Ce billet est le troisième d’une série consacrée à la question : comment peut-on modéliser une civilisation ? Pendant 7 semaines, un nouvel article sera publié chaque lundi. Ensemble, ils vous permettront de découvrir le modèle civilisationnel des “pace layers”, imaginé par Stewart Brand.
Partons maintenant à la découverte de la couche de l’économie et des modèles économiques.
Dans le modèle des pace layers, les six couches qui, ensemble, composent une civilisation, sont classées par ordre décroissant de vitesse d’évolution. Il s’agit de la “mode” (fashion dans le texte d’origine) à laquelle nous substituons les activités d’invention et d’innovation ; l’économie (et les modèles économiques) ; les infrastructures ; la gouvernance (et les modèles de gouvernance) ; la culture ; le vivant.
Continuons notre exploration du modèle des pace layers avec la couche de l’économie et des modèles économiques.
L’économie est comprise ici comme “l’ensemble de ce qui concerne la production, la répartition et la consommation des richesses et de l’activité que les hommes vivant en société déploient à cet effet”.
Jusqu’à la crise que nous vivons actuellement, sur fond de pandémie de Covid-19 et de guerre en Ukraine, l’économie a été formidablement accélérée, essentiellement depuis le lendemain de la Seconde guerre mondiale, par la mondialisation, la financiarisation, et, plus récemment, la révolution numérique qui a permis le déploiement à l’échelle planétaire de réseaux de communication interconnectés.
Pour fonctionner et se développer, l’économie s’appuie sur un réservoir, apparemment illimité, d’inventions, de créations et d’innovations (supply chains mondialisées, instruments financiers de plus en plus sophistiqués, technologies de l’information et de la communication, etc.). D’autre part, l’économie transmet une partie de son énergie aux couches plus profondes, par exemple en stimulant le développement de nouvelles infrastructures de communication (à l’instar de la 5G) qui devraient permettre en retour la création de nouveaux biens, services… et controverses. Enfin, l’économie obéit à des règles fixées par les systèmes de gouvernance et elle influence (tout autant qu’elle est influencée par) les préférences, les craintes, les espérances, etc. qui façonnent la culture.
L’économie vue à travers le prisme de dynamique des systèmes et de la physique
De la parution de The limits to growth au Plan de transformation de l’économie française du Shift Project
À l’issue d’un important travail collectif, le Shift Project, “un think tank qui œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone”, a publié à l’automne 2020 la synthèse de la vision globale d’un Plan de transformation de l’économie française (PTEF). Singulier, le PTEF doit permettre de “dessiner les grandes lignes d’un chemin conduisant la France à se décarboner au bon rythme [et] à se rendre résiliente face aux chocs”.
D’ordinaire, pareil document à visée programmatique s’appuie sur une lecture et un chiffrage en euros de l’état actuel et de l’état futur souhaité de l’économie. Au contraire, le PTEF, organisé en chapitres qui couvrent de nombreux secteurs parmi lesquels l’énergie, la mobilité quotidienne, le logement, la santé, l’industrie, la finance, etc., repose sur une analyse des déterminants physiques. Plutôt que d’euros, il y est ainsi question de kilowattheure, de tonnes de CO2, de passagers-kilomètres, de m2 de terres arables, de nombre de véhicules, etc.
Qu’est-ce qu’un “déterminant physique” ?
Pour l’équipe de l’initiative IRIS, un projet co-porté par le cabinet de conseil Carbone 4 et plusieurs organisations partenaires, un déterminant physique caractérise “une grandeur qui se compte en unités physiques (de poids, de volume, de débit, etc.) et non en unités monétaires”. Ainsi, “le prix d’un bien ou service n’est pas un déterminant physique, alors que la quantité de produits vendus en est un”.
En phase avec les conclusions de The limits to growth, un rapport fondateur pour la pensée écologique publié en 1972 par une équipe de chercheur du MIT à la demande du Club de Rome, et d’un autre rapport du Shift Project, les auteurs du PTEF posent en préambule que “depuis environ deux siècles, les sociétés dites thermo-industrielles ont dimensionné leur développement sur une abondance d’énergie inédite d’origine fossile”.
Pour aller plus loin, ils enjoignent le lecteur et, a fortiori, le décideur qui prendra connaissance du PTEF, à reconnaître que la question “environnementale” ne peut pas être abordée à côté de celles liées aux modes de production et de consommation. Ils rappellent enfin qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France et plusieurs autres pays européens se sont montrés capables de fournir un effort de planification sans précédent qui a permis à leur économie de se développer pendant plusieurs décennies.
Aujourd’hui, la donne est différente. Si l’effort à fournir est peut-être encore plus important qu’au milieu des années 1940, il doit être pensé et mis en œuvre à un moment où l’économie mondiale se heurte aux limites planétaires et ne peut dès lors plus s’appuyer sur une perspective de croissance matérielle infinie.