Les personnes suivant les différentes questions auxquelles nous cherchons à porter quelques réflexions l’auront sûrement remarqué, la nature des derniers billets montre qu’il y a “tempête sous un crâne” et/ou désir de repositionnement de certaines activités.
Vous avez eu un premier signal pas si faible que cela avec le changement de nom du site (la prospective technologique → atelier des futurs).
Pas si anodin que cela lorsque l’on prône l’action dans la construction active du futur est que l’on réalise soudain que les “travaux de prospective”, définis comme tels, sont vus comme “intellectuellement fascinants et passionnants, mais vains” par certaines personnes que l’on apprécie particulièrement, comme c’est le cas avec cette citation tirée de Bienvenue en incertitude par Philippe Silberzahn. Comme bien souvent, le problème intellectuel n’est pas qu’une personne le pense et le dise, mais que cette affirmation résonne en vous, que tout d’un coup une lumière s’allume et que des mots – ainsi que tout le bagage intellectuel et littéraire allant avec – sont donnés à des sensations !
Un programme d’anticipation (ex-prospective) technologique, comme déjà relevé dans ce billet, a pour raison d’être de fournir un avantage (technologique) et d’anticiper les risques et opportunités liées à celles-ci. Ceci est la raison d’être du programme deftech.
Dit en d’autres termes, on souhaite éviter ou créer une “surprise” technologique par rapport à un adversaire. Or dans le monde où nous nous trouvons avec des avancées technologiques s’enchaînant et se combinant à un rythme effréné, nous réalisons que nous sommes en face d’un système ouvert et isotropique et que nous sommes amenés à regarder dans toutes les directions car tout, potentiellement, peut être pertinent [source].
Cependant, la surprise ne devrait pas tant être technologique en tant que telle, mais dans l’application et l’utilisation innovante que l’on fera de cette technologie. Or surprise il y a si l’on s’écarte de la réalité, si l’on succombe à nos biais cognitifs, si nos modèles mentaux ne sont plus en phase avec cette réalité.
Une surprise, c’est la réalité qui fait «Coucou!» en nous disant que nos modèles mentaux ne lui correspondent plus.
Changer de perspective
Pour bien comprendre le “déclic” qui s’est produit par rapport à la gestion d’un dispositif d’anticipation, il est important de savoir qu’un des possibles défis que celui-ci peut rencontrer à l’intérieur d’une organisation, est la participation active de ses différentes parties prenantes.
La raison énoncée est simple: les activités quotidiennes prennent le dessus sur des réflexions à un horizon plus lointain (et là déjà, le modèle mental de l’organisation peut avoir son importance sur cet état d’esprit!).
Mais rendre les gens d’une organisation attentifs au futur qui peut se dessiner, n’est-ce pas se confronter aux mêmes défis que ceux de chercher à transformer cette même organisation, du moins dans la motivation?
Ne pourrait-on pas trouver là la clé permettant de relier l’étude des futurs et la considération du passage à l’action et ce même sans but clairement défini? Et bien oui, et c’est l’occasion de découvrir l’effectuation par l’intermédiaire notamment l’ouvrage « Stratégie Modèle Mental » de Philippe Silberzahn et Béatrice Rousset (https://lespossibilist.com). Je voudrais mentionner au passage, car cela pourrait être devenu suspect, que je ne connais (malheureusement) pas (encore?) personnellement les auteurs de ces excellents recueils et que cette forme de publicité n’est due qu’à la qualité de leurs travaux et à la manière dont ceux-ci répondent à mes interrogations actuelles!
Le changement radical n’est pas difficile parce que l’environnement extérieur est incompris ou invisible. Il est difficile lorsqu’il n’a pas de sens pour nous: il ne rentre pas dans notre modèle mental donc nous ne le considérons pas.
La question ne porte donc pas tant sur la nature des changements (big data, digital, intelligence artificielle, etc.) qui peuvent toujours être compris avec un effort suffisant, mais sur notre capacité à leur donner un sens.
Afin de stimuler l’entreprenariat, et donc rendre l’action immédiate possible, le modèle mental “relation au monde” en opposition à celui nommé “objectif initial” est proposé [source, p. 188].
Modèle mental « Objectif idéal » | Modèle mental « Relation au monde » |
Monde certain | Monde incertain |
Démarrer avec un objectif = S’éloigner de la réalité | Démarrer avec ce qu’on a = Fait avec la réalité |
Agir en gain attendu = Prévoit la réalité | Agir en perte acceptable = Agit en fonction de la réalité |
Définir des rôles = Circonscrit la réalité | Obtenir des engagements = Partage une réalité commune |
Eviter les surprises = Se protège contre la réalité | Tirer parti des surprises = Garde un lien avec la réalité |
Résoudre des problèmes = S’exclut de la réalité | Créer le contexte = Transforme la réalité |
Comment relier “relation au monde” et étude des futurs ?
Indirectement et sans le savoir, comme un certain M. Jourdain avec la prose, nous avons depuis toujours cherché à coller à la réalité, sans jamais faire de prédiction. Dans le dernier recueil sur le soldat du futur rédigé avec Anne-Caroline Paucot, chaque chapitre correspondant à un nouveau mot offre une section présentant les développements actuels permettant de ramener ce qui pourrait être perçu comme de la science-fiction un peu plus proche de la réalité. Cela n’est qu’un exemple, mais n’hésitez pas à contrôler par vous-même les différents livrables et surtout à interagir!
L’approche que nous sommes en train de co-constuire actuellement et où ce modèle mental d’effectuation joue tout son rôle est la suivante:
- En fonction de la situation ou de l’industrie d’intérêt, récolter la plus grande diversité d’opinions de ce qui pourrait se passer. Nous les classons en trois différents types d’incertitudes. Il est à noter qu’aucune évaluation n’est effectuée si une situation est possible ou non et nous essayons d’ouvrir au plus large le champ des possibles en y incluant également le champ des impossibles.
- Selon le scénario choisi sous 1, essayer d’imaginer les nouvelles compétences (super-pouvoirs ?), les nouveaux processus, les nouveaux produits qui me permettraient soit de tirer parti de ces situations, soit de m’en protéger.
Quelles sont les opportunités créées?
1 et 2 peuvent donner lieu à des ateliers ouverts afin de rassembler des opinions et des modèles mentaux les plus différents. Nous essayons durant ces deux phases d’évoluer dans un futur appelant à l’imagination en essayant de nous éloigner de la réalité (ce qui est souvent plus facile à dire qu’à faire).
- Afin d’interagir de façon engageante avec les différentes parties prenantes qui n’auraient pas participé aux deux premières étapes, un narratif (ou récit) est réalisé permettant aux lecteurs d’occuper temporairement ce futur possible. Le narratif devient en quelque sorte une réalisation du modèle mental considéré.
- Une fois dans ce futur, le lien avec le présent est établi par l’intermédiaire de la grille de questions suivantes, structurées autour du modèle mental “relation au monde”.
Narratif « Futur Possible » |
Monde incertain |
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Quelles surprises pourraient arriver qui
Y a-t-il une possibilité d’indicateurs sur un ou plusieurs paramètres pouvant m’alerter en cas de changement de “réalité”. |
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Ces différentes étapes peuvent paraître relativement artificielles, mais pour un dispositif d’anticipation n’ayant pas légitimité dans tous les domaines, “démarrer avec ce qu’on a” peut revenir à fournir des idées et stimuler certaines pensées alternatives de façon à ce qu’elles fassent leur chemin dans l’organisation.
L’utilisation en parallèle du jeu permet de tester relativement facilement certaines situations et sensibiliser les différentes parties prenantes à certaines hypothèses jusqu’alors inconsidérées car inconnues ou alors jugées “impossibles” par un modèle mental inapproprié ou déjà obsolète!