« Plus que le thème de l’IA générative en soi, c’est bien le processus et la transition entre aujourd’hui et un futur, quel qu’il soit, qu’il faut préparer. Quels impacts sur les compétences à acquérir, sur les défis à relever ? Quelles opportunités ? Quelles menaces ? Ce sera nécessairement une aventure individuelle et collective. »
Ce propos introductif de l’étude Le soldat et l’IA générative explicite l’objectif de ce type de travail et les invariants inhérents : délimiter et expliquer le sujet étudié, comprendre le type et l’ampleur d’une rupture ou transition potentielle, les conséquences et impacts, ainsi que l’inévitable binôme opportunités / menaces.
Nous relatons ainsi dans cet article, les questionnements et modalités d’action retenues pour traiter un sujet brûlant, en prise avec l’actualité en 2023 : le soldat et l’IA générative.
Un sujet brûlant : c’est quoi ?
Les annonces s’enchaînent à un rythme infernal, un écrit peut même paraître dépassé dans la semaine.
Ces évolutions très instables participent à façonner un sujet aux tendances rapidement démodées, et donc parfois aux données et interprétations confuses. Compliqué, donc, d’en tirer une analyse complète et stabilisée pour la transmettre aux décideurs, encore plus de proposer des trajectoires d’évolution.
Nous avons donc fait le choix pour cette étude de dresser un historique technique et scientifique du domaine avec quelques tendances, usages déjà ancrés ou non, et identifier les controverses.
Pour poser une base commune en début de document, nous avons aussi défini les enjeux principaux du sujet et ainsi en proposer une lecture presque pédagogique pour des non-initiés.

Se baser sur le “présent imminent”
Comme limite temporelle pour cadrer le sujet, nous avons opté pour la notion de « présent imminent, avec un horizon prospectif de 3 à 5 ans ». Prenant ainsi la tangente des horizons à 2040 ou 2050 souvent privilégiés pour diverses raisons.
L’effervescence de la période actuelle sur les IA implique de décrypter et de clarifier ce présent. Et étant donné les rythmes d’évolution des technologies d’intelligence artificielle, regarder à une échelle de plusieurs années sur les capacités de celles-ci serait trop hasardeux.
Nous gardons ainsi notre regard focalisé sur le but final ce travail : comprendre globalement les spécificités techniques de ces nouveaux outils, pour tenter de dresser un tableau non pas des évolutions en back-office, mais plutôt des répercussions structurantes sur les systèmes liées à ces évolutions.
Le futur est inégalement réparti entre la technologie en elle-même et les impacts de celle-ci
Les difficultés que cela pose
Si le sujet des systèmes d’intelligence artificielle (SIA) n’est pas si récent, celui de leur démocratisation et leur usage dans les armées l’est éminemment. Qui plus est avec l’explosion des IA génératives. L’enjeu est alors de trouver le bon équilibre. Entre les articles de fond avec du recul mais moins proches de la réalité technologique actuelle, se basant donc sur les invariants. Et les dépêches d’actualité qui tombent en flux continu et évoquent le sujet sans prise de distance possible.
Le risque est aussi de rater la rupture majeure noyée dans la masse d’informations, et donc de rester aveugle sur un pan important du sujet à traiter.
Nous n’avons que peu de marges avant-gardistes sur les avancées technologiques, à l’inverse de l’usage de celles-ci où de nombreuses communautés s’approprient, détournent, hackent ces technologies. Le futur est inégalement réparti entre la technologie en elle-même et les impacts de celle-ci.

Un changement de posture mentale : tenter d’ignorer le flux
Pour mener à bien ce travail, notre phase de recherche s’est échelonnée sur plusieurs mois. L’une des difficultés rencontrées : savoir quand arrêter la plongée dans un flux d’information qui devient exponentiel.
Trouver ceux et celles qui font le sujet
Les interviews d’experts plongés dans la matière au quotidien sont déterminantes pour contrebalancer cette immédiateté de l’innovation, avec la vision de techniciens, théoriciens, et les retours directs du terrain.
Les chercheurs en IA interrogés ont fait preuve de beaucoup de mesure et de retenue en nous livrant leurs expertises et points de vue. Ils avaient déjà en tête la dimension exponentielle des usages, à l’image des essaims de drones aujourd’hui publiquement affichés par certaines armées. Leurs veilles publiques exposent des exemples concrets en continu, et confirment la créativité des utilisateurs sur les terrains d’opérations. De nombreux instituts de recherche proposent également diverses études approfondies pour prendre de la hauteur sur le sujet, avec une présentation intéressante des données du secteur issue d’un recensement exhaustif.

Cet exercice doit toutefois être complété par d’autres sources documentaires pour limiter les divers biais cognitifs.
Bien qu’avisé, le jugement des spécialistes nécessite du temps pour décanter et s’affiner, et restreint parfois le sujet à leur champ d’expertise. Leurs réponses à nos questions seraient d’ailleurs sûrement très différentes 1 à 2 ans après sur les exemples et les évolutions techniques. Est-ce à dire qu’une prospective de ce type est vouée à être actualisée tous les 3, 6 ou 9 mois ?
Et si tel était le cas, serait-ce d’ailleurs toujours une réflexion prospective, et pas plutôt une simple veille ?
Identifier les invariants dans le temps
Une fois les informations récoltées, le temps de la recherche arrêté, nous devons identifier les invariants en s’appuyant sur des bases hors du sujet technologique pur (comme ici la décision, la confiance, l’éthique) et les schémas préexistants de l’organisation.
Nous avons également tenté de ramener à l’humain la problématique posée pour en entrevoir les implications concrètes et engageantes dans le temps, notamment en lien avec l’acculturation, la formation, la gestion des compétences, et les ressources humaines.
Quand la technologie évolue très (trop) vite pour absorber et analyser toutes les nouveautés, il faut en complément du point de situation se tourner vers les sujets de fond sur l’utilisation de ces outils.
Sur l’IA, les briques techniques développées iront potentiellement toujours plus vite que les réflexions intellectuelles et prospectives orientées technologie. La guerre entre l’Ukraine et la Russie montre les évolutions fulgurantes et astucieuses de la technologie face aux combats, grâce aux retours et implémentations directs. La réflexion se porte alors vers le paradigme stratégique d’utilisation et les impacts sur celui-ci.

Où et comment chercher des infos pour traiter le sujet ?
Toutes les sources ayant servi à nourrir ce travail s’inscrivent dans les différentes temporalités de l’information évoquées ci-dessus.
Interviews, articles de recherche et de presse d’analyse pour les invariants
Pour prendre le temps de la compréhension et de l’analyse, les articles de recherche sont majeurs. En plus de frameworks déjà établis, ils proposent parfois des grilles de lecture et participent à construire l’ossature du sujet.
Ils permettent également de dresser les premières pistes de réflexion et d’identifier les interlocuteurs pertinents pour aller plus loin sur des points précis lors des interviews.

Pour notre sujet, le choix du panel d’interviewés s’est effectué à l’aune des spécialités de chacun : ceux qui étudient l’histoire des technologies et ceux qui regardent le sujet du soldat dans le temps. Croiser ces visions permet d’en tirer des enseignements complémentaires.
L’aide des IA génératives de type Scholar GPT est également précieuse pour identifier les ruptures et invariants. De même, des spécialistes de la veille sur les technologies réussissent ensuite bien ce travail de synthèse et diffusion des informations, qui nous ont été utiles (comme Frédéric Cavazza, Tariq Krim, Benoît Raphaël).
Nous avons également souhaité, dans un objectif de vulgarisation et de prolongement de la réflexion, de mettre en avant la dimension des imaginaires via des productions cinématographiques de science-fiction. Cela permet à chacun de s’imaginer les implications actuelles et futures au travers de ces films vus par une majorité, et le cas échéant de relancer le DVD oublié dans le tiroir.

Réseaux sociaux et presse généraliste pour les évolutions technologiques
À l’inverse des recherches sur le temps long, ces outils permettent de rester informés sur les dernières évolutions, avec les premiers avis à chaud des spécialistes. Si les signaux faibles ressortent, ils n’autorisent pas à imaginer la suite des événements de façon certaine, avec beaucoup de “bruit” venant en partie des réseaux sociaux.
Des podcasts comme Le Collimateur ont apporté des éclairages directs sur notre sujet avec des expertises pointues répondant aux actualités de moyen terme, format complémentaire donc aux articles de recherche et aux médias généraux.
À l’inverse, plusieurs productions médiatiques hors sentiers battus apportent d’autres visions du soldat, de la technologie, ou de l’IA avec des enjeux duaux (comme des numéros du 1 Hebdo, des articles sur des sujets différents avec le même fond de questionnement technologique).
Synthèse
Pour mener une réflexion sur un sujet brûlant d’actualité, un des principaux points de vigilance est de veiller à proposer une trame de fond et des questionnements qui resteront valables dans quelques mois ou années. Tout en acceptant le risque d’être rapidement dépassé avec de nouveaux exemples concrets, qui viendront challenger la trame de fond proposée et permettront à d’autres de s’emparer du sujet pour le faire avancer.
Au-delà, nous proposons également un workbook pour justement stimuler la réflexion à travers des situations illustrées. Cela peut prendre diverses formes, de l’appropriation individuelle à un atelier collectif suscitant des échanges sur les enjeux et controverses.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
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