Nathanaël Wallenhorst est professeur à la faculté d’éducation de l’Université catholique de l’Ouest.
Menant sa propre enquête en Anthropocène, Il a écrit et dirigé une vingtaine d’ouvrages sur les incidences politiques et éducatives de l’entrée de l’humanité dans une nouvelle ère, marquée par un climat de plus en plus instable. Sur les réseaux, Nathanaël partage ses analyses, ses doutes et ses espérances. À l’instar d’Antonio Gramsci, il est résolument « pessimiste avec l’intelligence, mais optimiste par la volonté.«
Dans l’entretien à suivre, Nathanaël revient sur son parcours intellectuel en Anthropocène et alterne les diagnostics implacables et les traits d’humour pour mieux embrasser et trouver sa place dans l’époque actuelle et les temps à venir.
Entretien enregistré le 5 juin 2023
Remerciements : agence Logarythm
Entretien enregistré le 5 juin 2023
Remerciements : agence Logarythm
Transcript de l’entretien
(Réalisé automatiquement par Ausha, adapté et amélioré avec amour par un humain)
Thomas Gauthier
Bonjour Nathanaël.
Nathanaël Wallenhorst
Bonjour Thomas.
Thomas Gauthier
Alors ça y est, tu es face à l’oracle. Tu vas pouvoir lui poser une première question concernant l’avenir.
Qu’est-ce que tu veux lui demander ?
Nathanaël Wallenhorst
Moi, la première chose que j’aurais envie de demander à l’oracle, c’est quand est-ce qu’on va gagner le combat ? Je veux… pas lui demander si on va le gagner parce que je ne veux même pas arriver sur ce terrain-là, mais je veux savoir quand ce sera parce que je veux dire que je trouve le temps un petit peu long jusqu’à ce qu’on gagne le combat.
Ce que je veux dire derrière, c’est que en tout cas, moi, c’est ma façon de lire le monde aujourd’hui comme un champ de force, un champ de force vraiment puissant au sein duquel il y a des combats, il y a principalement un combat. qui est celui de l’habitabilité humaine de la Terre et de l’habitabilité de la Terre aussi pour l’ensemble du vivant, bien sûr, et peut-être tout particulièrement pour la vie humaine en société qui a toute sa complexité et qui nécessite un climat stable, prévisible, qui nécessite une capacité de maîtrise des écosystèmes. Et aujourd’hui, avec l’emballement climatique et puis l’effondrement des écosystèmes de la biosphère, c’est tout la possibilité même de vivre ensemble sur la Terre qui est compromise et fragilisée.
Et puis, bien sûr, avec la question au milieu de ça de la justice qui explose en plein vol, de conditions pour vivre ensemble de façon juste, je ne sais pas si on peut dire de façon humaine, mais parfois on a l’impression que c’est l’injustice qui caractérise l’humanité. Et donc, oui, ce serait ma première question.
Et dans le champ de force, moi, ce que j’identifie, c’est euh Toutes celles et ceux qui se battent pour un monde viable, durable, j’ai presque envie de dire agréable aussi, juste et humain. Et puis ceux qui, au contraire, jouent avec ça.
Et au premier rang desquels, bien sûr, il y a les bons nombres de grandes entreprises qui jouent avec ça. Nos gouvernements qui jouent de façon très malsaine, en fait, avec un récit technosolutionniste, où à un moment donné, on aurait des solutions techniques possiblement à des problèmes systémiques et globaux, ce qui est vraiment un mensonge.
Et donc, ma question, c’est quand est-ce qu’on va gagner ce combat-là pour, à partir de soulèvement, reverser la vapeur complètement et que ce qui devienne la norme organisatrice de la vie humaine en société se soit fondé sur la durabilité et puis une justice sociale.
Thomas Gauthier
Avec cette première question à l’oracle, tu as déjà abordé beaucoup de notions qu’on va essayer peut-être maintenant d’approfondir, d’éclaircir. Tu as notamment donc parlé de combat, c’est un terme qui est revenu à plusieurs reprises.
Tu as parlé de champ de force. Comme dans tout combat, j’imagine alors qu’il y a des oppositions, il y a différents camps.
Chacun de ces camps dispose de moyens d’agir. Chacun de ces camps est mu par un ou des objectifs.
Chacun de ces camps ont aussi des faiblesses. Est-ce que tu peux maintenant, s’il te plaît, nous raconter un petit peu plus en détail quelle est finalement… la structure de ces camps, qui retrouvons-nous sur le champ de bataille ?
Quelles sont les oppositions ? Où se situent les clivages ?
Et peut-être question complémentaire, si tant est que la première ne soit pas suffisante, est-ce qu’aujourd’hui en politique, les clivages à l’œuvre, évidemment clivage Ausha, sont toujours représentatifs de ce qui se joue ?
Nathanaël Wallenhorst
Ah oui, très bien. Très bien.
Donc effectivement, en fait… le sous-bassement un peu de la question à l’oracle, c’est un questionnement qui est politique, ça c’est clair, c’est clair et net, qui est politique que je ne situerais pas d’abord organisé par le traditionnel Ausha, en fait. C’est-à-dire, il est fondamentalement politique, c’est-à-dire qu’il concerne l’animation de l’action de concert, la façon dont ensemble on va pouvoir décider de notre devenir.
Donc pour moi, c’est ça vraiment l’action politique. Et aujourd’hui, si on regarde les choses de façon partisane, si on regarde la question des partis politiques, juste pour l’identifier et le mettre de côté, pour ensuite être vraiment dans une lecture politique qui soit vraiment par-delà les partis.
Pour moi, c’est assez simple, il n’y en a aucun qui est à la hauteur des enjeux. C’est-à-dire, si on regarde du côté de l’extrême droite, il y a le choix délibéré de fragiliser la vitalité démocratique et pour garantir quelque chose, un espace de sécurité, on va dire, ou quelque chose de cet ordre-là.
Pour moi, il n’y a absolument rien de bon à prendre du côté de la fragilisation démocratique. Et l’avenir, la préparation de l’avenir, ne peut passer que par une radicalisation de la démocratie, du latin vraiment radix, qui veut dire prendre les choses à la racine.
Et si on cherche autrement que… que dans un affermissement de la démocratie, pour moi, il n’y a que de la fragilisation concernant la vie humaine en société qui peut aboutir. Ensuite, si on continue comme ça le panel, si on regarde du côté des Républicains, il y a quelque chose dans la droite aujourd’hui en France qui peut être très belle, c’est dans le conservatisme.
Qu’est-ce que c’est que le conservatisme ? C’est « je garde ce qui, dans le monde, permet l’hospitalité » .
Je vais dire que c’est une lecture peut-être un peu… un peu enjoué de ma part, mais en tout cas, qu’est-ce qu’il y a dans le monde à conserver, à garder pour qu’il demeure humain et hospitalier ? Je veux dire, ça, c’est très bien.
Le problème, c’est que ce qui est devant nous, c’est de la rupture. Et on pourra peut-être y revenir, mais de la rupture, c’est-à-dire soit il y a une rupture dans le fonctionnement même du système Terre, si on est dans une logique sociétale du business as usual.
Soit on est dans une rupture sociopolitique et économique pour contenir l’emballement bio-climatique. Et en fait, le conservatisme, c’est un logiciel, c’est un paradigme qui n’arrive pas à intégrer la dimension de la rupture.
C’est oppositionnel à la rupture. Alors maintenant, on continue avec la République en marche, qui à certains égards est plus à droite que LR du plan de la néolibéralisation du marché. que certains appellent l’extrême centre pour renvoyer à cet ultra-libéralisme ou ultra-néolibéralisme, mais qui sur le plan des mœurs est plus neutre.
Au niveau de La République en Marche, c’est assez simple. On a un logiciel fondamental de poursuite de la néolibéralisation du monde et de la nature.
Donc, continuer de déréguler les marchés pour… pour permettre la maximisation des intérêts individuels, dans l’espoir aussi, j’aimerais dire qu’il peut y avoir aussi quelque chose de beau derrière, c’est-à-dire dans l’espoir que ça permette de faire pondre des petits génies qui produiraient des techniques disruptives, etc., qui amélioreraient encore la vie humaine, etc., mais avec une attention très très faible à la justice sociale. Dans la logique vraiment néolibérale, ça continue de scier avec détermination la branche sur laquelle on est assis et puis de laquelle on reçoit la vie directement.
Donc il n’y a vraiment rien de bon à prendre aujourd’hui de ce côté-là. Maintenant, on va continuer un petit peu avec l’EPS, l’ANUP, l’Europe Écologie Les Verts.
Qu’est-ce qu’il y a ? On a de fait des préoccupations environnementales qui sont peut-être un peu… un petit peu plus mis en avant, d’une certaine façon, qui sont un petit peu plus la porte d’entrée dans l’action politique. Ça dépend des sensibilités, mais parfois, ça l’est davantage.
Un élément à l’égard duquel ils ne parviennent pas à prendre de la distance, c’est l’augmentation du pouvoir d’achat. Là, en fait, on a tout faux.
C’est-à-dire que si on donne davantage la possibilité de griller la planète dont on a déjà grillé une bonne partie, on n’y est pas du tout. Il faut beaucoup plus d’innovation pour être à la hauteur des enjeux, beaucoup plus de créativité, d’une certaine façon, pour réinventer complètement, radicalement le monde et la vie. par-delà. toutes les organisations qu’on peut en avoir jusqu’à présent.
Et donc, surtout pas en augmentant le pouvoir d’achat, mais en le baissant, baissant, baissant, baissant, avec évidemment davantage de justice sociale. C’est-à-dire qu’on pourrait imaginer un écart entre les plus bas revenus et les plus hauts revenus de 1 à 2 ou de 1 à 3, mais pas au-delà de 3, de mon point de vue.
Et puis après, si on continue de fait, soit avec la France insoumise ou un peu plus extrême gauche, là aussi, on a la même limite avec la question du pouvoir d’achat. On a Jean-Luc Mélenchon qui peut particulièrement bien nous parler de l’anthropocène d’une certaine façon, mais de fait, avec cette dimension autour du pouvoir d’achat où pour l’instant, c’est comme la… la monnaie de la justice sociale.
Je ne sais pas vraiment comment dire ça, mais voilà, on a un problème. Et puis, quand on va un petit peu plus en côté extrême rouge, on voit que la violence peut devenir un moyen légitime de l’action.
Et en fait, il y a un combat, ça c’est clair et net, il faut faire advenir le monde d’après d’une certaine façon, mais il y a une corrélation entre la fin… entre les moyens et la fin. Les moyens vont déterminer la fin, de mon point de vue.
Et donc, si on utilise comme moyen la violence, de fait, ça va faire advenir un monde qui va être déterminé par ces moyens-là et qui va être violent, ni plus ni moins. Donc, voilà, pour moi, il n’y a rien de bon à prendre du côté du choix délibéré de la violence dans ce combat.
Thomas Gauthier
Dans ce développement, tu as utilisé un terme que j’aimerais bien te demander, s’il te plaît, de préciser un tout petit peu. au revoir à tes travaux, ça renvoie à tes ouvrages, notamment Vortex, sous-titré justement « Faire face à l’anthropocène » . C’est quoi l’anthropocène ?
Nathanaël Wallenhorst
L’anthropocène, moi, c’est un terme j’ai croisé la route de ce terme-là, ça m’a complètement déglingué. C’est le mot le plus puissant que j’ai eu l’occasion de croiser, de rencontrer.
Je ne savais même pas qu’un terme pouvait à un moment donné te faire quelque chose psychiquement et physiquement. Ça… C’est à la fois quelque chose de tout simple, c’est une terminologie scientifique qui signifie le fait que le système Terre serait en train d’entrer dans une nouvelle époque géologique.
Dans la terminologie anthropocène, le fonds de commerce au niveau scientifique, c’est un débat stratigraphique sur la datation de l’entrée dans l’anthropocène. C’est-à-dire que c’est des géologues qui, dans leur job, dans leur façon de développer leurs travaux, ils étudient les sols, la constitution des sols, des sédiments, etc.
Et c’est en étudiant les sols et les couches sédimentaires qu’ils peuvent permettre de redéfinir, réorganiser, avoir une appréhension de la longue histoire de la Terre, des différentes époques, ères, étapes. Eon, etc., qui véhiculent le système Terre.
On pourrait se dire que c’est un truc d’expert. En fait, ce qui est peut-être très marquant dans l’anthropocène, c’est le fait que cette époque géologique, le débat est en cours sur la question de la datation, c’est vraiment très avancé, mais en cours, c’est un processus qui prend un peu longtemps.
L’idée, c’est de dire que ça ça fait suite à une autre époque géologique, L’Holocène, ça a commencé il y a 11 700 ans. Et on avait un système Terre qui était organisé autour d’oscillations entre des époques glaciaires plutôt longues et des époques interglaciaires plutôt courtes.
Et ça, on a tous déjà entendu ça à l’école, etc., cette oscillation. Et nous, Homo sapiens, on est là depuis 0,35 million d’années, c’est-à-dire 350 000 ans à peu près.
Et donc, homo sapiens, c’est-à-dire l’humain moderne, l’humain intelligent, comme on est là. Et donc, évidemment, on avait déjà planté du blé, du riz, du maïs, mais ça n’avait pas suffi complètement pour vraiment faire émerger des civilisations, c’est-à-dire pour générer quelque chose de sédentaire qui peut s’étaler un peu sur des milliers d’années. parce que les précédentes époques interglaciaires n’avaient pas été suffisamment stables et prévisibles.
Ce que je dis là, c’est une hypothèse scientifique, elle est en partie débattue ou controversée, mais en tout cas, elle va nous permettre de confronter quelque chose de très profond. Et ce qui s’est passé il y a 11 700 ans, le système Terre est entré dans une époque interglaciaire plus stable et prévisible que les précédentes époques interglaciaires.
Et petit à petit, les expérimentations agricoles, elles ont pris. Elles ont pris, ça veut dire qu’à un moment donné, on a réussi à dégager des excédents agricoles, donc à maîtriser les écosystèmes, et à partir de là, à dégager des excédents agricoles.
Et puis après, on a du blé, je te file du blé contre un steak, c’est ce qui va permettre à d’autres de construire des pyramides, etc. Et on voit que c’est le socle, en fait, de tout toute l’aventure civilisationnelle et toute la complexité des civilisations.
Et ce qui fait qu’on peut causer là tranquille mimile, c’est qu’on a mangé un sandwich à midi et du coup, il y a une maîtrise des écosystèmes qui nous permet de faire autre chose que juste de chercher à manger. Et donc, ça nous dit quelque chose de très profond, c’est que les civilisations, la vie humaine en société, sont directement tributaires d’un contexte bioclimatique favorable.
Et si ce contexte bioclimatique n’est plus favorable ? est moins prévisible, moins stable, avec davantage d’événements climatiques extrêmes, avec moins de surfaces de la terre ou à un moment donné qui peuvent être dédiées à la production agricole, etc. Eh bien, de fait, ça vient fragiliser, voire rendre impossible la vie humaine en société.
C’est aussi simple que ça. Et donc, c’est l’événement, l’élément peut-être qui m’a vraiment marqué dans l’anthropocène, c’est comprendre ça. et ce n’est pas de la collapsologie à deux balles parce que de fait après on a eu aussi moi je ne suis pas un collapsologue je suis un scientifique qui travaille au croisement de différents champs disciplinaires inséré dans le débat scientifique en vigueur dans ces différents champs mais par contre et comme tous les chercheurs de ces champs là une conscience aiguë de la façon dont nos sociétés sont fragilisées Merci.
Et puis après, on pourrait prendre l’anthropocène. Moi, ça m’a tellement marqué qu’après, j’ai eu besoin de consacrer tout mon temps et toute mon énergie à comprendre l’anthropocène, à essayer d’en avoir différentes lectures, donc stratigraphiques plus systémiques, c’est-à-dire comprendre la façon dont l’ensemble du système complexe était fragilisé et puis pouvait générer des ruptures, en fait, parce que c’est ça, les systèmes complexes, ils sont caractérisés. par la possibilité de franchissement, de rupture, c’est-à-dire de passages qui, de façon brusque et irréversible, ne génèrent plus de retour en arrière possible.
Et puis d’étudier l’anthropocène sous l’angle des récits aussi, et puis aussi sous l’angle de l’éducation, c’est en se disant, mais si on veut semer des ferments durables du long terme, est-ce que l’éducation ne serait pas un moyen tout particulièrement privilégié, alors qu’il y a un rebours de l’urgence ? de l’action dans laquelle on est. Ce n’est pas sans poser de questions, d’accorder du temps à l’éducation.
Parce que quand on a bien compris les enjeux, on comprend qu’il y a un problème de temporalité, qu’on est dans des temporalités d’urgence. Alors, qu’est-ce que tu vas prendre 30 ans à travailler à la façon de former des femmes et des hommes nouveaux, d’une certaine façon ?
Thomas Gauthier
Avec tes propos sur l’anthropocène, forcément, j’ai une question supplémentaire à te poser. Je vais essayer de la formuler de manière à peu près Merci. compréhensible.
Ce que je comprends, notamment après que tu nous aies brossé le portrait très rapide des différents mouvements politiques en France, c’est que coexistent différentes visions du monde et ces visions du monde, quelles qu’elles soient, ne sont plus en résonance avec la nature fondamentale du monde dans lequel nous sommes, ce monde anthropocène, sorti de l’holocène, sorti de conditions de stabilité et de prévisibilité bioclimatique. On est donc entouré d’individus, de dirigeants et de dirigeantes qui chacune et chacun ont une vision du monde incohérente par rapport à la réalité biophysique.
La question que j’ai envie de poser maintenant a plusieurs tiroirs. Premièrement, comment repérer qu’une conversion du regard est à l’œuvre ? chez un dirigeant ou une dirigeante, comment repérer que l’une ou l’un d’entre eux est en train de hisser sa vision du monde à la hauteur des enjeux biophysiques que tu as rappelés.
Deuxièmement, dans un contexte… de combat, de combat politique. Qui a-t-il à gagner, pour parler en termes très naïfs, pour une politicienne ou un politicien, à hisser sa vision du monde, à la mettre en congruence avec les enjeux biophysiques que tu as rappelés ?
Qui a-t-il à gagner ? Qui a-t-il à perdre ?
Et y a-t-il d’ores et déjà des tactiques politiques qui peuvent être mises en œuvre pour… acquérir cette vision du monde congruente sans pour autant disparaître finalement du théâtre politique ?
Nathanaël Wallenhorst
En fait, il y a un côté où elle est très difficile cette question parce que c’est absolument saisissant de constater combien on n’est pas à la hauteur des enjeux. Déployer une politique à la hauteur des enjeux, qu’est-ce que ça pourrait vouloir dire ?
Pour moi, la première chose, il y a un endroit où c’est tout simple. J’ai envie de dire, si j’étais à la place d’Emmanuel Macron, d’Elizabeth Borne, ou du ministre de l’Environnement, la première chose que je ferais, je positionnerais les savoirs.
Parce qu’on a besoin, pour être en prise avec le réel, de la médiation des savoirs scientifiques. Et sans cette médiation-là, on ne peut pas être en prise avec le réel.
J’ai été très marqué l’été dernier. Il a fait, en 2022, l’été 2022, il a fait chaud et sec en France.
Pas plein d’endroits sur Terre, mais en tout cas, il a fait chaud et sec en France, c’était inhabituel, la vague de chaleur. En fait, le traitement médiatique de cette vague de chaleur et de sécheresse, elle a été très particulière.
On a plusieurs fois entendu, ah ben ça y est, maintenant, on a compris. On a eu tellement chaud et sec qu’on a eu un peu peur.
On a des rosiers qui ne sont pas repartis dans le jardin. où on a je ne sais pas trop quoi et on a quelques villages où carrément il n’y avait plus d’eau il fallait leur livrer des bouteilles des viandes ou de badoits et donc du coup on a compris ce qu’était le réchauffement climatique alors on n’a rien pigé, absolument rien c’est à dire en fait les sens ne nous permettent pas de comprendre intellectuellement pour comprendre intellectuellement il faut rentrer par la médiation des savoirs scientifiques dans la compréhension des systèmes complexes et de la complexité du système Terre et de l’ensemble des processus écologiques qui régissent le système Terre pour comprendre à un moment donné tout ce qui se passe, les différents franchissements de seuils qui sont possibles, etc. Et ça, ce n’est pas nos sens qui peuvent nous permettre de le comprendre.
Et donc la première chose que je ferais, c’est que je positionnerais les savoirs scientifiques. Et puis une deuxième chose, en fait je parlerais de ce que cela me fait vivre, tout simplement.
C’est-à-dire que… Face à l’ampleur du défi, nous sommes impuissants.
C’est aussi simple que ça. Un président de la République, un gouvernement français, est impuissant à compte…
Alors, ça veut dire, quand on a positionné les choses, ça veut dire qu’on se rend compte de l’importance vitale de contenir l’emballement bioclimatique. C’est-à-dire que les savoirs, ils ont ça comme vertu, si on est un peu intellectuellement honnête, c’est qu’on se rend compte que…
Le principal risque, c’est qu’un ensemble de bascules en cascade dans le fonctionnement du système Terre s’enclenche, qui génère une augmentation, entre autres, de la température à la surface de la Terre qui s’emballe, avec une perte d’écosystème qui s’emballe, et où ensuite, les activités humaines n’auraient plus la main. C’est-à-dire qu’en bien même nous arrêterions tous nos SUV, nos 4×4, notre consommation, nos usines, nos trucs, Ce qui générerait le réchauffement climatique, ce ne seraient plus nos pots d’échappement, ni nos vaches qui pètent, mais ce serait tout simplement la fonte du permafrost avec la reprise d’une activité bactérienne, avec la libération de gaz à effet de serre, la fonte des glaces, des pôles qui libèrent des gaz à effet de serre, les incendies de forêt qui, à nouveau, émettent du CO2. etc.
La perte de l’ensemble des forêts du bassin amazonien qui sont transformées en savane, en fait, du plénum entre tout ça, et qui génère la possibilité que le système terre ne se stabilise pas avant plus 5 degrés par rapport aux températures pré-industriales. Plus 5 degrés, en fait, c’est incompatible avec la vie humaine en société, quasi aux quatre coins du monde.
Et donc, quand on pige ça par l’intermédiaire de la production scientifique, on comprend que A viser une politique où on s’adapterait à plus 2,2 degrés ou plus 3 ou je ne sais pas quoi. Ce qu’on entend en ce moment, c’est un putain de foutage de gagne.
C’est-à-dire que ce n’est pas possible. Voilà.
Parce que ce n’est pas un état stable, plus 2 degrés, plus 2,2, plus 3. C’est un moment dans un processus.
Et donc, quand on comprend ça, on comprend, oui, peut-être qu’il va falloir un petit peu s’adapter parce que le contexte est changeant, mais fondamentalement, il faut atténuer. Là, je reprends le couple notionnel du GIEC, atténuation, adaptation.
Et le GIEC a toujours dit ça. C’est d’abord atténuer. l’emballement des règlements climatiques.
Alors, et donc du coup, les savoirs, ça permet ça. Et face à ça, ce qui est important, c’est de ne pas jouer au coq, de ne pas faire comme si la situation était sous contrôle, de ne pas faire comme si des slogans « Make our planet great again » ou je ne sais pas quoi, allaient avoir un impact sur le système Terre.
La com-politique n’a aucun impact. Il n’y a que le droit qui peut avoir un impact. les constitutions, la législation qui peut contenir l’emballement bioclimatique.
Donc, en fait, parler de l’ampleur du défi, de l’impuissance qui est la nôtre, et je pense qu’on peut réussir à… parce que moi, je ne suis pas prêt de lâcher le combat. C’est-à-dire, à un moment donné, de fait, il y a un combat, on est dedans, il ne faut rien lâcher, rien concéder pour, à un moment donné, emporter le morceau.
Et ça, le combat collectif d’un nous ensemble, qui émergerait, il peut se gagner qu’à la hauteur, qu’à la lumière de la compréhension intellectuelle qu’on a des enjeux, c’est une chose, et puis aussi, à un moment donné, de la compréhension existentielle de la gravité de la situation et de notre impuissance pour pouvoir faire émerger, à un moment donné, une force collective qui soit sans commune mesure avec la force d’un juste isolé comme ça, d’un petit ministre, d’un petit président qui joue au puissant. Et puis après, bien sûr, presque en dire la troisième étape, c’est à un moment donné, des échanges, des débats entre citoyens à partir d’un état des savoirs, ça c’est sûr, pour faire émerger des nouvelles règles qui vont organiser la vie collective, qui vont se traduire dans notre constitution, puis dans l’arsenal législatif, et qui vont passer par une expérience, une expérimentation de la démocratie. d’abord articulé à la limite et non plus à la liberté.
Parce qu’aujourd’hui, la démocratie, c’est quoi ? Je fais ce que je veux quand je veux.
C’est la perversion néolibérale de la démocratie. La démocratie, normalement, c’est fondé sur la limite.
Et à partir de là, de fait, c’est moins marrant pour ceux qui sont puissants aujourd’hui parce que ça va venir atténuer leur puissance, leur puissance financière, leur puissance de consommation, etc. Il faut faire évidemment entrer Merci. des quotas dans l’organisation de notre vie de consommation, etc., qu’on n’ait pas le droit d’acheter tout, n’importe comment, qu’on n’ait pas le droit de prendre l’avion n’importe comment, etc., etc.
Voilà.
Thomas Gauthier
Alors, je te propose maintenant, Nathaniel, de passer à nouveau devant l’oracle. Il t’attend de pied ferme.
Qu’est-ce que tu lui demandes maintenant ?
Nathanaël Wallenhorst
Moi, ce que j’ai envie de demander à l’oracle, c’est, bon sang, pourquoi on est des gros teubés comme ça ? C’est pas possible.
C’est-à-dire… le climat s’emballe, les écosystèmes de la biosphère s’effondrent, et nous, les sociétés humaines, on accélère comme des gros teubés. Mais ce n’est pas possible.
Et pourquoi, à un moment donné, l’expérience existentielle de la justice, c’est-à-dire une justice qui est fondée sur « je peux vivre ma vie et je veux parce que j’ai… » de joie de vivre, de plaisir de vivre, de je ne sais pas quoi, que l’autre en face puisse aussi vivre la sienne. Et pas je vais vivre ma vie au détriment de celle de l’autre, en bouffant l’autre.
Et ça, pour moi, c’est fou. Moi, de fait, si on me laisse dans un espace complètement illimité, oui, je peux avoir une soif d’illimitation.
Oui, bien sûr, bien sûr. Mais à un moment donné, il y a aussi la conscience de l’autre.
Et ça, pour moi, ça reste incompréhensible, ce truc-là. Une autre façon de le dire, et de le dire de façon peut-être plus philosophique, c’est comment allons-nous faire pour contenir l’hubris ?
Pour ce que les Grecs appelaient l’hubris, c’est cette folie de la démesure. Et comment est-ce qu’on va petit à petit apprendre à éduquer l’hubris naissante ? et à la contenir et à la mettre sous la bonne garde, j’ai envie de dire.
Et moi, je pense que ce qui peut contenir l’hubris, convivialité. C’est à un moment donné, comment est-ce qu’on va réussir à faire émerger des sociétés qui soient conviviales.
Convivial, ça vient de convivérer, ça veut dire partager un repas. Con, avec.
Nathanaël Wallenhorst
Vivérer, c’est les vivres, le manger, mais c’est aussi la vie, le fait de vivre. Et c’est bien dit parce que de fait, partager les vivres, c’est partager le fait de vivre. À un moment donné, c’est nécessaire à l’existence, comme la respiration.
Et comment est-ce que ce partage des vivres et de la vie va pouvoir être positionné comme premier sur l’hubris ? Et puis derrière, on peut se dire que c’est un peu OK, d’accord, c’est la version d’une espèce d’anthropologie philosophique.
Puis une traduction très, très, très méga concrète d’un truc comme ça. En fait, l’incidence directe, c’est quand et comment, quand est-ce qu’on va avoir arrêté la publicité et avoir fait disparaître de l’espace public et de tout espace la publicité ?
C’est-à-dire, quel intérêt nous avons comme société à pouvoir… nous balancer des pubs de SUV pour faire naître en nous le désir de consommer un SUV, etc. Je veux dire, si vraiment on a besoin de divertissement dans les rues, avant le ciné ou je ne sais pas trop quoi, mettons des pubs qui vont renvoyer sur la façon dont on peut vivre avec solidarité, avec contenance, avec… et puis faire des pubs pour un moment donné, tu fais une vie associative qui met en primace de la vie le avec, etc.
Thomas Gauthier
En évoquant la notion de convivialité, on est certainement obligé de faire un détour par l’histoire, de revenir aux travaux et aux écrits d’Ivan Illich et donc à la période de la fin des années 60 avec la naissance du mouvement environnementaliste aux Etats-Unis, Rachel Carson, le printemps silencieux et ensuite début des années 70. le rapport au club de Rome, la convivialité. J’ai par moments l’impression qu’il y a eu une grande parenthèse qui s’est ouverte grosso modo au milieu des années 70 avec le démarrage du capitalisme spéculatif, de la financiarisation sans limite.
Et puis aujourd’hui, 2023, un peu comme si on avait été endormi. La question que j’aimerais te poser, c’est qui a-t-il, selon toi, à retenir des systèmes de pensée développés dans cette période, fin des années 60, début des années 70 ? qui peut nous éclairer encore aujourd’hui, au milieu des années 2020.
Est-ce que l’on garde l’essentiel de ces propositions intellectuelles et politiques ? Est-ce qu’on les adapte au milieu des années 2020 ?
Ou alors, est-ce qu’elles sont devenues inopérantes ?
Nathanaël Wallenhorst
Oui, tout à fait. En tout cas, la convivialité s’inscrit pour moi dans cette filiation-là, et puis tout particulièrement dans celle… du convivialisme, du manifeste convivialiste qui a été écrit ces derniers temps par un petit groupe de personnes sous l’impulsion d’Alain Caillé et puis des travaux du Mauss et qui s’inscrivent justement dans cette filiation.
C’est-à-dire qu’ils sont la matérialisation, parce que le manifeste convivialiste s’est paré en 2013, le second manifeste convivialiste s’est paré en 2020. Donc, ça matérialise l’importance de ces travaux-là, de la pensée de la conscience. la convivialité d’Illich, etc., pour penser le temps présent, parce que derrière, ils le font vraiment émerger comme un paradigme, en fait, qui se veut adapter au temps présent et au contexte bioclimatique actuel, et qui est comme une alternative au libéralisme, au socialisme, à l’anarchisme, au conservatisme, etc., toutes les grandes théories politiques.
C’est assez impressionnant, en tout cas, quand on revient… Alors, moi, je ne suis pas un historien des idées.
Mais quand on revient 50 ans en arrière, de constater combien tout était déjà là en termes d’analyse de la situation et tout était déjà là en termes de pensée politique pour être adapté aux enjeux du temps présent et à la hauteur des enjeux et pour garantir à un moment donné la pérennité de la vie humaine en société et puis un avenir viable. Et notamment dans le rapport à la technique, l’identification de la façon dont croyants maîtriser la technique, finalement, on en arrive à toute une production technique qui s’autonomise d’une certaine façon à l’égard de la vie humaine et dont on a l’impression parfois qu’elle se nourrit de vie humaine, davantage que, comme humain, nous avons le… contrôle de notre arsenal technique.
Après, il y a une proposition notionnelle aussi qui est plus récente, mais qui s’appuie là-dessus, une scène de technosphère qui pour court signifie à un moment donné cette autonomisation de la technique et puis la dimension vraiment mortifère, parce que la technosphère, et puis on parle aussi de technoscène, c’est comme une alternative aussi notionnelle à l’anthropocène. pour souligner notre lien si problématique aux non-humains médiés par nos artefacts techniques.
Thomas Gauthier
Je te propose de passer une troisième et dernière fois devant l’oracle. Tu peux le cuisiner à nouveau.
Qu’est-ce que tu veux lui demander ?
Nathanaël Wallenhorst
C’est pareil, je vais lui formuler la question. Pour moi, il y a un truc, je fais juste un tout petit préalable à la question.
Il y a un truc qui est hyper important, c’est que euh euh dès qu’on rentre dans ces problèmes bioclimatiques, c’est vraiment plombant. Il est nécessaire de les articuler avec l’action et avec l’action surtout avec la résistance, parce qu’en fait, aujourd’hui, l’enjeu principal n’est pas tant d’agir que de résister, c’est-à-dire de freiner, de mettre des barrières, etc.
Et donc, quand on regarde ça, comprendre, c’est toute la fonction critique, résister, cette fonction de résistance, Si on ne l’articule pas avec une autre fonction qui est le rêve, l’utopie, l’espérance, etc., ça court le risque de la violence. Donc, du coup, en tout cas, cette question de l’espérance, pour moi, est comme impérative.
Il faut qu’on soit vigilant à fonder une espérance intellectuellement honnête à la hauteur des enjeux qui fasse émerger des ruptures réalistes et justes. Et ça, c’est plus difficile, en fait, de travailler à cette espérance intellectuellement. donc ce que je veux demander à l’oracle c’est quand est-ce que nos députés vont se mettre, vont se bouger le cul pour bosser parce qu’aujourd’hui c’est quand même absolument saisissant le type de débat qu’on peut avoir à l’Assemblée qui ne sont pas à la hauteur des enjeux c’est-à-dire à un moment donné j’ai l’impression qu’ils ne prennent pas le corpus des savoirs bioclimatiques actuels dans ce…
Dans son double ancrage disciplinaire, biogéophysique, toutes les sciences dures, et puis sociopolitique, tout le champ des sciences humaines et sociales, qui ont une attention toute particulière à la justice principalement, ont bien davantage, j’ai envie de dire, au niveau biogéophysique. Et en fait, si on prenait ce corpus des savoirs qui est établi, où il y a tout un tas de débats, etc., mais par-delà les débats, on est capable de faire émerger un corpus de savoirs fiables. solide. Ça a été le boulot du GIEC, c’est le boulot de l’IPBES concernant la biodiversité.
Et puis, c’est moins formalisé du point de vue des savoirs sociopolitiques, mais il y a tout un tas d’éléments de consensus sur l’augmentation des inégalités, etc., qui sont établis. Pourquoi est-ce qu’on ne prend pas ça ?
Et pourquoi est-ce que ce n’est pas à partir de là qu’on fait avancer nos lois, notre arsenal législatif ? Et pourquoi c’est à partir de petits débats ? éthique, machin, etc.
Et quand est-ce qu’à un moment donné, on va avoir des députés qui vont bosser à la hauteur des enjeux et prenant un puits sur ces savoirs-là ? Mais du coup, ça suppose bien sûr de faire un travail d’émancipation à l’égard de l’ensemble des citoyens à l’aide des savoirs.
Thomas Gauthier
Alors, les députés sont des personnes politique, c’est-à-dire qu’ensemble, ils ont pour mission d’organiser la vie de la cité pour revenir à l’étymologie. De la même manière, je te propose une toute petite parenthèse.
Dans un certain nombre d’établissements d’enseignement supérieur, c’est le cas notamment des écoles de management, le sujet fondamental qui est peut-être parfois oublié, c’est de réfléchir puis de contribuer à des manières de créer des mondes. organisé, tu as parlé plutôt dans l’entretien de monde habitable, tu as parlé des conditions de maintien de la vie humaine en société. Selon moi, les écoles de management, que je connais un petit peu mieux que d’autres établissements de renseignement supérieur, ont vocation à former des acteurs et des actrices de la construction de mondes organisés.
Ces écoles appliquent de plus en plus un vernis RSE, un vernis avec des connaissances scientifiques concernant le climat, concernant le système Terre. sans pour autant déconstruire des conventions, des normes, des idéologies. On a parlé de néolibéralisme, j’ai évoqué le capitalisme spéculatif, sans déconstruire ces récits, ces imaginaires qui façonnent et structurent les champs de force de la société.
Tu as travaillé sur l’éducation en Anthropocène, c’est l’un de tes nombreux ouvrages sur l’Anthropocène, publié aux éditions du Bordeleau. Ça ressemble à quoi ? une éducation en anthropocène qui va effectivement à la racine et qui est plutôt qu’empilée par petites couches superficielles de nouveaux savoirs. reconstruit les conditions dans lesquelles il est possible de vivre en société et il est possible d’envisager un monde organisé.
Nathanaël Wallenhorst
Aujourd’hui, quand on est enseignant, quand on est enseignant au lycée, et puis après on va parler un peu de l’université, de l’enseignement supérieur, au lycée, dans les programmes, arrivent de plus en plus des éléments euh autour du système climatique et puis autour de la biodiversité. Et donc, du coup, ce constat, on va dire, scientifique, il arrive petit à petit.
Il arrive par petites touches, c’est-à-dire dans les savoirs scolaires. Par exemple, si on prend l’expérience de Greta Thunberg, cette grande figure du militantisme, etc.
Qu’est-ce qui lui est arrivé, Greta Thunberg ? Donc, Greta Thunberg, elle avait 15 ans et demi, en août 2018. qu’est-ce qui lui est arrivé avant ?
Elle a lu des articles scientifiques. Et elle a lu spécifiquement les grands articles de l’anthropocène.
C’est ça, sa littérature de base. Ça s’entend très clairement quand on écoute ses discours, comme elle colle au plus près des discours scientifiques. Elle dit tout le temps écoutez les scientifiques, écoutez la science, etc.
Et quand on regarde, quand on écoute ses discours, on peut dater… très précisément, enfin on peut situer très précisément l’ensemble des articles sur lesquels elle s’appuie, du Röckström 2009, du Stephen 2015 ou 2018, etc., du Barnowski 2011, on peut, voilà, parce qu’elle reprend vraiment les éléments de langage. Donc elle a lu les articles de l’Anthropocène, et puis par ailleurs elle a été scolarisée à l’école en Suède.
Et à un moment donné, au niveau existentiel, expériencé, elle a fait cette expérience-là, où elle a compris que le paradigme qui donne tout son sens aux savoirs scientifiques, c’est la rupture. Demain, on n’est pas dans le prolongement d’aujourd’hui.
Et le paradigme qui donne tout son sens au corpus des savoirs scolaires, c’est la continuité. Demain est dans le prolongement d’aujourd’hui.
Et en fait, éprouvant cette tension entre une logique de rupture dans l’organisation du monde et une logique de continuité dans l’organisation du monde, c’est comme deux récits complètement différents. Elle a pris un bout de carton, elle a écrit qu’elle faisait la graine de l’école.
Voilà, déjà, il fallait y penser, j’ai envie de dire. Et elle est allée emmener son petit bout de carton sur les marches du Parlement suédois.
C’est-à-dire qu’en fait, il y a un triangle entre Anthropocène, savoir scientifique de l’Anthropocène, l’école, quelque chose qui pose problème à l’école, qui n’assure pas sa fonction. à un moment donné de mise en relation avec ces savoirs, dont le responsable est à chercher du côté de l’instance politique. Donc, à partir de là, quand on se dit, alors en fait, éduquer à la hauteur des enjeux, machin, etc., ce serait quoi ?
Ce serait déjà repositionner les choses dans un juste rapport au réel à cet endroit-là. Une autre façon de dire les choses encore, c’est dans le programme, dans le parcours de spécialité de sciences économiques et sociales, SES, au… en terminale en 2022, je ne vous dis pas d’un truc de 1816, en 2022, il y a des agrégés qui, dans un ministère, ont pondu le sujet d’examen suivant qui a été ensuite validé par les différentes instances de l’éducation nationale, qui, parce que conforme au programme, à l’aide d’un exemple, vous montrerez la façon dont l’innovation peut repousser les limites écologiques de la croissance.
Ce ne sont pas des blagues, n’importe qui peut aller vérifier, c’était en mai 2022. À l’aide d’un exemple, vous montrerez la façon dont l’innovation peut repousser les limites écologiques de la croissance. On ne va pas se mentir, c’est très simple, ça, c’est de l’obscurantisme.
Comment l’école républicaine peut-elle émanciper ? C’est quand même viser, j’ai envie de dire, l’émancipation de l’école républicaine, en étant à ce point enlisé dans des logiques obscurantistes.
Ce n’est pas possible. Déjà, il faut se dépêtrer de ces logiques obscurantistes.
Logique obscurantiste, c’est quoi ? c’est de dire, en fait, positionne comme préalable dans notre rapport au monde la croissance. Non, ça ne marche pas.
La croissance, c’est un mythe qui ne s’encastre pas dans le réel bio-géophysique. Moi, si je vous dis ça, ce n’est pas parce que je suis socialisé dans des milieux décroissants et que mes copains sont des décroissants.
Ce n’est pas le cas. Ce n’est pas ma socialisation.
Ma socialisation, c’est celle d’articles scientifiques. C’est à un moment donné ce qui fait… que je dis ça, c’est parce que j’ai plongé dans les articles scientifiques à essayer de comprendre la matière, le fonctionnement même de la matière qui anime et qui organise le système Terre aujourd’hui. vraiment au niveau géophysique, de fait, la croissance, ça ne s’encastre pas là-dedans. Ça ne marche pas. Ça n’est pas possible.
C’est un mythe, c’est une fable, c’est un récit pour petits-enfants. Quand mes enfants étaient petits, je leur lisais des barbes à papa jusqu’à ce qu’ils aient 6 ans. À partir de 6 ans, les barbes à papa, ça ne marchait plus.
Et donc là, nous, on est entretenus dans un stade, même pas un stade prépubère, en fait, un stade enfant, par des programmes scolaires qui ne se dépêtrent pas de cette fable-là qui est nécessaire à l’entretien d’un capitalisme rentier et spéculatif mortifère. Et donc, il y a un endroit où, oui, de fait, il faut arriver à penser…
Alors, pour arriver à penser une éducation, bien sûr… post-capitaliste. C’est nécessaire.
Ce n’est pas être un gauchiste de dire ça. Absolument pas.
C’est juste être dans le réel. L’éducation, ça veut dire qu’à un moment donné, comment elle doit faire ?
Aujourd’hui, les enseignants, de par l’injonction suivante « pas de politique à l’école » et une injonction à la neutralité, ils ne peuvent pas faire leur travail d’objectivation du réel. C’est-à-dire qu’en fait, nous, qui avons été formés à l’école, nous avons été formés par des enseignants qui, et aujourd’hui encore, qui peuvent parler d’une autre chose qui peut arriver tranquillement dans les programmes, mais sans nommer les effets délétères du néolibéralisme, de la maximisation des intérêts individuels, du capitalisme rentier spéculatif, des classes rapaces, c’est une proposition politique, ça rape un peu, mais pour dire la porosité entre les plus hautes sphères de l’État, les cabinets ministériels, et les entreprises du CAC 40.
En fait, ça pose un problème de fou, c’est-à-dire comment pouvoir penser un bien commun conduit par l’action publique quand elle est en définitive exercée par des intérêts privés. Bah ouais, ça bug, bah ouais, ça bug.
Dans le rapport au commun, on a un vrai problème puisqu’il y a eu une appropriation des communs par des privés. Ah bah, merde, c’est con ça.
Bah ouais, c’est con. Et avec cette injonction à la neutralité, on a pas la capacité d’objectiver le réel.
Donc, ça veut dire qu’à un moment donné, l’école est bien, bien, bien dans la merde. L’école et l’éducation sont bien empêtrées.
Les problèmes, ils sont vraiment abyssaux. Donc, déjà, il faut les nommer, il faut arriver à les mettre un petit peu à distance pour, petit à petit, oui, arriver à faire émerger un autre rapport au monde.
Mais il est nécessairement, comment dire, post-capitaliste. Si le capitalisme avait les moyens, parce qu’évidemment, toute la Merci. toute la fable, c’est quoi ?
C’est toutes les externalités négatives, il faut les intégrer dans le modèle, etc., pour lui permettre de lui-même de se réguler. Non, mais non, c’est une fable, en fait, ça ne marche pas comme ça.
Si ça marchait, ça se saurait, on n’en serait pas là.
Thomas Gauthier
Durant tes trois passages devant l’oracle, tu as déjà évoqué quelques repères historiques, quelques grands noms de la science, de l’anthropocène et des limites planétaires. Je te propose, pour cette deuxième partie de l’entretien, de justement braquer notre regard vers hier.
Est-ce que tu peux commencer s’il te plaît par ramener de l’histoire un événement ou un processus historique qui a marqué les temps passés et qui peut, selon toi, nous aider à nous orienter dans le présent et peut-être même à nous projeter dans l’avenir ?
Nathanaël Wallenhorst
Merci. Vraiment, pour moi, c’est ma lecture historique du présent.
Elle est beaucoup organisée à partir de l’anthropocène. et à partir du débat stratigraphique sur la datation de l’entrée dans l’anthropocène. Et avec, pour premier élément, avant la première datation possible de l’entrée dans l’anthropocène, cette question de l’holocène.
Et ça, j’en ai déjà parlé, donc je vais juste dire un mot, mais en 10 secondes, pas plus. C’est, à un moment donné, l’entrée dans une époque géologique, interglaciaire, stable et prévisible, qui, à un moment donné, a permis l’émergence des grandes civilisations de par… la maîtrise des écosystèmes et la capacité à dégager des excédents agricoles.
Pour moi, ça, c’est quelque chose d’important comme de fondateur, en fait, dans le monde tel que nous le connaissons, c’est-à-dire organisé, marqué par la vie humaine en société et par des grandes civilisations. Après, si on fait un petit rétrospectif, comme ça, de dates importantes, donc, les géologues, ils sont ainsi formés. produit qu’à un moment donné, s’il y a nouvelle âge, géologie, époque, nouvelle période, etc.
Il faut identifier quand est-ce que ça a commencé, et là, on ne rigole pas, ce n’est pas une petite interprétation, c’est toute une méthodologie très rigoureuse et vraiment fondée sur la preuve dans un débat intense, etc., pour identifier des datations possibles. Et les différentes datations possibles d’entrée anthropocène, la première, c’est la maîtrise du feu.
Donc ça, c’était il y a 400 000 ans. Et en disant, en fait, la maîtrise du feu, elle organise une petite modification de la constitution chimique de l’atmosphère.
Mais là, quand on en remonte comme ça, aussi loin, tout de suite, le géologue dit, peut-être, mais en fait, on n’en a pas les preuves suffisamment précises au niveau stratigraphique, donc ça ne marche pas. Une deuxième, une autre datation possible, c’est l’émergence de l’agriculture. et la généralisation de l’agriculture, il y a entre 5000 et 8000 ans.
En disant, là de fait, on commence à transformer des écosystèmes et ça a un impact sur la constitution chimique de l’atmosphère. Certains vont même jusqu’à dire, alors qu’on aurait dû rentrer, c’est une hypothèse aussi, alors qu’on aurait dû rentrer dans une nouvelle époque glaciaire, la transformation de la constitution chimique de l’atmosphère du fait de l’agriculture a maintenu le système terre dans l’Holocène.
Une autre datation possible encore, c’est la perception dans les sédiments des effets de la rencontre entre l’Ancien et le Nouveau Monde, avec un pic ici à 1610. Il y a une petite inertie dans la perception ensuite de la découverte des Amériques par Christophe Colomb, de cette rencontre entre l’Ancien et le Nouveau Monde.
Et là, qu’est-ce qui s’est passé ? Il s’est passé que…
En fait, il y a eu une baisse en moins de 150 ans de 50 millions de la population humaine mondiale du fait d’un génocide des Européens à l’égard des Amérindiens, du fait aussi de différentes pandémies en lien avec les transferts des activités bactériennes, etc. Et de ça, on en perçoit une trace dans les sédiments parce que du coup, il y a une baisse. et non pas une augmentation, une baisse du CO2 dans l’atmosphère, parce que des espaces agricoles des Amérindiens, à un moment donné, sont redevenus des espaces arborés, des forêts qui ont capté de façon significative du carbone et donc diminué le taux de CO2.
L’autre datation possible, c’est… ça dépend des articles, mais aux alentours de 1800, certains datent à 1769, avec le dépôt du brevet de la machine à vapeur par James Watt. Donc le début de la révolution industrielle, comme entrée à un moment donné généralisée dans une nouvelle époque.
Une autre datation possible encore, c’est en 1945, avec la première explosion de bombes nucléaires dont on perçoit des radionuclides aux quatre coins du monde. Une autre datation encore, du coup j’en arrive à la sixième là, c’est 1950 avec l’entrée dans une consommation de masse organisée par des stratégies d’obsolescence programmées.
Et puis la dernière datation possible, c’est de dire mais en fait, il faut laisser les humains dans quelques milliers d’années dater l’entrée dans l’anthropocène et d’autres géologues répondent tout de suite en disant « attends, t’es mimi, mais en fait, il n’y aura plus d’humains » . On va dater le truc dès maintenant.
OK, il y a un choix politique et on assume une fonction politique et pas strictement scientifique dans cette datation, mais il est vital de la dater. Alors, là, on peut se dire, OK, d’accord, mais comment c’est structurant pour penser le monde aujourd’hui et pour avoir aussi une lecture anthropologique ?
C’est-à-dire pour nous comprendre nouvellement ou mieux nous-mêmes ? En fait, alors…
Je mets de côté la question du feu, première notation. La deuxième sur l’agriculture, ça veut dire quoi ? Ça veut dire, alors, qui est responsable de ce qui se passe là, en ce moment, de cette dérégulation bio-climatique ? Ça veut dire, c’est tout le monde parce qu’on mange.
Donc là, ça nous amène quelque chose qui est intéressant, ça nous renvoie à notre condition, à la naturalité, j’ai envie de dire, de notre dimension. Mais par contre, ça dépolitise un petit peu les choses.
C’est-à-dire, à un moment donné, ça… On dit, le monde dans lequel on est, finalement, c’est un monde où il faut manger.
Et puis, voilà. Et ça ne nous dit pas qu’il y en a qui mangent plus que d’autres, en gros, si je vais finir la métaphore.
Et puis après, la rencontre entre l’ancien et le nouveau monde, ça nous dit quoi ? Ça pointe du doigt la colonisation. Et puis, ça pointe du doigt l’impérialisme, la domination, et une domination derrière qui peut aller de pair avec le saccage, avec la destruction, avec le génocide. Ça nomme cette puissance de destruction qui est un élément anthropologique et qui est derrière culturellement investi, habité à certains moments de l’histoire.
La datation de la révolution industrielle, ça nomme, ça pointe du doigt le capitalisme, c’est-à-dire de permettre de comprendre le monde contemporain comme des rapports de force entre ceux qui ont le capital et ceux qui ne l’ont pas. Et puis après, 1945, ça nous dit quoi ? Ça nous dit l’association du pouvoir politico-munitaire avec le pouvoir technoscientifique, qui n’est pas juste la dimension scientifique de comprendre, d’analyser, de distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas. mais à un moment donné, associé à cette dimension de la technique pour impacter avec d’autant plus de puissance notre rapport au monde, qui associé avec le pouvoir politico-militaire peut générer des dégâts de fou.
Et puis après, 1950, ça nous dit l’entrée à un moment donné dans une société de consommation, marquée par la publicité, le marketing, faire naître le désir, un désir toujours renouvelé, insatiable, etc. Et puis, la dernière datation, de fait, ça renvoie à un moment donné aussi à la nécessité de l’engagement, pour moi, vital, de l’engagement politique des chercheurs, qu’on veut tout le temps réduire, restreindre.
Et on l’a vu, c’est assez impressionnant, même quand on regarde la question du GIEC. J’ai vraiment beaucoup d’admiration pour le travail considérable qui est fait par le GIEC.
C’est exceptionnel. Et puis, On a vu aussi quand même que par le passé, on a voulu à un moment donné que ces experts-là, finalement, étaient quand même assez inféodés au pouvoir politique, avaient du mal aussi à rentrer dans l’art de façon claire, nette, précise, à l’égard, bah oui, du fait du prescripteur politique, mais pour dire, mais ça ne va pas, là vous jouez un jeu malsain, vous nous instrumentalisez.
Voilà, on a l’impression que vous avez fait votre part en nous encourageant à analyser. Mais notre analyse, elle n’a de sens que si elle se traduit par des actions politiques à la hauteur des enjeux.
Et à cet endroit-là, il y a une instrumentalisation qui était vraiment hyper perverse des responsables politiques et des responsables scientifiques qui se sont laissés cantonner à ce rôle finalement d’analyste, etc. Et voilà, là, il me semble qu’on est dans une autre étape et qu’on a besoin de voler dans les plumes justement du… pouvoir politique qui n’est pas à la hauteur des enjeux.
Thomas Gauthier
Alors finalement, en reprenant ces débats qui animent aujourd’hui les communautés internationales de géologues, tu as pu ramener de l’histoire de nombreux repères que je ne vais pas reprendre avec toi. On comprend bien la fonction politique de la datation d’entrée dans l’anthropocène dont tu as parlé, puisque j’imagine que lorsque cette entrée en anthropocène aura été validée, aura fait consensus, Tous les manuels scolaires vont devoir être mis à jour et donc les enfants du monde entier vont apprendre la grande histoire du système Terre avec une nouvelle époque et avec des éléments d’explication fournis par les scientifiques expliquant la sortie de l’Holocène et l’entrée dans l’Anthropocène. ce qui permettra peut-être à ces futurs adultes de penser leurs décisions et leurs actes avec un recul. supplémentaires.
Je te propose peut-être maintenant d’entrer dans la troisième et dernière partie de l’entretien. On s’est parlé futur possible avec les questions à l’oracle, on s’est parlé histoire avec les dates possibles d’entrer en Anthropocène.
Revenons peut-être au présent. Est-ce que tu peux, en quelques mots, peut-être un peu plus, nous raconter pour toi, quelles formes ont pris et prennent tes interventions dans le monde ?
Dit autrement, comment est-ce qu’on pratique Merci. Tu traduis en actes à la fois tes pensées, ton rapport à l’histoire, dont tu viens de nous parler un tout petit peu à travers le débat scientifique, et tes questionnements sur l’avenir.
Nathanaël Wallenhorst
Pour moi, ça prend plusieurs formes, j’ai envie de dire. Déjà, les enjeux sont conséquents.ma vie n’est pas à la hauteur des enjeux et à aucun moment je prétendrai qu’elle l’est.
Et je trouve même ça souvent néfaste quand des personnes appréhendent le fonctionnement de nos sociétés, à partir de leur action. La mise en scène de la dimension héroïque Merci. de son existence écologique, d’une certaine façon, nous pose toujours problème.
Parce que souvent, c’est plus complexe que ça, et puis parce que ce dont on a besoin, c’est pas d’individus héroïques qui donnaient des médailles, mais c’est de fonder dans la loi ce qui va nous permettre de vivre ensemble. Voilà, et c’est ça l’enjeu, c’est tout.
D’avoir 3-4 existences héroïques, ou même 100 000, ou même 3 millions, c’est pas ça l’enjeu fondamental. Et puis, en disant ça, je ne blâme absolument pas toutes celles et ceux qui transforment radicalement leur vie quotidienne pour être en conformité, pour vivre en conscience.
Et bien sûr, ça participe d’un mouvement de fond qui peut générer des bascules. Moi, je m’appuie beaucoup à l’endroit où j’ancre mon espérance.
Moi, je suis français et allemand. Mon père est allemand, ma mère est française. et l’événement politique dont je me souviens de mon enfance, qui m’a vraiment marqué, c’est la chute du mur de Berlin, la réunification de l’Allemagne, 1989-1990.
Et ça, beaucoup de personnes y avaient œuvré, etc. et on ne l’a pas vu venir en fait. Alors c’est un peu plus complexe que ça, etc.
Mais il y a quelques jours où tout d’un coup ça a été mur, c’est pourri, ça s’est effondré. Et je pense qu’il peut y avoir aussi des… des bascules sociopolitiques qui soient la résultante aussi de tout ce que les uns et les autres vont faire.
Tout ça, à un moment donné, je pense que ça s’agrège et que ça peut générer des soulèvements ou participer de bascules. Alors, une fois que j’ai dit ça, du coup, moi, la forme, je veux dire que ce que ça prend pour moi, c’est en fait, c’est principalement l’écriture, je dirais.
Et l’écriture, c’est-à-dire à la fois… Oui, l’écriture scientifique, d’écrire des articles scientifiques, c’est mon métier, c’est mon travail, c’est ce que je suis tenu de faire.
Donc ça, c’est une chose. Mais c’est une écriture dans laquelle je n’ai pas beaucoup de plaisir.
Je le fais avec scrupule et attention parce que c’est le fonds de commerce nécessaire d’un enseignant-chercheur. Donc de publier suffisamment, etc.
Mais l’endroit vraiment où… où à la fois j’ai du plaisir et où j’ai l’impression que ça a une utilité sociale quand même supérieure, c’est dans l’écriture de textes qui ne sont pas à destination des chercheurs. Pour, alors, deux choses, évidemment, pour parler du fonctionnement du système Terre et puis pour donner à voir, à comprendre et même à ressentir, c’est-à-dire pour comprendre comment nos existences, la vie humaine en société, notre existence, elle est. tissé de mille fils qui nous relient aux glaciers, aux forêts, à la constitution chimique de l’atmosphère, à la constitution et à l’acidification des océans, à la grande barrière de corail, etc.
Pour comprendre comment dans ma vie aujourd’hui, il y a ce fil qui me relie à la barrière de corail, aux ours polaires, etc. Là où souvent ça apparaît éloigné, on a l’impression qu’il n’y a pas de…
Donc ça c’est une chose. Et l’autre chose, c’est pour ne pas… ne rien laisser passer des récits politiques pervers qui nous sont fournis tous les jours.
Et là, ça me semble absolument nécessaire de rien laisser passer. Rien laisser passer, j’en ai parlé un petit peu, dès qu’on nous dit qu’on va s’adapter à une France 2,2 ou 3 degrés, en fait, non, ça c’est nous prendre pour des cons.
Quand on nous parle de voiture verte, une voiture verte, c’est une bagnole qui est peinte en vert. Une voiture verte, à part si elle est construite en feuilles de chou, mais pour l’instant, on n’a pas de bagnole construite en feuilles de chou. Ça s’appelle du putain de foutage de gueule.
Quand on nous encourage à acheter un SUV électrique, il vaut mieux garder sa petite Clio toute pourrie au diesel. Ça a un effet délétère inférieur sur… l’ensemble de la vie humaine en société que de changer pour prendre un SUV plus gros, machin, etc. Et remettre, prendre le bas de combat des chaînes de production, mobiliser de l’énergie, mobiliser de la matière, etc.
Donc ça, c’est… Non.
Quand on nous parle de technologie, donc ça, c’est le président Macron, de technologie bonne pour le climat, en fait, non. Non, ça n’existe pas.
Quand à un moment donné, je ne sais pas quoi, moi j’ai déjà rencontré un techno-solutionniste, un vrai, un gars, un mâle, vraiment un gars qui avait une bonne paire de coucouignettes et qui m’expliquait qu’il bossait dans un fonds pour lever 37 milliards de dollars, le vrai mec, pour retarder le moment où… il y aurait des effondrements généralisés dans nos sociétés et permettre aux sociétés de prendre des virages. En fait, il est mimi, le gars, il avait la conscience pour lui en disant « je travaille dans un domaine qui est écologique, environnemental pour garantir la pérennité de la vie humaine en société, mais par contre, je ne travaille pas du tout à la réorientation de nos sociétés. » Et en fait, qu’est-ce qui se passe ?
En ce moment, tout le monde s’engouffre là-dedans, dans de la finance verte, de la croissance verte, etc. Et on a des pubs tout le temps là-dessus. qui sont la nouvelle forme du climato-scepticisme ou du climato-dénianisme.
C’est-à-dire que ça nourrit l’inaction politique radicale de réorientation, de rupture dans nos sociétés, parce qu’en fait, on s’engouffre là-dedans. Et oui, on s’engouffre là-dedans jusqu’à ce qu’on se scratch contre le mur.
Donc, ne rien laisser passer de toutes ces conneries. et puis, euh… Oui, les nommer, les dire.
Alors, heureusement, on est nombreux. Voilà, ce n’est pas toujours agréable de dire ça parce que le truc est en train de gagner du terrain, qu’à un moment donné, les chercheurs se mouillent et investissent jusqu’au bout de l’arène politique.
Mais globalement, dans l’habitude des chercheurs, on a plutôt à être cantonné dans un espace qui est un dolor. Puis, il nous dort au niveau politique.
La science étant neutre politiquement, je ne sais pas quoi, là, non, de fait, on a besoin que les chercheurs prennent la parole et qu’ils l’apprennent de façon très claire et intelligible. Mais c’est ce qui se passe.
Je suis inscrit là plus ou moins dans la filiation depuis aussi des décennies que des tribunes, des alertes, etc. sont écrites.
Thomas Gauthier
On a passé presque 70 minutes ensemble à se poser des questions avec toi sur l’avenir. à regarder du côté de l’histoire et puis là, sans chercher à donner un exemple à d’autres, à simplement raconter les manières dont tu interviens dans le monde et tu as rappelé à quel point la recherche d’une attitude héroïque n’était peut-être pas le modus operandi le plus utile pour fonder et refonder les circonstances de vie humaine en société. Merci infiniment, Nathanaël, pour le temps que tu as consacré à ce podcast. À bientôt.
Nathanaël Wallenhorst
Merci Thomas, un grand merci.
Sur cette problématique de l’anthropocène, petit échange avec une série de dessins que je suis en train de réaliser pour le Muséum d’histoire naturelle de Grenoble : https://1011-art.blogspot.com/p/planche-encyclopedie.html
Mais aussi par la série « Panta rhei » sur ce même sujet https://1011-art.blogspot.com/p/ordre-du-monde.html
Ou encore « Vous êtes ici » sur la disparition de la biodiversité : https://1011-art.blogspot.com/p/vous-etes-ici.html
Et +