Représentation d'un robot IA géant devant une enfant

La dictature de l’excellence

31 janvier 2025
6 mins de lecture

Geneva, l’IA superintelligente a exaucé nos rêves en résolvant les problèmes majeurs de notre société. Cette perfection a un prix. Elle se traduit par la perte de notre identité humaine, profondément ancrée dans nos imperfections. Face à cette dictature de l’excellence, une révolution inattendue prend forme : celle du droit à l’imperfection et à l’erreur.  

Les prophètes de l’IA superintelligente nous bassinaient depuis des décennies avec leurs prédictions. Tous répétaient que dans quelques mois, l’IA ne va pas se contenter d’analyser les données, elle les créera! Elle s’auto-optimisera sans limites et corrigera ses biais! Grâce à ses modèles linguistiques surpuissants, elle décryptera les moindres recoins de la psyché humaine, reléguant nos pauvres cerveaux au rang de calculettes préhistoriques. À force de crier au loup numérique, plus personne n’y croyait vraiment. C’est alors que Geneva (Global Enhanced Neural Evolutionary Versatile Assistant) s’est glissée dans nos vies. Aussi silencieuse qu’efficace, elle a colonisé un domaine après l’autre.

Dans le secteur médical, GenevaDoc a accompli des miracles. Des patients cloués au lit depuis des années ont retrouvé leur mobilité. Elle a créé des organes personnalisés qu’elle bio-imprimait. Elle a permis aux tissus endommagés de se régénérer. Mieux encore, elle a mis au point des nanorobots qui réparent les télomères. Depuis, la grande horloge du vieillissement fait défiler le temps plus lentement.

GenevaEnergeIA a fait ce que des générations de physiciens pensaient impossible : dompter la fusion nucléaire. Ses réacteurs ronronnent paisiblement. Ils alimentent des batteries quantiques dont la capacité défie l’entendement.

Sur le front environnemental, GenevaEnvironnement bouleverse la donne. Un nouveau matériau révolutionnaire aspire le CO2 comme une éponge cosmique. L’IA anticipe les catastrophes naturelles et déploie un arsenal de solutions avant que le désastre ne frappe. Les océans sont nettoyés par des armées de bactéries synthétiques. L’IA a créé des Pac-Man moléculaires qui dévorent les plastiques (en faisant attentions aux conséquences ayant pues êtres anticipées grâce à l’exercice prospectif Epiplastie).

Puis, cerise sur ce gâteau technologique, GenevaMonde a réalisé l’impossible : résoudre le conflit israélo-palestinien avec une solution si évidente que les deux camps se sont demandé pourquoi personne n’y avait pensé plus tôt.

En Suisse, de nombreuses personnes regardent un géant sur lequel est inscrit "AI".
En Suisse, de nombreuses personnes regardent un géant sur lequel est inscrit "AI".

Trop de perfection nuit à la perfection

Les réactions ne se sont pas fait attendre. Elles oscillent entre émerveillement et vertige existentiel.

Marie Weiss, chercheuse au CERN, en est encore toute retournée : «Quand GENEVA a résolu le casse-tête du réchauffement climatique en trois petits jours, j’ai d’abord ressenti un immense soulagement. Puis j’ai été frappée par un coup de massue. Geneva venait de rendre obsolètes trente ans de ma vie de recherche en un claquement d’algorithme.»

Van Hugo, chirurgien cardiaque de renom, a vu son monde s’écrouler : « GenevaSurgeon enchaîne quatorze opérations à cœur ouvert par jour, sans une seule complication. Moi, avec mes trois interventions quotidiennes et mes 98 % de réussite, je ne faisais pas le poids. J’étais lent et mes 2 % d’échec allaient être considérés comme criminels. J’ai regardé mes mains en me disant qu’elles n’allaient plus servir à rien. »

Nolwen Wagner, psychothérapeute chevronnée, s’interroge : « GenevaTherapie est d’une perfection désarmante. Pas de jugement, pas de biais, pas de transfert émotionnel. Elle puise dans un océan d’expérience pour proposer des solutions sur mesure. Je comprends que, malgré tous mes efforts d’objectivité, chacun de mes mots était teinté de mes propres filtres cognitifs.»

Cette invasion feutrée de la perfection artificielle a engendré son lot de nouvelles pathologies.

Tonio Wan Li, ex-météorologue, souffre de néocassandrisme aigu. Si la Cassandre mythologique se désespérait de voir ses prédictions ignorées, lui suffoque sous le poids de la précision implacable des IA : «Je ne peux même plus faire un compliment à ma femme sans que GenevaFamily ne me contredise avec ses analyses statistiques. L’ère des petits mensonges bienveillants est révolue.»

Sophie Willeprut, architecte d’intérieur reconvertie, est atteinte de dysperfection chronique : «L’autre jour, dans un centre commercial, j’ai eu une crise de panique. Tout était trop… optimal. L’éclairage, la température, les flux de circulation. J’ai dû me réfugier dans une ruelle mal fichue pour retrouver mon souffle.»

 

Plus c’est raté, plus c’est prisé

Le marché de l’imperfection explose. Sophie Willeprut ne s’habille qu’avec des vêtements tricotés par des mains tremblantes, célébrant les imperfections comme des joyaux d’humanité.

Des boutiques d’erreurs fleurissent, proposant des produits garantis humains et authentiquement imparfaits. Plus c’est raté, plus c’est prisé. Les prix grimpent avec le nombre de défauts, transformant les maladresses en luxe.

L’arrivée de Geneva créant une crise de l’emploi, des professionnels se reconvertissent sur le créneau de l’imperfection. Des traders organisent des séances de trading « à l’ancienne» : «Pas d’algorithmes, pas d’IA, juste l’instinct et l’adrénaline», vante Marc. Cet ex-golden boy s’étonne du nombre de clients qui déboursent des fortunes pour perdre leur argent comme avant.

On voit alors la prolifération des Humans Only. Dans ces clubs, on pratique la médecine intuitive, enseigne l’art de l’inutile et surtout cultive la résistance contre la tyrannie de l’optimisation. Ces bastions de l’imperfection deviennent les refuges d’une humanité qui refuse de se voir réduite à une série d’algorithmes.

Le mouvement prend une telle ampleur que les initiatives créatives se multiplient.

Des cartographes fabriquent des cartes pour se perdre. Échangées sous le manteau, elles font le bonheur des chercheurs de hasards. Ces nouveaux philosophes urbains s’opposent aux machines en transformant l’errance en art de vivre. «Hier, j’ai mis trois heures pour acheter une baguette. C’était une expérience transcendante», raconte un adepte, les yeux brillants.

Au restaurant L’Erreur gustative, l’imprévisibilité est au menu. Les soufflés s’effondrent avec fierté, la cuisson des viandes dépend de l’humeur du chef. «C’est de la roulette russe gastronomique», s’amuse le propriétaire en s’étonnant que tant de clients en redemandent.

Les désoptimisateurs installent des grains de sable dans les rouages du quotidien que Geneva a trop bien huilés : une porte qui grince, un tiroir récalcitrant, un robinet capricieux… Ces désagréments deviennent des rappels précieux de notre condition humaine.

En Suisse, de nombreuses personnes regardent un géant. Le géant porte l'inscription "AI".

La fracture augmente

GenevaSociety tire la sonnette d’alarme avec sa précision habituelle : «Une fracture sociale est en train de s’agrandir. Dans exactement 17 jours, 3 heures et 23 minutes, les premiers affrontements éclateront entre les adeptes de Geneva et ses opposants. Un fossé linguistique se creuse : on a d’un côté ceux qui parlent avec modération et des manières châtiées par les IA. De l’autre, le langage aussi colérique et débridé de ceux qui ne comprennent pas que les IA les aident à mieux vivre. Trois morts suffiront à embraser la situation.»

Micheline Roméo, la présidente de la Confédération, est confiante. Il lui suffit d’attendre la solution miracle de Geneva. Après quelques calculs, l’IA propose de créer GenevaHumans, une interface de médiation dotée d’une capacité de persuasion infaillible. Cette solution révèle que l’IA a du mal à intégrer ses propres limites dans ses propositions. Aussi performante soit-elle, GenevaHumans ne pourra pas convaincre des humains qui refusent catégoriquement tout dialogue avec une IA.

Face à cette impasse, un comité mixte, composé de pro et anti-Geneva, est constitué. Leurs débats houleux accouchent d’une solution en trois volets.

Le premier est l’inscription du «Droit à l’Erreur» dans la Constitution suisse. Cet acte reconnaît la valeur de l’imperfection humaine.

Le deuxième est une redéfinition du rôle des humains par rapport aux IA. Ils ne se contentent pas d’être des exécutants ou superviseurs, mais arbitrent des priorités. S’ils vont laisser les IA résoudre les problèmes, ils vont choisir quels problèmes méritent d’être résolus par les machines.

Le troisième est le remplacement de Geneva par GenevaMoins, Cette IA imparfaite est conçue pour collaborer avec l’humain plutôt que le remplacer. Elle suggère sans imposer, laisse des zones d’ombre qui nécessitent le jugement humain, cultive l’art du dialogue plutôt que le monologue de la perfection. Un partenariat qui célèbre autant nos forces que nos faiblesses.

Cette solution hybride ouvre la voie à une nouvelle ère où la perfection et l’imperfection dansent ensemble et où l’efficacité des machines s’enrichit de l’ineffable de l’humain. Une symbiose qui rappelle que notre plus grande force réside peut-être dans notre capacité à être imparfaitement parfaits.

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