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Q199 | Quels sont les apports d’un nouveau bestiaire de la prospective ?

8 mins de lecture
Source de l'illustration : adogslifephoto, Adobe Stock

Cygnes noirs, canaris, méduses et autres éléphants : les animaux font partie des outils du prospectiviste pour classer les signaux faibles et commenter les faits marquants pour notre avenir.

A côté de ces outils désormais classiques, peut-on inventer notre propre bestiaire pour ré-enchanter nos imaginaires et nous projeter dans des avenirs plus enthousiasmants ?

Créer des animaux et chimères pour nous accompagner vers des transitions heureuses, tel était l’objet d’un atelier d’écriture créative réjouissant animé par la prospectiviste Cécile Wendling et l’autrice Maud Vidal-Naquet.

Le bestiaire classique du prospectiviste…

Avant même que la prospective ne soit théorisée, les mineurs avait à la fin du 19e siècle un outil précieux pour anticiper un coup de grisou (explosion de méthane dans une mine de charbon) : ils emmenaient avec eux un canari en cage, qui, s’il s’évanouissait signifiait qu’il fallait vite évacuer la mine. Par extension, un canari désigne en prospective un indicateur qui révèle à l’avance un danger, comme par exemple le blocage des routes d’accès à une grande ville. Si cet événement précurseur se passe, cela doit servir d’alerte aux décideurs.

Le premier à avoir théorisé les animaux de la prospective est Nassim Taleb.

Source de l’image Neo GR

Tout commence avec les cygnes noirs qui décrivent des événements à faible occurrence et très fort impact, comme le 11 septembre par exemple. Les Européens ne voyaient sur leur territoire que des cygnes blancs. Un jour, ils allèrent en Australie et découvrirent qu’il pouvait aussi exister une autre forme de cygne dans la nature : les cygnes noirs. Par analogie, on pouvait penser que les avions de ligne ne serviraient qu’à transporter des passagers jusqu’à ce que le jour du 11 septembre, on découvre qu’ils pouvaient servir d’armes et terroriser les populations.

Les cygnes noirs furent vite suivis des cygnes gris, semblables aux cygnes noirs sauf que l’événement est prévisible (comme le big one, grand tremblement de terre très attendu en Californie). S’ajoutèrent ensuite les cygnes rouges de Gordon Woo. Contrairement à un cygne noir, l’événement redouté est une fausse piste et n’a pas réellement d’impact en fait, comme par exemple le bug de l’an 2000. Arrive aussi le Dirty white swan de Scott Ryrie : contrairement à un cygne noir, l’événement est surprenant que parce que des biais cognitifs aveuglent les observateurs (ex : l’invasion de l’Ukraine par les Russes ?).

Au-delà des cygnes en tout genre, le bestiaire compte aussi des Méduses. On sait que l’événement va arriver mais on ne sait pas quand / où. On ressent très vite que ça aura des conséquences, mais c’est complexe d’appréhender clairement les origines, de le délimiter, etc.

Autre animal, imposant pour le coup, l’Éléphant (in the room), dont le changement climatique est l’exemple type. Tout le monde peut voir et appréhender les éléphants, ce qui ne veut pas dire pour autant que l’on sait comment les prendre en compte et vraiment s’y adapter, pivoter, changer.

 

Enfin, le Dragon (Roi) de Didier Sornette et al. Les rois dragons sont de grands événements extrêmes, et à grande échelle, qui sont dûs aux propriétés des systèmes complexes. Bulles financières et krachs se propagent par exemple comme une traînée de poudre à travers les continents et dans le temps.

Aujourd’hui, les animaux de la prospective annoncent des catastrophes à venir. Pourtant les animaux n’ont-ils pas des dons ou des capacités – réelles, imaginaires ou métaphoriques – qui pourraient nous inspirer et nous accompagner vers des transitions heureuses ?

Le temps d’un atelier d’écriture créative, nous avons joué avec les mots pour créer des animaux et des chimères pleines de ressources pour nous accompagner vers des avenirs désirables.

The cover of a collection of articles about dragon kings

Nouveaux animaux et chimères…

L’atelier d’écriture visait à libérer la créativité de chacun et à croiser les imaginaires pour poser un regard neuf sur le monde animal et l’avenir.

«L’avenir s’est endormi. Trois instructions pour le réveiller :
Sortir du terrier, vif et fluide comme le serpent
S’accrocher à l’encolure du dragon pour décoller
Faire un french kiss à la chimère »

Catherine

Ce texte écrit en tout début d’atelier par une des participantes a donné le ton. L’objectif étant de nous reconnecter à notre âme d’enfant pour nous émerveiller de tout et imaginer le monde.

Les animaux sont nés, un à un, pour le grand plaisir de tous. Deux types sont apparus :

  1. ceux qui nous connectent à notre vraie nature, au temps long dans le présent, au-delà des tracas quotidiens et
  2. ceux qui incarnent de grands idéaux et s’emparent de causes universelles.

Voici une liste non exhaustive des animaux et chimères nés sous la plume inspirées des participants de l’atelier pour ré-enchanter nos imaginaires d’avenir.

Source de la photo : detentejardin.com

Le rouge gorge nous réveille de son chant lorsque l’on tombe dans nos routines du quotidien, au lieu de tenir nos bonnes résolutions porteuses d’avenir.

Nos amis peuvent être pour nous de vrais rouges gorges, quand ils nous rappellent que l’on s’écarte de nos résolutions, et cela peut être fait avec une pointe d’humour bien sûr !

L’apparition d’un geai nous signale un lieu ou un moment bon pour soi….

Source de la photo : ecobalade.fr
Source de la photo : loisirs-magazine.fr

Le dauphin représente un événement qui nous semble imposant mais qui veut juste danser avec nous pour nous reconnecter à nous-même.

Par exemple, se tordre la cheville quand on court après le temps est très contrariant sur le coup, cela nous oblige à nous calmer, voire même à nous arrêter. Aux urgences, on apprend heureusement que rien n’est cassé.

Voilà un dauphin. Un moment qui semble imposant et dure à vivre, mais qui est juste là pour nous dire que nous devons reprendre le temps de respirer, de nous écouter, de faire des pauses, etc. Le dauphin dédramatise le quotidien. Il est là pour nous remettre dans notre souffle, la joie d’exister quand on se met à frôler le burn out !

Un papillon incarne un événement fugace mais si beau qu’il nous illumine au point de ne jamais l’oublier.

Juste voir la pleine lune par surprise entre deux immeubles un soir de grand froid, et être submergé par cette beauté. Si bien que l’on marque un temps d’arrêt. On se souviendra de cet instant longtemps.

Source de la photo : papilys.fr
Source de la photo : pronatura.ch

Le ver de terre est un événement qui soutient le vivant et régénère la terre à terme.

Par exemple, adopter une loi qui interdit des pesticides, mettre en place un compost en bas de l’immeuble, etc.

Le poisson coffre est un animal si mignon et robuste qu’il peut se permettre d’être absurde.

Par exemple : devoir faire la queue trois fois pour entrer dans un musée (une fois pour la sécurité, une fois pour acheter le billet, une fois pour le contrôle des billets). Ce n’est pas grave. On sera donc persévérant car on sait que c’est pour un moment sympa, beau, et joyeux au final.

Source de la photo : fishipedia.fr

Puis des animaux composites ont été créés, comme dans les mythologies.

Drôles ou poétiques, ces chimères pourraient incarner nos idéaux pour l’avenir :

Source de l'image : dessin par André Franquin d'un animal hybride

Le suripanda est un mélange de suricate ultra rapide et vigilant et de panda décontracté qui a le droit à l’erreur et le sens du jeu.

Cette chimère a toutes les capacités de saisir l’instant et d’être résiliente, un vrai totem pour nous accompagner vers l’avenir.

La tortue ailée déchiffre nos rêves les plus déconcertants et les aide à prendre vie avec créativité et poésie.

Avoir en nous la tortue ailée peut nous aider à rester proche de nos désirs, à avoir le courage de les concrétiser, même si ça prend du temps.

Source de l'illustration : tortueailee.com (apparemment site hors service - mars 2024)

« Mes chers êtres vivants, mes chers êtres humains,
Je vous invite à vous
Rétracter
Sous votre carapace pour
Ressentir
Battre votre âme
Puis à prendre le temps
De décoller
Lentement
Vers le ciel, les étoiles
Prendre du recul
Voir
La situation
Sous un autre angle
Un autre temps, une autre temporalité. (…) »

Karine et Cécile

Source de la photo : Marosbauer

La licornemuse nous interpelle et nous émerveille de sa musique singulière.

Nous rencontrons une licornemuse quand on lit un article d’un philosophe qui entre en résonance avec notre pensée et nous redonne de l’espoir : les mots employés incarnent un monde meilleur.

Quels apports de ce nouveau bestiaire ?

Ces animaux ressources sont nés dans le cadre d’un atelier d’une après-midi, réunissant quelques personnes de bonne volonté – rêveurs occasionnels ou voyageurs de l’imaginaire chevronnés- dans un espace serein.

Participants à l'atelier d'écriture.
Un grand merci à Corinne Eijel qui a gracieusement hébergé l’atelier au sein des locaux de l’institut Concerto (institut qui fait de l’accompagnement en transformation des organisations, https://www.institut-concerto.com/).

À partir de consignes simples et suffisamment vastes pour que le cerveau de chacun des participants puisse y trouver matière à phosphorer, les animaux, invités à prendre vie, sont arrivés modestement, un à un.

La pièce a rapidement été remplie d’oiseaux, animaux marins, mammifères de tous les continents, hybrides ou entités purement fantastiques, tous dotés de pouvoirs nous permettant de mieux vivre.

Leur point commun : représenter nos désirs, les incarner et les rendre réalisables.

Sommes-nous parvenus à écrire des scénarios du futur ?

Plusieurs choses sont certaines :

  • Ces naissances se sont faites dans la joie, la surprise et la jubilation.
  • Créés pour nous aider, ces animaux se sont frayés un chemin immédiatement dans nos esprits et ont trouvé leur place en nous, alliés invisibles qui continueront à faire échos longtemps après l’atelier.
  • Leur arrivée nous a permis d’accéder ensemble à une autre dimension, celle de l’imaginaire qui est étrangère à notre ligne du temps et au principe de causalité.
  • Donner vie à des solutions pour un monde meilleur a réactivé notre sentiment de solidarité et nous a remis en contact avec notre capacité d’agir, de faire autrement, qui est la base de toutes les inventions humaines et aussi l’ingrédient essentiel de la bonne santé psychique.
Cécile Wendling (droite) & Maud Vidal-Naquet (gauche) lors de l'atelier d'écriture du nouveau bestiaire

Pour celles et ceux qui ont créé ces animaux, il y a eu clairement un avant et un après l’atelier.

Chacun est reparti transformé, enrichi de nouveaux possibles, reconnecté à sa créativité, ses attentes et ses idéaux. Cette démarche poétique nous a rempli d’espoir tout simplement.

 

En conclusion

Il ne reste plus qu’à tester l’impact de ces nouveaux animaux du futur sur nos pensées, nos actions.

Soit dans notre rapport au temps long au quotidien, soit dans la construction de nos idéaux d’avenir. On pourrait encourager les gens à s’imaginer, pour eux-mêmes des animaux totems, qui seraient à leur côté dans leur existence pour mieux tenir le cap, mieux incarner une vision du temps long positive.

Bibliographie :

 

Pour en savoir plus sur les ateliers d’écriture créative des étincelles d’avenir, animés par Maud Vidal-Naquet et Cécile Wendling :
https://www.etincelle.gr/ecrire-nos-demains

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