien obligés de s’y faire, et même pas forcément tous. C’est-à-dire qu’il y a pas mal de gens qui, même quand ce sera en train de se produire, réussiront à encore se faire des mythes et des croyances qui leur permettront encore de nier l’évidence pendant longtemps.
Donc, tu vois, tu ne peux pas envisager, tu ne peux même pas espérer faire en sorte que les gens comprennent. Mais tu peux quand même, pour un certain nombre de personnes, déjà expliquer pour que les gens comprennent et aller au-delà, parce que la compréhension c’est bien gentil, mais ça ne sert pas à grand-chose.
Il faut que les gens ressentent, il faut que les gens le ressentent, donc il faut donner des exemples vivides, il faut les prendre par l’émotion, et puis il faut leur proposer des récits, mais attention, pas n’importe quel récit, il faut leur proposer des projections mentales. Et dans cette projection mentale, l’important n’est pas que les gens visualisent ce qui pourrait se passer, parce que c’est très abstrait ce qui pourrait se passer.
Déjà, personne ne le sait, donc c’est forcément des extrapolations, des inventions, des interprétations très subjectives. Et puis, ce qui va se passer va être très différent selon les endroits. bon alors mais c’est parce que c’est pas ça qui compte leur dire ce qui pourrait se passer ce qui compte c’est d’essayer de leur proposer des visions de ce que eux, demain, pourraient vivre dans le pire des cas et dans le meilleur des cas.
Il faut essayer de faire comprendre et ressentir aux gens, voilà, demain, si tu ne te prépares pas, si tu ne bouges pas, si tu restes exactement comme aujourd’hui, voilà ce qui risque de t’arriver. Et là, on…
On donne quelques cas de figure et on explique ce que la personne elle-même va devoir vivre et affronter. Et il ne faut pas qu’elle se représente un monde différent, mais qu’elle se représente elle-même dans ce monde-là.
Elle-même en train de subir quelque part. Et ensuite, tu dis, voilà, par contre, si tu fais ci, ci et ça, et donc là, tu donnes un certain nombre de clés. de remise en question, de clés de changement de comportement, de clés de résilience, de clés de régénération également, régénération à la fois dans les relations avec les autres, régénération aussi écologique.
Tu donnes un certain nombre de clés, tu dis voilà, si toi et si vous, parce que c’est souvent, c’est généralement au pluriel qu’il faut raisonner, vous entreprenez aujourd’hui de faire ça, ça et ça, alors demain, si ce que je viens de vous dire qui pourrait se produire se produit, dans cette configuration-là, voilà ce que vous pourriez être. Et là, il faut aider les gens à essayer de se projeter eux-mêmes dans ce futur, où cette fois-ci, ils ne subissent pas… mais ils agissent.
Ils sont devenus acteurs et c’est un avenir dont ils sont le héros. Ils sont au centre de cet avenir.
C’est ça qu’il faut essayer de faire. Il faut essayer de projeter des images très fortes et émotionnelles qui font que les gens s’imaginent eux-mêmes demain et qu’ils s’imaginent eux-mêmes dans un cas de figure réaliste où ce n’est pas la joie et à côté, un cas de figure réaliste où parce qu’ils auraient entrepris ci, ci et ça, ils auraient repris le… jusqu’à un certain point, un peu le contrôle sur leur vie.
Ils deviendraient architectes de l’avenir et pas simplement figurants. C’est bien cette mise en abîme de l’un et de l’autre qui fait que tu peux éventuellement déclencher des prises de conscience, des émotions mitigées d’ailleurs, avec des émotions négatives et des émotions positives, et derrière des envies de se bouger les fesses et de se retrousser les mains.
Thomas Gauthier
Alors là, j’ai un petit peu détourné le… Au cours de la conversation, merci Arthur pour ces éclairages et ces pistes de réflexion, plus que cette réponse ferme et définitive qu’on n’attendait pas.
Tu peux effectivement, s’il te plaît maintenant, nous ramener à un troisième et dernier événement de l’histoire qui paraît lui aussi intéressant, interpellant, bon à avoir à l’esprit peut-être, alors que l’on essaye de s’orienter dans cette complexité ambiante.
Arthur Keller
Je pense que c’est un troisième qui est finalement la même leçon. que la leçon précédente, c’est juste pour enfoncer le clou. La leçon précédente, je parlais du Venezuela, je disais que jusqu’à ce que ça dévisse, jusqu’à ce que ça dégénère assez rapidement, personne n’avait imaginé que c’était envisageable.
Je pense à un autre cas de figure où c’est pareil, je pense à l’invasion de Moscou par l’armée napoléonienne. Ce qui est intéressant dans cette histoire, c’est que jusqu’au dernier moment, La grande, grande majorité des moscovites refusaient de croire que l’armée arrivait.
Ils ont refusé d’y croire. Alors que ça faisait un moment qu’on disait l’armée arrive, l’armée arrive.
Alors il y en avait qui avaient fui, il y en avait qui s’étaient préparés. Mais la grande majorité des gens, non, ils refusaient d’y croire.
Alors qu’il ne s’agit pas d’un truc mystique. Il ne s’agit pas de les dieux vont nous envoyer je ne sais quel déluge sur la tête.
Il s’agit bien d’un truc qui est… d’un phénomène qui est observable, qui suffirait d’y aller, de se déplacer. Mais à l’époque, ce n’était pas si facile.
N’importe qui ne pouvait pas prendre une voiture, faire X kilomètres et aller constater par lui-même. Donc, pour cette histoire, pour cette information, les gens étaient dépendants de certaines sources d’informations.
Et ils avaient décidé, de la même manière qu’aujourd’hui on le voit dans le film Don’t Look Up ou dans d’autres… qui ne m’a que modérément plu, je les dose, vous savez. Mais bon, et dans d’autres choses, enfin, on voit bien, voilà, aujourd’hui, on dépend des scientifiques pour nous alerter de ce qui pourrait se passer, et certains décident de ne pas y croire, ou de prendre ça avec des pincettes.
Voilà, donc, en fait, Tolstoy, dans Guerre et Paix, alors là, je fais mon érudit, on a l’impression que j’ai lu tous les grands classiques, je dois avouer que je n’ai pas lu Guerre et Paix. Mais en tout cas, je sais, parce que quelqu’un m’a pointé vers ça. cette personne d’ailleurs c’est Philippe Biwix pour info c’est lui qui m’a pointé vers ça il m’a dit, il m’a pointé vers un passage dans lequel il est écrit je sais pas la phrase exacte mais il décrit en fait ce qui se passait à Moscou juste avant l’arrivée de l’armée napoléonienne et il dit on ne s’était jamais amusé autant à Moscou que cette année là Les gens, en fait, ils se détournaient, ils faisaient la fête.
Ils faisaient la fête pour conjurer le mauvais sort, quelque part. Et c’est ce qu’on fait aujourd’hui.
On se divertit. Le divertissement, c’est de la diversion de l’attention.
Après, très honnêtement, si tu me permets, je voudrais dire une ou deux autres choses sur l’histoire. À toi de me dire si on a le temps. J’en ai pour 3, 4, 5 minutes max.
Ce n’est pas non plus 25 minutes.
Thomas Gauthier
On a tout notre temps.
Arthur Keller
Tout notre temps. Non, ne me dis pas ça, je suis très bavard.
Non, alors, je pense que ce qui est encore plus intéressant, à mes yeux, que les événements de l’histoire, ce seraient les invariants de l’histoire. Et là, ça demande une vision d’ensemble que je ne peux pas prétendre avoir, parce que, comme je te l’ai dit tout à l’heure, l’histoire n’est pas mon fort. À l’école, j’étais… bon dans les matières scientifiques dans les matières en langue etc mais en français mais en histoire bof moyen.
Précisément parce que je n’y croyais pas. Précisément parce que je m’étais désintéressé de l’histoire à partir du moment où j’avais compris que c’était pas une histoire, mais c’était des histoires racontées par des gens, réinterprétées par d’autres gens.
Et je me disais, qu’est-ce qui est vrai là-dedans, qu’est-ce qui est pas vrai ? Je savais pas s’il fallait prendre ça, si c’était du lard ou du cochon.
Donc, ok, les grands événements marignan 1515, d’accord. J’imagine que ça a dû se produire.
Mais après, le reste, les interprétations qu’on nous proposait, j’étais pas… c’est pas forcément client mais globalement il y a des invariants et si on se replace déjà dans l’histoire naturelle les grandes invariants là je vais dans le darwinisme dans l’évolution ceux qui survivent ce sont ceux qui sont le mieux adaptés à leur milieu et ceux qui prospèrent le plus les espèces qui prospèrent le plus ou les populations qui prospèrent le plus Il se trouve que quand on est dans un milieu qui est relativement stable, stable climatiquement, stable du coup aussi en termes de ressources disponibles, et puis un certain nombre d’autres paramètres qui font la stabilité globale de l’habitat naturel, alors dans ces conditions-là, c’est celui qui est le plus adapté, qui prospère le plus. Et l’homme étant effectivement une espèce assez adaptable, on a réussi à être très adapté à des conditions de vie qui sont relativement stables depuis la sortie de la dernière glaciation.
C’est-à-dire depuis le début de l’Holocène, il y a 11 700 ans environ. Donc aujourd’hui, la véritable question c’est l’homme est-il encore très adaptable ou est-il seulement très adapté ?
Parce que, ça c’est sûr, on s’est super adapté, mais on s’est tellement bien adapté qu’au bout d’un moment on a même… dépassé ce stade. C’est la première fois probablement dans l’histoire de la vie sur Terre que ça s’est produit.
On a dépassé le stade où l’homme cherchait à bien s’adapter à son environnement, il est allé plus loin, il a cherché à adapter son environnement à lui, c’est-à-dire à ses désirs. Et là, c’est là que ça a commencé, effectivement, à être une… comment dire, parce qu’on manquait de recul sur les subtils équilibres de la nature, donc ça a commencé à être un déséquilibre majeur.
Aujourd’hui, on est en plein dedans. Et à cause de ça, la stabilité, c’est du passé.
On rentre dans une phase d’instabilité profonde. Bon, c’est là qu’on va voir si l’homme est encore très adaptable.
Très adapté, oui, mais… Logiquement, et souvent, dans les périodes où il y a des changements rapides, je ne sais pas si tu connais les différents modèles de…
En fait, il y a deux types d’espèces, les espèces R et les espèces K. Je ne sais pas si ça te parle en écologie.
Thomas Gauthier
Non, je ne connais pas la distinction. Je suis preneur d’un petit éclairage, du coup.
Arthur Keller
Rapidement, parce qu’après, n’importe qui peut aller jeter un coup d’œil en ligne. Sur Wikipédia, j’imagine qu’il y a tout ce qu’il faut.
Il y a les espèces R. C’est un petit R qui, je crois, de mémoire, en anglais, veut dire rate, c’est-à-dire le taux, qui sont des espèces avec un taux. de changement rapide.
En fait, ce sont des espèces qui sont relativement petites en termes de taille, qui font énormément de petits, des petits qui ont une maturité rapide, les parents ne s’occupent pas beaucoup des petits, ils sont vite autonomes, ils en font plein, le taux de mortalité de petits est très élevé, mais comme il y en a beaucoup, et comme ils se reproduisent très vite, il y en a suffisamment qui réussissent à survivre à chaque génération, et à se reproduire, et à se répandre, et à s’adapter rapidement à des conditions très différentes. Donc les rats, c’est du R, beaucoup d’insectes, c’est du R.
Et puis, il y a les espèces K, K comme je crois que c’est capital en allemand, c’est un grand K, qui sont des espèces qui capitalisent beaucoup sur chaque individu. Et donc, ce sont des espèces à maturité sexuelle tardive, à gestation longue, avec chaque petit qui, quand il arrive au monde, a besoin de sa maman ou de son papa, surtout de sa maman, pour apprendre à vivre, etc.
Et donc, il faut materner les petits pendant longtemps, etc. et ces espèces là, les espèces K dont nous faisons partie clairement, les espèces K très adapté à un monde stable et très inadapté à un monde instable. Donc, si on en croit la compréhension qu’on a des lois d’évolution naturelle, l’avenir n’est pas forcément propice aux espèces comme la nôtre.
Maintenant, on a d’autres « atouts » qui font à la fois notre succès et notre malheur. On verra bien ce que… ce qui va en ressortir dans les prochains siècles et au-delà.
Je voudrais également dire une autre chose. Pour moi, le grand invariant… les grands invariants, il y en a pas mal, de l’histoire humaine, c’est quoi ?
C’est l’hubris, la recherche de la démesure, la façon déconcertante avec laquelle l’humanité peut basculer dans la barbarie ou peut rester totalement indifférente face à la barbarie. Il y a cette obsession du pouvoir, surtout considérée comme une capacité de domination.
Il y a l’obsession de l’argent, bien sûr, qui est arrivée également plus tard. Une irrationalité.
S’il y a bien un propre de l’homme, je pense que c’est celle-ci. Quoique, je pense que les grands singes peuvent avoir des croyances.
Il faudrait voir. Mais en tout cas, il y a une irrationalité.
Des superstitions, des idéologies, des doctrines. Et puis, il y a un mépris pour ce qu’on ne connaît pas. Ça se décline en racisme, en sexisme, des fois. en spécisme, en tout ce que tu veux.
On est une humanité qui est totalement immature, irresponsable. On ne se prépare pas.
C’est ce que je disais avant sur le Venezuela ou sur les moscovites à l’arrivée de Napoléon. Le principe de précaution, on ne connaît quasiment pas.
Donc, on ne se prépare pas. Et quand on est au pied du mur, on croit qu’on va retomber sur nos pattes, mais ça ne sera pas forcément toujours vrai.
En tout cas, l’homme a tout fait. pour se détacher de la nature. On dirait qu’il a honte de la nature.
Il y a un certain nombre de gens qui tournent leurs yeux vers l’espace. On s’imagine déjà conquérir je ne sais quels autres mondes lointains dans l’espace alors qu’on n’est même pas fichu de comprendre bien comment fonctionne le monde ici-bas.
On se projette dans des déploiements et des développements ultra-technologiques pour… pour quelques personnes ici-bas, tandis que la moitié de l’humanité est en danger, tandis qu’il y a encore je ne sais combien de milliards de personnes qui n’ont pas accès à de l’eau potable, salubre, c’est quand même dingue. Donc on s’imagine, je ne sais pas, l’homme il se projette dans des abstractions alors qu’il n’est pas fichu d’avoir les pieds sur terre.
Et c’est parce qu’on n’a pas les pieds sur terre qu’on n’y a peut-être plus notre place, à un bout d’un moment. Donc je ne suis pas en train d’espérer ou de prophétiser je ne sais quelle disparition de l’humanité, ce n’est pas ça que je veux dire, je ne suis pas dans ces choses-là.
En tout cas, concrètement, on a voulu se détacher de la nature, bon ben bravo, bravo on y est arrivé. Et les gens qui disent que tout ce que ferait l’homme ou tout ce que produirait l’homme, forcément, si ça vient de la nature, donc c’est la nature.
Non, pour moi c’est absurde. Il y a un certain nombre de choses qu’on a faites aujourd’hui qu’on ne trouve pas dans la nature, qui sont des abstractions ou qui sont des… des fabrications humaines qui sont contre nature.
Beaucoup de choses que fait l’homme aujourd’hui est contre nature. Et ça, c’est peut-être une des plus grandes leçons de l’histoire, c’est que l’histoire humaine s’est faite contre l’histoire naturelle.
C’est une guerre qu’on mène contre tout ce qui nous fait chier, tout ce qui nous emmerde, tout ce qui est un frein à notre désir, à notre plaisir, à notre… ce qu’on considère comme du progrès ou à notre profit. Et oui, il y a peut-être une dernière chose que je veux dire sur une autre leçon de l’histoire, c’est que, pour être un peu plus peut-être positif, parce que je ne veux pas non plus ne dire que des choses sombres, en fait, là encore, il y a deux facettes à cette chose dont je veux parler.
Une facette sombre, une facette un peu plus lumineuse. La facette sombre, c’est qu’on peut faire faire l’impensable ou l’inepte à des gens avec le bon conditionnement.
L’homme, l’humain est très irrationnel, je disais, il est aussi très influençable et très conditionnable. Et malheureusement, certaines personnes l’ont compris, avec pas forcément toujours les meilleures intentions du monde.
Tu vois l’expérience de Milgram, où on arrive à faire en sorte que des gens en fassent souffrir, même en torture d’autres. et continue à le faire parce que le cadre, le contexte, fait que c’est comme si c’était acceptable. Pour la personne, c’est difficile de dire « attendez, stop » et de sortir du contexte.
Non, quand on y est poussé, avec le bon conditionnement, les humains peuvent faire absolument n’importe quoi. Et là, malheureusement, vis-à-vis de la nature, il y a un conditionnement collectif, global, culturel, évidemment, il y a beaucoup de cultures différentes sur cette… terre et pourtant la grande majorité de nos cultures sont des cultures de qui sont qui n’ont aucun respect pour la vie quoi d’une forme ou une autre et donc c’est bien ça aussi le problème à partir de monce où on s’auto conditionne dans ces choses là on trouve tout à fait normal de se servir dans la nature, d’exploiter, d’oppresser, de maltraiter, de tuer, etc.
Et ça, peut-être, à la base, c’est aussi un problème. Parce que c’est pas un problème quand on est trois Pékins à se balader sur une immense planète, mais quand on commence à être plusieurs milliards à saturer l’environnement de notre présence, ça devient problématique.
Et donc ça, c’est la partie encore un peu sombre. Mais la partie peut-être plus lumineuse, comme je disais, c’est que du coup…
Le contexte, il est important et le contexte, on peut le changer. D’ailleurs, il y a pas mal d’expériences.
Il y en a une qui est connue. C’était des psychologues qui s’appelaient Darley et Batson.
Mais c’était il y a longtemps, ça. Je ne sais plus, c’était dans les années 20 ou 30.
Donc, c’était il y a presque un siècle. Mais ils avaient fait, c’était deux psychologues, ils avaient fait une étude qui était assez intéressante.
Ils avaient demandé à des… à des séminaristes, je parle de gens qui veulent devenir prêtres, donc des jeunes, ils venaient dans un endroit, je ne sais plus où c’était, dans un campus universitaire, ils venaient dans un endroit et on leur demandait de préparer un discours sur un sujet qui leur était imposé, et ensuite ils allaient devoir donner ce discours dans un autre endroit, qui était un autre amphithéâtre, qui était à quelques centaines de mètres de là. Donc on les faisait venir et on leur imposait un sujet.
Et certains, c’était des sujets, je dirais, totalement au pif. Ils avaient préparé, mais je ne sais plus ce que c’était comme sujet.
Et puis d’autres, c’était des sujets clairement orientés vers le bon samaritain, la parabole du bon samaritain. Donc, il faut être bon envers son prochain.
Et donc, des gens étaient amenés là et ils devaient préparer ce discours. Et certains, donc, préparaient un discours sur à quel point il fallait être bon envers son prochain.
Puis, on les envoyait donner, quand ils avaient fini, on leur envoie donner leur… leur discours ailleurs, on leur expliquait qu’il fallait sortir, aller tout droit, tourner à droite, etc., jusqu’à l’amphithéâtre où ils allaient devoir donner leur discours. Et ce qu’ils ne savaient pas, c’est que toute l’expérience se passait au moment du transfert d’un endroit à l’autre, sur ce chemin-là qui allait jusqu’à l’amphithéâtre.
Et là, sur ce chemin, il y avait quelqu’un qu’ils croisaient et quelqu’un qui avait besoin d’aide. Est-ce que les séminaristes qui étaient là, est-ce qu’ils allaient se comporter en bons samaritains ? vis-à-vis des personnes qu’ils croisaient ?
Est-ce que leur comportement allait dépendre de si on leur avait fait préparer un speech sur le bon samaritain ou un speech sur totalement autre chose ? En fait, il n’y a pas eu vraiment de corrélation sur ce qu’ils avaient préparé comme discours et sur leur propension à aider la personne qui avait besoin d’aide.
En plus, la personne qui avait besoin d’aide, ils ont testé des cas différents. Des fois, c’était une aide pas très grave.
Par exemple, quelqu’un qui avait fait tomber ses lunettes. Est-ce que vous pouvez m’aider à ramasser mes lunettes ?
Parfois, c’était quelqu’un qui était allongé sur le sol et qui disait « à l’aide, aidez-moi » . Donc là, c’est totalement autre chose, tu vois.
Et bien en fait, ils se sont rendus compte que ce qui jouait le plus sur la manière dont les séminaristes allaient se comporter vis-à-vis de cette personne qui a besoin d’aide, c’est pas du tout le sujet du speech qui avait été préparé, mais c’était le contexte. d’urgence dans lequel on les avait placés. C’est-à-dire que certaines personnes, on leur disait, allez-y, vous pouvez y aller, c’est là, c’est par là, à droite, à gauche, et puis vous allez jusqu’à l’amphithéâtre.
Et puis d’autres personnes, on leur avait dit, bon allez-y, mais dépêchez-vous, parce que là, vous êtes très en retard, ils vous attendent tous. Et bien les gens qui étaient pressés n’ont pas aidé leur prochain.
C’est ça qui était le plus important de tout. Alors que les gens qui n’étaient pas pressés se sont arrêtés beaucoup plus.
C’est allé jusqu’à avoir certains séminaristes qui avaient écrit et qui allaient donner un speech sur le bon samaritain, mais parce qu’ils étaient pressés, qui ont carrément enjambé une personne qui était par terre et qui appelait à l’aide. Donc tu vois, le meilleur et le pire sont possibles dans l’humanité en fonction du conditionnement.
Et donc, enfin conditionnement, ce n’est pas un très joli mot, mais pourtant c’est bien ça qu’il s’agit. Et donc on peut changer le contexte.
On peut changer. On peut jouer sur le cadre de vie, sur comment on se comporte les uns avec les autres, sur les valeurs, sur un certain nombre d’autres choses.
Et il faut oublier l’idée qui consisterait à dire que les gens sont intrinsèquement bons ou mauvais. Alors évidemment, il y en a qui sont plus bons que d’autres.
Plus, évidemment. Mais dans une certaine mesure, ça dépend beaucoup du contexte.
Est-ce que quelqu’un, on peut dire, il est sympa ou il n’est pas sympa ? Eh bien, ça va dépendre. Ça va dépendre du contexte. Ça va dépendre.
Et ce n’est pas forcément un invariant, justement. Voilà, donc il faut…
Il faut bien se mettre dans le crâne que les gens, ils sont conditionnés aujourd’hui, et ils sont mal conditionnés. Et c’est pour ça qu’il y a beaucoup d’individualisme, c’est pour ça qu’il y a beaucoup de superficialité, c’est tout un système qui encourage à des mauvais comportements qui sont finalement globalement plus antisociaux que prosociaux, et anti-écologiques que pro-écologiques.
Mais ça, ça peut changer. C’est ça qu’il faut se dire.
Il y a peut-être un espoir à trouver là-dedans.
Thomas Gauthier
Alors, si espoir il y a à trouver, c’est probablement un espoir dans le présent. Tout ce que tu viens de dire, Arthur, m’évoque cette phrase d’Albert Camus, « La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent. » Est-ce que pour la troisième et dernière partie de notre échange, tu peux justement nous faire vivre de l’intérieur tes actes, tes mises en situation, tes pratiques finalement ?
Tu as déjà évoqué ton rôle de conférencier. Raconte-nous s’il te plaît, Arthur, comment tu t’efforces ? dans ce quotidien, dans cette actualité, de vivre tes pensées et de penser ta vie.
Raconte-nous, s’il te plaît, Arthur, ce que tu fais finalement dans ce présent qu’il s’agit d’utiliser comme un espace pour ouvrir peut-être des possibles un peu plus souhaitables que d’autres.
Arthur Keller
Oui, alors, déjà, je suis pas… Je suis un cas un peu particulier, parce que je vis très… très reclus finalement.
Évidemment, j’ai des déplacements de temps en temps, mais je vis assez enfermé avec le bon et le mauvais. Beaucoup de mauvais, en l’occurrence.
Il va falloir que ça évolue. Mais pour l’instant, j’ai trop de choses à faire qui font que je passe ma vie devant un écran d’ordinateur essentiellement.
C’est un peu triste, on pourrait dire. Et puis après, j’ai mes déplacements, effectivement, mon travail, notamment de conférencier.
Écoute, en tout cas, ce que je peux dire, c’est que Il y a toujours deux dimensions. Il y a le personnel et le…
Je ne vais pas dire le professionnel. Je vais dire le personnel et le social.
C’est-à-dire ce que l’on est soi-même, face à soi-même, vis-à-vis de soi-même au quotidien, et puis ce que l’on est dans des contextes en interaction avec le reste du monde. Ça peut être le contexte professionnel, ça peut être le contexte citoyen, ça peut être qu’est-ce que l’on est en tant que citoyen. Et dans certains cas… le professionnel et le citoyen se marient.
C’est mon cas, mais c’est un cas particulier. La plupart des gens vont avoir un contexte professionnel et à côté de ça, ils peuvent avoir des engagements citoyens.
Donc moi, j’ai la chance, on va dire ça, c’est une chance que je me suis créée, ce n’est pas une chance qui m’est tombée dessus, de faire professionnellement ce que je pense être mon devoir civique. Globalement, il faut décorréler le personnel et puis le le sociétal presque.
Or, le personnel, je ne vais pas en parler trop, parce que je viens de te le dire. Déjà, j’ai une empreinte écologique qui est assez faible, puisque je…
Je ne bouge pas beaucoup. Déjà, je ne prends plus l’avion.
Alors, c’est aussi… C’est ce que je fais, mais c’est aussi beaucoup ce que je ne fais pas, tu vois, ou ce que je ne fais plus.
Donc, je ne prends plus l’avion. En fait, je me suis mis une règle.
Je ne me suis pas interdit à l’avenir de prendre l’avion. mais alors par contre il faut pas que ce soit pour des vacances ça c’est pas possible je ne prendrai l’avion que s’il y a une raison forte et importante de le faire. Si un jour, on me dit qu’à l’autre bout du monde, j’ai la possibilité, ou pas nécessairement, mais en tout cas suffisamment loin pour que le train ne soit pas une option, ou le bateau, qu’il faut que je sois présent à un endroit donné, parce qu’il y a un fort potentiel d’impact, un levier de changement extrêmement important et rare à actionner, je ne m’interdis pas de prendre l’avion.
Et à la rigueur, à ce moment-là, j’en profiterai pour prendre des vacances là-bas aussi, quitte à avoir fait le trajet. Mais en tout cas, ça c’est la règle que je me suis fixée, prendre l’avion pour juste le plaisir, je ne fais plus ça.
De même que je suis devenu entièrement végétarien, quasi végétalien, pas complètement, mais quasi, et il y a un certain nombre de choses que j’ai essayé de réduire mon empreinte écologique au maximum, même si… Finalement, le fait d’avoir quitté la ville n’a pas permis d’améliorer.Dans tous les registres.
Typiquement, j’ai vécu longtemps en ville sans voiture. Et là, aujourd’hui, pas de voiture, ce n’est pas possible.
Là où je suis. Voilà.
Donc, il y a des choses comme ça. Mais bon, ça, je ne vais pas trop développer.
Là, on est véritablement dans à la fois les… Ce n’est pas que des petits gestes ou des petits pas.
Il y a de ça. Il y a des petits gestes.
Bien recycler, patati, patata. Essayer d’être un bon petit citoyen.
Donc ça, c’est important. J’essaie de le faire.
Mais c’est aussi quand même dans les usages, dans les styles, dans les modes de vie. C’est plus profond que des petits gestes. Ça, c’est à titre personnel.
Dans un souci de cohérence. Je ne vais pas dire d’exemplarité parce que je n’y suis pas.
Parce qu’il y a encore quelques compromis que je dois réussir à dépasser. Mais bon, il y a un contexte de vie qui est celui qu’il est.
Je ne peux pas non plus faire tout ce que je veux, hélas. Et après, il y a comment je m’engage.
Mais c’est surtout ça qui est important. Et c’est pareil pour tout le monde.
Parce que là, OK, tu me demandes de parler de moi, mais en creux, il faut parler de tout le monde. C’est-à-dire que, tu sais, souvent, souvent, on te…
Souvent. De temps en temps, tu vas voir passer des recommandations sur ce qu’il faut faire ou pas faire, ou plus faire.
Et on va te dire, si tu veux baisser tes émissions de CO2, voilà, il faut moins consommer de ceci, il faut moins consommer de cela, il faut changer quelques usages, etc. Donc, mais il y a… quasiment toujours une dimension qui est absente.
Je ne sais même pas pourquoi je dis quasiment toujours, parce que je pense qu’elle est toujours absente. C’est ce que tu peux faire en tant que citoyen.
Les engagements dans des dynamiques, dans des mouvements collectifs que tu peux avoir. Et là, c’est là que ça se joue aussi beaucoup.
Donc, dans mes conférences, j’en suis arrivé… Je ne dis pas que c’est un absolu, du tout.
C’est… à ce stade, parce que peut-être que ça évoluera, c’est à ce stade ma perception des choses. Donc depuis maintenant un an et demi environ, j’explique que si on veut faire des grands projets de grands changements, c’est un écosystème d’acteurs qu’il faut entraîner.
Et j’explique, dans mes conférences, ça prend la forme d’une étoile à cinq branches, j’explique qu’il y a à la fois des penseurs, des faiseurs, des inspirateurs, des organisateurs et des facilitateurs. je ne développe pas trop ici, à moins que tu le veuilles absolument, mais j’explique les différents types de rôles que l’on peut prendre, mais surtout j’explique qu’après c’est à chacun de trouver le sien. Moi je sais où je suis maintenant, et où je ne suis pas, et c’est à chacun de trouver là où il est, où il n’est pas, et de se dire bon, puisque moi je suis par exemple, je ne sais pas, moi typiquement je suis un penseur, et j’essaye d’être un inspirateur, voilà ce que je suis.
Et puis de temps en temps, ponctuellement, j’ai un… tout petit rôle de faiseur ou d’organisateur ou de facilitateur, mais je suis essentiellement penseur et inspirateur. Et du coup, je sais que si je veux faire des projets, il va falloir que je me trouve des facilitateurs, il va falloir que je me trouve des organisateurs et des faiseurs.
Et je ne peux pas faire des choses sans eux. Les autres doivent être pareils.
Typiquement, il y a beaucoup de faiseurs, c’est-à-dire des gens qui prennent le taureau par les cornes, qui font des choses, qui avancent, etc. C’est très bien, il en faut beaucoup des gens comme ça, mais malheureusement, il y a beaucoup de faiseurs du coup qui… qui voient d’un mauvais oeil les penseurs, eux, ils parlent, ils font rien d’autre, qui voient d’un mauvais oeil les inspirateurs, par exemple, les communicants, les gens qui essayent de mettre en forme, de rendre des choses inspirantes.
Pour eux, c’est du gadget. Non, il faut vraiment raisonner en écosystème.
Donc ça, c’est le plus important, c’est trouver sa place dans l’engagement que l’on peut avoir, qu’ils peuvent être professionnels, mais qu’ils sont surtout civiques, citoyens. Et moi, là-dedans… toute ma vie, finalement, une grosse partie de ma vie, en tout cas.
C’est ça, c’est mon engagement. Et en étant à ma place.
Donc, des fois, on me reproche. Oui, mais vous, concrètement, vous construisez quoi en résilience, M.
Keller ? Parce que vous prônez la résilience, mais est-ce que vous avez vous-même lancé une espèce de grand projet avec un grand réseau de gens qui fabriquent de la résilience au niveau territorial ?
Eh bien, pour l’instant, non. il faut le dire parce que pour l’instant je suis encore j’essaie de me dépatouiller, de m’en sortir financièrement dans mon activité telle qu’elle existe aujourd’hui je suis encore un peu précaire de ce côté là, donc chaque chose en son temps, peut-être que demain je le ferai mais le fait est surtout que je ne peux pas le faire seul donc il ne faut pas attendre de moi sous prétexte que je prenne la résilience d’être à la fois tout chacun son rôle et mon rôle, donc ça va être d’expliquer les choses de de caractériser, d’analyser les choses, de proposer des choses. Et donc, c’est ce que je fais, que ce soit sous la forme de conférences, que ce soit sous la forme de formations.
Je forme des élus à la sécurité globale des territoires, avec notamment un focus sur la dimension sécurité alimentaire. Alors, des fois, on peut dire résilience alimentaire, mais des territoires.
Je travaille notamment avec Stéphane Linou et avec Laurent Hayet sur ces questions. Donc voilà, ça peut être des formations, ça peut être des ateliers des fois que j’anime ou que je co-anime.
Et puis de l’écriture, ce que je suis en train de faire en ce moment. J’ai pris beaucoup de retard sur des projets d’écriture qui me tiennent à cœur. Ça me peine un petit peu, mais voilà, j’ai aussi un gros travail d’écriture. Ça, c’est la manière aujourd’hui dont je déploie. les compétences et les connaissances et peut-être les talents qui sont les miens, et à chacun d’en faire pareil.
Après, je ne sais pas si tu veux que je développe plus, mais en tout cas, que ce soit effectivement mon travail de vulgarisation, d’explication, de proposition, quand je donne des cours dans des écoles, par exemple, que ce soit les programmes politiques que j’ai écrits ou dont j’ai supervisé l’élaboration. parce que je trouve qu’il faut savoir être force de proposition, que ce soit mon travail d’expert aussi, notamment je suis intervenu sur des projets sur la résilience territoriale avec l’ADEME, et j’ai accompagné aussi certaines réflexions sur le sujet avec le CEREMA, ce sont donc des agences publiques, et puis mon travail ensuite sur des projets plus, avec des collaborations artistiques, notamment des projets audiovisuels qui sont en cours d’élaboration, c’est pour inspirer, voilà. Toutes ces dimensions-là, et d’autres encore, font partie de mon travail tel que je le conçois aujourd’hui.
Et donc, c’est 85 à 10% de ma vie. C’est ma façon à moi de m’engager.
Thomas Gauthier
Ça va être très compliqué, Arthur, mais je vais tenter quand même une synthèse de tout ce que tu nous as partagé aujourd’hui, durant cet entretien. Tu as commencé, lorsque tu étais face à l’oracle, à poser des questions. à différentes échelles.
Tu as interrogé l’échelle macro en te posant des questions sur les paramètres d’évolution biophysique de notre espace critique, de notre planète aussi. Tu as ensuite ramené de l’histoire différents événements que je ne vais pas tous reciter ici.
Néanmoins, tu t’es attardé sur l’épisode critique et catastrophique même du Venezuela, qui peut peut-être nous servir de repère et nous amener à sans cesse rendre pensable l’impensable. Et puis maintenant, en nous décrivant ton présent, en nous racontant quelques-unes de tes activités, quelques-unes de tes manières de t’engager, on comprend qu’il y a beaucoup d’humilité dans ce que tu dis et dans ce que tu fais, et surtout la reconnaissance qu’il n’y a que des actions en coalition qui peuvent être sincèrement transformatrices, puisque chacun a des prédispositions à agir d’une certaine manière, à parler d’une certaine manière, à penser d’une certaine manière, et nul ne détient en lui-même les clés d’un futur. que l’on peut juger souhaitable.
Je te remercie infiniment, Arthur, pour tes propos. Je te laisse, si tu le souhaites, conclure de la manière que tu souhaites.
Arthur Keller
Oui, je te remercie. Je ne vais pas rajouter énormément de choses, mais effectivement, après, à titre individuel, on peut faire des choses.
Il ne faut pas opposer l’individuel et le collectif. C’est bien les deux, mon capitaine.
Il faut les deux. Et après, à titre… collectif, on peut faire effectivement beaucoup plus. À titre individuel, ce qu’on va pouvoir faire va dépendre de l’individu.
Il y a des gens qui ont un bras de levier plus fort que d’autres, un bras d’influence plus fort que d’autres, parce qu’ils se sont engagés en politique, ou parce qu’ils sont des patrons d’entreprise, ou parce qu’ils sont des élus locaux, ou parce qu’ils sont des stars et des influenceurs, des personnalités en vue, ou je ne sais quoi. Ou simplement des gens normaux, mais des gens qui… qui… qui inspirent les autres parce qu’ils incarnent quelque chose et qu’ils ont, même s’ils ne s’en rendent pas forcément toujours compte, ils ont une véritable influence dans leur communauté ou sur leur territoire.
Donc voilà, effectivement, on n’est pas tous égaux face au pouvoir de changement que l’on a sur le reste du monde en tant que personne. Mais quoi qu’il en soit, il faut essayer de le faire au moins au niveau collectif. mais souvent c’est les deux, c’est l’individuel et le collectif.
En tout cas, quoi qu’il en soit aussi, il faut que chacun se pose des bonnes questions. C’est-à-dire que, comme toute chose, on a…
Tu vois, des fois je parle de la technologie, je dis qu’elle n’est qu’un outil, mais ça je ne l’ai pas inventé, il n’y a rien de fabuleux là-dedans. Ce que je dis surtout, c’est que la technologie ne nous sauvera pas parce qu’en tant que telle, elle ne définit pas Merci.
La direction qu’on prend. Donc il faut déjà avoir une direction.
Et ensuite, peut-être que la technologie pourra, par-ci par-là, être utile pour nous aider à y arriver. C’est-à-dire qu’il faut d’abord se fixer un cap, il faut d’abord avoir une vision, il faut d’abord avoir des valeurs, il faut d’abord se mettre au service de cette vision et de ces valeurs.
Et quand on a ce projet, éventuellement, après, on voit les outils dont on dispose et on voit si on progresse ou pas dans la bonne direction. C’est pour ça que je parle de la technologie qui ne nous sauvera pas ou de l’innovation qui sera…
L’innovation, c’est très bien, mais au service de quoi ? Quel projet de société ? À chacun aussi de se poser la question de son propre projet.
Et ce n’est pas parce qu’on a de l’influence, parce qu’on est brillant, qu’on va réussir à changer le monde si on n’a pas en tête une direction claire et cohérente. Moi, j’appelle les gens, mais je sais très bien que je ne peux pas m’adresser à toute l’humanité en disant ça, parce qu’il y a différentes parties dans l’humanité.
J’appelle les gens à essayer de se poser concrètement les questions des principes et des valeurs. qui les définissent. Et de se mettre…
D’imaginer qu’est-ce qui peut rendre le monde meilleur. Sauf que quand je dis ça, déjà, j’ai perdu un certain nombre de gens qui n’ont rien à foutre du monde meilleur.
Je le sais. Ce n’est pas leur affaire.
C’est dommage. En tout cas, en ce qui me concerne, c’est bien de ça qu’il s’agit.
C’est bien de voir ce qu’on peut… imaginé pour essayer de contribuer à rendre le monde un peu meilleur. Mais meilleur pour qui ?
Pas juste pour moi, pas juste pour les miens, contre les autres. Pas juste pour mon pays, contre les autres.
Pas juste pour mon espèce, contre les autres. C’est bien un tout cohérent, avec les limites que ça a, parce qu’il y a un moment où, effectivement, quand on est…
Comme je disais, l’équilibre est écologique. Est-ce que c’est même possible, encore ?
Mais pour autant, il faut essayer d’y tendre. Donc voilà, chacun son…
Chacun son cap, mon cap à moi, et je pense que le monde serait peut-être un peu moins désagréable si plus de gens avaient un cap similaire. Mon cap à moi, c’est d’essayer de contribuer à limiter les souffrances évitables.
Thomas Gauthier
Merci infiniment Arthur pour ton temps.
Arthur Keller
Merci à toi.
Tout cela est extrêmement intéressant. Alors je voudrais savoir comment fédérer, rassembler, coordonner toutes les personnes de bonne volonté
Bonjour Patricia,
Naturellement je n’ai pas de réponse universelle, mais ce site est une première action pour offrir des outils pour agir, ainsi que le courage de le faire, comme décrit dans le billet N°44 sur l’effectuation.
Nous avons ensuite créé l’association Futurs pour coordonner un minimum nos effort et simplement « exister ». Il en existe beaucoup d’autres naturellement, mais l’important est de pouvoir se retrouver pour échanger et finalement pour agir; agir à notre échelle, à l’échelle de l’individu, agir dans le privé, dans le professionnel… mais agir; localement pour une finalité globale.
Vous l’aurez compris, je ne suis pas un fan des grands discours restant lettre morte et préfère à cela 2-3 mots présentant une action réalisée.
Avec humour, mais tellement vrai : « Une vision sans implémentation n’est qu’hallucination »
Bien à vous,
Quentin
Bonjour Monsieur KELLER;
Je découvre vos conférences depuis peu et vous remercie pour votre travail.
Je partage votre point de vue en partie et félicite votre initiative.
Je me permet de vous adresser ce message afin de savoir si vous faites des conférences dans L’HERAULT ?
Si oui auriez-vous des dates à communiquer?
Je fait mienne la maxime ; »Soyez le changement que vous voulez voir ».
Et je pense qu’un grand mouvement est en œuvre même s’il est encore « timide » pour le moment.
J’espère que vous répondrez à ma question et vous remercie par avance.
Bien à vous.
Siham.
Bonjour, si quelqu’un peut laisser ce message à Arthur Keller, voici le lien d’un model de société où nous aurions besoin de matière grise pour l’améliorer , partager des idées, et pointer du doigt là où ça » pêche »
http://www.peacenlive.com
Merci par avance.
Josselin
Bonjour , il y a un moyen d’entrer en communication avec Arthur Keller je sais comment lui faire ce qu’il demande.
J’ai beaucoup aimé l’approche pragmatique!
Dans cette veine, le passage sur le besoin d’un écosystème d’acteurs pour la réalisation de projets intégrant:
1. les penseurs;
2. les faiseurs;
3. les inspirateurs;
4. les organisateurs;
5. les facilitateurs;
Cela résonne fortement avec les besoins et les activités nécessaires entre l’anticipation et le passage à l’action, entre la prospective et l’innovation!