Le présent billet traite de la question du choix de l’approche quant au développement régional. Cette question surgit suite au constat que la prospective régionale ou territoriale est peu connue et peut être même évitée en Amérique (Canada et États-Unis).
Bien que les approches puissent différer, elles visent à résoudre les mêmes problèmes, soient ceux de la baisse démographique créée par la dénatalité en général et la migration vers les grands centres en particulier, la perte ou déplacement d’industries phares, sans oublier les enjeux reliés à l’énergie et au développement durable.
Le développement des régions est important afin de préserver et d’améliorer leur dynamisme actuel et un futur prospère. Bien que le développement équilibré entre les régions soit généralement souhaité, il y a, bien entendu, des tensions sur la question de la compétitivité entre les régions causant ainsi un déséquilibre entre les régions.
Les approches mises en évidence
La question du développement régional semble opposer deux approches. L’approche de la prospective territoriale, d’origine française, et celle qui, pour les fins des présentes, nous appelons le développement régional.
À l’exception de 2 rapports dits de prospection territoriale sur des régions du Québec (Gaspésie et Outaouais), on ne peut pas détecter un plan prospectif distinct faisant état du futur choisi, ce qu’il signifie en termes d’objectifs, des moyens utilisés, etc.
Aucune recherche nous a produit des résultats quant à l’utilisation de la prospective territoriale ou régionale aux États-Unis. Si des lecteurs ou lectrices en localisent, svp, nous en aviser.
La prospective territoriale
En guise de rappel, la prospective territoriale est une approche méthodologique pour anticiper ce que sera le demain d’un territoire, d’une localité, d’un village, d’une ville.
Elle permet d’élaborer collectivement des scénarios d’évolution tout en cherchant comment aller dans la direction souhaitée (Vanier, Dubeuf, 2022) en se basant sur des valeurs humanistes. Elle fournit des informations stratégiques pour la prise de décision, et fonctionne comme un outil de mobilisation socio-économique pour sensibiliser et créer un consensus sur des moyens prometteurs pour exploiter les opportunités et réduire les risques associés aux nouveaux développements scientifiques et technologiques.
Le Développement régional
Le développement régional dans sa version traditionnelle décrit les activités de développement d’une région ou localité. Le type de développement régional dont on entend pour les fins des présentes est celui que l’on peut décrire comme le développement régional par la création d’un écosystème d’innovation et d’entrepreneuriat.
Pendant que la France s’affranchit de la monarchie, l’Amérique est un pays en développement et dans un pays où tout est à faire, il faut trouver la formule à succès qui généralement se concrétise en ce que les Américains appellent la géographie et géologie du succès. Aujourd’hui, on parle davantage de l’alliage de l’innovation et de l’entrepreneuriat, la clé de la prospérité d’un territoire, région ou agglomération. Cette formule ou cet alliage est la formule culte du développement régional en Amérique.
Si on se remet à la même heure, la France, l’Europe ou l’Amérique ont subi le même genre d’effritement régional et en termes simples, le même désintéressement ou abandon des régions par le fédéral providentiel et maître d’oeuvre jusqu’alors du développement économique tout azimut.
Fait intéressant
Dans une entrevue récente (dont j’ai égaré la référence) Peter Thiel (PayPal, Facebook, Palantir) affirme qu’aux États-Unis, la technologie est dorénavant perçue comme une ressource naturelle.
La révolution métropolitaine
Si le développement régional ou la considération des perspectives régionales devrait prendre un autre nom, c’est bien celle de la révolution métropolitaine dont les efforts sont basés sur la force de l’écosystème, celui-là même qui a assuré la domination de la Sillicon Valley.
La révolution métropolitaine est un mouvement par lequel les réseaux de dirigeants métropolitains, de maires, de chefs d’entreprise et de dirigeants syndicaux, d’éducateurs et de philanthropes se mobilisent et font avancer la nation. Ces dirigeants des États et localités travaillent ensemble pour créer plus d’emplois et rendre leurs communautés plus prospères. The Metropolitan Revolution: How Cities and Metros Are Fixing Our Broken Politics and Fragile Economy par Bruce Katz et Jennifer Bradley, Brookings Institution Press; 1st edition (June 11 2013 ) constitue l’ouvrage de référence à cet effet.
La courte histoire de la Silicon Valley et du capital de risque
Afin de mieux comprendre le contexte de l’avantage régional, voici brièvement l’histoire de l’innovation aux États-Unis. C’est l’histoire du déversement de la Recherche et Développement universitaire sur les entreprises privés et le complexe militaire, un client principal.
En 1905, Harris Ryan à Stanford inaugure un modèle coopératif entre l’université et l’industrie. En 1925, Frederick Terman de Stanford encourage les étudiants à démarrer des entreprises. Le complexe militaire s’intéresse aux innovations telles que les communications et le radar. Pendant ce temps, la MIT (Massachusset Institute of Technology) s’affaire aux sciences et technologies (industrielles, électriques, chimiques).
La majorité des financements à l’innovation sont privés étant fournis par les fortunes réalisées par l’industrialisation (Phipps et l’acier) et l’exploitation des ressources naturelles (Rockerfeller et le pétrole). En 1946, George Doriot fonde ce qui est considéré comme la première société de capital-risque, l’American Research & Development (ARD). Il est professeur à la Harvard Business School et pionnier de l’entrepreneuriat.
En 1958, le général William Draper (Interview), Rowan Gaither (fondateur de la RAND Corporation) et Fred Anderson (un général de l’armée de l’air à la retraite) ont fondé Draper, Gaither et Anderson, la première société en commandite de la Silicon Valley (et peut-être du monde).
Ainsi dans l’après-guerre, deux pôles d’innovation se démarquent, celui de la MIT éventuellement appelé La Route 128 autour de Boston et celui qui a été instigué par Stanford et qui s’est mobilisé dans la Silicon Valley.
Ironiquement, les deux entreprises qui ont donné naissance à l’ensemble de l’industrie des semi-conducteurs de la Silicon Valley n’ont pas été financées par du capital-risque. La Shockley Semiconductor Laboratory et Fairchild Semiconductor ont toutes deux été financées par des partenaires commerciaux.
L’émergence de l’avantage régional
La raison pour laquelle, la Silicon Valley s’est retrouvée dans une position dominante est simple : le pôle de l’Est est constitué principalement par de grandes sociétés qui ont un système fermé qui ne permet pas l’échange informel de bons procédés.
Le pôle de l’Ouest, c’est la culture ouverte caractérisée par une communication ouverte entre les entrepreneurs leur permettant de partager leurs problèmes et solutions. Cette culture d’ouverture, d’entraide et de partage attire les scientifiques, programmeurs et technologistes de l’Est.
L’auteure Anna Lee Saxenian en fait une excellent description dans son livre Regional Advantage: Culture and Competition in Silicon Valley and Route 128.
Dans la recherche de cet avantage régional, on suggère l’écosystème type ci-dessous afin de le constituer.
- Le capital intellectuel – universités
- Le capital financier – les grandes entreprises, les sociétés de capital de risque
- La structure légale
- La culture de l’échec rapide
- L’immigration compétente (STEM).
Cet avantage régional a l’effet pervers d’attirer les entreprises à succès développées dans une région vers une autre plus avantageuse comme la Silicon Valley par exemple.
Fait intéressant
La Californie et le Japon ont en 2023 un PNB presque similaires $3.8 trillions contre $4.2 trillons. Sa population cependant était de près de 39 millions soit 32% de celle du Japon qui s’élève à près de 124 millions.
Les économies en transition – Beyond Silicon Valley
Développée par Michael E. Goldberg, un investisseur en capital de risque et professeur adjoint en entrepreneuriat au département de design et d’innovation de la Weatherhead School of Management de la Case Western Reserve University, sa théorie pour un nouveau écosystème économique intègre les concepts clés suivants :
- Rôle du gouvernement
- Rôle des donateurs
- Rôle des organisations intermédiaires (ONG)
- Tirer parti des institutions d’ancrage
- Accès au capital/Mentorat
- Accélérateurs de semences
- Investissement providentiel
- Capital de risque
Goldman Sachs 10,000 Small Businesses Program
Ce programme a été lancé en 2009 et est basé sur une structure conçu par Babson College, l’école d’entrepreneuriat la mieux classée du pays. Il propose aussi sa forme d’écosystème entrepreneurial.
L’approche des Stratégies Industrielles Locales
Enfin, afin de stimuler la productivité, la capacité de gain et la compétitivité. Le gouvernement britannique publie un livre blanc en novembre 2017, afin de stimuler des localités en identifiant « les priorités pour améliorer les compétences, accroître l’innovation et améliorer les infrastructures et la croissance des entreprises » Les trois régions pionnières sélectionnées furent – le Grand Manchester, le corridor Oxford-Milton Keynes-Cambridge et les West Midlands – pour co-concevoir et développer les premières stratégies industrielles locales (LIS) afin de les approuver mars 2019.
Beaucoup de développement régional mais peu de prospective
Bien que dans de nombreux rapports sur ce type de développement régional basé sur l’innovation et l’entrepreneuriat on cite l’objectif du développement à long terme, il s’agit d’une projection d’un souhait plutôt que la conclusion d’un bon travail prospectif.
La prospective régionale, son importance et son intégration
Bien que la prospective offre aussi cette possibilité pour les entrepreneurs de détecter des innovations, elle offre la particularité de l’exploration du long terme. Elle permet, dans son approche participative, d’aller au-delà des considérations purement commerciales en considérant les aspects sociaux, l’environnement et surtout de considérer un futur davantage nouveau qu’un futur un peu copié ou collé, ou simplement trop inspiré ou retenu. C’est l’occasion idéale de se libérer des contraintes et d’avoir plus d’audace.
À prime abord, il y a ce préjugé à l’égard de la prospective territoriale dont on ne perçoit pas directement l’utilité, c’est quoi au juste, ça donne quoi au juste? Un autre reproche serait à l’effet que la prospective territoriale telle que proposée par Michel Godet est compliquée, trop technique et rigoureuse.
Cette approche, tout en la respectant, peut être facilement simplifiée (par un.e prospectiviste compétent.e) tout en considérant l’importance des objectifs à articuler et tout en s’assurant qu’il y aura une appropriation (au sens de Godet) suivie de l’action “appropriée”.
Conclusion
Malgré la séduction qu’opère la formule de développement par l’innovation et l’entrepreneuriat, on constate qu’on se retrouve dans cette même myopie quant au long terme et cet impératif de rentabilité immédiate.
La prospective offre cette opportunité d’aller au-delà de cette mentalité du court terme, de cette habitude de projeter le connu ou familier dans le futur en fournissant d’excellentes méthodes et outils de travail afin de faire une bonne exploration et analyse des futurs, de ses risques tout comme de ses opportunités.