« Les langues ont deux finalités : se comprendre et évoluer. Vous, les humains, êtes devenus des maîtres en la matière. Au cours de l’Histoire, vous avez su développer des sons subtils, des lexiques précis, des grammaires sophistiquées. Ils vous ont permis de communiquer, de partager du savoir, d’apprendre à vous connaître. Vous avez compris que dans la course à l’évolution, cette aptitude vous confèrerait un avantage primordial. Alors vous avez voulu partager ces connaissances à plus grande échelle. Vous avez créé des lieux pour apprendre, des lieux pour s’interroger, des lieux pour coopérer. Vous avez compris que le savoir n’avait pas de frontière et vous avez dû faire vôtres des langues étrangères. Vous avez relevé ce défi avec tellement de panache. Ce fut magnifique ! Alors quelle sera votre prochaine étape ? Les voies qui s’offrent à vous sont nombreuses. J’ai pourtant acquis une certitude : il vous reste encore une langue à inventer. Une langue qui vous permettrait d’apprendre sans vous juger, de grandir sans vous affronter, de vous réaliser sans culpabiliser. Il se pourrait que je sois cette langue. Si vous m’entendez, vous découvrirez peut-être que certaines conversations ont le pouvoir de devenir inoubliables… » Ainsi parlait le Feedback.
Voici les premiers mots de l’introduction du livre « Feedback : le pouvoir des conversations » de Stéphane Moriou. Je ne connaissais pas M. Moriou et suis venu à connaissance de cet ouvrage lors de l’annonce de son décès qui est apparu sur mon fil LinkedIn. Quel dommage.
Combien j’aurais voulu échanger avec lui pour lui dire que son ouvrage et ce qu’il présente comme une langue, le Feedback, pourrait voir en la prospective un de ses fervents utilisateurs. Je serais également curieux de l’avis de Gaston Berger qui mentionnait : « Avant d’être une méthode ou une discipline, la prospective est une attitude. » Lui ajouter une langue pour lui permettre de s’exprimer à sa guise, quelle moyen plus adéquat à sa divulgation ?
Vous l’aurez compris, je vous recommande fortement la lecture de cet ouvrage. Mais pourquoi cet enthousiasme regardant la prospective ?
Transformer le « mais » en « et »
C’est juste un mot. Même pas un nom, une conjonction. Tout simple me direz-vous, mais essayez dans vos échanges de supprimer le « mais » de votre vocabulaire et vous aurez une appréciation immédiate de la taille du défi !
Je me suis pris au jeu et essayé de l’intégrer. Au début j’avais ce son qui résonnait dans mon cerveau chaque fois que je mentionnais le mot, ce qui, vous en conviendrait peut vite devenir agaçant. Petit à petit cependant, ce qui se passa, est qu’en amont déjà, afin d’éviter l’élimination à ce jeu auto-imposé, je me suis pris à prendre plus de temps pour formuler ma pensée et le feedback que j’allais apporter. Ce que j’ai remarqué est aussi que tout ce qui vient logiquement avec un « mais », ne l’est pas forcément avec un « et ».
Le « et » suppose l’ouverture, la mention d’un élément qui va s’ajouter à ce que vous mentionnez précédemment, va venir le renforcer plutôt que le détruire. Cela me demande généralement plus de réflexion, plus de travail cognitif et me force à m’intéresser de plus prêt au sujet évoqué allant même parfois jusqu’à considérer qui est mon interlocuteur afin de faire le bon choix dans la formulation également. Un retour a priori anonyme se transforme rapidement en quelque-chose de plus personnalisé.
Le parallèle avec la prospective est très rapide. Les situations ou les futurs que nous sommes amenés à imaginer puis à analyser impliquent par défaut de penser en « et » additif. Notre plus fidèle alliée n’est-elle pas la question « et si ? | what if ? ». Ne pas remettre en question le scénario, mais ( !) travailler à sa résolution, aux conséquences possibles et (!) ce, aussi improbable puisse-t-il être !

Optimiser la performance
On ne décide généralement pas d’initier un projet de prospective simplement pour la beauté du livrable ou par curiosité intellectuelle – bien que ces motifs pourraient être également louables et valables. Ce qui se cache derrière des activités d’anticipation, c’est l’ambition d’être prêt quoi qu’il arrive, de devancer son concurrent ou son adversaire, de ne pas se laisser surprendre dans la même veine que la célèbre devise napoléonienne : « se faire battre est excusable, se faire surprendre est impardonnable ».
Pour toutes les tendances, qu’elle soient technologiques ou socio-économiques, l’intérêt sera d’identifier les opportunités tout comme d’appréhender les menaces qu’elles pourraient présenter dans le but de réaliser les unes tout en empêchant les autres.
Il en est de même de la langue feedback telle que présentée par M. Moriou. Un bon feedback a pour but d’optimiser la performance (de l’argument considéré) en maximisant le potentiel tout en minimisant simultanément les interférences. Comme vous l’aurez remarqué, le mot magique est ici « simultanément » !
Cette notion de simultanéité résonne également en prospective par la convergence de différentes tendances par rapport à leur degré de maturité et les combinaisons qu’elles peuvent engendrer.
Les propriétés intrinsèques d’un bon feedback au service de la prospective ? Que peut-on rêver de mieux !

Intégrer le feedback au changement
Nécessitant comme pour toute nouvelle langue une période d’apprentissage et de pratique, intégrer le feedback se déroulera selon M. Moriou selon un cycle en 4 phases, commun à tout changement : l’orientation, la désorientation, la réorientation et l’intégration.
De son côté, un travail de prospective porte souvent en soi les prémices d’un changement venir. Le passage à l’action reliant le pourquoi changer au comment changer et intégrant le paramètre temporel se conçoit parfaitement à l’aide du roadmapping.
Décider de l’introduction de la culture du feedback au moment de l’établissement du plan d’action pour la réalisation de la vision semblerait donc une décision opportune et sensée.
Les différentes actions considérées individuellement permettent une pratique du feedback et des correctifs à court terme ainsi qu’une dissémination à des équipes différentes. Le processus de roadmapping dans son intégralité permettra lui l’acculturation de l’organisation au feedback, et dans un même temps se nourrira de celui-ci afin de réaliser au mieux chaque étape de la transition vers la vision, ce pour quoi un plan d’action il est réalisé ! Lui aussi a donc une nature fractale.

Construire « avec » et « ensemble » au présent
Le feedback stimule l’action. En effet, en le pratiquant, vous êtes dans le moment présent, vous êtes avec l’autre personne en essayant de la rendre meilleure tout en poursuivant un objectif.
Cela nourrit, renforce et accompagne également le paradigme pragmatiste de l’effectuation dont les principes portent au mouvement, à l’initiative.
S’il y a feedback, c’est qu’il y a communication. C’est qu’à l’individualisme, vous privilégiez le « faire ensemble » ; que vous ouvrez et partagez votre modèle mental avec l’autre, spontanément, sans rien attendre nécessairement en retour, car comme le mentionne également M. Moriou, le vrai feedback c’est également laisser l’autre libre ou non de le considérer.
Finalement, le feedback, n’est-ce pas ce que la prospective cherche à obtenir en imaginant différents futurs, en générant et analysant des scénarios.
Image initialement utilisée par Thomas Gauthier, à l’instar d’un avion – ou d’une représentation conforme réduite de celui-ci – que l’on mettrait en souffleries afin de simuler et tester les conditions réelles de vol pour en observer les effets, les scenarios ou futurs – encore – imaginaires permettent d’évaluer les intentions dans le présent. N’est-ce donc pas en quelque sorte le futur essayant de donner un feedback au présent ?

Source : Arnold Air Force Base
Où que vous soyez M. Moriou, merci pour le partage de vos réflexions et de vos intuitions.
A une communauté, vous avez offert une langue inclusive favorisant la création et la construction : un héritage merveilleux porteur d’enthousiasme me faisant me rappeler le slogan de l’école de langues EF lorsque j’avais 15 ans: « Apprendre une langue, c’est d’abord la vivre ».
Et vous, qu’en pensez-vous ?
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