Q238 | Pourquoi la prospective devient incontournable ?

20 décembre 2024
4 mins de lecture
Photo de Dylan Gillis sur Unsplash

Pour une organisation, prendre une décision importante, telle qu’un investissement, nécessite de se forger une opinion sur l’avenir. 

La prévision est le cœur de métier des économistes et des stratèges et est omniprésente dans la prise de décision publique comme privée.

Il s’agit d’un exercice complexe où ils doivent anticiper les grandes variables économiques telles que l’inflation, les taux d’intérêt ou encore la croissance pour déterminer une trajectoire prévisionnelle des dépenses et des recettes. L’actualité abonde pourtant d’exemples d’échecs patents en termes de prévisions.

Les modèles probabilistes sont par vocation faux – leur but n’est pas de prévenir précisément l’avenir mais d’informer la prise de décision en fournissant la vision la plus probable à l’instant t.

Les difficultés commencent cependant lorsque les modèles donnent une image qui est systématiquement biaisée et que le réalisé diverge significativement par rapport à la prévision.

Les scénarios de déploiement des ENR de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) sous-estiment ainsi massivement leur taux de pénétration année après année depuis près de 20 ans.

Aux origines du problème

Sans entrer dans la complexité mathématique, les modèles, même les plus sophistiqués, reposent sur des hypothèses basées dans notre univers cognitif. Or celui-ci a été façonné par les expériences du passé. Les approches les plus fines tentent de surmonter ce problème en introduisant des sources de variation aléatoire qui viennent contrebalancer le déterminisme historique. Ils permettent de produire des cônes de possibilités décrivant l’ensemble des futurs et de leur assigner des probabilités d’occurrence. Néanmoins, ces approches ne résolvent pas le problème.

Une difficulté, éloquemment décrite par Nassim Nicholas Taleb, concerne les risques avec une très faible probabilité d’occurrence mais des conséquences potentiellement dramatiques. Une approche purement probabiliste conduit à les sous-estimer et à les déprioriser. Ce sont les fameux « cygnes noirs », des événements tellement peu probables qu’ils ne sont pas dans notre champ intellectuel.

Les auditions actuellement en cours à l’Assemblée Nationale pour établir les raisons de l’écart entre les prévisions et les recettes des administrations publiques sont particulièrement riches et instructives. Les divers responsables des plus prestigieuses administrations – Direction du Trésor, du Budget, des Finances Publiques – y dressent un constat convergent : l’exercice de projection devient de plus en plus complexe dans un monde marqué par la multiplication des chocs aléatoires. 

COVID, guerre en Ukraine, crise du gaz, la multiplication des événements déstabilisants détériore la capacité prédictive des modèles macro-économiques qui sont conçus autour d’hypothèses fortes de pérennité des fondamentaux économiques. Cette difficulté s’incarne dans les écarts constatés sur les années 2023 et 2024 mais se constate également depuis plus longtemps dans la croissance de la différence moyenne entre prévisionnel et réalisé.

Conséquences pour la prospective

L’approche probabiliste s’améliore considérablement avec le temps mais ne parvient pas à surmonter l’incertitude radicale d’un monde dont les fondamentaux évolue de manière accélérée.

Les exercices de prévision sont d’autant meilleurs que la stabilité est grande.

Or, les sources d’incertitude augmentent structurellement depuis quelques années. Parmi celles-ci, on peut compter la géopolitique avec une reconfiguration en un monde multipolaire déstructuré où des puissances régionales entrent en concurrence frontale et une perte de cohérence globale, le changement climatique qui introduit une rupture écologique, économique et sociale majeure ou encore le progrès technologique où des innovations de rupture fleurissent à un rythme accéléré dans le sillage de l’IA, de l’accès à l’espace ou de l’ingénierie génétique.

La prospective, comprise comme l’exploration systématique et méthodique de futurs potentiels dans le but d’informer les décisions du présent, prend alors toute sa place. Le but n’est plus de raisonner en probabilités mais bien de faire émerger des visions cohérentes de futurs plausibles dont l’analyse sera utile au présent. 

Elle permet de faire émerger des scénarios sans se prononcer sur leur probabilité réciproque. C’est par exemple ce que font le GIEC ou l’AIE quand ils présentent leurs prévisions à long terme. La démarche se répand à de nombreux secteurs et par exemple, le Network for Greening the Financial System fournit des scénarios macro-économiques de référence pour le système financier en fonction de différents chemins de transition environnementale empruntés par nos sociétés.

Le but n’est plus de raisonner en probabilités mais bien de faire émerger des visions cohérentes de futurs plausibles dont l’analyse sera utile au présent. 

Du futur au présent, et inversement

La grande difficulté de la prospective n’est pas d’imaginer des avenirs plausibles – bien que l’exercice soit loin d’être simple pour quiconque s’y est prêté sérieusement. La notion « pathway », c’est-à-dire le chemin qui mène du présent à cet hypothétique futur, est la principale source de complexité, et d’enseignements. Quelles décisions, quels événements amènent le monde du futur ? Quels sont les éléments du présent sur lesquels les décideurs peuvent agir pour conditionner le futur ?

A cette notion de « pathway » répond celle de décision adaptative. Un dirigeant qui a su faire émerger une vision d’un futur désirable plausible aura à cœur de tout mettre en œuvre pour le faire advenir.

Seulement, le chemin théorique et la pratique connaîtront un écart qui sera d’autant plus grand que l’incertitude du présent augmentera. Bâtir le futur ne résume donc pas à marcher sur un chemin établi par la prospective mais implique de séquencer les prises de décisions en étapes d’importance réduite afin de les adapter à des conditions présentes évolutives.

Cette intuition est au cœur de la démarche de prise de décision adaptative. Plutôt que de lancer de grandes initiatives avec des points de non-retour forts, il vaut mieux décomposer la décision en une série d’étapes dont la pertinence sera validée de manière itérative

Si l’on veut prendre une analogie industrielle, face à l’incertitude radicale, il vaut mieux tester et faire exploser des fusées à répétition afin de trouver rapidement ce qui fonctionne, plutôt que de créer la fusée parfaite sur le papier et de se retrouver avec des choix technologiques obsolètes.

Et vous, qu’en pensez-vous ?

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