Q003 | L’Homme face à son avenir : quelle histoire ?

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L’avenir est la seule chose qui m’intéresse car je compte bien y passer les prochaines années.” Avec humour, le cinéaste et acteur Woody Allen nous rappelle que depuis toujours, l’Homme s’est toujours intéressé à son avenir.

Divination

Dans l’Antiquité, l’Homme avait recours à la divination afin d’obtenir des réponses. Lorsqu’il allait consulter un oracle, l’Homme attendait de ce dernier qu’il lui révèle son avenir. En temps de guerre, les réponses de l’oracle pouvaient être déterminantes dans la décision de livrer ou non bataille à la cité voisine.

Comme le rappelle Philippe Durance, recourir aux arts divinatoires présuppose une conception simpliste du futur. Celui-ci serait un inconnu qui pré-existerait aux questions que l’on se pose à son sujet. En recourant à un oracle, il serait finalement possible de transformer, sans risque d’erreur, l’inconnu en connu.

Déterminisme

Plusieurs siècles plus tard, c’est l’avènement du déterminisme qui a offert à l’Homme un autre moyen d’élucider les mystères du futur. Le principe de causalité, pierre angulaire du déterminisme, stipule que dans des conditions identiques, les mêmes causes produisent les mêmes effets. À l’instar de la divination, le déterminisme s’accompagne lui aussi d’une conception simpliste du futur. Ici, le futur serait réductible à une équation à résoudre, certes très compliquée, mais dont la solution ne pourrait néanmoins pas échapper à la pugnacité de scientifiques chevronnés. Cette conception du futur est très bien illustrée par les propos tenus par le mathématicien Pierre-Simon de Laplace, dans son Essai philosophique sur les probabilités : “Nous devons envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur, et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui […] connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé, seraient présents à ses yeux.”

Incertitude

Avec la seconde guerre mondiale et en particulier les bombardements atomiques d’Hiroshima puis de Nagasaki en août 1945, c’est l’ère de l’incertitude qui s’est ouverte. À présent, l’Homme a conscience qu’il a la capacité de s’auto-détruire. “Thinking about the unthinkable”, en français, “penser l’impensable” devient l’objectif que se fixent les conseillers stratégiques des puissances que sont les États-Unis et l’Union soviétique, engagées dans la guerre froide dès 1947.

Prospective

Ailleurs dans le monde, notamment en France, des intellectuels, haut-fonctionnaires et chefs d’entreprise réalisent ensemble qu’il leur faut se doter de nouvelles méthodes et de nouveaux outils pour “voir loin”, “voir large”, “analyser en profondeur”, “prendre des risques” et “penser à l’Homme”. Gaston Berger, alors Directeur général de l’enseignement supérieur au Ministère de l’éducation nationale, dresse dès 1959 le constat suivant : “dans un monde en accélération, l’habitude voit son domaine légitime se restreindre singulièrement. Le précédent n’est valable que là où tout se répète. L’analogie ne se justifie que dans un univers stable où les causes profondes se trouvent engagées dans des formes extérieures aisément reconnaissables. Quand les transformations sont négligeables ou très progressives, les surprises ne sont pas trop à craindre. Mais quand tout change vite, les ensembles se désagrègent… Quant à l’extrapolation, elle se contente de prolonger la tendance actuelle qui n’est que la résultante des causes profondes. Croire que tout va continuer sans s’être assuré que ces mêmes causes continueront à agir est un acte de foi gratuit.”

Gaston Berger est aujourd’hui considéré comme le père de la prospective française. Il a profondément contribué à faire évoluer la prise de décision au sein de l’administration publique française, en proposant d’“éclairer l’action présente à la lumière des futurs possibles et souhaitables”, comme l’écrira plus tard l’économiste Michel Godet, professeur et titulaire de la chaire de prospective stratégique au Conservatoire national des arts et métiers de 1982 à 2014.

Croire que tout va continuer sans s’être assuré que ces mêmes causes continueront à agir est un acte de foi gratuit.

Gaston Berger

Universalité

Après avoir connu son apogée dans les années 1970 – 1990, la prospective a petit à petit perdu de son importance auprès des décideurs, aussi bien publics que privés. Cette perte d’aura est à mettre en regard d’un enchaînement de plusieurs événements géopolitiques majeurs ; après la chute du mur de Berlin dans la nuit du 9 novembre 1989, l’Union soviétique disparaît en 1991. Après le fascisme et le nazisme, c’est donc le communisme qui est à son tour balayé. Unique idéologie rescapée, la démocratie libérale semble alors vouée à se répandre à travers le monde entier, scellant ainsi la “fin de l’histoire” pour citer le titre d’un article publié en 1989 par Francis Fukuyama, universitaire américain et alors directeur adjoint du service de planification du département d’État à Washington.
À l’incertitude de la guerre froide succède alors la foi en l’universalité du modèle de la démocratie libérale, censé être capable de résoudre tous les maux sociaux et économiques dans le monde entier. Capitalisme et technoscience sont alors érigés en piliers d’un monde libre et prospère.

Résilience

Mais depuis quelques années, les messages d’alerte adressés – dès les années 1970 – par la communauté scientifique au sujet du réchauffement climatique, de l’érosion de la biodiversité, ou encore de l’appauvrissement des sols suscitent des réactions de plus en plus vives. D’un côté, la jeune génération condamne aujourd’hui un modèle de développement économique qui précipiterait l’Humanité vers une catastrophe environnementale et humaine sans précédent. De l’autre, plusieurs dirigeants, élus politiques et chefs d’entreprise, hissent petit à petit en tête de leurs préoccupations l’impérieuse nécessité d’assurer la résilience des systèmes socio-économiques qui sont le socle de la société. En juin 2017, la Task force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD), présidée par Michael Bloomberg, a rendu publiques ses conclusions. Parmi les onze recommandations qui figurent dans le rapport final, il est vivement conseillé aux entreprises de décrire la résilience de leur stratégie, en confrontant celle-ci à plusieurs scénarios prospectifs d’évolution de la société et du climat.

Gageons que les travaux de la TCFD et les premières mises en oeuvre de ses recommandations constituent bel et bien un “fait porteur d’avenir”, signe “infime par ses dimensions présentes mais immense par ses conséquences virtuelles” selon la formule de Pierre Massé.

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