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#25 Julien Devaureix | Décoder les règles du jeu

14 février 2023
49 mins de lecture

Julien Devaureix est le producteur de Sismique, un podcast qui donne la parole à ceux qui pensent la complexité du monde, qui explorent les forces à l’œuvre et leurs enjeux, qui sont déjà dans l’action pour préparer demain, et qui peuvent nous aider à relever le double défi d’adaptation et de transformation à l’ère de l’anthropocène.

Ce mois-ci, il publie aux éditions FIRST « le monde change et on n’y comprend rien !« , un livre dans lequel il poursuit son enquête en profondeur et tente de démêler la grande pelote de notre époque, de découvrir la logique qui sous-tend l’ensemble, et les règles du jeu auquel nous jouons tous.

Dans l’échange à suivre, il sera justement question d’enquête et de quête.

Entretien enregistré le 17 janvier 2023

Entretien enregistré le 17 janvier 2023

Transcript de l’entretien

(Réalisé automatiquement par Ausha, adapté et amélioré avec amour par un humain)

Thomas Gauthier

Salut Julien !

Julien Devaureix

Salut Thomas !

Thomas Gauthier

Alors ça y est, tu es face à l’oracle, tu vas pouvoir lui poser trois questions sur l’avenir, par quelles questions est-ce que tu souhaites commencer ?

Julien Devaureix

Alors ce que j’aime bien faire en général, c’est prendre du recul sur les questions, être un peu pénible. Après je vais y répondre, mais c’est un peu ma manière de faire, de questionner la question.

Et la question de l’avenir est assez importante pour moi, elle est assez importante dans mon processus, dans ce que je fais aujourd’hui. c’était le point de départ du podcast le départ mais il devait même s’appeler futur avant de s’appeler sismique donc c’était cette idée de ok qu’est-ce qui nous attend et puis À quoi ça sert de prévoir l’avenir ? Avant de savoir quelles questions on va poser à l’oracle, on se dit « qu’est-ce que je vais faire de ça ? » « Pourquoi je lui pose ces questions-là ? » Pourquoi, d’une manière générale, on essaie de savoir ce qui pourrait se passer demain, à l’aide aujourd’hui de cahiers de tendances, de rapports divers et variés, de voyances pour certains, et donc d’oracles, comme le faisaient déjà les Grecs avec la pitié.

Et puis, pas que les Grecs, bien d’ailleurs, eux, les Égyptiens, enfin, là, c’est pas nouveau. On essaie de savoir ce qui va se passer.

On essaie d’anticiper pour pouvoir faire des choix au présent qui vont nous permettre de tirer parti, en fait, de l’information que l’oracle va nous donner. Et parce qu’on a, quelque part, notre but, c’est de pouvoir satisfaire demain nos besoins de demain.

C’est un peu comme ça que je lui ai dit, pourquoi on essaie de prévoir l’avenir ? C’est parce qu’on se dit que demain, on va avoir des besoins, qu’on a envie d’être en capacité d’avoir de quoi vivre, de gagner une bataille, de continuer de vivre, etc.

Et donc, on se dit, mon besoin, ça sera celui-là. Donc, si j’ai des informations maintenant qui vont me permettre de m’y préparer. d’anticiper, je serai en mesure de demain d’être en bonne posture pour satisfaire ça.

Et en fait, toutes les questions sur l’avenir reviennent un peu à ça, quand on reprend du recul. Tout ce qui est prospective, géopolitique, quel qu’elle soit, même au niveau personnel, c’est comment je vais être demain, est-ce que je vais continuer d’être heureux, etc.

Donc si je pense que par exemple mon but demain c’est d’être riche, je vais essayer de trouver des informations sur l’avenir des placements, sur ce que je peux faire maintenant. Si mon but c’est d’être encore en vie, je vais essayer de connaître les dangers qui arrivent, qu’il va falloir que j’évite, etc.

Donc, on se pose cette question, et il faut d’abord essayer de savoir, quand on se pose cette question, il faut d’abord essayer de savoir quel sera notre besoin demain, ce qui n’est pas toujours évident, parce qu’on change. Souvent, on se place dans le présent, on se dit, demain je voudrais ça, donc qu’est-ce qu’il faudrait que je fasse aujourd’hui pour obtenir ça ?

Et on oublie que notre besoin de demain, ça n’a peut-être pas le même. et puis on fait ça aussi pour récupérer une information utile qui va nous permettre de faire quelque chose au présent comment j’analyse un peu le truc concrètement pour moi ça serait le résultat du prochain tirage du loto je sais que c’est un peu nul mais comme ça ça me permet de résoudre l’équation financière ce qui apporte tout de même un sacré confort qu’on y adhère ou pas c’est quand même Mouah ! Ça permet de satisfaire quelques besoins. Donc ça peut être…

Alors certes, ça peut être aussi une malédiction, mais bon, je prends le paré que je ne perdrai pas la tête et que je pourrais faire plein de trucs cools, aider les gens à vivre plus longtemps, etc. Et puis peut-être la deuxième question, ça serait…

Ou est-ce qu’il y aura un danger de mort pour mes proches et moi-même ? Quitte à anticiper un truc, autant savoir comment rester en vie, comment continuer à faire ce qu’on appelle le jeu de la vie, dont on pourra peut-être parler.

Et puis en fait, c’est à peu près tout, je pense, parce que tout le reste, je préfère le garder incertain. Il y a cette… je crois que c’est un peu une malédiction de connaître l’avenir, en tout cas de connaître quelque chose sur lequel on n’aura pas prise.

C’est un peu le mythe de Cassandre, où le… Sarah Connor dans un autre style qui est le mythe de Cassandra un peu repris donc on s’angoisse finalement pour le monde puisqu’on sait ce qui va arriver on essaie d’alerter les gens et puis en fait rien se passe et donc on peut rien faire en fait et vu que je crois pas vraiment qu’on puisse changer fondamentalement le cours des choses même quand on a l’information je m’abstiens de poser une autre question autre que purement intéressée

Thomas Gauthier

Au delà de ces quelques premières questions Tu as parlé rapidement de ton podcast, on y reviendra. Ça t’a permis de rencontrer, d’échanger, de passer des centaines d’heures avec plus d’une centaine d’invités. Est-ce que tu as en tête, à chaud, des questions que ces invités se seraient posées, des manières qu’ils ont de mettre le monde en point d’interrogation ?

Quelque part, cette expérience de pensée auprès de l’oracle revient à se dire que le monde traverse cette question, pourvu que les hommes se les posent. Quelles sont les mises en ? problème finalement, quelles sont les problématisations que tu rencontres peut-être régulièrement, qui reviennent, qui se structurent au cours du temps et qui te paraissent effectivement adéquates une fois que le monde a été mis en question pour envisager peut-être des actes qu’on pourrait poser individuellement ou collectivement.

Julien Devaureix

Ça rejoint un peu la question de l’avenir, mais indirectement, c’est-à-dire que quand on est toujours dans ce jeu d’essayer d’anticiper ce qui va nous arriver pour pouvoir continuer à jouer. pouvoir continuer d’être en vie et puis d’être en vie de la meilleure manière possible. Et pour pouvoir anticiper l’avenir, vu qu’on n’a pas d’oracle, on essaie de comprendre comment fonctionne le présent.

On essaie de comprendre pourquoi les choses sont comme elles sont. Et ce que tous mes invités ont en commun, et c’est ce que j’ai été chercher aussi chez eux, c’est cette capacité à trouver une manière de le décrire, de poser un système et d’expliquer pourquoi.

Pourquoi ça se passe comme ça ? Et chacun a son…

On voit un peu les choses à sa propre manière. C’est-à-dire que chacun a son angle de vue, selon ses biais, sa culture, son genre, enfin, peu importe, il y a plein de manières d’être biaisé, de porter ce que j’appelle, moi, des lunettes filtrantes quand on regarde le monde, selon son domaine d’expertise aussi, bien sûr.

Et ce que moi je vais chercher, c’est de croiser les points de vue pour, in fine, me faire ma propre opinion, ma propre boîte à outils, entre guillemets, de points de vue, et arriver à changer les lunettes et à voir ce que ça donne quand on regarde avec un même événement ou une même actualité, avec les lunettes d’un économiste ou avec les lunettes d’un physicien ou d’un philosophe ou d’un croyant, que sais-je. et il y a forcément des… Des choses en commun, en tout cas moi que j’ai trouvé intéressantes, c’est-à-dire que dans la manière dont on comprend le fonctionnement du monde.

Donc ces gens-là, comme je disais, ce sont des gens qui vont essayer de voir, moi ce que j’ai appelé, on en parlera après dans mon livre, les structures, les règles du jeu. Qu’est-ce qui conditionne l’émergence d’événements ?

Qu’est-ce qu’il y a en dessous ? Et en dessous il y a les tendances.

Il y a des tendances de fond dont on parle, il y a différentes manières de les décrire. Une des tendances qui me paraît essentielle et qui est revenue dans la bouche de beaucoup d’invités, c’est ce qu’on appelle la grande accélération du monde.

C’est le fait que tout va de plus en plus vite et que cette accélération des choses crée plein de turbulences, plein d’événements. qui se matérialisent de différentes manières. Ça va être la mondialisation de l’économie, ça va être l’accélération technologique, le fait que tout le monde aujourd’hui a un smartphone et que ça change complètement les comportements, et puis la politique, et puis tout un tas de choses. Et puis notre cognition, et ça s’est fait en 10-15 ans.

Et puis il y a d’autres tendances. qui sont la connexion ou au contraire la déconnexion de certaines choses entre elles. Il y a plein de choses qu’on peut étudier.

Et pareil, pour chaque domaine, on va étudier quelles sont les tendances de fond qui sont sur le long terme, qui vont provoquer l’émergence d’événements et les mouvements du monde. Et ce qui est intéressant aussi, c’est quand on parle à des gens qui vont aller plus loin pour essayer de comprendre qu’est-ce qui crée ces tendances ?

Pourquoi il y a cette grande accélération dont on parle ? Et quels sont ?

En dessous, c’est un peu le « je reprends l’image de l’iceberg systémique. Il y a l’événement tout en haut qui flotte, dessous il y a les tendances, et puis encore en dessous il y a ce qu’on appelle les structures, les structures sous-jacentes qui sont là, qui sont en place, qui fonctionnent d’une certaine manière et qui permettent aux tendances d’exister.

Et donc c’est pour ça, c’est pareil, il y a différentes formes de lecture. Quand on est économiste, on va pouvoir avoir une lecture très précise de comment fonctionne la structure économique.

C’est quoi le PIB ? Quelles sont les règles du jeu mondial, du commerce mondial ?

Comment fonctionne la finance ? Quel est le lien entre la finance et l’économie ?

La finance elle-même étant une structure qui a sa propre vie avec la monnaie. C’est quoi la monnaie ?

Qu’est-ce qui fait qu’il y a de l’inflation aujourd’hui ? C’est parce que le système monétaire est ce qu’il est, parce qu’on a laissé les cours flottants, parce qu’il y a de la spéculation à court terme, parce qu’il y a le prix d’énergie qui est sur les marchés, il y a plein de choses.

Il y a une multiplicité de structures qui existent. La structure au niveau d’un pays, ça va être la constitution, les gouvernements, les lois, comment les gens sont élus, comment les lois sont votées, etc.

Et puis il y a aussi tout ce qui est structure, que j’appelle un peu structure de l’ombre, qui vont conditionner tout un tas de choses qui ne sont en dehors des choses dont on parle régulièrement. Ça va être le système mafieux, la criminalité, mais aussi… La corruption, les groupes d’intérêt, les lobbies, toutes ces choses-là qui viennent faire bouger la société.

Donc selon les… Ce serait difficile de te parler de tous les invités, mais chaque invité va arriver et va me donner un angle de lecture différent sur une de ces structures, sur comment elles fonctionnent, sur pourquoi justement on voit apparaître ces choses-là.

Je te parlais un peu du fait économique, mais qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui il y a une binarisation du discours dans la société, c’est qu’on constate une même tendance. dans tous les pays, dans toutes les démocraties du monde, à un retour des extrêmes, au fait que, c’est ce qu’on a vu par exemple, ce qui s’est passé au Brésil, avec l’invasion des bâtiments administratifs, qui est quasiment une réplique de ce qui s’était passé deux ans plus tôt aux États-Unis. Donc c’est étonnant de voir quelles sont les structures.

Et derrière ça, donc derrière cette minérisation de la société, on va retrouver… les réseaux sociaux, le modèle d’affaires des réseaux sociaux, avec l’économie de l’attention, on va retrouver la psychologie de ceux qui dirigent ces réseaux sociaux, etc. Et on peut tirer le fil très très loin comme ça.

Et puis après, il y a aussi nos croyances, et puis la nature profonde du genre humain, etc. Et on peut…

C’est ce que je me suis amusé à faire. un peu plus récemment dans mon livre. Et après, je peux te parler de quelles sont pour moi les explications que je trouve les plus fondamentales, si tu veux, mais je ne sais pas si tu veux aller là-dessus, et qui ont été les plus intéressantes ou les plus racines parmi tous mes invités.

Thomas Gauthier

Je pense que c’est intéressant de les évoquer, puisque c’est le fruit de ton travail de synthèse, d’écoute et de partage avec ces invités. Fais-toi plaisir, raconte-nous peut-être, suite à ces entretiens, quelles sont ces forces originelles ou ces forces structurelles qui, selon toi, agissent comme des dynamiques extrêmement puissantes pour orienter le vaisseau Terre dans une certaine direction ?

Julien Devaureix

Donc, ce que je disais, tu vois, mon approche au départ, c’était déjà de mettre le doigt sur la complexité de la compréhension de ça. Et je commence toujours par ça, parce que je ne veux pas…

Donner l’impression que j’ai trouvé la clé ou quand même un des invités a trouvé la clé. Si je dis, mon podcast c’était Le Monde Change et on n’y comprend rien, qui est maintenant le titre du bouquin, c’est que je me suis aperçu justement qu’il y a tellement de clé lecture, il y a tellement de manières d’interpréter les choses que c’est compliqué d’arriver à une seule vérité.

On a toujours cette quête de connaissances et de vérité absolue qu’on retrouve en science, qui est de plus en plus nuancée d’ailleurs, mais qui en fait est vaine. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas la faire, mais on n’arrivera jamais à… expliquer parfaitement pourquoi les choses se passent de telle ou telle manière. On peut essayer d’avoir des indices, on en a de manière très précise quand on fait des sciences dures, on voit qu’il y a des choses qui fonctionnent, qu’il y a effectivement des règles, et que ça nous permet de faire, de prévoir justement, de prévoir ce qui va se passer, prévoir l’avenir dans une certaine mesure.

On sait que si je lâche un objet, il a des chances de tomber, on va pouvoir calculer la vitesse, etc. Il y a des lois qui existent.

Mais j’essaie aussi de comprendre pourquoi cette confusion existe. d’où vient la multiplicité des points de vue, et puis ensuite de trouver une méthode pour en faire quelque chose, et pour affiner ma compréhension, ma propre compréhension des choses. Je commence par là, parce que je pense que c’est pas après que je vais te répondre, mais c’est important de revenir à l’idée de doute, en fait, et à l’idée de méthode pour construire une forme de connaissance qui soit la plus ouverte possible, et qui nous permette de mieux comprendre sans se faire tromper, d’autant plus qu’on est à une époque où tout est extrêmement flou.

Une des clés, pour moi, les plus essentielles que j’ai pu voir passer, et qui explique selon moi beaucoup de choses, et qui est revenue dans la bouche de certains de mes invités, et puis dans mes lectures, c’est cette idée de puissance. De puissance et de force de vie, en fait.

C’est pour ça que je suis parti, moi, sur la métaphore du jeu de la vie. C’est-à-dire cette idée qu’on est pris dans un jeu, l’objectif c’est de survivre, et puis l’objectif c’est d’essayer de kiffer le plus possible, d’une certaine manière, ou de se reproduire le plus vite possible, enfin il y a plein de choses, et puis la définition du kiff va être différente selon les personnes, mais c’est cette idée qu’il y a un mouvement qui anime tout ce qui nous entoure, et donc ça c’est la vie, si tu veux, et on peut même étendre ce mouvement à ce qui n’est pas à proprement parler vivant. on pourra développer là-dessus.

Donc j’ai essayé de comprendre quel était ce mouvement et comment il se manifeste et comment il explique notre époque et ses enjeux. Tu vois, c’est vraiment à la racine.

Ok, on est tous pris. Le commun, en fait, entre tous les acteurs qui sont sur Terre, c’est cette espèce de dynamique et notamment sur le vivant, c’est le jeu de la vie.

Donc c’est quoi ce truc-là auquel on joue ? Et en fait, cette idée de force qui anime le monde, c’est super intéressant parce qu’on la retrouve chez plein, plein, plein de penseurs.

On la retrouve dans la religion bien sûr. Avec cette idée qu’il y a un début et une fin, ou qu’il y a des cycles, et qu’il y a des mouvements qui sont faits par des divinités, des dieux.

Il peut y avoir des grands cycles, comme dans l’hindouisme, des choses qui reviennent, et qu’on n’échappe pas à ces cycles. Donc ça crée ce mouvement vers quelque chose, ou un retour vers quelque chose.

Et puis, de manière intéressante, on retrouve ça en philosophie et même en physique. En philo, tu peux avoir le Conatus de Spinoza. qui est cette idée de progresser dans son être.

C’est une force pareille qui entraîne la vie et qui fait que les… C’est pas que la vie d’ailleurs, c’est que toute chose en fait essaie de se maintenir en existence, de se maintenir dans son être. et qui décrit très bien, et donc c’est aussi ce qu’on fait.

Il y a la volonté, c’est ce que Schopenhauer appelle la volonté, et puis c’est ce que Nietzsche a repris derrière avec la puissance, l’idée de désir de puissance, en fait, la force de vie. Et en physique, on peut même faire le parallèle avec ce qu’on appelle l’entropie, ce qui est cette espèce de force physique qui, une loi de la thermodynamique, en fait, qui donne une direction au temps, et qui fait que l’univers va vers toujours plus de bordel, en gros. de l’ordre vers le désordre, du chaud vers le froid, et que tout ce qui vit finit par mourir.

C’est une espèce d’usure avec des formes d’organisation temporaire qui contribuent à accélérer cette usure, mais qui finalement elles-mêmes finissent par s’user. Moi, ça me semble être une des règles fondamentales parmi les choses les plus intéressantes.

C’est pas moi qui ai trouvé le truc, mais parmi les choses les plus intéressantes, je vois que ça revient. Parmi mes invités, c’est Richard Henberg qui avait extrêmement bien décrit ça. avec son livre Power, donc puissance, et qui explique qu’on peut regrouper en fait tous les grands problèmes de notre époque dans cette volonté de puissance du vivant et donc de l’humanité.

En gros, selon lui, c’est une force qui nous amène à ce qu’on est devenu aujourd’hui, qui a amené la création, la civilisation à finir par se créer, c’est-à-dire qu’au bout d’un moment il y a quelque chose, on pourra en reparler si on parle un peu du passé, et qui fait qu’aujourd’hui en fait on est devenu tellement puissant On a tellement tué tout ce qui nous limitait, ça a été le grand jeu de se séparer de ce qui nous limitait, de vaincre la nature, en tout cas dans l’histoire un peu plus récente, qu’on n’a pu rencontrer aucun obstacle devant nous et qu’on est devenu surpuissant. Et qu’on est tellement puissant qu’on est en train de détruire le terrain de jeu, d’occuper tout l’espace et de pomper toute la force de vide qu’il y a autour, en pompant toute l’énergie.

Et on peut ramener ça évidemment avec la problématique énergétique qui sous-tend toute cette dynamique, puisque la vie est une consommation d’énergie. Tous les êtres vivants essaient de maximiser leur flux énergétique et on fait la même chose.

Et comme on est maintenant dans une phase où on a un boost d’énergie, on pourrait revenir. On est en situation de surpuissance et donc ça crée tout un tas de déstabilisations qu’on a autour. Ça crée des inégalités dans la société puisque certains individus ne savent pas s’arrêter dans cette quête de puissance et deviennent surpuissants. donc ça crée des milliardaires qui se sont enrichis comme jamais, ça crée un extractivisme de plus en plus loin de plus en plus profond, ça crée une décivilisation du climat on rejette de plus en plus de choses on détruit de plus en plus de choses Comme un super organisme. qui exploite tout ce qui est à sa portée comme ressource pour augmenter sa propre taille, sa propre puissance.

Donc ça explique beaucoup beaucoup de choses, ça explique toutes les autres tendances qu’on va pouvoir avoir. Et donc le grand paradoxe de notre époque, ce qui est le grand défi, c’est que cette force de vie qui nous pousse à vouloir grandir, grossir, augmenter notre puissance, et qui est maintenant codée… dans notre système technologique, dans notre système économique, dans notre système culturel, soit on la restreint, du meilleur au du nôtre, soit en fait elle sera restreinte par manque de ressources, soit, et potentiellement ça peut aller vers une forme d’autodestruction, ou en tout cas de destruction partielle de tout ce qui a été construit, une fin de cycle entre guillemets.

Donc c’est une clé de lecture parmi d’autres, mais je trouve que c’est une clé de lecture que j’appelle un peu racine, dans laquelle on peut tout mettre. En partant de là, on peut expliquer énormément de choses.

Thomas Gauthier

Cette clé de lecture, elle est super intéressante. Je ne vais pas forcément revenir sur ce que tu as dit, mais elle m’amène une question qu’on n’avait pas préparée ensemble.

Est-ce qu’à contrario, tu as pu découvrir, soit chez certains de tes invités, soit à la faveur de tes lectures et de tes autres écoutes, des contre-arguments, des clés de lecture qui viendraient discréditer ce rôle ? cardinal que jouerait la volonté de puissance dont tu as parlé, en citant quelques philosophes qui se sont essayés à la caractériser, peut-on, si on voulait être un instant ensemble les avocats du diable, s’opposer à cette clé de lecture ? Ou alors, peut-être pour formuler ma question autrement, du coup, tu viens d’avoir une deuxième question pour le prix d’une, vois-tu dans le fonctionnement de nos sociétés aujourd’hui, probablement plutôt sociétés occidentales, des… contre-pouvoirs qui font tout ce qu’ils peuvent pour ne pas donner une limite à cette volonté de puissance.

Dans quel lieu de pouvoir, justement, s’exercent-ils des contre-mesures pour empêcher que cette volonté de puissance soit limitée, alors même que, d’après ce que tu viens de nous rappeler, limiter cette volonté de puissance semble être un levier qu’il va falloir à tout prix actionner pour simplement permettre à l’espèce de persévérer.

Julien Devaureix

Il y a des gens qui ne sont pas d’accord avec cette lecture, évidemment, et l’argument classique, il y a deux types d’arguments. C’est un que cette volonté de puissance n’est pas un problème.

C’est très Nietzschean d’ailleurs, au contraire, qui dit que j’aime pas la morale, en gros, parce que la morale vient des faibles qui veulent limiter la puissance des puissants et qui, pour ce faire, donnent des… codes, des manières de se comporter qui sont contre nature, qui empêchent la vie de s’exprimer, en fait. Pour lui, la puissance de vie, c’est de laisser complètement faire ce désir de puissance, c’est de vivre la vie à fond, entre guillemets, parce que c’est ce que font tous les êtres vivants.

C’est cette pulsion, d’appeler d’une autre manière, cette pulsion qui fait que il ne doit pas être restreinte, et que de la restreindre avec la morale, avec… Ça serait aussi dans un contexte, dans une époque. C’est mortifère.

C’est à l’encontre de la force de vie. Et que donc, d’où, il faut laisser mourir, il faut tuer Dieu, entre guillemets, et puis il faut laisser aller, parce que c’est la vie même que d’avoir cette puissance qui s’exprime, et c’est la loi des forts.

Donc cette admiration aussi, justement, pour les puissants, etc. Et il y a un peu de ça, dans beaucoup de rhétoriques aujourd’hui.

Et puis il y a l’héritage aussi, toutes les croyances qui sont fondamentales dans notre société aujourd’hui, qui sont de… intégrée en fait chez beaucoup de chez nous surtout en Occident mais ça s’est répandu partout qui est cette idée que c’est très bien de chercher à être le plus puissant possible, il n’y en a qu’une valorisation des surpuissants une valorisation des ultra riches qui sont érigés en modèle avec la valorisation de phrases comme rien n’est impossible ou sky is the limit de cette idée qu’il n’y a pas de limite en fait l’idée de limite a été aboli. Il y a plein de manières, pareil, quand on va regarder pourquoi il n’y a pas de limite.

On peut appuiser ça dans la religion, on peut appuiser ça dans la conquête de l’Ouest américaine avec le mythe de la frontière, avec cette espèce de territoire sans limite, virtuellement sans limite, qu’on peut exploiter jusqu’au bout. Il y a l’idée de moonshot, c’est-à-dire qu’il y a toujours un territoire après à aller conquérir.

On a fini avec la Terre, on va aller sur la Lune, puis après la Lune, on va aller sur Mars, et puis après on va faire une civilisation multiplanétaire. Donc aujourd’hui, en fait, et ça rejoint un peu ta deuxième question, c’est-à-dire qu’on peut peut-être commencer par là, tout est fait pour qu’on ne restreigne pas. notre propre puissance.

Le fait de dire, on va devoir attention, on va peut-être devoir décroître, ou même l’idée économique de décroissance, c’est précisément ça, c’est-à-dire il faudrait restreindre nous-mêmes notre puissance économique avant que ça soit une récession, que ça nous tombe dessus, c’est plus raisonnable de faire ça, tout ça c’est battu en brèche, c’est complètement en dehors de l’acceptation culturelle actuelle. Parce qu’on a cette idée que, non, non, toujours plus, toujours plus gros.

Il faut aller de plus en plus loin, parce que c’est ça la vie. Ça vient aussi de loin. Et aujourd’hui, cette croyance est très ancrée dans la plupart de ceux qui nous dirigent, et puis dans la plupart des gens.

Dans la plupart des gens aussi à qui on promet une croissance, on promet plus de puissance. Donc ça va des plus pauvres à qui on leur dit « Ok, demain t’auras à manger, t’auras de quoi vivre. » Donc c’est une augmentation de sa propre puissance, aux classes moyennes.

On leur pourra dire « Toi aussi, tu pourras gagner au loto demain. » Et puis tous ceux qui sont en haut de la pyramide qui surtout ne veulent pas redescendre. Donc il se trouve que ceux qui font les règles du jeu, ce sont les puissants.

Donc dans toutes les sphères, on a des gens qui sont là parce qu’ils ont gagné au jeu. Quel intérêt aurait-il à changer les règles du jeu et à restreindre leur propre puissance alors qu’ils sont là ?

Donc c’est pareil, c’est presque un truc, tu peux aller chercher des trucs naturels là-dedans. Donc il y a très peu, donc il y a plein de choses qui sont mises en place en termes d’idéologie et puis de toute façon en termes de… et puis après un cercle de structure pour continuer d’aller chercher toujours plus, pour continuer de croître.

Au-delà de ça, on peut même dire que le système a été construit en dur vers cet objectif d’augmentation de la puissance et qu’aujourd’hui, finalement, qui a la main là-dessus ? Qui est capable d’arrêter cette espèce de machine ?

On a des indicateurs qui sont ce qu’ils sont et qu’il faudrait échanger au niveau mondial. On a une culture qui est ce qu’elle est. des règles, en fait, dans tous les sens, des règles du jeu qui sont vers, qui entraînent, qui fait que celui qui veut, c’est la théorie des jeux, celui qui n’accepte pas le jeu perd, donc on a tout intérêt à continuer à jouer pour pouvoir faire ça.

Après, il y aurait un autre discours qui permettrait de twister un peu le truc, qui serait de dire oui, il y a peut-être une manière de renoncer à sa puissance aujourd’hui pour continuer d’être puissant demain. Voilà, typiquement une logique de restreinte aujourd’hui pour…

Alors que les autres ne se restreignent pas, vont s’épuiser, ou alors on sera devenu plus résilient, enfin il y a tout un discours là-dessus. Mais donc aujourd’hui, il n’y a quasiment rien qui va, enfin tout est fait pour limiter cette idée qu’il y a des limites.

Après, est-ce qu’il y a d’autres narratifs qui vont nous dire que ça n’est pas inscrit dans le marbre, que ça n’est pas en fait quelque chose qui est naturel, que cette volonté de puissance, elle n’est pas du tout, elle ne se retrouve pas. L’argument qui me vient, c’est de dire que… finalement pendant des dizaines de milliers d’années les humains ont vécu en trouvant des manières de se restreindre et en étant en harmonie avec la nature en respectant l’enlivrement, en ne dépassant pas certaines limites qui les mettaient en danger et que ça il y a eu plein de cultures qui ont mis en place des manières de brûler les surplus de brûler le surplus d’énergie, de pulsions c’est le carnaval qui existe, qui met ça en place un peu partout Il y a plein de traditions qui existent un peu partout dans le monde qui empêchaient à ce que des personnes deviennent trop puissantes.

Parce qu’on avait compris que ça venait d’estabiliser les choses. Oui.

Et donc, il y a des milliers d’expérimentations humaines qui ont été tentées, qui ont été mises en place. Donc, il n’y a pas une seule forme de faire civilisation, entre guillemets, de vivre en communauté.

Et donc, ça veut dire que ce n’est pas, a priori, gravé dans le marron. Sauf que…

Un contre-argument, c’est de dire qu’in fine, qu’est-ce qui se passe quand un de ces groupes humains, lui, choisit de maximiser sa puissance ? Il se passe ce qui s’est passé à peu près partout dans le monde, c’est d’ailleurs l’émergence de civilisations qui conquièrent des territoires et qui imposent leurs règles aux tribus voisines ou aux groupes voisins qui, eux, étaient dans une forme de restriction.

Donc on revient à la théorie des jeux, il y en a un qui… qui décide d’être le méchant, l’autre reste le gentil, entre guillemets, pour évidemment vulgariser tout ça, c’est celui qui est le plus agressif qui gagne. Et ce qui est intéressant, c’est de voir que partout dans le monde, les civilisations qui ont émergé sans être forcément connectées les unes aux autres, notamment les civilisations américaines, ont développé à peu près toutes les mêmes structures, avec un clergé, avec des formes d’inégalités, avec une agriculture, avec des temples, avec même des temples parfois qui ont les mêmes formes, pyramidales, voilà.

Et donc il y a quelque chose, on peut s’interroger sur le fait, mais est-ce qu’il n’y a pas quelque chose intrinsèquement dans le code qui fait qu’on arrive à ce point-là ? Et notre civilisation actuelle, mondialisée par l’Occident, est l’héritière d’une forme de civilisation qui a été la plus puissante.

Et la plus puissante sous plein de critères. Ça peut être la plus violente, ça peut être celle qui a développé un rapport au monde particulier, on peut en reparler. Ça peut être une avance technologique, ça peut être le hasard, etc. Et qui fait que, voilà, on est là-dedans.

Donc moi, je le vois de plus en plus comme quelque chose qui… qui était inévitable à un moment ou à un autre. Pas forcément sous cette forme, mais parce que c’est la vie qui avance vers cette quête-là, et la vie non restreinte, ça fait une espèce qui prolifère jusqu’à ce qu’elle trouve sa propre limite.

Thomas Gauthier

Avec les propos que tu viens de tenir, tu as jalonné ta réflexion de plusieurs repères historiques. La transition, elle est du coup toute… trouver, si tu le veux bien, avec la deuxième partie du entretien où je te propose maintenant de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur.

Est-ce que tu peux nous ramener deux, trois événements historiques qui te paraissent utiles aujourd’hui pour nous orienter dans ce monde fait de turbulences ? Tu as rappelé que la grande accélération est génératrice de turbulences.

Nous sommes dans ces turbulences. Qu’est-ce que l’histoire peut nous amener aujourd’hui pour nous orienter et peut-être même aussi pour nous projeter ?

Julien Devaureix

C’est toujours très intéressant de regarder le passé, puisque c’est le seul outil dont on dispose pour essayer de comprendre comment fonctionne le monde, quelles sont les règles du jeu. Et souvent d’ailleurs, inévitablement on simplifie, parce qu’on ne voit pas tout, on ne retient qu’une partie des choses, on ne retient que l’événement saillant, visible, et on en tire trop souvent des conclusions un peu hâtives sur le fonctionnement du jeu.

Parce qu’on a besoin d’expliquer ce qui se passe. Ah mais il s’est passé ça parce que… etc.

Et c’est marrant parce qu’on parle toujours d’événements clés en se disant que ce sont eux qui font l’histoire. Alors qu’on peut voir plutôt les événements comme des manifestations de dynamique profonde, on peut appeler des émergences dans le système.

Si tu me permets, je vais citer un passage de mon livre qui parle de ça, puisque je parle des événements, comme je t’ai dit, je descends l’iceberg, et j’ai pris l’exemple du 11 septembre. Parce que c’est un événement que beaucoup de gens ont en tête.

Alors je te lis. Le 11 septembre est la quintessence de l’événement collectif.

On se souvient d’où on était et de ce que l’on faisait au moment où il s’est produit. Le souvenir reste gravé.

Les ondes du 11 septembre viennent de loin et elles auront donné naissance à bien d’autres ondes qui continuent de toucher aujourd’hui. Sans la guerre froide, sans le sénateur Charlie Wilson qui poussa les américains à armer les afghanistans et les talibans contre les russes, sans le soutien de l’Arabie saoudite contre du pétrole, sans la défaillance incompréhensible du FBI et de la CIA, sans le beau temps.

Peut-être ces attentats n’auraient pas eu lieu. Et je ne parle pas ici de tout ce qu’on ne sait pas et qu’on ne saura jamais, de ce qui se joue hors de notre champ de vision.

Et sans le 11 septembre, pas de guerre en Afghanistan, ni en Irak, pas de Guantanamo, pas d’état islamique, pas de Bataclan, pas d’eux, etc. Bien sûr, il se peut que les événements cités se fussent produits quoi qu’il arrive, mais changer un seul élément, une seule circonstance, et l’histoire n’est pas tout à fait la même.

Il en va de même pour chaque chose du monde. Le présent n’est perceptible qu’en surface, il est travaillé en profondeur par des sables souterraines. d’invisibles courants sous un sol apparemment ferme et solide, observe Edgar Morin.

Pensez à ce qu’il a fallu comme enchaînement de hasard pour que vous rencontriez votre partenaire, de bridge ou de vie, ou simplement pour que vous soyez vous, ici à cet instant. Pourtant, tout n’est qu’une suite de causes et d’effets.

Il nous faut donc essayer de comprendre ce qui contribue à faire émerger l’événement si l’on veut être en mesure d’en apprendre quelque chose. Mais pour répondre à ta question, quels sont les événements qui ont été de grands accélérateurs de l’histoire ?

C’est-à-dire qu’un événement arrive et puis ça peut créer, c’est une émergence qui crée des dynamiques. Et qui, en émergeant, justement, a contribué à changer parfois même certaines règles du jeu.

Alors le premier qui m’est venu en tête, c’est l’invention de l’agriculture. Donc certains, c’est un peu bateau, mais en gros, si tu la fais courte, certains ont décidé pour une raison ou une autre de se mettre à cultiver du soja, du blé, de l’orge, selon les régions.

Et en fait, pour eux, ça a tout changé. En quelques générations, les compétences des chasseurs-cueilleurs ont été oubliées.

Et puis, il n’y a pas eu de retour en arrière possible. C’est ce que décrit très bien Harari dans Sapiens.

Et là, on a changé les structures profondes. Et le fait qu’on commence à dégager des surplus énergétiques a permis l’apparition de nouveaux types de sociétés, avec des hiérarchies, avec des techniques.

On a dû inventer l’agriculture pour gérer les dettes, puis l’argent, et ainsi de suite. Et donc, une invention, un événement, je ne sais pas si on peut parler d’invention, mais…

Un accident de l’histoire peut-être, mais un nouveau comportement met fin à des dizaines de milliers d’années d’une manière de jouer, d’une stratégie de jeu, et commence ce qu’on appelle le jeu de la civilisation, on joue à la civilisation, qui se développe, comme on l’a vu, à peu près partout pareil, avec les mêmes structures. Donc tu as un élément fondamental.

Dans le même style, tu as un deuxième… fait fondamental, enfin ce que j’appelle l’invention de la ou des méthodes scientifiques. Donc c’est pas un événement à proprement parler, mais ça consiste à chercher à comprendre le réel d’une nouvelle manière, en acceptant que notre compréhension soit imparfaite, et toujours imparfaite, et puis constamment évoluer, en confrontant nos théories à l’expérience, à l’observation, aux expériences des autres, etc.

Et donc c’est une manière inédite d’accéder à la connaissance, de construire la connaissance. Après, c’est difficile de déterminer à quel moment ça arrive.

On peut partir de l’Aristote, qui posait un peu les bases de la raison. On peut partir du physicien musulman Alassane.

On peut partir de Bacon au XIIIe siècle en Angleterre, ou Descartes chez nous au XVIIe. Tout ça, c’est une évolution.

On repart toujours de ce qui a été fait. Mais à partir de là, au moment où ça se passe, notamment à partir de la Renaissance, On se dote d’outils de déchiffrage des règles de fonctionnement du monde qui sont hyper puissantes et accélèrent considérablement l’histoire.

Parce que, voilà, l’histoire est technique, etc. Et après suit le troisième événement majeur qui définit l’histoire moderne, qui est la révolution industrielle, et plus particulièrement la découverte liée au pétrole, l’exploitation du pétrole.

Donc là encore, c’est un ensemble de dynamiques et de composantes, mais c’est un fait absolument majeur, puisque c’est de loin le plus grand accélérateur de l’histoire. Pourquoi ?

Parce qu’on a pu exploiter le pétrole qui est une énergie solaire enfouie depuis des millions d’années, puisque le pétrole c’est du plancton décomposé, donc de la photosynthèse fossilisée en quelque sorte, et qu’on est encore dans ce cycle. donc c’est ce que Nate Hagen s’appelle le pulse carbone qui était un de mes invités c’est une espèce d’augmentation si on se place à 10 000 ans de recul on a une augmentation incroyable et soudaine de la puissance disponible super facile d’accès, super facile à exploiter et qui a permis cette accélération fondamentale du phénomène de civilisation, avec l’augmentation de la population, avec les engrais, avec l’augmentation des transports, donc culture mondialisée, etc. Et tout ça dépend de l’énergie disponible, l’énergie accessible.

Par écocher, l’événement majeur qui est devant nous, c’est la fin du pétrole et donc la réduction de notre énergie globale. Sauf événement technologique majeur, mais qui a priori n’arrivera pas à court terme.

Donc on a… Cette civilisation moderne dans laquelle on est, qui est celle de l’acier, du pétrole et du plastique, en gros, et en fait, tout dépend encore aujourd’hui de notre capacité à brûler des énergies fossiles.

On est toujours dépendant à 80%. Et donc, ça risque d’être un fait majeur sur lequel on reparlera dans 200 ou 300 ans, qui est, OK, qu’est-ce qui se passe quand on a une descente énergétique ?

Thomas Gauthier

Pour revenir sur cette image du pulse carbone ou de l’instant carbone… Est-ce que tu repères déjà dans tes travaux, dans tes recherches, dans tes entretiens, des réflexions et peut-être même déjà des idées de mode opératoire concret pour penser l’après-carbone ?

Puisque c’est un terme évidemment qui revient dans les médias chaque jour, on parle de décarboner l’économie, on parle d’électrifier l’économie et peut-être de miser sur des énergies primaires qui ne sont pas carbonées. qu’est-ce que tu nous ramènes peut-être de tes rencontres, de tes échanges de particulièrement intéressants autour de ces modes opératoires pour aller vers l’après-carbone ? Est-ce qu’il y a des pistes d’action, des manières de réfléchir peut-être aussi, des manières de mettre cette transition en question, pluriel, qui te paraissent particulièrement adaptées, pertinentes, méritant qu’on s’y arrête ?

Julien Devaureix

La première chose, c’est de poser le diagnostic correctement. C’est encore ce qu’on a énormément de mal à faire.

On est encore, et je pense qu’on va le rester encore longtemps, jusqu’à ce qu’on se prenne des claques, on est encore dans cette idée qu’on va pouvoir rester dans un pulse énergétique. Du coup, ce n’est plus un pulse, mais qu’on va pouvoir rester dans un accès à une forme d’énergie.

On a compris qu’il y avait un lien entre l’énergie et l’économie, et l’énergie notre civilisation. Enfin, on l’a compris.

Beaucoup de gens ne l’ont pas encore en tête. Mais une fois qu’on a compris ça, on se dit, bon, OK, c’est fondamental.

Rien ne tourne sans énergie. Aujourd’hui, notre énergie, c’est l’énergie carbonée.

On va faire une transition, on va la remplacer par autre chose. Mais on n’est pas du tout dans un narratif qui nous dirait qu’on va faire avec moins d’énergie.

Déjà, le premier truc, c’est OK. La transition énergétique, ce n’est pas ces transitions vers… quelque chose qui nous maintient notre niveau d’énergie donc les renouvelables le nucléaire la fusion demain voilà ou après demain et donc il est hors de question pour l’instant de se dire on va faire avec avec moi alors certes il y a la sobriété énergétique.

Il faut être plus sobre, mais il y a quand même cette idée que on va continuer à faire de la croissance économique, donc de consommer plus d’énergie, si possible décarbonée, et que donc cette sobriété, finalement, elle est toute relative. C’est-à-dire que, ou elle est soit temporaire, soit pour quelques-uns, et soit elle va permettre à la population de croître.

C’est-à-dire qu’on va la diminuer par personne, mais au global, on ne va pas être sobre en tant que civilisation, puisqu’on est dans une idée de croissance économique, de croissance des flux, et donc de plus d’énergie. Donc le discours aujourd’hui, il n’est absolument pas sur la descente énergétique.

On ne voit pas la possibilité, l’éventualité que ce soit un pulse, et donc on ne le pense pas. Donc c’est un grand impensé.

Il y a quelques personnes qui le pensent et qui se disent, ok, attention. il est tout à fait possible au moins à court terme, c’est-à-dire pendant quelques décennies, jusqu’à ce qu’on trouve miraculeusement une autre source d’énergie et qu’on la déploie. On pense à la fusion aux énergies renouvelables, si tenté qu’il soit possible de les mettre en place, parce qu’on a aussi des problèmes de ressources, on ne va pas aller là-dedans, mais voilà.

Mais il y a quand même une forte probabilité qu’à un moment donné, Si on doit effectivement se passer d’énergie fossile, comme on a prévu de le faire pour la problématique climatique, et qu’on décide de ne pas aller miner partout, de ne pas aller creuser tous les fonds marins pour aller chercher vraiment racler tous les fonds de cuve, ce qui est une éventualité, pour l’instant on va vers ça, ça veut dire comment on fait pour construire une société avec moins d’énergie. Et là, c’est toute la question justement de tout le travail autour des questions de décroissance, d’inventer des nouvelles manières de transporter les choses, de relocaliser certaines choses, de refaire l’agriculture avec beaucoup plus de main d’œuvre.

Et finalement, on revient à des modes de faire et des modes de vie qui étaient ceux que nos arrières-grands-parents, nos grands-parents avaient avant nous. c’est-à-dire dans des circonstances où effectivement il y avait beaucoup moins d’énergie disponible il y a des choses à aller puiser dans les techniques, il y a des choses à aller puiser dans les organisations sociales, et puis dans les comportements, voilà les gens voyageaient beaucoup moins, il y avait des trucs comme ça et puis dans la culture dans les manières de vivre en fait dans les rapports aux gens, pourquoi pourquoi en fait toutes les sagesses partout dans le monde entier prône une forme de sobriété, in fine. Être sage, c’est se contenter de peu.

Être sage, c’est justement limiter sa propre puissance. Être sage, c’est…

Enfin voilà, être une forme de frugalité. Et pourquoi il y avait ça ?

Parce qu’on était dans un monde qui, de toute façon, était contraint, ne permettait pas de faire autre chose. Donc la posture la plus sage, c’était de se contenter.

C’était ce dont on avait besoin. Donc quelque part, c’est de retrouver, d’aller chercher, encore une fois, dans le passé, des choses qui étaient en place depuis des milliers d’années parce que elles étaient dans un contexte qui était ce qu’il était.

Et donc, si on revient dans un contexte similaire, il y a plein de choses à aller chercher sur les formes d’organisation, sur la manière de construire des maisons, sur la manière de… Sauf qu’on le fait dans un contexte qui ne sera pas tout à fait le même, évidemment, avec quand même des technologies qui ne sont pas les mêmes, qui permettent de maintenir tout un tas de choses qui sont essentielles.

Donc, les questions qui vont se poser, je ne peux pas te citer d’inviter, mais les questions qui vont se poser, c’est justement de faire le tri entre ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas. C’est qu’à partir du moment où on va pouvoir faire moins, bon bah ok, où est-ce qu’il y a du gaspillage, c’est-à-dire vraiment de la vraie perte d’énergie pour rien, et là il y a quand même des marges de progression qui sont énormes, donc c’est souvent par là que commencent les entreprises, c’est ok, en fait, est-ce qu’on a besoin de prendre l’avion à tout le monde pour aller faire le meeting à l’autre bout du monde ?

Bah en fait, non, en fait, c’était un petit peu du gaspillage, donc on arrête de le faire. Est-ce qu’on a de tout un tas de choses c’est le premier truc et ça au niveau d’une société c’est ok Est-ce qu’on a besoin de se chauffer à 23 degrés ?

Bon bah non, en fait on met un pull et puis on chauffe à 20 degrés. Donc c’est tout ce qui est un peu gaspillage.

Et après il y a les deuxièmes leviers qui sont de l’ordre de la vraie organisation, c’est comment on fait différemment pour répondre à des besoins qui sont estimés comme étant essentiels. Donc priorisation des besoins, de quoi on a besoin pour faire société, qu’est-ce qui est vraiment essentiel, et on va réorienter l’énergie vers ça.

Et pareil, c’est des discussions à avoir qu’on n’a pas vraiment aujourd’hui. mais qu’on va être amené à avoir, surtout en Europe, où à priori on va être les premiers à avoir une forme de descente énergétique. C’est extrêmement difficile d’avoir ces conversations parce que le diagnostic n’est toujours pas posé.

Parce que le lien n’est toujours pas fait entre l’énergie et l’économie, le lien n’est toujours pas fait entre l’énergie et les fossiles, parce qu’on est dans ce refus de… Peut-être à raison, peut-être que pendant encore quelques temps, on a raison de se dire que non, non, non, il n’y a pas de limite à notre puissance, on va trouver…

Le futur du jeu ne passe pas par une limitation de la puissance, ça passe plutôt par voir comment on va pouvoir augmenter ça. Sauf que dans ce que j’ai pu observer… point de vue, on essaie de croiser les points de vue, quand même, continuer cette course pose un certain nombre de problèmes.

Parce que quand même on y arrive au niveau énergétique, ça continue de poser les problèmes d’extraction de la matière partout dans le monde, de destruction du vivant, d’accaparement des écosystèmes, etc. Parce que c’est pareil, on ne se limite pas.

Au contraire, si on continue d’avoir de l’énergie, on continue d’être puissant et on va partout. Donc ça pose le problème des limites planétaires qui sont en train vraiment de… d’être visiblement là.

Ce n’est pas demain. Donc, ça commence à chauffer partout.

Thomas Gauthier

Tu évoques ici, au fil de l’eau, le travail d’enquête que tu mènes, sauf erreur de ma part, depuis 6, 7, peut-être même 8 ans. Tu as parlé d’un livre aussi qui va bientôt sortir.

J’aimerais que, pour cette troisième et dernière partie de l’échange, si tu le veux bien, on découvre avec toi ton mode opératoire, on découvre avec toi tes manières d’intervenir dans ce monde. tes manières de chercher à le décrypter, est-ce que tu peux nous faire vivre en immersion et en accélérer forcément ces années, ces années d’enquête, ces années de rencontre, ce travail d’écriture, ce résultat ? Est-ce que tu peux simplement nous raconter comment est-ce que tu t’es mis en mouvement pour décrypter ce monde dont tu dis qu’on n’y comprend pas grand-chose ?

Et où en es-tu aujourd’hui ?

Julien Devaureix

J’en parle effectivement un petit peu dans le lit, mais assez peu. Je n’ai pas centré le truc sur ma propre histoire, mais je trouvais que c’était intéressant d’apporter quelques éléments.

Parce que finalement, il y a pas mal de gens qui commencent à questionner tout ça et qui cherchent comment avancer. Donc, après, chaque cas est particulier.

On s’en racontait ma vie. Mais moi, je travaillais…

La prise de conscience, en fait, au début des grands enjeux, m’est tombée un peu dessus quand je travaillais à Hong Kong. À l’époque, c’était en 2013. 2013-2014, et j’étais beaucoup sur les sujets de prospectif, ce que je travaillais dans le numérique, en fait, technologie, etc. Donc mon boulot, c’était de comprendre ce qui était en train de se passer, ce qui allait se passer, et comment ça allait, c’était la transformation digitale des organisations, comment l’organisation pour laquelle je travaillais était en train d’ingoluer.

Donc j’étais plutôt à manger l’avenir, entre guillemets, à essayer de le digérer pour le restituer. Et puis à force de faire ça, je suis tombé sur des sujets autres que technologiques, notamment tout le sujet du…

Des limites énergétiques, de l’écologie, des sujets de société. Donc ça a été un peu mon prise de conscience en disant « Ah oui, en fait, l’avenir ne sera peut-être pas tout à fait ce que j’avais anticipé.

Il y a quand même d’autres hypothèses qui sont plutôt sérieuses. » Et à tel point que j’ai eu envie de creuser ça, donc j’ai quitté mon travail. J’ai pris une année pour un peu voyager, mais surtout étudier tous ces sujets-là.

Et comprendre dans le même temps quelle était ma place là-dedans. Qu’est-ce que je faisais avec ma propre, ce que j’appellerais maintenant, mon propre désir de puissance, ma carrière.

Donc ça ouvre plein de portes sur le rapport à l’ambition, le rapport à l’argent, le rapport à la quête de la quête, le sens, quel sens on veut donner à sa vie, etc. Et après, j’ai voulu qu’on soit entré en France, j’ai voulu continuer à faire ça.

J’ai repris un job alimentaire, entre guillemets. Et j’ai fait ça avec ma femme qui était dans le même processus, qui est plus partie sur l’humain pour comment on aide les gens.

Et moi, j’ai essayé d’avoir des conversations, et puis j’en ai eu assez d’avoir des conversations qui étaient un peu trop solitaires pour moi. Donc je me suis dit, ok, personne ne m’écoute.

Donc je vais lancer un podcast pour, comme ça, au moins mes proches l’écouteront, et puis on pourra avoir des conversations différentes. Et mon approche dès le début, c’était de partir de…

Alors, je l’ai appelé sismique parce que je suis parti du postulat qu’on était sur une époque avec des changements profonds qui étaient en train de se faire et qu’ils allaient de plus en plus faire trembler notre quotidien. Voilà, ça aurait pu être aussi signaux faibles.

J’étais parti là-dessus, donc futur, comme je te disais. Mais ça fonctionne assez bien, cette idée de structure profonde qui nous font un peu Tanguy. depuis le départ, je me suis dit je vais essayer de croiser les… de partir de cette idée que je ne comprends pas ce qui se passe.

Donc c’est partir avec une posture d’enquêteur. J’appelle ça une enquête.

Je n’essaie pas de parler du monde, j’essaie de questionner et de faire ça en variant les points de vue, en… sans parti pris, je n’essaie pas du tout de débattre, j’essaie de comprendre comment mon interlocuteur pense, pourquoi il pense ce qu’il pense, quelle est son analyse, et j’essaie d’avoir si possible des gens qui sont capables d’avoir une analyse un peu systémique au moins de leur sujet. Et ça m’a amené aussi à questionner la connaissance en elle-même.

C’est le point de départ de mon livre, avant de parler des structures du monde et des règles du jeu du monde, c’est un livre sur comment fonctionne le monde, c’est ok, on va d’abord interroger comment Comment on questionne le monde ? Parce que c’est ce qu’on fait très mal aujourd’hui, et c’est un des problèmes fondamentaux de notre époque, c’est cette incapacité qu’on a, chronique, à accepter de ne pas détenir la vérité.

On est dans une époque où vraiment tout le monde veut avoir raison, ou avoir raison et valoriser, et puis où il faut tout simplifier. Donc c’est, ok, pourquoi en fait on n’y comprend rien ?

Parce qu’on est là-dedans, parce qu’on est dans la sur-simplification, parce que… Et d’où vient cette simplification ?

Elle vient de notre culture aussi de la division, ça vient aussi d’une forme de méthode scientifique qui à la fois est puissante mais qui nous a fait tout diviser. Et puis de notre cognition, des lunettes qu’on porte, dont je te parlais, la question des biais cognitifs, se rendre compte aussi qu’en fait on n’est pas des êtres de raison comme on l’entend, qu’on est tout à fait manipulable, qu’on a des biais de par nos origines, de par notre langue.

Et que donc, il faut qu’on soit beaucoup plus humble quand on aborde ces questions de compréhension du monde. Et tout ça, ça amène à reprendre aussi tout ce qu’ont dit les grands sages et les philosophes sur ces questions-là.

Donc, ok, commencer par admettre qu’on ne sait rien. Je sais que je ne sais rien.

Ou que sais-je, si on reprend Montaigne. Et qu’il y a quelque chose…

Beaucoup de gens qui ont réfléchi sur comment construire la connaissance ont des choses à nous apprendre. Donc, la posture que j’essaie d’avoir, c’est celle-ci, qui n’est pas facile à tenir.

Mais qui veut dire, ok, en fait, je ne sais pas, dis-moi les choses et j’essaie de mettre en lumière ce que l’autre pense en essayant de ne pas juger. Parce que je suis là pour apprendre.

Et donc ça, c’est le processus. Et puis après, dans cette construction, j’essaie d’avoir quand même une certaine méthode en essayant d’aller déceler justement le fonctionnement profond des différentes structures.

Donc c’est quoi ? Tu es économiste, parle-moi du fonctionnement profond de l’économie.

Pourquoi ? Comment on en est là ?

Qu’est-ce que ça crée ? Et puis, il se trouve que tout le monde n’est pas d’accord.

Donc, j’essaie d’aller voir des gens qui ne sont pas tout à fait d’accord. Il faut que je le fasse beaucoup plus, d’ailleurs.

Moi-même, je me suis laissé enfermer dans une forme de… J’ai reçu beaucoup d’invités qui, finalement, étaient assez d’accord entre eux.

Donc, ça va être intéressant pour moi, en prochaine étape, d’aller ouvrir plus large. et puis pour me faire moi in fine mon propre point de vue qui est qui est ce qui va me permettre de réfléchir moi-même à ma propre manière de jouer, d’être au monde, de traiter les autres, etc. Et ce n’est pas du tout une vérité absolue.

Mais c’est un propos qui est difficile à tenir aujourd’hui parce que c’est difficile de le mettre en avant. Parce que la structure médiatique exige de la simplification, exige de la petite phrase.

Parce que la structure technologique et les réseaux sociaux font exactement la même chose. Il faut qu’une pensée…

C’est compliqué de développer une pensée complexe, c’est compliqué de développer une pensée nuancée, c’est compliqué de ne pas faire partie d’une tribu en disant, nous on est les gentils, mais eux c’est vraiment les méchants, nous on a compris, eux n’ont rien compris. Donc j’essaie d’éviter ces postures-là.

Quand bien même je suis d’accord avec certaines tribus, avec certains points de vue, en disant, ok, c’est vrai que vous m’avez l’air d’avoir mieux compris que les autres, mais quand même, ok, essayons de comprendre pourquoi l’autre pense ce qu’il pense. Est-ce qu’il pouvait penser différemment ?

Et à partir du moment où tu comprends ce qu’il pense, tu vas pouvoir voir que finalement, il y a beaucoup de choses qui sont une question de point de vue. Ce n’est pas du relativisme, c’est aussi de se dire, ok, je prends cet exemple-là de mémoire dans le livre.

Pourquoi il y a un désaccord entre Greta Thunberg et, je ne sais pas, le président du World Economic Forum qui veut de la croissance, pour être un peu dans la caricature ? c’est qu’en fait, ils ne parlent pas du même référentiel. Et que… finalement, tous les deux ont raison dans leur référentiel.

Et Greta Thunberg parle du, pour faire court, du rapport du GIEC. Dans le référentiel GIEC, dans le référentiel des scientifiques du climat, on va dans le mur si on continue de croître à ce point-là.

Et donc, puisqu’on ne veut pas tous mourir, la priorité, c’est d’arrêter, d’arrêter la machine. Et donc, dans ce référentiel-là, elle a totalement raison de penser que c’est tout à fait logique.

Si on prend quelqu’un qui a un référentiel… économique classique, et pour qui la croissance du PIB n’a pas forcément de lien avec l’exploitation, avec l’extractivisme, avec l’exploitation de la nature. Pour lui, il ne le voit pas, il ne le voit pas de cette manière-là, parce que l’innovation va toujours pouvoir… remplacer n’importe quel manque, et va pouvoir toujours trouver des solutions.

Et que par ailleurs, si on ne parle pas de croissance, alors on parle de désastres sociétaux, de guerres, de violences, etc. Dans son référentiel à lui, il a raison de dire qu’il faut de la croissance.

Et en fait, souvent, on a des discours un peu sourds, qui ne mènent nulle part, parce qu’on ne comprend pas qu’on n’est pas dans le même référentiel. Et donc, on ne s’entend pas.

Et on ne va pas jusqu’à la source, on ne va pas jusqu’à essayer d’identifier la racine et se dire « Ah ok, on n’est pas d’accord en fait parce qu’on ne parle pas la même chose. » Parce que tu n’as pas, toi ok, ton économie tu veux de la croissance, mais parce qu’en fait tu n’as pas vu le lien qu’il y avait fondamentalement entre l’énergie et la croissance. Ou alors tu n’as pas vu le problème qu’il y a ou la difficulté qu’il va y avoir à remplacer les carbones, etc.

Et là, c’est là que ça devient intéressant, parce qu’on va pouvoir aller débattre de ce qu’est la racine, et éventuellement arriver à se mettre d’accord sur quel est le véritable défi. Mais souvent, il faut beaucoup de temps pour faire ça, et beaucoup d’ouverture d’esprit, et puis ça ne bosse pas, on a l’air de vouloir tout complexifier.

Je vais te sortir une citation que j’avais trouvée pour illustrer, qui illustre très bien le phénomène. Tu as deux phrases qui illustrent ça.

Tu as une phrase de Bertrand Russell, que je crois que je cite, donc un philosophe, en début de partie, c’est « L’ennui dans ce monde, c’est que les idiots sont sur deux et les gens censés pleins de doutes. Ne soyez jamais absolument certains de quoi que ce soit. » Et ce qui va bien avec, c’est une phrase de Nietzsche, « Le demi-savoir triomphe le plus facilement que le savoir complet.

Il conçoit les choses plus simples qu’elles ne sont et en forme par suite une idée plus saisissable et plus convaincante. » Autrement dit, plus tu simplifies, plus tu es facile à à écouter et plus ta pensée se diffuse. Et donc on est dans ce problème structurel qui est très très compliqué à dépasser aujourd’hui.

Et tant qu’on ne le dépasse pas, tant qu’on n’arrive pas à avoir cette pensée complexe et à se dire que l’autre a peut-être une part de vérité et que de toute façon il faut que je fasse avec lui, que ce n’est pas que je le prenne comme un ennemi, ça va être très compliqué de construire du commun.

Thomas Gauthier

Tu es revenu là, Julien, sur les années d’enquête, les années de travaux. Je ne vais pas te demander d’être, pour terminer cet entretien, un oracle, néanmoins, qu’est-ce qu’on peut te souhaiter en fait pour ces prochaines semaines, ces prochains mois, ces prochaines années ?

Je ne te demande pas de nous décrire ton plan de carrière, mais au plus profond de toi, qu’est-ce qui pourrait te donner satisfaction dans ces temps à venir ?

Julien Devaureix

Il y a plusieurs niveaux. Il y a le niveau de pouvoir trouver les moyens de continuer à faire ce que je fais aujourd’hui, puisque j’aime plutôt bien ma vie actuelle.

Donc il y a encore une petite équation financière à résoudre. c’est pour ça que je demandais le numéro du loto qui est fondamental pour beaucoup de gens qui me permettrait d’être plus léger sur un certain nombre de choses et de continuer à pouvoir faire mon enquête en toute sérénité et à satisfaire ma curiosité puisque c’est aussi un travail de curiosité et pareil ça va aussi avec l’autre partie de ma réponse qui est de continuer de trouver les moyens de persévérer dans cette voie Merci. de transition pour moi. Ça revient sur des sujets qu’on appellerait aujourd’hui de développement personnel ou de philosophie, de quête de sens ou de quête de trouver un équilibre, ce qui soit ce qui se fait dans la vie. Donc ça passe par le métier, ça passe par le rapport à l’argent, ça passe par plein de choses, par le rapport à l’autre, etc.

Il y a trois choses fondamentales que j’essaie de faire en ce moment, c’est… C’est là-dessus d’ailleurs, la dernière partie est plus justement sur le quoi faire de tout ça.

J’en parle, je dis m’alléger, ralentir et faire attention à mon attention. Continuer un peu là-dedans.

M’alléger, c’est moins me faire donner au cerveau, c’est essayer de posséder moins de choses. Là-dessus, c’est encore vraiment raté vu qu’avec les enfants, c’est très compliqué, je trouve.

En tout cas, dans un mode de vie urbain que j’ai choisi, les choses s’accumulent. Et puis, c’est aussi un peu se foutre la paix par rapport à toutes les injonctions extérieures et intérieures.

Voilà, mais perso, je parle d’assez loin là-dessus, donc c’est un processus. Ralentir, c’est essayer de faire moins, de moins voyager, de moins travailler, de gagner aussi moins d’argent, ce que je fais déjà, d’être moins pressé pour tout.

Pareil, c’est dur, c’est dur parce qu’il y a plein d’injonctions pour ça, et puis qu’on a été fait dans un certain moule. Et puis l’attention, c’est ce que je cite Otto Scharmer, qui est un universitaire du MIT allemand qui a créé Théorie You notamment, qui dit l’énergie suit l’attention.Là où vous placez votre attention, c’est là que l’énergie du système ira.

C’est le lien entre attention et intention notamment. Écouter mieux, changer de regard sur soi-même, sur ce qui nous entoure, faire attention à ce qu’on souhaite voir émerger plutôt que ce qu’on souhaite à tout prix éviter.

Ce lien attention-intention, c’est en gros avant de me prendre la tête sur mes intentions, j’essaie de mieux écouter, de voir en dehors de mes bulles. C’est d’ailleurs pour ça que je fais Sismic, pour m’ouvrir à des choses nouvelles et parfois à de l’inattendu.

Je pourrais aller beaucoup plus loin, je suis encore dans ma zone de confort. Et puis j’ai recréé cette zone de confort, comme je te disais.

Mais je pense qu’il y a vraiment quelque chose de fondamental dans l’attention, à quoi on fait attention. Là où on met notre attention, c’est là où on porte notre regard, là où on écoute.

C’est ce qui décide en grande partie des trajectoires qu’on va prendre. Voilà, ce que tu peux me souhaiter, c’est de… continuer à travailler là-dessus sans trop m’y perdre.

Thomas Gauthier

Il me reste à te remercier Julien, et puisque tu nous as partagé quelques citations, je ne résiste pas à l’envie de t’en offrir une en retour, on la doit celle-ci à Paul Valéry, je pense qu’elle est quelque part en écho avec les propos que tu as tenus. Paul Valéry nous dit « Ce qui est simple est toujours faux, ce qui ne l’est pas est inutilisable » .

Voyons voir si cette citation peut nous inspirer, en tout cas tes propos nous inspirent à coup sûr. Rendez-vous sauf erreur le 16 février pour la sortie du livre.

C’est juste ?

Julien Devaureix

Exactement. Partout, distribution mondiale.

Évidemment, toutes les librairies. S’il n’est pas dans votre librairie, il faut aller le demander.

Et puis, je ferai un petit événement de lancement à Paris. Je ne sais pas quand tu sortiras le podcast, mais voilà, j’en dirai plus.

Thomas Gauthier

Merci Julien. À bientôt, salut.

Julien Devaureix

Salut, merci à toi.

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