Nous nous proposons dans cette série « deftech – les coulisses » de raconter le plus fidèlement possible le vécu du programme deftech, ses choix, ses défis et surtout les leçons apprises.
English Version
Nous avons vu que travailler sur un récit est un moyen de faire vivre un type d’expérience au lecteur. Malheureusement, l’expérience risque de ne rester qu’au niveau émotionnel. Permettre aux gens d’essayer les technologies apporterait certainement plus d’informations.
Il y a cependant un défi à relever : les éléments que nous aimerions expérimenter n’existent pas encore. Par conséquent, au lieu de simplement les tester, nous devrons les simuler. Et quoi de mieux que de simuler, si ce n’est de jouer ?
L’un des principaux objectifs que nous nous sommes fixés pour mieux comprendre les nouvelles technologies, surtout leurs utilisations disruptives, consiste en leurs impacts futurs à la fois tangibles pour les opérateurs et les commandants militaires et réalisables pour le planificateur militaire et le développeur de systèmes. Les wargames (jeux de guerre) étant des exercices basés sur les interactions humaines, ils peuvent, lorsqu’ils sont appliqués à un contexte technologique, être utiles pour matérialiser les technologies émergentes dans un cadre opérationnel dynamique et contesté défini par des utilisateurs militaires potentiels. Cela devrait permettre d’explorer les mises en œuvre potentielles des technologies et leurs effets.
Le défi du niveau de discussion
La première conception de jeu a été inspirée par l’idée des jeux de matrice d’Engel en raison de son approche exploratoire et de sa flexibilité lors de la conception et de l’exécution. Dans notre cas, avec des éléments empruntés au Disruptive Technology Assessment Game (DTAG) de l’OTAN, nous avons mis au point un jeu de séminaire sur table à deux côtés, avec des cycles de planification pour chaque tour, après quoi les deux côtés effectuaient leurs actions en alternance. À chaque tour, les deux camps, avec quatre participants chacun, discutaient des effets souhaités de leurs actions et décrivaient les technologies appliquées à cet effet, sous la direction de facilitateurs. Sur la base de cette discussion, les animateurs attribuaient une probabilité de succès à l’action. Le résultat réel était déterminé par la suite en lançant les dés pour intégrer des effets aléatoires à l’interaction et poursuivre le jeu.
Ce que nous avons réalisé en jouant le jeu, c’est que l’accent n’était pas mis sur la technologie, mais plutôt sur des considérations de nature stratégique. Il est apparu, ce qui semblait relativement évident par la suite, que si nous voulons que l’accent soit mis sur les technologies et les nouveaux systèmes qu’elles permettent de créer, nous devons jouer au niveau où nous pouvons réellement voir leur impact. Ce niveau n’est pas le niveau stratégique, mais le niveau tactique et opérationnel.
Les bottes sur le terrain : le défi de faire simple
Ayant en quelque sorte échoué dans l’intention de la première conception du jeu, mais ayant beaucoup appris sur la façon de faire fonctionner un tel jeu, nous avons décidé de changer radicalement d’approche et de nous orienter vers la création d’un jeu de table. La première itération nous a également fourni les spécifications pour développer les mécanismes de jeu souhaités :
- Le but du jeu n’est pas de gagner, mais de comprendre les forces et les faiblesses présentées par ces futurs systèmes dans des scénarios tactiques donnés, et ce malgré le fait que nous ayons des scénarios bleu contre rouge.
- Les règles du jeu doivent être suffisamment simples pour qu’un débutant puisse commencer à jouer après 15 minutes.
- Une partie doit durer moins de 60 minutes afin d’avoir la possibilité de tester différentes combinaisons pendant une demi-journée.
Le processus de développement a impliqué directement les forces armées suisses dans la définition des scénarios ainsi que dans la sélection des technologies futures. Le résultat a pris le nom de plateforme de wargame New Techno War (NTW). La notion de plateforme est importante car elle offre la flexibilité d’ajouter de nouveaux systèmes, de nouveaux scénarios ainsi que de considérer d’autres doctrines militaires que celle de la Suisse.
Comme nous l’avons déjà mentionné dans les chapitres précédents, aller dans cette direction avec la recherche a donné naissance à un nouveau type de questionnement : En tant que défenseur ou attaquant, existe-t-il une manière spécifique d’utiliser ces nouveaux systèmes pour remplir la mission assignée ?
La réponse à une telle question, aussi naïve et justifiée soit-elle, nécessite des statistiques et implique théoriquement la connaissance de tous les jeux possibles. En bref, travailler avec une version de table du jeu ne suffit plus : il faut un jumeau numérique.
Le défi du numérique : un monde de possibilités
Mentionner que vous développez un wargame numérique génère automatiquement des images de mondes virtuels multidimensionnels dans lesquels une multitude de joueurs s’affrontent en temps réel. Cela pourrait bien sûr être la fin heureuse du projet, mais pas directement ce que nous visions à court terme.
Plus que le monde du jeu, nous pensions initialement entrer dans le monde de la simulation. Nous avons soudain réalisé que l’un pouvait être très proche de l’autre.
S’appuyant sur les travaux précédents, les nouveaux intérêts sont devenus les suivants :
- Comment développer une Intelligence Artificielle (IA) capable de jouer une partie aussi bien en tant qu’attaquant (rouge) que défenseur (bleu) ? Quelles leçons peut en retirer un humain?
- Comment générer tous les résultats possibles d’un scénario, et que pouvons-nous en apprendre?
- Quel type d’informations pouvons-nous présenter au joueur humain pour que le tandem humain plus IA soit meilleur que l’IA seule ? Comment présenter ces informations au joueur?
Ces nouveaux développements dans le contexte de la prospective technologique reposent sur l’hypothèse que les agents modernes basés sur l’IA sont plus performants que les humains non seulement en termes de capacité à fournir des informations mais aussi à prendre des décisions dans des situations contrôlées.
Cela signifie que, dans un monde miniature avec des règles et des actions données, un système informatique ne fournit pas seulement l’arrière-plan pour la prise de décision mais est capable de décider par lui-même. Si une tâche de décision peut être intégrée dans un monde aussi simplifié (généralement sous la forme d’un jeu), une IA sur mesure peut très souvent aider à choisir les bonnes actions. La configuration décrite inclut pratiquement tous les jeux stratégiques, tels que les échecs, le go, le shogi, l’hexagone, etc., pour lesquels les joueurs d’IA battent sans effort les champions du monde humains. Pourquoi en serait-il autrement pour le jeu NTW que nous avons conçu?
Au cœur de cette percée technologique se trouve l’idée d’entraîner l’IA en jouant à des milliards de simulations. Chaque victoire ou défaite est enregistrée et l’IA s’améliore à chaque étape. Ce n’est pas une seule simulation qui est fournie au décideur, mais le résultat de l’exécution par l’IA d’autant de cas raisonnables que possible, en sélectionnant les actions les plus susceptibles de donner les meilleurs résultats. Après un nombre suffisant d’itérations, cette procédure donne lieu à des “coups étonnants” qui surpassent les capacités des maîtres humains dans pratiquement tous les jeux stratégiques.
Comme ces coups étonnants devraient réserver des surprises à l’adversaire, notre espoir serait de trouver la bonne combinaison, sans riposte possible, uniquement grâce à l’utilisation optimale de ces technologies, souvent présentées comme “de rupture” que nous étudions et analysons. Il s’agit d’un objectif assez lointain, et peut-être seulement d’une vision, mais cela constitue sans aucun doute un domaine de recherche et un argument de poids pour investir dans ces technologies.
Défis et leçons apprises
- Veillez à ce que le centre d’intérêt des activités que vous développez reste la technologie (ou celui vous concernant) et non d’autres éléments latéraux comme la politique, l’organisation stratégique ou autre.
- Pour chaque élément que vous souhaitez tester, vous pouvez en fait créer un jeu. Si vous en utilisez un, assurez-vous qu’il a été créé avec exactement les mêmes objectifs en tête. Si ce n’est pas le cas, tenez compte de pourquoi il a été développé, jouez et voyez si vous pouvez adapter les règles pour tirer parti des éléments présents.
- Wargaming, intelligence artificielle appliquée, simulations multi-agents : autant de domaines qui requièrent des compétences spécifiques. Assurez-vous d’avoir la bonne équipe à bord.
- Il est agréable de pouvoir montrer des « coups étonnants” comme nous l’avons nommé, mais si vous ne pouvez pas expliquer la logique et le raisonnement qui les sous-tendent, vous aurez du mal à convaincre votre public. Restez toujours critiques et vigilants par rapport aux résultats obtenus par des IA et cherchez à pouvoir expliquer les solutions proposées (ce qui en soi à l’heure actuelle, est un véritable défi!).
Il n’y a pas de limite à l’intégration d’éléments ludiques lors d’ateliers, de façon à sortir les parties prenantes de leur zone de confort. Que ce soit en utilisant un jeu de cartes ou d’autres stratagèmes, veillez à toujours bien les présenter, ainsi que les buts recherchés.
Soyez conscient, qu’en fonction de l’audience et peut-être également de l’état d’esprit présent, un produit peut ne pas fonctionner, alors qu’au même moment, avec d’autres participants, celui-ci offrira des résultats tout à fait pertinents. Soyez résilient et patient: ce genre d’outils et de processus cognitifs viennent nourrir votre panoplie et pourront être déployés par la suite, au bon moment et au bon endroit.
Q136 | How to calibrate the playful aspect ina foresight program?
In this series « deftech – behind the scenes », we propose to tell the story of the programme deftech as faithfully as possible; its choices, its challenges and above all the lessons learned.
We have seen that working on a narrative is a way of delivering one type of experience to the reader. Unfortunately, the experience might only stay at the emotional level. Allowing people to try the technologies would definitely bring more insights.
There is however a challenge ahead: the elements we would like to experiment with do not yet exist. Therefore, instead of simply testing them, we will have to simulate them. What’s better than simulating, if not playing?
One of the main goals we set to better understand the new technologies, above all if seen as disruptive, consists in their future impacts both tangible for military operators and commanders and feasible for the military planner and systems developer. As wargames are exercises based on human interactions it can, when applied to a technology context, be useful to materialize emerging technologies in a dynamic and contested operational setting defined by potential military users. This should allow exploring potential technology implementations and their effects.
The challenge of the level of discussion
The first game design was inspired by the idea of the Engel matrix games due to its explorative approach and its flexibility during design and execution. In our case, including elements borrowed from the NATO’s Disruptive Technology Assessment Game (DTAG), we developed a two-sided tabletop seminar game with planning cycles for each turn, after which either side carried out their actions alternatingly. In every turn, both sides, with four participants each, discussed the desired effects of their actions and described the technologies applied for that matter, moderated by facilitators. Based upon that discussion, the facilitators assigned a success probability to the action. The actual outcome was determined subsequently by rolling the dice to integrate random effects to the interaction and keep the game going.
What we realized playing the game, was that the focus was not on technology, but more on considerations of strategic nature. It came to the fore, what seemed relatively obvious afterwards, that if we want the focus to be on the technologies and new systems they enable, we have to play at the level we can really see their impact. This level is not the strategical, but the tactical one.
Boots on the ground: the challenge to make it simple
Having somehow failed with the intent of the first game design, but having learned so much about how to actually run such a game, we decided to radically change the approach and move towards the creation of a tabletop game. The first iteration provided us also the specifications to develop the desired game mechanics:
- The scope of the game is not about winning, but about understanding the strengths and weaknesses presented by these future systems in given tactical scenarios, and this despite the fact that we have blue against red scenarios.
- The rules of the game should be simple enough so that a beginner could start playing after 15 minutes.
- One game should last less than 60 minutes in order to have the opportunity to test different combinations during a half-day period.
The development process directly involved the Swiss armed forces in the definition of the scenarios as well as in the selection of the future technologies. The result took the name of New Techno War (NTW) wargaming platform. The notion of platform is important as it offers the flexibility to add new systems, new scenarios as well as to consider other military doctrines than the Swiss one.
As mentioned already in the previous chapters, moving in that direction with the research gave birth to a new kind of questioning: Being the defender or the attacker, is there a specific way to use these new systems to fulfil the assigned mission?
The answer to such a question, however naïve and justified it may be, requires statistics and theoretically implies the knowledge of all possible games. In short, working with a tabletop version of the game is not enough anymore: you need a digital twin.
The digital challenge : opening a world of possibilities
Mentioning that you are developing a digital wargame automatically generates images of virtual multi-dimensional worlds in which a multitude of players compete against each-other in real-time. This might of course be the happy ending of the project, but not directly what we were aiming at in the short term.
More than the world of gaming, we thought initially to enter the world of simulation. We realized suddenly that one could be very close to the other.
Building on the previous work, the new interests became the following:
- How can we develop an Artificial Intelligence (AI) able to play the game from a red and blue part? What can a human learn from it?
- How can we generate all the possible outcomes of a blue vs red scenario, and what can we learn from it?
- What type of information can we present to the human player so that the tandem human plus AI is better than the AI alone? How do you present the information to the player?
These new developments in the context of technology foresight are based on the assumption that modern AI-based agents outperform humans not only in the capability to provide information but also to make decisions in controlled situations.
What this means: in a miniature world with given rules and actions a computer-based system not only provides the background for decision-making but is capable of deciding by itself. If a decision task can be cast into such a simplified world (commonly in terms of a game), then very often a tailor-made AI can assist in the choice of the right actions. The described setup includes virtually all strategic games, such as Chess, Go, Shogi, Hex, etc. for which AI players effortlessly beat human world champions. Why should that be different for our conceived NTW game?
At the core of this technological breakthrough lies the idea of training AI by playing through billions of simulations. Each win or loss is recorded and the AI is improved with every step. Not only one simulation is provided to the decision maker, but the result of the AI running through as many as possible reasonable cases selecting the actions that most likely yield the best results. After enough iterations, this procedure gives rise to the marvelous moves that surpass the ability of human masters at essentially all strategic games.
As these marvelous moves should result as surprises for the adversary, our hope would be to find the one, without possible retaliation, enabled only by the optimal use of these disrupted technologies we are researching and analyzing. This is quite a long shot, and maybe only a vision, but it would undoubtedly present a strong argument for investing in these technologies.
Challenges and lessons learned
- Be careful that the focus of the activities you develop remains the technology or the new system (or the one concerning you) they enable by it and not some other elements like politics, strategic organization or else.
- For every element you would like to test, you can basically create a game. Be sure if you use one that it has been created with the exact same goals in mind. If not, have these differences in mind.
- Wargaming, applied artificial intelligence, multi-agent simulations: these are domains that require specific competences. Be sure you get the right team on board.
- It is nice to be able to show marvelous moves as we named it, but if you cannot explain the logics and the reasoning behind them, you will have a hard time to convince your audience. Beware of AI and put your faith in “explainable AI”.
There is no limit to how much fun you can have in workshops, to get stakeholders out of their comfort zone. Whether using a card game or other tricks, always be sure to introduce them and their purpose.
Be aware that, depending on the audience and perhaps also the mindset, a product may not work, while at the same time, with other participants, it will offer very relevant results. Be resilient and patient: these types of tools and cognitive processes feed your toolkit and can be deployed later, at the right time and place.