Choisir quelle tendance ou signal faible traiter en prospective est une tâche délicate. Devant la multiplicité de ceux-ci, l’impact potentiel tout comme la viabilité à long terme sont des paramètres fondamentaux.
En fait, depuis le début des activités d’anticipation du dispositif de prospective technologique deftech, une des étapes nécessitant le plus de temps est la définition des thèmes que nous allons traiter, le niveau – stratégique ou tactique – de la question à laquelle nous allons tâcher d’apporter nos lumières, jusqu’à la formulation de celle-ci.
La question que traite ce billet résulte d’une réunion avec une de nos parties prenantes les plus importantes. Cette rencontre avait pour but comme souvent d’améliorer les échanges et la diffusion des travaux de prospectives. Nous proposons de considérer différents cas d’usages devant être fournis par cette partie prenante et sur lesquels nous allons travailler aux impacts potentiels de nos domaines technologiques sous observation.
Afin de rendre plus explicite le processus de travail suggéré nous décrivons comment la sélection et validation des tendances technologiques a lieu, tout comme le type d’information mis à disposition et nous utilisons l’exemple de ce que nous appellerons notre tendance-A.
Tout se passe à merveille jusqu’à la dernière phrase avant de finir la réunion : « On se réjouit de voir les premiers résultats, mais avec une tendance technologique d’intérêt pour nous !».
Pour être précis, c’est la deuxième partie de la phrase qui causa un échange de regards interrogateurs avec mes collègues. Si tout le monde était confiant dans le processus, pourquoi ne pas attendre le résultat de celui-ci avant de se prononcer sur la pertinence ou non de notre tendance-A ? Au lieu de se laisser émerveiller par les apports du processus d’anticipation, on influence l’amont pour mieux rester dans un environnement connu en aval.
Conscient que pour avoir un impact, le livrable prospectif devra être considéré et pris en compte dans les réflexions de notre client, nous nous trouvons donc devant le dilemme suivant : faut-il essayer de convaincre notre partie prenante de la pertinence de la tendance A résultant de l’application du processus accepté ou mieux vaut considérer une tendance technologique moins conflictuelle afin d’initier ce même processus.
Les deux approches ont leurs risques intrinsèques. Dans la première et au vu des différentes positions hiérarchiques et organisationnelles, le reproche est simple de mentionner quelque-chose comme « mais on vous avait dit que ce domaine n’avait pas d’intérêt pour nous, pourquoi continuez-vous dans cette direction ? ». Dans la deuxième, les conclusions peuvent être relativement insipides et sans grande valeur ajoutée, mettant en question la pertinence d’une activité de prospective dont les apports seraient prétendument déjà connus.
Entre pertinence et acceptation, plusieurs facteurs entrent en jeu pour décider quelles tendances méritent notre attention. Voici quelques arguments clés qui guident notre réflexion dans la solution à adopter.
Assurer la compréhension de la thématique
Il est fréquent que lors de telles affirmations par rapport à une thématique, la partie prenante ne comprenne pas complètement le sujet, et se trouve aveugle par rapport aux potentialités de celle-ci. Il est donc essentiel tout d’abord de bien comprendre le sujet, ses nuances et ses conséquences potentielles. Une analyse approfondie et informée doit permettre de distinguer les opportunités ou menaces véritablement pertinentes de celles qui ne le sont pas.
Réflexions spécifiques à la situation
Tout à fait normal, il est du devoir du dispositif de prospective de définir et présenter les tendances de façon à ce que toute partie prenante ai une connaissance minimale et objective de ce qui est considéré. Compte tenu des différentes activités du dispositif de prospective, une journée thématique dédiée à la tendance-A pourrait permettre d’adoucir les affirmations et présenter celle-ci sous de nouveaux projecteurs.
Le piège éternel des biais cognitifs
Les biais cognitifs jouent un rôle majeur dans la perception des tendances. Dans notre cas présent, nous pouvons dire que nous faisons face à un biais de confirmation nous pousse à privilégier les informations qui confirment nos croyances existantes, avec peut-être également un biais de statu quo qui rend réticent au changement. Ces biais peuvent empêcher de voir la pertinence d’une tendance émergente ou de comprendre ses implications véritables.
Réflexions spécifiques à la situation
Les biais identifiés, nous allons forcément devoir faire avec et influencer les personnes à changer d’avis, mais tout en leur laissant la certitude que ce changement vient eux-mêmes. Il nous faut éviter un choc frontal qui risquerait de braquer la partie prenante, tout en maintenant le thème pour sa pertinence.
La fenêtre d’Overton
La fenêtre d’Overton décrite dans un précédent billet est un concept qui décrit l’éventail des idées politiques et sociales acceptables dans le discours public à un moment donné. Adapté à notre environnement, lorsqu’on évalue une tendance technologique, il est crucial de considérer sa position par rapport à cette fenêtre.
Si une celle-ci est totalement nouvelle ou mentionnée pour la première fois, elle se situe certainement en dehors de cette fenêtre ; elle rencontre donc une forte résistance et se trouve rejetée par la partie prenante, même si elle est pertinente.
Réflexions spécifiques à la situation
Dans le cas spécifique, il est vrai que la tendance-A n’est pas celle a priori dont les implications et les impacts semblent les plus immédiats dans un environnement de défense.
Conscient de cela, c’est peut-être par contre le bon moment pour commencer à en parler afin de permettre aux différentes parties prenantes de se familiariser petit à petit avec le nom, avec la taxonomie qui s’y apparente, ainsi qu’avec les divers éléments rencontrés au gré d’Internet et d’autres groupes de travail qui ne passeront désormais plus inaperçus.
Aller de l’avant : quelles actions concrètes ?
Devant une telle situation, tout compte fait relativement ordinaire pour des activités liées à la prospective, le chemin que nous pensons suivre est le suivant.
- En parallèle du processus défini avec la partie prenante, nous allons organiser une journée autour de la tendance-A afin de thématiser celle-ci et de permettre via des ateliers de se rendre compte de l’impact potentiel sur différents secteurs de l’industrie en question.
- Réaliser le processus convenu avec une tendance plus évidente pour notre partie prenante.
- Réaliser le même processus avec notre tendance-A.
- Organiser une session de restitution avec la partie prenante permettant de lui soumettre les impacts potentiels des deux tendances, individuellement ou en combinaison avec d’autres tendances, sur les cas d’usages définis.
Conclusion
Le choix d’intégrer une tendance dans un processus d’anticipation nécessite une évaluation équilibrée entre pertinence et acceptation.
Il n’existe pas à ma connaissance de recette miracle pour combiner les deux fondamentaux si ce n’est un dialogue, une transparence et des échanges permanents avec les différentes parties prenantes.
Anticiper, c’est par définition devancer que ce soit une action, une intervention ou une pensée. Cela dérange et questionne forcément l’ordre établi, cela suggère le changement, mais n’est-ce pas ce que l’on attend, consciemment ou inconsciemment d’un dispositif de prospective ?
P.S. Pour les curieux et les perspicaces, tendance-A dans ce billet est dans la réalité la tendance « bioplastique ». Une recherche Internet avec les termes « bio-plastic in defense » fournit des applications intéressantes du domaine dans le domaine de la défense.
Et vous, avez-vous déjà été confronté à une situation similaire ? Comment l’avez-vous résolue ? Que pensez-vous de la solution poursuivie ?
N’hésitez pas à laisser votre avis ci-dessous ou, pourquoi pas, à rédiger un billet sur votre façon de faire !