Q240 | Comment créer une collaboration durable entre monde civil et monde militaire pour l’anticipation des menaces de demain ?

3 janvier 2025
9 mins de lecture
Photo prise lors du Deftech-Day du 31 août 2022 "Incertitude, Innovation, Résilience" ayant mis en scène durant toute la journée une collaboration civile-militaire ludique sur les menaces et défis de demain.

Une question telle que celle du titre est naturellement à remettre dans son contexte. Un contexte d’échanges internationaux sur le thème de la prospective et la demande de présenter l’expérience du dispositif d’anticipation d’armasuisse Science et technologies connu sous le nom de Deftech (Defense Future Technologies). Une partie de l’aventure du dispositif a déjà donné lieu à une série de billets, mais la suggestion d’en rédiger un pour approfondir la question ayant été acceptée avec enthousiasme, voici donc la naissance de cet article.

Vu le thème et le contexte professionnel, le texte reflète naturellement uniquement les idées ainsi que les opinions de son auteur. Il est probable également que vous y trouviez passablement d’idéalisme et de naïveté dans certaines réflexions : que voulez-vous, je suis d’avis qu’une vision n’est pas nécessairement faite pour être atteinte, mais pour inspirer, élément fondateur de la devise du dispositif : anticiper, inspirer, informer, instruire, impacter (AI4).

Fondamentalement, les activités de Deftech visent à anticiper les menaces potentielles issues de nouveaux usages, systèmes ou pratiques rendus possibles par des avancées technologiques. L’objectif est d’imaginer des solutions innovantes pour répondre aux vulnérabilités identifiées.

En même temps, si menace il y a, fort est à parier que celle-ci aura des conséquences plus locales, nationales ou globales en fonction de sa nature et de son importance. Or bien souvent, une menace peut se comprendre avant tout comme un changement. Une fois identifié, il faudra décider si nous voulons provoquer (plutôt attaque) ou subir (plutôt défense) ce changement.

Ce « nous » cependant est extrêmement important et dans notre contexte il représente une nation. Cela est fondamental dans la façon d’aborder la question, car cette menace potentielle à qui nous cherchons à donner forme aura des répercussions pour chaque citoyen. Cela signifie, et c’est une évidence, que chaque individu se trouvera concerné. 

En cherchant à comprendre de quelle manière chaque citoyenne et citoyen en fonction de sa profession, de son lieu d’habitat, de son âge, etc,  sera individuellement impacté, toute menace tient en son sein un élément rassembleur (à l’inverse d’une opportunité qui se veut, elle, plus individuelle !).

La menace unit, l’opportunité divise.
Quentin Ladetto

 

C’est cet effet rassembleur que nous cherchons à stimuler avec les différents projets du dispositif, tout comme dans la coexistence des entités telles que l’association Futurs et le site atelierdesfuturs.org venant complémenter le programme de prospective – lire à ce sujet le billet « La prospective à 3 corps ».

Jusqu’à maintenant, vous remarquerez qu’aucune mention, ni distinction d’ailleurs, n’a été faite des mondes civil et militaire. Est-ce la conséquence d’une façon d’être helvétique où derrière tout citoyen se cache en fait un citoyen soldat ? Je ne sais, mais une chose apparaît rapidement et logiquement : pour se défendre, un pays, tout comme un système complexe, doit s’assurer que chacun de ses rouages (ou sous-systèmes) fonctionne correctement. Cela est bien hors de portée d’un dispositif d’anticipation uniquement, mais ce que celui-ci peut faire est initier le mouvement en aidant chacune des parties prenantes à se poser les bonnes – voir de nouvelles – questions !

Le continuum civil-militaire n’est pas une nouveauté en soi et a très bien été évoquée dans le livre « La guerre hors limite »  que le Prof. François Pernot résume en une phrase « Le champ de bataille de la guerre hors limites n’est pas le même que par le passé puisqu’il comprend tous les espaces naturels, l’espace social et l’espace en pleine croissance de la technologie, tel l’espace nanométrique. Désormais ces différents espaces s’interpénètrent ».

Peux-on avec une telle description ne pas se sentir potentiellement impacté par une telle menace ?

Considérant donc notre terrain de jeu conceptuel et intellectuel comme sans limites, à la question du « comment » voici résumé en trois points ce que nous avons essayé de mettre en place afin de garantir un échange fructueux entre diverses communautés.

1.Organisation : Partage de connaissances et visibilité pour faire communauté

Toute collaboration nécessite une certaine ouverture et partage. Dans le cas de Deftech, cela se matérialise par une mise à disposition des projets réalisés via un site Internet, présentant une invitation au dialogue et à l’échange présente également durant les journées thématiques Deftech-Days ouvertes à toutes et à tous.

Cependant si mettre à disposition est important, cela ne suffit pas pour créer une communauté. Il faut réussir à créer des synergies, c’est à dire qu’ensemble vous allez pouvoir non seulement répondre chacun à vos questionnements respectifs, mais créer de nouvelles briques de connaissances qui bénéficieront à chacun.

Pour ce faire il faut une volonté de « connaître l’autre », de comprendre ses défis, son langage pour ensuite le parler avant que de le faire évoluer vers un langage commun. Un langage verbal, mais également non-verbal prenant en compte les us et coutumes de chaque entité, de chaque partie prenante.

Cela se traduit dans la pratique par des interactions permanentes et des invitations répétées à interagir, à réaliser des projets d’anticipation communs et/ou complémentaires. Cela n’est pas toujours évident en fonction des organisations et de la priorisation des tâches. Il faudra donc que la hiérarchie permette ces nouvelles interactions, les favorise et les encourage… et cela ne s’établit pas du jour au lendemain, mais prend du temps.

Il faut tisser le réseau et cela se passe selon notre vécu au niveau le plus élémentaire i.e. entre individus ayant envie et plaisir à travailler ensemble. C’est à partir de ce petit groupe – cette graine – qu’il va falloir travailler et faire germer une collaboration durable. On peut rêver de grands rapprochements annoncés depuis le sommet de la hiérarchie, mais pour que l’opérationnel fonctionne, il faut que le contact humain passe. Pas de recette magique, mais de la magie uniquement une fois la recette trouvée. 

Une fois les bases organisationnelles établies, il est tout aussi crucial de réfléchir aux thématiques qui uniront les deux mondes et favoriseront leur synergie. C’est ici que les compétences et les technologies duales prennent tout leur sens.

2. Thèmes : Compétences et technologies duales.

On entend souvent parler de « technologies de ruptures », mais mis à part quelques exceptions, ce sont les nouvelles applications et autres processus que rendent possibles ces technologies qui créent vraiment les ruptures.

Cela pourrait paraître au premier abord comme une distinction un peu pédante, mais cette distinction fait toute la différence, notamment relativement au titre de ce billet.

En effet, si vous vous intéressez principalement aux technologies en tant que telles, prenant l’exemple des télécommunication, vous chercherez à répondre à une question du type « quel est le futur de la 5G », alors que, dans notre cas, nous chercherons plus à explorer quelque-chose comme « comment communiquerons-nous demain ? ». Les deux questions sont également pertinentes, mais ne font pas nécessairement appel aux mêmes profiles pour en esquisser une réponse. A la première, les laboratoires de recherche et développement des industries des télécommunication tout comme les facultés académiques spécifiques peuvent fournir des éléments de réponse précis. A la deuxième question, il est nécessaire de faire intervenir une communauté nettement plus variée et interdisciplinaire, ce qui, directement, ouvre la voie à de nombreuses collaborations.

L’angle sous lequel les thèmes sont traités est donc extrêmement important. De plus, d’un point de vue technologique, chaque développement civil pouvant apporter un avantage dans un contexte militaire et sécuritaire sera à prendre en considération.

Le double usage civil-militaire est donc désormais partie intrinsèque de tout développement, et à considérer comme opportunité ou menace. Il s’agit là d’une posture qu’il faudra assumer, mais qui permettra de lancer par la suite bon nombre de considérations morales, éthiques, etc.

En structurant l’analyse thématique, les livrables peuvent également mettre en évidence les compétences futures à acquérir, qui pourraient évoluer pour devenir les métiers de demain. Dans le cadre d’une collaboration entre le monde civil et militaire, ces compétences se révèlent transversales, applicables dans les deux contextes. Ainsi, quiconque chercherait à s’en dissocier pourrait être perçu comme se désolidarisant des défis communs que nous devrons relever à l’avenir.

Si le choix des thèmes et leur formulation permet d’orienter la réflexion, il reste à définir comment les participants pourront s’engager pleinement dans cette exploration. Les formats d’expérimentation deviennent alors un outil essentiel pour donner vie à ces idées.

3. Formats : Expérimenter son rôle dans les futurs.

Si l’on souhaite une participation, et ce en toutes circonstances, il faut rendre celle-ci aussi attrayante que possible en fonction des critères objectifs du moment. L’étude des futurs ne déroge pas à la règle. Cela demande d’être à l’écoute permanente des différentes pratiques et même, pourquoi pas, à la source.

Nous aspirons donc à faire vivre aux participants une expérience de ces différents futurs afin qu’ils se fassent une idée du rôle qu’ils pourraient y jouer.

Que les personnes soient actives lors de la création des contenus ou dans la lecture et la prise de connaissance de ceux-ci, il est avant tout important de lier la découverte à un certain plaisir, voir une sorte de jeu de piste où le savoir s’acquiert le long du parcours.

Pour ce faire nous privilégions des ateliers intégrant des canevas afin de structurer et guider les réflexions ( Anticipascope, Anticipatech, Cadres visuelsMises en situation, etc.) ainsi que le jeu sous différentes formes (Wargaming, cartes). L’appel au design fiction permet de donner vie à des artefacts du futur qui viendront nourrir ces activités.

Le vrai défi est de bien doser la dose de ludique et de sérieux afin de permettre de sortir des solutions linéaires et évidentes tout en évitant les dérapages vers des futurs ayant perdu toute plausibilité avec le réel. La frontière est bien souvent floue ce qui rend l’exercice périlleux !

Conclusion : Construire une unité face aux menaces de demain

Face aux menaces qui, par nature, transcendent les clivages entre civil et militaire, il est impératif de reconnaître que nous poursuivons tous un objectif commun : protéger et renforcer la résilience de notre société. Si les mondes civil et militaire répondent à des cahiers des charges distincts, ils doivent néanmoins s’inscrire dans une vision partagée où chaque partie prenante comprend, ressent, et adhère à cette complémentarité.

Une collaboration durable ne peut exister que si elle repose sur une confiance mutuelle et une conviction partagée de l’utilité de ces synergies. C’est en travaillant main dans la main que nous pouvons conjuguer anticipation théorique et préparation pratique, en posant les bases des structures et organisations capables de répondre efficacement à des menaces concrètes.

 

Une collaboration durable ne peut exister que si elle repose sur une confiance mutuelle et une conviction partagée de l’utilité de ces synergies.

 

Un dispositif de prospective joue un rôle clé dans cette démarche. Il offre un cadre pour explorer des scénarios, identifier des vulnérabilités, et imaginer des solutions novatrices. Cependant, ces réflexions ne sont qu’un point de départ. La véritable force de cette collaboration réside dans le passage à l’action : transformer les idées en réalités, les concepts en capacités, et les visions en structures opérationnelles.

Pour réussir, il est essentiel que chaque acteur – qu’il soit civil ou militaire – comprenne sa place et son rôle dans cet effort collectif. C’est seulement ainsi qu’il nous semble possible de faire face aux menaces, aussi imprévisibles soient-elles.

Un avenir plus sûr et résilient ne peut être construit qu’ensemble, unis par une vision partagée et une détermination commune à protéger ce qui nous est cher. C’est en poursuivant cette dynamique que nous pourrons anticiper, nous adapter, et agir avec succès.

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