Rédaction :
Anne-Caroline Paucot (Propulseurs)
Images :
Midjourney
Par une lettre adressée à sa fille victime des pesticides présents dans les fleurs, une fleuriste raconte la disparition des fleurs de notre quotidien et leur renaissance grâce à une mobilisation citoyenne. Cette révolution verte voit le pissenlit devenir l’étendard d’un nouveau printemps fleuri.
Jusqu’au bout
Toutes ressemblances avec une histoire existante ne sont pas fortuites.
Emmy Marivain est morte le 12 mars 2022, après sept années à lutter contre un cancer. Elle avait 11 ans.
Emmy est le premier enfant dont le décès est reconnu par le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP).
Emmy a fait promettre à sa mère, la fleuriste, Laure Marivain, d’aller au bout en lui disant : « Maman, tu dois te battre parce qu’on n’a pas le droit d’empoisonner des enfants. »
Mon petit pissenlit,
Tu avais à peine une dizaine d’années et tu me posais en permanence des questions :
— Maman, est-ce que les fleurs seraient moins jolies si elles ne sentaient pas bon ?
Ou encore
— Quand on est mort, est-ce que les fleurs qui poussent dans nos têtes fanent ?
Je restais muette, car j’étais incapable d’y répondre.
Un soir, tu m’as demandé :
— Maman, après, tu continueras à vendre des fleurs ?
J’ai contenu mes larmes avant de dire :
— Bien sûr mon pissenlit. Dans ma vie, il y a deux jardins : toi, mon jardin secret pour l’éternité, et les fleurs, mon jardin ouvert pour partager la beauté du monde. Je n’abandonnerai ni l’un ni l’autre.
— Tu me le promets ? Bon, tu es nulle en belles phrases, mais en fleurs tu assures, as-tu ajouté avant notre check complice.
Je t’avoue que cela ne fut pas simple de tenir cette promesse. Après ton envol, j’ai secoué la terre entière. On m’écoutait raconter notre histoire, celle d’une mère-fleuriste et de sa fille chérie grandissant parmi les pétales et respirant leurs pesticides assassins. Je brandissais les études sur ces poisons invisibles qui t’avaient cueillie trop tôt.
Les journalistes tentaient de tirer le signal d’alarme, mais leurs articles se fanaient rapidement. Les politiques, raides comme des langues de belle-mère — cette plante que tu détestais tant pour son air d’institutrice revêche — hochaient la tête sans agir.
Des pesticides dans les fleurs
En 2018, une étude menée par Khaoula Toumi de l’université de Liège a confirmé la présence de nombreux résidus de pesticides variés sur les fleurs coupées. En 2019, l’équipe a prélevé des échantillons d’urine chez des fleuristes. Elle y a trouvé 70 résidus : 56 pesticides et 14 métabolites, des molécules issues de pesticides dégradées suite à une réaction chimique avec l’environnement. Les chercheurs ont montré que les fleuristes manipulent quotidiennement des substances interdites en Europe. Ils le font la plupart du temps sans protection.
Puis vint le « syndrome de la rose ». Les fleuristes tombaient comme des mouches. Ils étaient victimes de troubles neurologiques.
Les autorités sanitaires jouaient les autruches. Ils affirmèrent que ces décès en série n’avaient rien d’alarmant. Les fleuristes étaient souvent malades en automne. Puis, ils racontèrent que c’était la faute de minuscules scorpions africains.
— Est-ce que les fleurs peuvent mentir ? me demandais-tu.
Non, mais les personnes au pouvoir excellent dans cet art.
Pour que la vérité éclate, il fallut le direct tragique de Julie Mercier. Cette jeune fleuriste a été foudroyée en pleine composition florale filmée sur les réseaux. Les langues se délièrent. On découvrit que les grands groupes de l’industrie floricole connaissaient les risques pour les fleuristes. On parla enfin des toxines qui s’accumulaient dans nos organismes et provoquaient des dégâts irréversibles.
On évoqua l’absence de réglementations sur la présence des pesticides dans les fleurs. Les politiques, que j’avais rencontrés et qui n’avaient accordé aucune attention à ma plainte, partirent fleur au fusil :
— Il est inadmissible que, à la différence des aliments, il n’existe pas de limite de résidus pour les fleurs coupées ou en pot. Nous assistons au massacre des fleuristes et grossistes, dit mon député en jetant le bouquet de roses trônant sur son bureau comme si c’était une bombe à retardement.
Des fleurs gourmandes en pesticides
L’Office néerlandais des statistiques affirme que 1,2 kilo de pesticide est utilisé par hectare de maïs et 106 kilos par hectare pour les roses et 134 pour les lys !
Greenpeace Hollande a constaté que la majorité des plantes ornementales et des bouquets de fleurs coupées contiennent des néonicotinoïdes (tueurs d’abeilles) et pesticides illégaux.
Son rapport « A Toxic Eden » montre que près de 80 % des plantes à fleurs sont contaminées par des pesticides toxiques pour les abeilles.
Mon pissenlit, tu me demandais toujours de te raconter l’histoire des moutons de Panurge. Quand je la terminais, tu me demandais :
— Tu crois que les gens seraient moins bêtes, s’ils regardaient dans le cœur des fleurs ?
Tout ce que je peux te dire c’est que les moutons de Panurge continuent d’exister. Après l’événement, des millions de personnes se filmèrent en jetant leurs fleurs. Ils dépouillaient les cimetières. Même les fleurs de ta tombe y passèrent !
Pour faire redescendre la pression, une loi tomba. Il était désormais interdit de vendre des fleurs coupées. Les fleuristes et grossistes durent tous mettre la clé sous la porte. Et nous ne furent pas les seules victimes de la loi.
Le secteur des cérémonies fut désorienté. Un mariage sans fleurs était à peine concevable. Les mariées jetaient des bouquets en soie sans âme. Des rumeurs racontèrent que ceux qui l’attrapaient resteraient toujours célibataires. Les enterrements prirent des airs de vernissages écolo-dépressifs avec leurs couronnes biodégradables.
Fleurs étrangères
Contrairement à l’agroalimentaire, le commerce de fleurs ne bénéficie pas de limites pour les résidus sur les fleurs importées.
Ces fleurs représentent 85 % des fleurs vendues en France. Parmi les principaux pays producteurs : les Pays-Bas, plaque tournante du commerce du végétal, mais aussi le Kenya, l’Éthiopie, l’Équateur ou la Colombie.
Ces fleurs sont souvent cultivées sous des serres chauffées et avec des intrants chimiques et entretenues par des travailleurs précaires. Leur origine est rarement connue des consommateurs.
Grasse, la ville aux mille parfums devint la cité des molécules synthétiques. Les « nez bouchés », comme tu les appelais, tentaient de nous faire croire qu’un assemblage chimique valait bien un champ de jasmin.
Les parcs floraux fermèrent leurs portes. En Hollande, le festival de la tulipe disparut.
Je fus triste pour toi. Tu adorais les tulipes. Tu me demandais toujours :
— Pourquoi les tulipes pouffent-elles de rire quand elles sont dans un vase ?
Je ne répondais rien, alors tu ajoutais.
— Je crois que c’est parce que le rire est leur seul moyen de défense.
Le monde perdit ses couleurs, son parfum, son sourire. Les fleurs ne nous racontaient plus que le bonheur est constitué de choses simples et pas de mirages. Sans elles, il ne nous restait que cette consommation, qui comme les mauvaises herbes, se glisse dans tous les interstices et étouffe notre vie.
— Pourrait-on vivre dans un monde sans fleurs ? me demandais-tu.
Je te répondais :
— Sans les fleurs, on peut survivre, pas vivre.
Ce fut le cas. On a assisté à une augmentation des dépressions. Les psys défilaient sur les plateaux en affirmant :
— L’absence de fleurs crée un vide émotionnel.
Sans blague ! Comme si on avait besoin d’un diplôme pour savoir que la vie sans fleurs, c’est comme un arc-en-ciel en noir et blanc.
On aurait continué à vivre dans un monde sans fleurs si les agriculteurs ne s’étaient pas mobilisés. Sans les fleurs pour attirer les abeilles, papillons, oiseaux et autres pollinisateurs, leur production de fruits et légumes a chuté. Des drones pollinisateurs ont été développés en urgence, mais leur coût a fait grimper les prix des denrées alimentaires.
Des fleurs bios
L’intérêt pour les fleurs bios augmente lentement.
Le mouvement Slowflower veut promouvoir les fleurs coupées durables, de saison et sans pesticides.
À la bourse aux fleurs de Zurich, il y a un coin où sont proposées des fleurs bios locales.
On a longuement échangé avec eux et la solution est venue de ta fleur préférée, le pissenlit. Ils aiment aussi cette fleur. Pour eux, comme pour nous, elle est démocrate, car elle pousse entre les pavés des beaux quartiers comme dans les fissures des cités. Téméraire, en s’enracinant même dans un environnement hostile à la vie. Punk… Elle refuse les conventions et passe du soleil à la Lune en un souffle d’enfant.
Nous avons tapissé les Champs-Élysées de pissenlits et soufflé. Les graines de la résistance se sont envolées, et avec elles, notre droit au bonheur fleuri.
Aujourd’hui, les fleuristes ont rouvert. Nous proposons des fleurs propres comme la rosée du matin. Les bactéries ont remplacé les pesticides et nous ne vendons plus que des fleurs de saison.
Merci, mon petit pissenlit. Tu avais raison : la beauté n’est pas dans la perfection, mais dans l’envie d’en découdre avec la vie.
Grâce au courage de me battre que tu m’as donné, les fleurs sont revenues, plus vivantes et plus vraies que jamais.
Quels moyens faut-il prendre pour la prévenir ?
Vos avis et commentaires nous intéressent !
Et même la RTS en parle :
https://www.rts.ch/info/sante/2024/article/les-fleuristes-exposes-a-de-nombreux-pesticides-dont-certains-interdits-en-suisse-28711596.html
Je n’achète jamais de fleurs coupées, parfois des plantes d’intérieur en pot. Mon inquiétude est de savoir si nous sommes exposés au même niveau de pesticides. J’ai peur que la réponse soit dans la question…
Pour le jardin, je n’achète que des vivaces, produites localement et adaptées à mon environnement. Pas de produits phytosanitaires et si les plantes meurent, ce qui est rare, c’est bien triste.
J’ai la chance d’habiter en pleine nature et mon approche et de fait biaisée.