Q084 | Qu’attendre d’un sondage d’opinion dans l’exploration des futurs ?

9 février 2021
4 mins de lecture

Le sujet de ce billet est né à la suite d’un échange avec Mme Aline Isoz lors de la parution du récit de design fiction FantasI.A.. Suite aux remarques très pertinentes sur le sondage d’opinion intégré au récit et à l’interprétation possible des résultats, nous nous sommes penchés un peu plus sur la question et créé cet échange à 6 mains que nous vous présentons ici.

Le dilemme

L’exploration des futurs possibles fait intervenir passablement d’imagination et de fait nous nous trouvons parfois très proches des méthodologies utilisées pour stimuler l’innovation et la création de nouveaux produits, services, etc. En toute franchise, il apparaît souvent bien difficile de faire la distinction entre les deux, l’un se nourrissant des pratiques de l’autre et vice-versa.

Innovation et sondages d’opinion ne font généralement pas bon ménage, et ce de surcroît si l’on parle d’innovations disruptives (innovations révolutionnant en profondeur un domaine d’activité comme par exemple l’invention de la photographie numérique remplaçant la photographie argentique).

La difficulté se résume très bien dans une maxime attribuée, apparemment faussement, à M. Henry Ford, mais présentant néanmoins parfaitement la situation « si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils m’auraient répondu des chevaux plus rapides ».

Rien à ajouter à ce que cela sous-entend, car tout le monde ne naît pas visionnaire couplé d’un innovateur et entrepreneur hors pair.

La question à laquelle M. Ford fait ici référence se présenterait probablement comme “Que souhaiteriez-vous améliorer à votre moyen de locomotion actuel ?”.

D’un point de vue prospectif, nous aimons à penser que nous aurions formulé un autre type de question et par là-même, aurions pu contribuer à l’hégémonie Ford. La question se serait présentée de la manière suivante: “Supposons que votre carrosse tiré par un cheval soit substitué par un carrosse à moteur vous permettant d’aller beaucoup plus vite et plus loin. Le préféreriez-vous de couleur noir, blanc ou autre ?

En représentant graphiquement les deux situations, nous pouvons nous rendre compte des différences principales entre les deux approches:

  1. Le premier type de questionnement se réfère à une situation présente, alors que le second projette le questionnement dans le futur, dans un environnement tel que vous l’aurez imaginé et présenté.

  2. Le premier questionnement attend une proposition de la part du participant. On attend de lui une, ou plusieurs, solution innovante et inédite, alors que dans le deuxième, une opinion relative à la préférence entre diverses solutions est demandée. Le travail d’imagination, voire d’innovation, a déjà été réalisé et l’on attend simplement une prise de position du participant par rapport à différentes options.

  3. La responsabilité de la pertinence des options incombe naturellement au créateur du sondage pour le sondage “prospectiviste”, alors que la qualité des réponses sera plus dépendant du participant dans le type de sondage “Henry Ford”.

Le sondage d’opinion intégré à un récit de design fiction permet de placer le participant dans une situation artificielle, future ou non, et d’évaluer ses choix dans un contexte défini.

Ce que nous attendons du sondage et comment l’utiliser

Considéré principalement sous l’angle de la prospective technologique, l’intégration d’un sondage dans un récit comme celui de FantasI.A. permet tout d’abord de sensibiliser les gens à certaines tendances nous entourant tout en les faisant réfléchir sur certaines options possibles.

Nous sommes convaincus que rien n’est fatalité dans l’adoption ou non de certaines technologies et que plus nous en anticiperons les opportunités ainsi que les menaces, plus nos décisions seront éclairées. La forme adoptée, celle du récit, ne permet pas non plus d’ouvrir à l’infini les possibilités d’actions offertes et il est attendu parfois qu’aucune des options proposées ne satisfasse le lecteur. Cette frustration temporaire devrait mener, nous l’espérons, à un contact direct avec les auteurs afin de proposer et débattre de ces nouvelles options.

Parler de domaines technologiques sans exemples d’applications concrètes n’est pas (plus?) suffisant, et c’est ce que nous tentons de mieux appréhender avec notre approche: comprendre comment sont perçus de potentiels usages futurs de briques technologiques. Nous désirons relever que considérer l’aspect technologique n’est qu’une porte d’entrée pour une analyse plus approfondie de l’écosystème futur et correspond dans le cas présent au biais d’un des auteurs. Nous pouvons tout aussi bien commencer par un aspect politique, légal, écologique, etc. Bien entendu, il est difficile de se projeter totalement dans un futur et nous sommes bien conscients que ces opinions sont fortement influencées par le contexte actuel des participants.

Néanmoins, nous nous rendons compte que certaines options sont acceptées plus facilement que d’autres, ce qui permet d’imaginer concrètement une série d’actions à entreprendre entre aujourd’hui et le futur considéré afin de rendre possible, ou d’empêcher cette option de se réaliser. Cette façon de procéder est connue sous le nom de backcasting et permet de construire un plan d’action (ou roadmapping) pour la matérialisation du futur considéré.

Représentation graphique des deux types de sondage considérés et leur positionnement dans le temps.

La fiction construite dans laquelle se déroule le sondage peut également être caractérisée par différents paramètres du type “niveau d’acceptation qu’une Intelligence Artificielle effectue un diagnostic médical”.

En mesurant périodiquement ces indicateurs, liés à certaines conséquences potentielles, il est possible de définir et d’anticiper certaines transitions.

Les multiples stimulations, intellectuelles pour la plupart, provoquées le long du parcours alimentent naturellement tout processus innovant et créatif. Il est cependant important de ne jamais perdre de vue le contexte et les hypothèses dans lesquelles le sondage a eu lieu, au risque d’en tirer de fausses conclusions.

Une situation de stress externe, telle que celle potentiellement vécue durant la pandémie actuelle peut également biaiser certaines réponses. On pourrait penser à juste titre, par exemple, que les lecteurs soient plus sensibles aux aspects sanitaires, et donc temporairement moins “regardant” en ce qui concerne la liberté individuelle au détriment de la surveillance. Attention donc aux conclusions hâtives!

Un des rôles de la prospective est justement de stimuler la réflexion et de poser des questions, tout en soulevant et défiant également les questions sous-jacentes. La prospective se doit d’offrir un cadre et une structure de pensée cohérente, afin de permettre, à qui cela incombe, le passage de l’observation à l’action et ce, en toute connaissance des conséquences possibles… futures!

 

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