Ce billet est un peu spécial, je vous l’annonce directement, car il a certainement pour but d’évacuer le vécu.
Nous parlons beaucoup de cygnes noirs en prospective. J’en ai croisé un la semaine passée. Pas agréable. Désagréable même.
Nous sommes le 8 mai 2025, il est 11:50, je viens de finir une dernière visio et je sors ma chambre d’hôtel pour lire un moment au soleil avant les rendez-vous de l’après-midi.
Je passe devant le Grand Rex où on sent l’attente impatiente et l’arrivée imminente du dernier Mission Impossible.
Je remonte la rue Poissonnière, quand là banalement :

Travaillant dans l’anticipation et la prospective, c’est un peu vexant tout de même et la célèbre devise napoléonienne : « Se faire battre est excusable, se faire surprendre impardonnable » me résonne malgré moi à l’esprit, car oui, j’ai été surpris.
Je ne cherche pas à expliquer, car je suis convaincu que j’étais simplement au mauvais endroit au mauvais moment.
Mais, et c’est là que l’aspect thérapeutique entre vraisemblablement en compte, je trouve intéressant d’analyser la situation et d’essayer d’apprendre quelque-chose de ce qui s’est passé, ne serait-ce que pour reprendre le contrôle et faire de cet événement quelque-chose de positif.
Nous avons théorisé certaines méga-tendances dans l’études AnticipaTech, voici en quelque-sorte une expérimentation terrain de certaines de celle-ci – sourire.
Voici donc quelques leçons que je peux tirer a posteriori.
Biais de perception
Il est 12 :00, sur les Grands Boulevards, cela fait plus de 30 ans que je viens régulièrement dans cette zone ; j’y étais également la veille ; c’est une zone assez touristique ; il ne m’est jamais rien arrivé : je suis en confiance.
Suite aux échanges avec la Police, la zone est effectivement très touristique ce qui attire les pickpockets et depuis peu il y aurait augmentation du trafic et de la consommation de crack.
Ma perception de l’endroit ne reflétait donc pas ou plus forcément la réalité. Comment faire pour obtenir a priori l’information est une autre histoire.
Des mondes différents
Quand 2 mondes se rencontrent, il y a parfois des frictions. Cela ne devrait pas être le cas, mais force est de constater que bien souvent, plus que d’apprendre de l’autre, on compare, on affronte.
Ici, ce sont deux mondes qui se sont rencontrés avec chacun deux vécus, deux présents, deux futurs.
Des vécus différents
Je ne connais rien de ces individus, mais c’est à coup sûr ( !) pas la même éducation, pas les mêmes valeurs, pas les mêmes règles, pas les mêmes repères.
Je ai été éduqué pour considérer comme normal de répondre à une personne qui me demande un renseignement dans rue, même si celle-ci a l’âge ou est plus jeune que mon fils.
Des présents différents
Rue de la Poissonnière était pour moi une simple rue de passage, pour eux, un lieu d’embuscade. Pour la police, cela ne fait aucun doute, il y a le (ou les) guetteurs et les agresseurs. Tout est préparé et rôdé ; un coup pour détourner l’attention par une personne pendant que l’autre saisi ce qui doit être saisi. Dans le cas présent, les mots que je n’ai pas compris étaient probablement la description de ce qui était visé et la proximité leur a fait certainement remarquer le détail qui n’avait pas été vu initialement.
Des intentions différentes, des buts différents, seul le lieu géographique était identique.
Des futurs différents
On peut tout imaginer, mais il est probable que si à 20 ans on fait ce genre d’agression, il y aura forcément une hiérarchie et que, pour certains en tous cas, commettre d’autres types forfaits, peut-être armés, sera la voie « normale » de progression. Pour mon futur, je suis simplement content de pouvoir encore l’imaginer.
Se mettre dans la peau de l’autre est ici primordial si l’on cherche, non pas nécessairement à comprendre, mais beaucoup plus modestement à expliquer. Et « les autres » sont nombreux, car en appliquant les filtres d’âges et de morphologies, ce sont une centaines de photos qui sont apparues à l’écran pour identification lors de la déposition…
Cela me rappelle également l’excellent récit «Le jeu du dragon» de Monsieur Bernard Werber dans « Black Trends – un monde en rupture » ou il est relevé que l’adversaire jouait au Go alors que l’autre pensait jouer échecs avec les règles appropriées.
L’entraînement à la situation
Il est difficile de bien à réagir à ce que l’on ne connaît pas. Je connaissais les coups bas et les bagarres sur une patinoire pendant des matches de hockey, mais c’est tout.
Un fois réalisé que la situation n’est pas celle attendue, il y a la réaction directe, intuitive, spontanée que l’on ne maîtrise pas vraiment. C’est la pratique, ou plutôt d’absence de pratique qui prend le dessus sur la théorie. Puis un phénomène intéressant c’est que malgré la vitesse à laquelle tout se passe, le cerveau élabore des alternatives, des choses reviennent à la mémoire comme celle de hurler envers son adversaire, apprise pendant des cours de répétitions… C’est vrai, ça date d’il y a presque 20 ans. Résultat modéré dans le cas présent, mais peut-être pas, ne connaissant pas forcément l’alternative.
Une leçon d’anticipation ? S’entraîner est fondamental, et dans toute expédition sérieuse de prospective, comme le dit si bien Cécile Wendling dans le projet « AnticipAction ! » : « Il faut que la phase d’expérimentation soit là, et qu’elle soit prévue dès le début. »
C’est pour cela aussi que la prospective essaie de produire ces « souvenirs du futur » sous différentes formes, que ce soit des scenarios, des récits ou du design fiction.
Peut-on s’entraîner à tout ? Non, c’est impossible, mais on peut être actif et j’ose à penser qu’ici, le fait de continuer à faire du sport aura contribué à quelque-chose, ne serait-ce qu’à la récupération du corps par rapports aux coups subis, dont les douleurs rappellent, eux, de fait, certains matchs de hockey.
Une pointe d’humour et pour illustrer comment parfois certaines choses sont difficiles à expliquer. Dans les images de la vidéo, à aucun moment, je ne lâche le livre dans ma main droite… Incompréhensible, mais c’est comme cela. En opposition totale avec le vécu, celui-ci s’intitule « Les transformations silencieuses » de François Jullien et parle notamment de considérer les « écarts » plutôt que les « différences » entre les cultures… Tout un poème dans le cas présenté ici, mais que je ne peux que vous conseiller !
C’est votre cygne noir à vous
Quand l’événement se produit, vous devez l’affronter seul, jusqu’à la fin, et après aussi.
Une fois l’orage passé, le soleil réapparaît. Vous constatez les dégâts, si c’était de la grêle ou juste une forte pluie, vous faites ce que vous devez faire et la vie continue, différente pour vous, mais elle continue.
Pour une organisation, c’est exactement la même chose. Votre cygne noir ne sera pas celui de votre compétition. Tout événement aura un impact et des répercussions différentes, spécifiques à chaque structure, à chaque organisation.
Ce que je pense également est que l’on ne se prépare pas à un cygne noir contrairement à ce que l’on peut lire. On se prépare à réagir à quelque-chose sans savoir à quoi, c’est le propre du cygne noir. Si on connaît ce au devant de quoi on marche, être surpris relève alors d’une mauvaise préparation.
Je ne peux ici que relever le passage de M. Etienne Klein dans la postface de Black Trends – décidément c’est un livre qui m’aura marqué –
Qu’est-ce qui se construit ? Qu’est-ce qui se détruit ?
Nous l’ignorons pour une grande part, mais c’est paradoxalement parce que nous avons compris quelque chose : par des boucles nouvelles et inattendues, nous dépendrons de plus en plus de ce qui dépend de nous, de nos choix, des orientations que nous suivrons. Or, comment savoir ce qui se passera si ce qui se passera dépend en partie de ce que nous ferons ?
En conclusion
Me focalisant sur le vécu d’une telle expérience en relation avec mes travaux de prospective, cela me conforte dans l’approche prise pour la réalisation de tous les projets jusqu’à maintenant.
Notre dispositif de prospective est légitime pour ce qui est de la science et des technologies. Pour comprendre ce que les tendances signifient dans une industrie ou un domaine que nous ne connaissons pas, nous avons besoins de personnes ayant l’expérience pratique, l’expérience terrain de celui-ci. Cela parait une évidence. Ça l’est.
Aller plus loin nous fait perdre toute crédibilité en plus peut-être de devenir dangereux. Dangereux, car on ne sait pas vraiment, ou plutôt, vraiment pas de quoi on parle. Déjà une autre réalité se présente au centre de Paris, que dois-je imaginer en Ukraine ou dans tout conflit armé ailleurs sur la planète ?
Nous travaillons à l’interface, sur la crête, afin d’être dans une vraie position gagnant-gagnant et créer de la vraie valeur prospective dans le but à nouveau, tout simple mais ô combien compliqué, d’être prêt.
Du fond d’un bureau, devant une télé, on s’imaginera toujours des situations là où seule l’expérience du terrain a sa vraie légitimité. Et le terrain évolue également… Nous parlons beaucoup de menace digitale, n’oublions pas celle physique ; nous nous focalisons actuellement sur la robotique et les drones, et si notre cygne noir ce serait-il pas biologique et chimique ?
Le butin de l’agression aura été une chaîne en or. Je l’avais acquise en 1998 à Bogotà en Colombie. Durant 27 ans elle aura été de tous mes voyages et j’y voyais même une sorte de porte-bonheur. Ce 8 mai 2025, elle aura certainement rempli sa plus grande mission, car je n’ose imaginer ce qui se serait passé avec tout autre arme qu’une bombe au gaz poivre.
Remerciements
Je tiens à remercier ces anonymes qui m’ont apporté de l’eau, des serviettes pour retrouver un peu la vue et la respiration après avoir testé le gaz. Les personnes ayant appelé les pompiers ainsi que la police. Je remercie Carl pour avoir eu le réflexe de prendre la vidéo qui a servi de preuve supplémentaire dans le dossier de police.
Je voudrais juste ajouter suite à des commentaires sur le fait que personne sur la vidéo ne semble avoir bougé durant l’agression, que le tout a duré environ 20 secondes et que je me suis mis à crier seulement après environ 10 secondes. Extérieur à la scène, combien de temps faut-il pour se rendre compte de ce qui se passe vraiment ? Qu’auriez-vous fait ? Qu’aurais-je fait moi-même ? Que faut-il faire dans ces circonstances ?
Merci aux pompiers de Paris qui m’ont pris en charge avec professionnalisme et humour.
Finalement, merci à la police municipale parisienne pour leur prompte intervention et leur efficacité dans la coordination pour la récupération d’images de différentes sources vidéo ainsi que pour avoir pris ma déposition en un temps record.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
N’hésitez pas à :
1. partager votre avis ?
2. nous laisser un petit mot ?
3. rédiger un billet ?

Une belle analyse d’un événement qui n’en demeure pas moins navrant :(.
Je te souhaite un prompt rétablissement… Et de nouvelles vacances en Colombie pour remplacer cette chaîne à la valeur sentimentale certaine ?
Amitiés,
Cyriaque
Merci Cyriaque pour tes mots !
Effectivement, excellente idée à méditer. La Colombie est vraiment un pays merveilleux, et c’est peut-être l’occasion d’aller chercher un filon 🙂
Je profite de l’occasion pour te féliciter pour l’excellent travail de veille et de recherche de signaux faibles que tu effectues avec A l’Aube du Futur !
A très bientôt j’espère,
Amitiés,
Quentin
J’ai été choqué à la lecture de ton billet. Tes années hockey ton apprit à encaisser les coups mais c’est pas une raison pour vérifier si c’est toujours valable 🙂 .
Le rapprochement avec la prospective est celui de la préparation à l’adversité. Parmi les méthodes utilisées figure l’analyse de risques. Le développement de réponses, l’éducation et l’entrainement pour parer à ces risques fait partie de ces outils.
En l’occurrence, tu as suffisamment voyagé pour que l’agression violente figure dans ta matrice de risques personnelle. Compte tenu du lieu et de la situation, cette option présentait une très faible probabilité d’apparition. Est-ce que c’était vraiment un cygne noir ? (événement imprévisible qui a une faible probabilité de se dérouler et qui, s’il se réalise, a des conséquences d’une portée considérable et exceptionnelle)
En te souhaitant un bon rétablissement,
Bien amicalement
Merci de tes mots qui apportent de la bonne humeur et m’ont fait rire malgré des côtes encore douloureuses.
Je te rejoins dans ta logique et la catégorisation de l’animal. D’après le bestiaire de Thomas, nous sommes plutôt face à une méduse ou un autre animal a créer.
Ce qui est par contre intéressant, est que l’on se rend compte soudain de la diversité des perceptions et de la déclinaison possible du survenu. Oui, l’agression ou plutôt « se faire dévaliser » fait partie des risques identifiés, et ce d’autant plus que je l’avais déjà expérimenté en Amérique du Sud, mais ce sans violence physique. C’est dans les détails et dans la représentation mentale que l’on se fait de l’événement que cela change, car tout d’un coup il y a une infinité d’agressions possible : vol à la tire, un contre un, un contre un avec couteau, un contre un avec arme à feu, deux contre un, etc… contre laquelle on se prépare ? Est-ce que l’on peut parler de « cygne noir des méduses noires » ?
En lisant la définition que tu donnes entre parenthèses, je réalise que c’est presque en fonction des conséquences et de la portée qu’aura l’événement a postériori que la caractérisation peut changer. Là encore, de quelle durée parle-t-on ?
Tu me connais, Olivier, ma position est simple, disserter sur le type d’animal ou sa couleur, cela m’a toujours fait rigoler car cela ne change rien au survenu. On est alors dans l’analyse, pas dans l’anticipation.
Ma seule vraie question est : dois-je changer quoi que ce soit dans mes déplacements ? Et là, statistiquement, je dirais qu’il y a encore de la marge, ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour mes côtes 😉