Les praticiens s’y reconnaîtront certainement, un des défis d’un dispositif de prospective est celui de l’impact. Pas l’impact d’un atelier, ou d’une activité, mais l’impact du dispositif dans sa globalité.
La question peut arriver à n’importe quel moment, qu’elle soit liée aux produits que vous produisez ou au budget que vous devez justifier.
Lorsque celle-ci arrive, c’est qu’il y a généralement quelque-chose en jeu et il est alors important de comprendre les raisons dissimulées d’un tel questionnement. Il n’en demeure pas moins que la question est légitime et pertinente, et souvent l’occasion d’une analyse sur l’évolution du dispositif, de ses livrables ainsi que de ses parties prenantes.
Étant confronté continuellement à la recherche (et la justification !) de l’impact dans le cadre du programme de prospective d’armasuisse Sciences et Technologies – deftech – , je me suis rendu compte que le défi était très similaire à celui de l’enseignement.
Les éléments ci-après proviennent donc du monde de la pédagogie ainsi que de considérations émanant du marketing personnel (personal branding). Fort est de constater que les domaines sont plus que communiquants !
Le changement, c’est du stress.
Lorsque la prospective entre en action, c’est naturellement pour discuter de questions stratégiques en amenant forcément de nouvelles perspectives, de nouvelles façons de voir et de percevoir les choses tout comme d’engager l’imagination.
Que vous le vouliez ou non, dans la plupart des cas ces réflexions apporteront du changement; or le changement s’oppose au maintien du statu quo qui est si cher à l’être humain car synonyme de continuité et de contrôle; en conclusion, le changement suscite du stress et ce qui est source de stress n’est généralement pas le bienvenu.
Je pense que fondamentalement, c’est là que réside le noeud du problème: dans l’acceptation et la gestion de ce stress. Dans un registre connexe, n’hésitez pas à lire le cahier Pour une gestion optimale du stress publié par Les Cahiers de la Revue Défense Nationale (française).
Il y a cependant deux formes de stress: le positif et le négatif et il y a une énorme différence entre les deux. Cela est très bien défini dans l’ouvrage Creative Personal Branding de Jürgen Salenbacher.
Le stress positif, aussi appelé eustress, augmente les performances, vous rend enthousiaste à l’idée d’une situation nouvelle, stimulante et exigeante, que vous pensez pouvoir gérer. Il vous donne de l’énergie et est essentiel pour donner du piquant à la vie. L’excitation est l’essence même de la vie et fait qu’elle vaut la peine d’être vécue.
Un stress positif insuffisant est suivi d’ennui, de désespoir et d’apathie.
Le stress négatif, appelé détresse, peut causer des dommages physiques et mentaux. Lorsque le stress négatif est trop important, les individus se sentent frustrés, effrayés ou en colère.
Face à ce changement à venir, comment faire appel à ce stress positif et minimiser au maximum celui négatif ?
Une piste prometteuse est celle de la motivation. Cette idée ne m’est pas arrivée toute seule, mais en faisant le parallèle entre les défis liés à la divulgation d’un état d’esprit prospectiviste et celui de l’enseignement, tout simplement.
Dans les deux cas effectivement, l’envie d’apprendre et celle d’appliquer les choses apprises doivent naître, – et ne peuvent naître – qu’à l’intérieur des participants mêmes.
Le domaine traitant de ce sujet est celui de la pédagogie.
La motivation
C’est en lisant l’ouvrage Design pédagogique de Jacques Lanarès, Marc Laperrouza et Emmanuel Sylvestre que le déclic s’est produit.
Une formule mathématique parle toujours à un ingénieur, et celle de la page 22 est merveilleuse de simplicité et de signification:
La motivation est le résultat d’un processus individuel et ne peut être “injectée” aux apprenants, contrairement à l’idée répandue selon laquelle “il faut motiver les étudiantes et les étudiants !”
Cela signifie donc que pour motiver les parties prenantes à tirer parti du dispositif de prospective, fournir des produits d’information, à l’identique du matériel scolaire pour les étudiants, n’est que le point de départ. Il va falloir de plus leur montrer comment s’en servir afin de pouvoir en apprécier la valeur, qui dans notre cas, consiste fortement au test d’hypothèses devant pouvoir résister à différents scenarios que nous appelons futurs.
Mentionné de la sorte, cela peut paraître évident, mais si l’on fait le parallèle avec le monde de l’automobile, cela signifie que vous êtes en charge non seulement de l’élaboration des plans de la voiture, de sa construction et de sa vente, mais également des cours d’auto-école et du permis de conduire des clients, sans compter du service après-vente et des réparations / adaptations.
Il n’y a naturellement aucun problème à cela, et je vous garantis que l’aventure n’en est que plus passionnante, mais il faut juste en être conscient.
Cela prend parfois du temps. Cela prend parfois beaucoup de temps.
Savoir, savoir faire, savoir être
L’objectif et le rôle d’un dispositif de prospective à l’intérieur d’une organisation est donc multiple, même si cela n’est pas exprimé spécifiquement, même si cela ne fait pas partie du cahier des charges.
Le dispositif sera chargé de diffuser le savoir, le savoir faire et le savoir être.
Savoir prospectif
Il s’agit d’être au fait des différentes tendances (trends et megatrends) sur diverses thématiques, de pouvoir tisser des liens entre différents domaines et anticiper les synergies. C’est un travail de fond qui va nourrir les discussions stratégiques et les produits du dispositif.
Dans le cadre de deftech nous avons déployé cela sous la forme de newsletter et maintenant de billets technologiques ainsi que de différentes publications thématiques.
Savoir-faire prospectif
Le savoir-faire se construit entre théorie et pratique, au fil des projets et des ateliers.
Il s’agit d’échanges de pratiques et d’adaptations toujours répétées car chaque contexte est unique, soit par le thème considéré, soit par ses parties prenantes, soit par les produits attendus.
Dans le cadre de deftech, nous mettons à disposition le matériel des différents ateliers réalisés afin de créer des échanges avec les personnes les utilisant (menu Atelier – https://deftech.ch/fr/).
Nous avons également intégré des exercices individuels et de groupes dans la série deftech.exploration et privilégions l’approche du roadmapping autant que nous adaptons, si ce n’est à toutes, du moins à beaucoup de sauces 🙂.
Le site https://atelierdesfuturs.org vise également à divulguer et transmettre ce savoir-faire.
Savoir-être prospectif
Le savoir-être est certainement la plus difficile à transmettre tant il sera lié au leadership et aux valeurs jaillissant du dispositif que de celui ou celle qui les réceptionnera. Nous avons tenté de décrire à quoi pourrait ressembler un savoir-être prospectiviste, avec un brin d’activisme, mais il est évident que la réalité est bien plus ample.
Dans le cadre de deftech, nous avons défini les philosophie, vision, mission et valeurs du dispositif et nous efforçons d’agir en cohérence pour toutes les activités prospectives.
Conclusion
Conduire le changement avec un maximum de stress positif par des individus motivés représente certainement un des rêves de toute personne à une position dirigeante.
Dans le cadre de la prospective et de l’anticipation, il est nécessaire non seulement de construire un dispositif, mais également de permettre au différentes parties prenantes de passer du temps à son contact, de participer aux diverses activités, d’intégrer les réflexions dans les processus existants, en deux mots d’institutionnaliser le processus prospectif.
Personne ne prétend que c’est là chose aisée, mais il est sûr qu’une volonté venant du haut de la hiérarchie (top-down) facilite grandement le processus, mais pas nécessairement son acceptance.
Pour l’acceptance, cela sera à nouveau une affaire de motivation, et il semble que désormais la piste est toute tracée .